Cannes 2013 : une palme pour « la Vie d’Adèle – chapitre 1 & 2 » : bravo
Un cinéaste est parvenu au sommet de l’épanouissement, il a été justement distingué. Lui, Abdellatif Kechiche, et ses deux actrices fétiches, Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos.
Le 66e Festival de Cannes s’est achevé avec la proclamation du palmarès, la liste des heureux étant prononcée par le président du jury, Steven Spielberg. Ce n’est pas la première fois que nous assistons à cette cérémonie, doux euphémisme. Nous avons connu les années tempête, comme quand Maurice Pialat, se croyant insulté, s’en prit à la salle. Nous avons connu les années polémiques, les années mollement consensuelles. Jamais peut-être autant que cette fois nous n’avions vu palmarès autant applaudi, à commencer par cette palme d’or, longuement saluée debout par la salle, couronnant Abdellatif Kechiche, pour la première fois associé dans le communiqué officiel à ses deux admirables comédiennes, Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux, dont le réalisateur, au bout de cinq mois de tournage et des centaines d’heures impressionnées (ce qu’on appelle les rushs), a su tirer le meilleur, dans la digne suite du Bresson de Mouchette ou du Pialat d’À nos amours. Le film avait suscité les éloges de notre journal, ceux de presque toute la presse française, de la presse de partout, emportant hier le prix de la critique internationale (prix Fipresci).
Ce jury a aussi su faire preuve d’éclectisme
Nous avons pu maintenant vérifier qu’un jury composé d’artistes venus du monde entier avait partagé le même enthousiasme, que les trois heures de caméra portée traquant au plus près les visages et les corps n’avaient repoussé personne, que l’amour, y compris sous sa forme homosexuelle et féminine, était d’abord l’amour, renvoyant aux placards empoussiérés les dinosaures ayant manifesté le même jour à Paris leur dépit et leur haine. Notons aussi qu’Abdellatif Kechiche, après avoir salué « l’esprit de la liberté et de vivre ensemble », a tenu à saluer la révolution tunisienne (il est né à Tunis en 1960) avec une formule qui ne pourra que déplaire aux intégristes : « exprimer librement, vivre librement, aimer librement ». Cela dit, on ne peut que se réjouir que cette palme soit française et qu’elle couronne un de ces films hors longueur standard et hors norme qui font la justification et la fierté de l’exception culturelle, cela discrètement rappelé par Spielberg. Bravo donc également à Wild Bunch et Vincent Maraval, sans discuter ici de certaines de ses positions personnelles. Preuve par ailleurs que les subventions ne se résument pas à des fonds publics jetées au moulin des vanités, le film a été acheté par les Américains. Ce jury a aussi su faire preuve d’éclectisme en ignorant les prés carrés, répartissant ses lauriers en sachant être ouvert à différentes esthétiques à diverses régions du monde, Chine, Japon, Mexique, États-Unis. On peut bien sûr discuter tel ou tel choix mais, globalement, on ne peut que saluer ce verdict qui conclut une édition de haut niveau.
Grand Prix : Inside Llewyn Davis de Joel et Ethan Coen
Prix de la mise en scène : Amat Escalante pour Héli
Prix du Jury : Tel Père, Tel Fils de Kore-Eda Hirokazu
Prix d’interprétation masculine : Bruce Dern pour Nebraska d’Alexander Payne
Prix d’interprétation féminine : Bérénice Béjo pour Le Passé
Prix du scénario : Jia Zhang Ke pour A Touch of Sin
Palme d’Or du meilleur court-métrage : Safe, de Byoung-Gon Moon
Caméra d’Or : Ilo Ilo d’Anthony Chen
Histoires de sorcières au Festival d’Ankara
Depuis 16 ans, un regroupement d’associations de femmes turques organise un festival de cinéma où les films présentés sont tous réalisés par des femmes… Entre étonnement et curiosité, je suis partie à Ankara, comme jurée Fipresci et j’ai découvert une sélection d’excellente qualité, dans une ambiance particulièrement chaleureuse.
Du 9 au 16 mai 2013, le Flying Broom International Women’s Film Festival – ou en français, le Balais volant, Festival international de femmes réalisatrices – a présenté un programme très copieux. 12 films dans la compétition internationale, 5 dans la sélection turque, 13 dans la catégorie « en résistance », 12 pour « la famille » plus une kyrielle d’autres mini programmes autour des courts, de l’écologie ou des documentaires. Enfin, deux hommages, l’un à la réalisatrice allemande et l’autre à la réalisatrice suédoise Mai Zetterling.
Le seul prix attribué à un film pendant ce festival est celui de la Fipresci, dans la sélection internationale. Il a été décerné à Queen of Montreuil de Solveig Anspach « pour l’optimisme avec lequel il traite des chagrins de la vie, de la solitude et du deuil, et pour ses deux personnages de femmes libres et artistes, qui nous montrent combien le cinéma est source de joie ». Mais plusieurs actrices et réalisatrices turques ont été récompensées, lors de la cérémonie d’ouverture et de clôture : notamment Perihan Savaş, Zeynep Aksu, Suzan Kardeş et Yildiz Kenter.
Les bonnes surprises ont été nombreuses dans ce festival. D’abord parce que, pour la première année, il y avait 5 films de réalisatrices turques, ce qui a permis de faire une section à part et de prouver la vitalité des femmes cinéastes dans ce pays. Auréolé d’un grand succès populaire, Araf (Somewhere in Between, 2012, 124′) de Yeşim Ustaoğlu raconte l’histoire d’amour malheureuse entre une très jeune fille idéaliste et un beau ténébreux (ah, le charme d’un 35tonnes rouge sur une aire d’autoroute…). Mais si la première partie est réalisée avec beaucoup de finesse, la suite est trop maladroite pour convaincre. Le sujet d’une grossesse non désirée est sans doute encore trop délicat pour être traité autrement que frontalement. J’ai été plus séduite par le premier film de Belmin Söylemez, Şimdiki Zaman (Au Présent, 2012, 110′), histoire moins dramatique et plus universelle d’une jeune femme un peu perdue dans sa vie et dans sa ville. Elle trouve un travail de diseuse de bonne aventure, qui lui permet d’exprimer son malaise.
Beaucoup de bons films dans la sélection internationale, notamment Baby Blues (2012, 98′) de la polonaise Katazzyna Roslaniec où cette fois la très jeune mère veut son bébé pour combler un gros manque affectif. Une dénonciation radicale et très dynamique de l’égoïsme et de l’immaturité affective de nos contemporains. Ginger and Rosa (Royaume-Uni, 2012, 90′) de Sally Potter conjugue l’explosion de la famille nucléaire sur fond de militantisme anti-nucléaire, avec Elle Fanning dans le rôle principal, bien obligée de grandir devant tant de déceptions. Le film sort en France le 29 mai prochain. Atmosphère étrange et belle photographie pour le film de Threes Anna, Silent City (Pays-Bas, 2012, 76′), où une jeune Européenne effectue un stage de découpe de poissons chez un grand maître japonais : ça redonne des couleurs aux suhis !
Monica Treut est venue elle-même présenter 4 de ses films et participer à des débats passionnés dans ce pays où l’homosexualité est encore considérée comme une maladie mentale et où on n’ose pas s’afficher en public. Etonnant de voir avec quelle émotion les spectateurs posaient leurs questions, étonnant aussi de voir l’assiduité d’un groupe de jeunes femmes voilées à ces projections… Comme quoi ce festival répond à une véritable attente et qu’il faut toujours des sorcières venues de loin pour changer le cours des événements.
La dernière sorcière venait du grand Nord et la découverte de l’œuvre de Mai Zetterling a été un grand plaisir de cinéma. Les Amoureux (1964), Jeux de nuit (1966), Les Filles (1968) et Amorosa (1986) sont des films aussi brillants que surprenants. Une mise en scène virevoltante pour des personnages hors normes confrontés aux préjugés bourgeois, joués par des actrices pétillantes. La réalisatrice suédoise, morte en 1994, est étrangement absente des catalogues et des rétrospectives des festivals généralistes. Son cinéma est pourtant très novateur (trop peut-être messieurs les critiques ?) radical, avec une mise en scène éblouissante. Il fallait coiffer son chapeau pointu et enfourcher son balai magique pour voler jusqu’à Ankara, et participer à cette belle réunion de sorcières et de cinéma pour en profiter.
Magali Van Reeth
Lien site festival : http://festival.ucansupurge.org/english/index.php