L’Union des Journalistes de Cinéma demande à Aurélie Filipetti de reclasser immédiatement Nymphomaniac normalement
Communiqué de Presse du 28 février 2014
Alors que le film de Lars Von Trier avait été autorisé par la Commission de Classification des Films, suivi par le Ministère de la Culture, aux mineurs de moins de 12 ans (pour la première partie) et de moins de 16 ans (pour la deuxième partie), une association a réussi à obtenir d’un juge administratif en urgence une suspension de cette classification, pour une mesure plus dure (moins de 16 ans et moins de 18 ans).
Même si cette suspension de la décision de classification n’est que temporaire, puisqu’un jugement interviendra par la suite pour la valider ou non, il est clair que cette suspension correspond à un arbitraire inadmissible dans un pays où la liberté d’expression ne devrait absolument pas, par principe, être soumise à une censure préventive – au-delà des conséquences économiques importantes de cette censure, qui limite considérablement les possibilités de diffusion du film à la télévision, en particulier.
Dans le cas du cinéma, cette décision est d’autant plus étonnante qu’une Commission de 28 membres et 55 suppléants (où les professionnels du cinéma ne sont même pas majoritaires, mais des représentants de diverses catégories de personnes désignées par l’Etat!) a pris une décision éclairée. Qu’une seule personne, fut-ce un juge administratif, ait donc pu suspendre et aggraver cette décision collective de classification, entérinée par le Ministère de la Culture, même temporairement en attendant un jugement définitif, n’est pas acceptable.
L’Union des Journalistes de Cinéma demande donc par la présente à Aurélie Filipetti, Ministre de la Culture, de prendre à nouveau immédiatement une décision de classement similaire à la précédente, et de prendre toutes mesures nécessaires, y compris législatives, pour qu’une telle situation ne puisse plus se reproduire. Un juge solitaire ne doit pas pouvoir entraver la liberté d’expression cinématographique, à laquelle la procédure de classification des films doit accorder une garantie nécessaire et suffisante.
Le Festival de Berlin 2014 au rendez-vous de la profession et du public
La 64ème édition de la Berlinale a montré, une fois de plus, que les professionnels du cinéma du monde entier ont bien fait de la capitale de l’Allemagne leur premier grand rendez-vous de l’année. Après un départ un peu lent, la fréquentation record du Marché du Film a été étonnante, alors que la crise économique bat pourtant encore son plein dans de nombreux pays. Quant au Festival à proprement parler, il a été égal à lui-même, marquant parfois autant par ses sections annexes que par sa compétition.
La compétition officielle du Festival de Berlin a en effet été, comme à l’habitude, un tant soit peu inégale, hésitant comme toujours entre le grand public et l’art et l’essai. Incontestablement, le fait que la « Berlinale » soit également un grand événement populaire dans sa ville, avec un accès très facile aux films pour le grand public, fait hésiter les organisateurs, Dieter Kosslick, son Directeur, en tête: contrairement à Cannes, ils ne peuvent pas compter sur un public homogène et averti composé uniquement de professionnels et ont donc une sélection plus contrainte. La sélection du Monument Men, de George Clooney, garantissait ainsi la présence de la pléiade de stars de son générique – tout en présentant, certes, un intérêt historique certain, sous-estimé par nombre de critiques. Quant à la programmation de la version « allongée » du volume 1 du Nymphomaniac de Lars Von Trier, elle permettait d’avoir la certitude de remplir les colonnes des journaux à grand public de rumeurs sur les scènes « ajoutées », et donc les salles, même si les critiques qui avaient vu les deux versions s’accordèrent pour ne voir qu’un intérêt assez limité à ces ajouts… Il est vrai que quand, comme à Berlin, on peut faire entrer 330.000 spectateurs enthousiastes, et payant leur place, pourquoi s’en priverait-on? A cet égard, la réouverture dans l’Ouest de la Ville, de l’ancien quartier général du Festival, le « Zoo Palast », entièrement rénové, après deux années de travaux, a constitué un nouveau signe de la popularité du Festival auprès des Berlinois, la grande salle étant presque toujours comble.
Le jury du Festival était présidé par le scénariste et producteur James Schamus, si fréquent complice de Ang Lee, et producteur de Brokeback Mountain. On y comptait des personnalités aussi différentes que l’éclectique Michel Gondry, et la productrice des « James Bond », Barbara Broccoli! Il s’accorda pour faire un choix assez audacieux en donnant l’Ours d’Or, la récompense suprême, à Black Coal, Thin ice, une revisitation du genre du cinéma policier par le réalisateur chinois Diao Yinan, également scénariste du film.
Un choix qui fut équilibré par l’octroi de l’Ours d’Argent qui équivaut au « Grand Prix Spécial » cannois à The Grand Budapest Hôtel, le très divertissant et très hollywoodien film de Wes Anderson au charme renforcé par celui de Ralph Fiennes, ici pour unefois utilisé à sa juste valeur. Parmi les autres prix, on remarquera bien sûr l’Ours d’Argent de la réalisation décerné à Richard Linklater, pour Boyhood, fiction documentariste, en quelque sorte, tournée en douze ans à échéance régulière avec les mêmes acteurs. Enfin, on rappellera évidemment l’Ours d’Argent spécial « Alfred Bauer » obtenu par Alain Resnais dont Aimer, boire et chanter a enchanté les spectateurs berlinois… ainsi que le Jury de la Fipresci, la Critique Internationale, qui lui décerna également son prix pour la compétition. 71, en revanche, de Yann Demange, resta vierge de récompenses, malgré la qualité de sa reconstitution de la guerre civile en Irlande du Nord qui donna subitement un coup de vieux à Kenneth Loach par le coté presque documentaire de cette fiction, au suspense un peu convenu, certes.
Comme on en est maintenant habitué à Berlin, c’est au sein des deux principales sections non compétitives de la Berlinale, « Panorama », dirigée par Wieland Speck, qui est en somme l’équivalent d’un « Certain Regard » à Cannes, et le « Forum International du Jeune Cinéma », dirigé par Christophe Terhechte, que les festivaliers ont plutôt l’habitude de picorer pour chercher la surprise, et trouver des gemmes nouvelles. Les critiques de la Fipresci, la Fédération de la Presse Cinématographique Internationale, ne s’y trompent d’ailleurs pas, qui décernent également un prix dans chacune de ces deux sections. Dans la section « Forum », la récompense des critiques revint à Forma, du japonais Ayumi Sakamoto, dont les tonalités en gris et beige correspondent à l’atmosphère aigre-douce du film. Dans la section « Panorama », leur prix revint à Hoje Eu Quero Voltar Sozinho, du brésilien Daniel Ribeiro. Le prix du Meilleur premier film, décerné par un jury ad hoc est également revenu à un film de la section Panorama, Güeros, du mexicain, Alonso Ruizpalacios, un road-movie en noir et blanc et au format 1,33 « classique », en hommage au cinéma de la « Nouvelle Vague » française, qui empocha ainsi les 50.000 euros de sa dotation.
Du côté du Marché du Film, une affluence record de près de 7500 professionnels accrédités obligea son efficace Directrice, Beki Probst à l’agrandir. Tout un étage supplémentaires de stands fut donc adjoint au Marché dans l’Hôtel Mariott, qui sert de complément de plus en plus important à son quartier général établi dans le musée « Martin Gropius Bau ». Les professionnels français ne furent pas en reste, puisque le grand stand Unifrance dut même sacrifier en bonne partie son espace de détente pour pouvoir accueillir un nombre plus important d’exportateurs de nos films que les années précédentes.
On rappellera enfin que la Berlinale se complète d’une section « Génération » destinée aux jeunes, lointaine héritière de l’ancien festival du film pour enfants qui s’y tenait auparavant, d’une rétrospective, et d’une opération « Talent Campus », destinées aux futurs jeunes talents des métiers du cinéma maintenant reconnue et imitée par d’autres festivals internationaux. A ces compléments s’ajoutent la désormais traditionnelle opération « Shooting Stars », destinée à faire connaître de jeunes acteurs européens prometteurs, organisée par « European Film Promotion », et la populaire remise des « Teddy awards » qui rappelle le côté un peu « fringe » d’une partie de la capitale berlinoise. Il ne reste plus qu’à la 65° édition de la Berlinale, en 2015, de faire… encore mieux!
Philippe J. Maarek
32ème Fajr Festival international du film de Téhéran
Pour qui aime le cinéma, l’arrivée à Téhéran est un enchantement. La ville est immense, éparpillée autour de la haute silhouette de la Tour Milad. Au fond, les montagnes enneigées et, à perte de vue, l’enchevêtrement des autoroutes où les voitures se croisent inlassablement. Les silhouettes des femmes dans leurs foulards et cette langue si harmonieuse, nous projettent instantanément au cœur du cinéma iranien. Ce paysage, ces visages, ces embouteillages étouffants, on les a connu à l’écran. Découverte avec les œuvres de Mohsen Makhmalbaf, Bahman Ghobadi, Abbas Kiarostami, Jafar Panahi ou Asghar Farahdi et, après quelques heures d’avion, la réalité de Téhéran ressemble bien à celle des films, magie du cinéma !
Au sein de la 32ème édition de ce festival, qui s’est achevée le 11 février, la sélection du nouveau cinéma iranien était d’excellente qualité. Dans cette compétition sont rassemblés des premiers ou seconds longs métrages produits et tournés en Iran. On peut grosso modo classer les films en deux catégories : les films ayant pour sujet principal l’évocation d’un fait historique ou religieux et les films de la vie quotidienne.
Parmi les films historiques, aucun n’a suscité beaucoup d’enthousiasme. Si Che d’Ebrahim Hatamikia (1979, conflit entre l’Iran et les séparatistes kurdes) est un bel exemple de guérilla urbaine où la bataille se gagne rue après rue, il pêche par excès de grandiloquence, notamment avec un crash d’hélicoptère digne d’un jeu vidéo. The last 50 steps de Kioumars Pourahmad permet de vérifier que le « cliché de la gourde vide », a toujours cours dans les films de guerre. Hossein who said no de Ahmad Reza Darwich est une saga politco-historico-religieuse située au 7ème siècle, lorsque les petits-enfants du Prophète se déchiraient son héritage spirituel. Beaux jeunes hommes au regard de braise, sabres tranchants, trahison, passion amoureuse retenue, chevaux et désert, tous les ingrédients du péplum sont présents dans cette fresque de 2h30. Le film manque un peu de souplesse mais la musique de Stephen Warbek et les magnifiques costumes lui donnent un bel élan.
Dans la catégorie des films de société, le thème de la famille au bord de l’explosion est toujours récurrent. On ne dira rien de quelques mauvaises tentatives de « faradisation » mais on salue l’audace de Saman Salour qui, avec Rasberry traite de la problématique des mères porteuses dans un pays où la loi religieuse complique les problématiques financières et humaines. La seule femme réalisatrice de cette sélection, Rakhshan Bani Etamad a beaucoup impressionné avec Tales, une promenade contemporaine dans une capitale traversée par les problèmes des femmes, de la misère, de la drogue, des méandres de l’administration et des mauvaises conditions de travail. Un récit tout en fluidité pour faire entrer et sortir les différents personnages et évoquer les tensions actuelles, avec un certain sens de l’humour et de l’à-propos.
On retiendra 13 d’Hooman Seydi, où un jeune adolescent en souffrance, à cause de la séparation de ses parents, cherche dans la rue une attention qu’il n’a plus chez lui. Avec une forme cinématographique originale, le réalisateur souligne la détresse du personnage. Pour son second film, Barf/Neige, Mehdi Rahmani séduit avec le portrait d’une famille autrefois influente qui tente de préserver les apparences, malgré la déroute financière causée par le fils ainé, lors des fiançailles de sa sœur. Unité de lieu, de temps et d’action, de bons acteurs et une fin ouverte : du vrai cinéma populaire, dans le bon sens du terme. Le seul couple heureux de cette sélection, ce sont Parviz Parastouei et Ahou Kheradmand qui l’interprètent pour le réalisateur Mohammad Mehdi Asgarpour dans We have a guest/L’Invité : une vieille maison de famille devenue trop grande, un fils blessé à la guerre et des souvenirs intacts des temps heureux. Un film touchant malgré quelques longueurs.
Lors de la dernière journée de projection, deux films ont été remarqué par les invités présents (journalistes, jurés, marché du film). Today/Aujourd’hui de Seyed Reza Mirkarimi raconte la longue journée d’un chauffeur de taxi taciturne qui accompagne à l’hôpital une jeune femme battue, enceinte et affolée. Parviz Parastouei – encore lui – donne à cet ancien combattant silencieux, une présence aussi forte que douce face à l’hostilité du monde. Enfin, un impressionnant premier film, A Few Cube Meters Love/Quelques mètres cubes d’amour de Navid Mahmoudi. Une histoire d’amour dans les gravats d’une entreprise de recyclage, entre un jeune ouvrier iranien et la fille d’un migrant clandestin afghan. On entre dans le récit sans recours au dialogue mais avec une mise en scène maîtrisée, une belle photo et des jeux de lumière qui mettent de la magie dans cet environnement sordide. Si les questions politiques du film n’ont pas permis à celui-ci de figurer au palmarès final, sa portée universelle et l’excellent travail du réalisateur devraient lui permettre de trouver une reconnaissance internationale.
La gentillesse et le sens de l’hospitalité des organisateurs de ce festival ont tempéré les contraintes d’organisation et la complexité de cette société qui a soif de changement. Si à l’écran on a vu autant de crises familiales, c’est sans doute parce que le pays, comme une grande famille, est secoué par différents courants, entre le désir de modernité et d’émancipation des jeunes, la peur du changement chez leurs parents et la douceur ancestrale représentée par les grands-parents (parfois amnésiques). La qualité de cette sélection du nouveau cinéma iranien, et la large palette des sujets abordés (retour sur les guerres passées, omniprésence du fait religieux, divorce, avortement, alcoolisme, désir d’ailleurs et place de la femme) ne doit pas faire oublier que les réalisateurs louvoient constamment avec la censure. Leur désir est pourtant de faire d’abord du cinéma pour le public iranien et en Iran.
Magali Van Reeth