Toronto 2014: le retour des acteurs-stars !
Pour sa 39° édition, le Festival International du Film de Toronto (TIFF) a continué à croître tout en semblant tester de nouvelles initiatives afin de préparer son 40° anniversaire, l’an prochain.
Avec la programmation cette année de 393 courts et longs métrages en provenance de 79 pays (dont 143 premières mondiales), avec la présence de plus de 5.000 professionnels venant de 80 pays, Piers Handling, directeur de la manifestation, et Cameron Bailey, son directeur artistique, appuyés par Michelle Maheux, la Directrice exécutive du Festival, ont battu une fois de plus leurs propres records, faisant ainsi à nouveau de Toronto le vrai carrefour du cinéma de la rentrée de septembre. Une fois de plus, le festival a su offrir à son chaleureux public aussi bien une importante sélection des meilleurs films présentés dans les autres manifestations cinématographiques mondiales tout au long des mois précédents qu’un important ensemble de films inédits – d’où l’intérêt des nombreux professionnels présents.
Non compétitif, le Festival de Toronto attire beaucoup de producteurs, et notamment ceux d’Amérique du Nord, qui s’en servent comme une projection test, une « sneak-preview » officielle, en quelque sorte. Ils évitent ainsi de risquer les jugements à double tranchant des palmarès des compétitions officielles vénitiennes ou autres. En l’absence de jurys, il y a tout de même quelques prix, mais un seul y marque véritablement les esprits, le prix du public, le « Groslch People’s Choice Award », décerné par vote dans des urnes à la sortie des projections. C’est le film très attendu de Morten Tyldum The Imitation Game, qui en a été le récipiendaire cette année. Certes de facture un peu convenue, il met en scène la vie de Alan Turing, le mathématicien prodige britannique qui parvint à déchiffrer les méthodes « Enigma » de codifications militaires nazies durant la Seconde Guerre Mondiale, mais qui eut une fin tragique, du fait de la révélation de son homosexualité, à une époque où celle-ci constituait encore un crime en Grande-Bretagne. Le film vaut surtout par la magnifique prestation de Benedict Cumberbatch, la révélation de Le Hobbit : La Désolation de Smaug et qui tient actuellement la vedette de la série télévisée Sherlock. The Imitation Game le voit bien parti pour un Oscar de la meilleure interprétation masculine. On parle même aussi de celui du meilleur second rôle féminin pour la belle prestation de Keira Knightley, dans une manifestation qui est connue comme une des meilleures rampes de lancement pour l’obtention de la célèbre statuette…
Seules véritables concessions au parti-pris non compétitif du Festival, des prix sont remis par deux jurys aux meilleurs films canadiens, afin de défendre la cinématographie locale. Ils revinrent cette année à Félix et Meira, du Québécois Maxime Giroux pour le long métrage, à Jeffrey St Jules pour Bang Bang Baby, en tant que premier long métrage, et à Randall Okita pour The Weatherman and the shadowboxer, pour le court-métrage. Notons que la Critique Internationale, la Fipresci, décerne également deux prix à Toronto. Son prix pour la section « Découvertes » est revenu à Qu’Allah bénisse la France, de Abd Al Malik. Quant au prix de la Fipresci pour le meilleur film de la section « Présentations spéciales », il a été remis à Time Out of Mind, de Oren Moverman, là encore un film porté par son acteur principal, ici Richard Gere.
Le retour des acteurs-stars
Le millésime 2014 du Festival de Toronto a d’ailleurs semblé marquer le grand retour des acteurs de premier plan dans le cinéma mondial, plusieurs autres films ayant aussi été littéralement survoltés par la performance de leurs acteurs principaux. C’est ainsi le cas de Nightcrawler, de Dan Gilroy, littéralement transcendé par une performance hallucinante de Jake Gyllenhaal, sans qui le film aurait sans doute tourné vers la banalité d’un film noir à la trame relativement ténue. De même dans The Judge, de David Doblin, le beau duo formé de Robert Downey Jr et de Robert Duvall fait oublier la minceur du scénario. Citons encore Wild Thing, de Jean-Marc Vallée, qui n’existerait sans doute pas aussi fortement sans le travail sur elle-même de Reese Witherspoon, dans un contre-emploi fort réussi qui l’éloigne des rôles qui avaient initialement fait sa célébrité. On a aussi fort remarqué la magnifique performance de Nina Hoss dans Phoenix, un film brillant dont on se demande comment il a pu passer inaperçu par les sélectionneurs des grands festivals compétitifs de l’année écoulée! Nina Hoss y tourne à nouveau sous la direction de Christian Pietzhold qui l’avait déjà si bien dirigée dans Barbara. Elle emporte ici superbement la conviction dans un double rôle dramatique où, de retour des camps de concentration allemands, non reconnue par son ancien mari qui l’a peut-être trahie parce qu’elle est juive, elle est incitée par celui-ci à incarner… sa propre identité, car il veut toucher son héritage. Un sujet difficile, traité avec tact et brio, aussi bien du point de vue scénaristique que de celui de la mise en scène, et, bien sûr, de celui de l’interprétation de Nina Hoss.
Cette année, le Festival de Toronto a semblé tester deux nouvelles initiatives, sans doute pour les reprendre pour son 40° anniversaire en cas de succès. La première initiative, incontestablement réussie, a été d’augmenter encore la synergie réalisée de longue date avec la population de la ville, en organisant une véritable fête populaire le long de la rue King qui borde son quartier général, le Bell Lightbox, et ses deux salles de Gala, le Roy Thompson Hall et le Princess of Wales. Une portion de la rue devint piétonnière à leur niveau pendant tout le premier week-end du festival. Tables de restaurant ou de pique-nique, amuseurs et stands d’alimentation ou de jeux divers, en firent un véritable événement populaire. La seconde initiative, en revanche, fut plus contestée, et son sort semble incertain. Las de voir quelques premières nord-américaines lui échapper au profit du Festival de Telluride, qui le précède de quelques jours, le Festival avait en effet décidé de ne programmer ces films qui n’étaient de ce fait plus de « véritables » premières qu’après son premier week-end, à partir du cinquième jour. De ce fait, le bouche-à-oreille qui propulse habituellement achats et ventes de films par les professionnels fut bien plus lent qu’à l’ordinaire, puisque plusieurs des « locomotives » les plus attendues, comme ne commencèrent à être projetées que le lundi ou le mardi… après que nombre de professionnels soient repartis, la crise économique faisant que la présence pendant toute la durée du festival est devenue trop coûteuse, à Toronto comme à Berlin ou Cannes. En revanche, les cinéphiles torontois ne se plaignirent pas de cette innovation, bien sûr, puisqu’ils purent ainsi aller de découverte en découverte tout au long du festival, au lieu d’avoir à faire des choix cornéliens durant le premier week-end, remplissant ainsi aussi bien les salles des Galas que toutes les autres, sans oublier la section « Midnight Madness » (« Folies de Minuit »). Il y eut même d’ailleurs cette année pour la première fois à Toronto une section dédiée aux courts-métrages.
La sélection française, avec 55 films, menée par l’élégance de Juliette Binoche dans Sils Maria d’Olivier Assayas et par celle de Catherine Deneuve dans Trois Cœurs de Benoit Jacquot, n’a jamais été aussi importante, comme l’a bien montré l’affluence sur le stand d’Unifrance qui la coordonnait et la réussite de sa réception, sans aucun doute l’une des plus courues par les professionnels présents à Toronto. De son côté, l’organisme de promotion intereuropéen « European Film Promotion » organisa à nouveau cette année à Toronto son « Producers Lab », plate-forme de rencontre entre dix producteurs européens, dix de leurs homologues canadiens et quatre australiens et Néo-Zélandais.
On signalera enfin que l’installation du Festival dans ses propres locaux, le « Bell Lightbox », un bâtiment tout neuf construite en grande partie à l’aide d’un financement par donations, est maintenant bien rodée, tout comme le regroupement de la manifestation dans la partie sud de la ville, après des années d’errance et de dispersion dans des salles réparties aux quatre coins de la ville. Il en profite maintenant pour se diversifier dans diverses manifestations de promotion du cinéma tout au long de l’année, à commencer par de belles expositions, Celle dédiée à Stanley Kubrick dès cet automne succédera à celle consacrée à David Cronenberg l’an dernier.
Philippe J. Maarek
Venise 2014 : Quelques impressions
« Veilleur, où en est la nuit ? » Miroir privilégié du monde contemporain, le cinéma nous renvoie une fois de plus une image plus déprimante que flatteuse : les guerres et les violences occupent une large place. Beaucoup de films sont durs, comportant des scènes éprouvantes à voir. Le génocide arménien et ses conséquences de malheurs et d’exils (The Cut de Fatih Akin), les massacres perpétrés en Indonésie en 1965 (The look of silence documentaire saisissant de Joshua Oppenheimer déjà connu pour The act of killing), la guerre d’Algérie (Loin des hommes de David Oelhoffen), la guerre en Afghanistan par drones interposés (Good kill d’Andrew Nicoll) le paroxysme étant atteint par un film japonais insoutenable (Nobi de Tsukamoto). La mafia est au coeur de la tragédie familiale racontée par le film italien Anime Nere et les problèmes de société sont largement évoqués comme la solitude d’un vieux misanthrope (Manglehorn de David Gordon Green), la dérive d’une jeune femme obsédée par une idéologie végétarienne (Hungry hearts), ou le scandale immobilier consécutif à la crise des subprimes aux USA (99 homes).
Ces toiles de fond tragiques n’empêchent pas les qualités narratives et esthétiques. Ainsi The look of silence a été doublement salué par le Grand Prix du jury et le Prix Fipresci. D’autre part certaines histoires fort attachantes sont remarquablement jouées : les deux protagonistes de Hungry hearts ont bien mérité leur récompense au palmarès et l’évolution psychologique et morale du personnage principal de 99 homes a retenu l’attention du jury Signis qui lui a accordé une mention spéciale. La fresque historique soignée Il giovane favoloso, biopic du grand poète Giacomo Leopardi, ignorée des palmarès, avait été remarquée de nombreux critiques.
A noter que le cinéma français était bien représenté : 4 films en sélection « Venise 71ème ». Loin des hommes (Prix Signis) inspiré d’une nouvelle d’Albert Camus met le projecteur de façon explicite sur les valeurs humanistes qui transcendent les différences de cultures et de religions. Dans La rançon de la gloire, Xavier Beauvois convoque habilement l’ombre du grand Chaplin pour nous raconter l’aventure tragi-comique de deux pieds nickelés ; Dans 3 cœurs, Benoit Jacquot dirige des acteurs inspirés. Enfin l’espoir fait une entrée discrète avec Le dernier coup de marteau d’Alix Delaporte. Nous retrouvons avec bonheur les 2 acteurs (Clotilde Hesme et Grégory Gasdebois), qui avaient porté son 1er film Angèle et Tony, associés à un nouveau venu (Romain Paul) dans le rôle sensible d’un adolescent partagé entre révolte et tendresse. Le jury d’Alexandre Desplats ne s’y est pas trompé qui lui a accordé le Prix Marcello Mastroianni du meilleur jeune acteur. C’est ce film qui apporte au spectateur une vraie lumière plus que l’humour grinçant, très nordique, de l’étonnant « Pigeon posé sur une branche s’interrogeant sur l’existence » du réalisateur suédois Roy Anderson qui, à la surprise générale, emporta le Lion d’or.
Michèle Debidour