Les prix de l’UJC 2012

L’UJC a décidé pour la septième fois d’attribuer des prix annuels destinés à mettre en valeur les métiers du journalisme cinématographique.

• le Prix de l’UJC 2012, pour l’ensemble de son œuvre, à Philippe Collin, critique à Elle pendant 27 ans (ph. ci-contre)

• le Prix de l’UJC de la jeune critique 2012 à Marilyn Letertre

• le Prix de l’UJC de la meilleure biographie ou du meilleur entretien 2012 concernant une personnalité du cinéma, à Jordan Mintzer, pour son livre « James Gray » (éd. Synecdoche).

• La Plume d’Or 2011 du meilleur journaliste de cinéma de la Presse étrangère en France, enfin, a été décernée pour la septième fois conjointement par l’UJC et l’Association de la Presse Etrangère à Marcel Croës, pour sa couverture pluri décennale du cinéma français dans la presse française et belge.

Cari Saluti, Andrée!

Nous venons d’apprendre la disparition d’Andrée Tournès, l’âme de « Jeune cinéma » de si longue date, et qui avait rejoint l’UJC dès sa fondation, en 2001. Henri Welsh nous a fait parvenir ce texte de Montréal, où il travaille pour le cinéma depuis qu’il y a émigré.

« Que cherchons-nous au juste ? Et me revient ce matin de 55 où Jean Delmas, qui lançait un ciné-club dans notre bahut, me tendit un catalogue des films disponibles; c’était rue de l’Élysée et un vertige m’a saisie : tant de films, des centaines, des nunuches, des chefs-d’œuvres et des titres inconnus; trente ans de cinéphilie sauvage n’avait pas calmé ma boulimie, mais tout d’un coup, ce qui s’offrait c’était un choix presqu’infini. Le pouvoir de choisir ‘‘mon cinéma’’. Après seulement est venue l’envie de montrer à d’autres, puis en amont, d’élargir avec mes copains l’horizon établi par des commerçants; à l’époque où la FFCC (Fédération française des Ciné-clubs, ndlr) offrait à Paris La terre tremble de Visconti, nous, petite association, nous mettions sur orbite le 16 mm des Sept Samouraï, Deux hectares de terre, Ivan le Terrible

Trente ans plus tard, l’ivresse de donner à d’autres de beaux films à voir est toujours là, l’urgence plus forte encore de secouer la monotonie fatiguée des programmes officiels; d’offrir quelques spectateurs à des œuvres oubliées parce qu’elles sont anciennes en ces temps privés de mémoire, parce qu’elle sont lointaines et que les films aussi sont interdits de séjour, parce que-je-ne-sais-quelle malédiction les a enfermées sitôt créés et nous ne sommes pas prêts d’oublier l’émotion d’un Raoul Duval, d’un Othnin Girard, d’un Jouffe trouvant pour une fois, pour une seule fois, un public ».

Ces lignes écrites par Andrée dans la revue Jeune Cinéma (No 175 de Juillet 1986, p 47) sont l’expression la plus authentique de ce qui a animé Andrée depuis cette année lointaine de 1955 qui est aussi celle de ma naissance. Ce texte faisait le bilan des « Mardis Jean-Vigo » qui se tenaient au Republic Cinéma, lieu de projection des films du catalogue de la Fédération Jean-Vigo dont Andrée était une dirigeante et à laquelle, quelques mois plus tard, le Centre Georges Pompidou rendait hommage (Le cinéma, une aventure – 30 ans d’exploration – 8 octobre au 8 décembre 1986).

C’est en effet dans ces moments de passion pour le cinéma partagé avec un public qu’Andrée exprimait le mieux l’intensité de son engagement non seulement pour un art qu’elle aimait tant mais aussi pour une façon de s’engager librement et totalement dans une forme d’éducation populaire dont elle était une ardente militante.

Andrée Tournès était aussi cette enseignante, cette pédagogue exceptionnelle qui savait comment insuffler l’étincelle du savoir à ses élèves du lycée Edgar Quinet qui fut le dernier établissement qu’elle a fréquenté avant de prendre sa retraite de professeur agrégée. Une retraite fort occupée puisqu’à partir de ce moment-là, elle consacra presque tout son temps à la Fédération et à sa revue Jeune Cinéma.

Jean Delmas m’avait demandé de collaborer à Jeune Cinéma puis à la Fédération où je rencontrais Andrée rue Lamarck tout à côté du Sacré-Cœur. Son enthousiasme, sa connaissance exceptionnelle – sa « boulimie » comme elle l’écrivait – du cinéma étaient extraordinaires. Je me souviens de nos discussions sur l’expressionisme allemand qu’elle côtoyait depuis son enfance, sur le néo-réalisme italien dont elle disait que c’était une école politique, sur les comédies anglaises dont elle appréciait tellement l’humour. Si érudite sans le faux-semblant ni la pédanterie ou la vanité car pour elle l’essentiel était de pouvoir transmettre de façon simple et juste cette connaissance joyeuse du film comme fête de l’esprit. Jamais je n’ai pris Andrée en défaut de clarté, pour elle le cinéma ne devait pas être une discipline universitaire. Le langage cinématographique qu’elle décodait parfaitement sans utiliser de concepts spécieux, elle le traduisait avec bonheur en jonglant avec des contextes socio-historiques parfois difficiles mais qu’elle définissait avec une lumineuse simplicité. Ensemble nous avons organisé et animé des stages de formation d’animateur à l’INRS de Marly-le-Roi ou au CREPS de Boulouris au cours desquels les œuvres les plus rares étaient programmées pour le bonheur des participants. Les discussions qui suivaient les projections avaient une fougue et une précision étonnantes et toujours Andrée avait une attitude respectueuse et savait écouter ses interlocuteurs. De ses interventions germaient d’autres paroles et de ces échanges un peu de rapprochement vers une connaissance vraie du cinéma.

Comme journaliste, Andrée avait acquis une notoriété enviable, non parce qu’elle occupait les tribunes les plus prestigieuses, mais parce que son jugement, ses coups de cœur donnaient la mesure à beaucoup de collègues. Son inlassable fréquentation des festivals les plus pointus comme Locarno, Berlin, Poretta… en avait fait une des meilleures pionnières pour la découverte de films précieux et nous étions tous convaincus que lorsqu’elle proposait de prendre en distribution un film vu dans ces occasions, c’était certainement un joyau à faire circuler parmi les cine-clubs et les salles de cinéma. Car la Fédération des Ciné-clubs a tôt fait de fonder CICLOP-Films, une petite société de distribution commerciale dont le but était l’acquisition des droits d’exploitation des titres que les grandes compagnies dédaignaient particulièrement dans le secteur des films pour enfants. C’est ainsi que des films comme Hugo et Joséphine, Les enfants du numéro 67, Tante Tao par exemple ont trouvé leur public sans oublier L’écran magique ou Ajantrik. Autre engagement d’Andrée dans le combat, car les moyens étaient ridiculement modestes, pour la diffusion de films de grande valeur. C’est avec elle que se mit en place un mouvement qui aboutit à la rédaction d’un Manifeste pour un cinéma auquel les enfants ont droit qui affirmait que le jeune public avait la capacité de voir et de comprendre des films dits « difficiles » alors qu’ils offraient une vision du monde qui ne prenait pas les enfants pour des adultes en réduction.

De tous les moments passés avec André il me revient celui où à la suite de la projection d’Allonsanfan, Andrée a entamé a capella la musique du film et nous a tous entraîné dans la marche des « chemises rouges » menées par Marcello Mastroianni ! Une transposition des instants que le film des Taviani venaient de nous livrer. Comme par enchantement, Andrée avait rendue réelle la fiction projetée sur l’écran. Que ce soit un film italien n’est pas une coïncidence car Andrée avait trouvé près de Tavarnelle en Toscane, un « fénil » aménagé où elle prenait le temps de se ressourcer. C’était son havre de paix… Cari saluti Andrée.

Henry Welsh