Guadalajara 2015


Viva Mexico

par Barbara Lorey de Lacharrière

Le Festival Internacional de Cine en Guadalajara (Festival International du Film de Guadalajara,  6-15 Mars 2015), dont on célébrait cette année le 30e anniversaire, est considéré comme l’une des vitrines les plus importantes du monde pour la promotion et la distribution des films mexicains et latino-américains. Soutenu par l’Université de Guadalajara, l’Institut mexicain de cinématographie (IMCINE), le Conseil national pour la culture et les arts (CONACULTA), le gouvernement de l’État de Jalisco, les villes de Guadalajara et Zapopan, le festival, sous la direction d’Ivan Trujillo, a pris ces dernières années une ampleur considérable .

Sans titreLe temps fort des sections officielles incluant  les deux programmes de compétition  de long métrages de fiction et de documentaires ibéro-américains (16 films chacun), une  section très riche de courts métrages et le Premio Maguey, compétition du Queer cinema (18 films) — est naturellement le prix Mezcal pour le meilleur premier film mexicain. Ce prix est  choisi par un jury  assez particulier composé de jeunes étudiants et d’enseignants venant du Mexique entier.

Cette année, la section Mezcal présentait un mélange très éclectique et inégal de 22 premiers longs métrages et de documentaires réalisés non seulement au Mexique mais aussi par des réalisateurs mexicains travaillant à l’étranger (en l’occurence l’Irlande, Royaume-Uni et Australie). Et même un long métrage d’animation pour enfants au message pédagogique mais ludique en faisait partie. C’est également dans cette section de films‚ Made in Mexico que le jury FIPRESCI devait choisir notre lauréat.

Stars, paillettes et Red Carpet 

Evidemment, les grands moments du festival étaient des hommages rendus à la délicieuse  Victoria Abril, à l’icône du cinéma mexicaine, la grande Isela Vega, au célèbre réalisateur mexicain et fondateur du festival, Jaime Humberto Hermosillo et au producteur-réalisateur Guillermo del Toro.

Del Toro, né à Guadalajara, qui a dirigé une master-class pour les étudiants du Talent Campus, a d’ailleurs provoqué une controverse lors de sa conférence de presse avec sa critique acerbe de l’insécurité et de la décomposition sociale dans son pays d’origine, où il dit même craindre pour sa propre sécurité.

Mais curieusement, la violence politique et sociale au Mexique, qui a fait plus de 100.000 victimes au cours des dernières années, n’est que rarement présente dans les films des jeunes réalisateurs mexicains que nous avons vus, à l’exception du thriller très efficace sur fond de trafic d’armes de Gabriel Ripstein, 600 Miles (600 Millas), et, bien moins réussi, de When the three 0’clock comes (Cuando de las tres), de Jonathan Sarmiento, dont le huit clos, maladroitement mis en scène, de guérilleros désabusés se veut une dénonciation virulente de l’inaction du gouvernement face à l’oppression et au crime organisé.

Le pays invité cette année était l’Italie avec la présentation d’une très belle sélection de 34 films. Malheureusement, le très attendu invité d’honneur, Bernardo Bertolucci, a dû annuler sa visite à la dernière minute en raison de problèmes de santé et n’a donc pas pu recevoir en personne le Golden Mayahuel Award pour l’ensemble de son oeuvre.

Guadalajara – plus qu’un festival du film

Le marché du film, qui s’efforce de devenir le plus grand événement de l’industrie cinématographique en Amérique latine, a organisé plusieurs réunions pour développer la participation et la coopération sur de nouveaux projets et pour aider à la création de nouveaux canaux de promotion et de financement du cinéma international: ceux-ci incluent les rencontres de co-production ibéro-américaines, la promotion de soutien européen de la vente des films et le Talent Campus, une vraie réussite depuis sept ans maintenant, co-organisé avec la Berlinale.

Un autre point fort du festival fut la projection de Film4Climate, sujet très à la mode et soutenu par la Banque mondiale, qui relie cinéma et changement climatique. Ce sujet brûlant a d’ailleurs inspiré le directeur du festival, Ivan Trujillo, à supprimer à l’avenir, 50% des publications imprimées.

Certes, le choix fait il y a quelques années de déplacer le centre du festival et les principaux lieux de projection du coeur de la ville vers la banlieue monotone de cette deuxième plus grande ville du Mexique, au grand Parc des Expositions et à l’hôtel Hilton juste en face, permet d’avoir à disposition les grandes espaces nécessaires pour développer avec succès le marché et ses diverses activités telles que les réunions de co-production et des ateliers. En revanche, pour les jurys et les invités il était assez laborieux à cause de la circulation pour se rendre aux différents lieux de projection – à savoir deux multiplexes dans des centres commerciaux à l’autre bout de la ville, et un théâtre étonnamment bien équipé dans un bâtiment de l’université. En outre, la salle de projection improvisée installée dans l’Expo, juste à côté du bruyant tohubohu du marché du film, ainsi que celles dans les deux salles de conférence de l’hôtel,  étaient peu adaptées à des projections de films.

Mais l’accueil chaleureux et la grande gentillesse des bénévoles et des organisateurs ainsi que les fêtes généreusement arrosés de tequila, organisées presque chaque nuit, ont compensé un peu la  frustration de se sentir déconnecté de la vie réelle de la ville.

Les  Prix

BreakVers la fin  du festival, les fortes pluies plutôt inhabituelles  qui se déversaient sur Guadalajara n’ont cependant pas pu  gâcher l’ambiance festive de la soirée de clôture, avec une cérémonie de remise des prix très plaisante et parfaitement organisée,  et une énorme fête,  déménagée en urgence dans un lieu abrité.

Le jury du prix Maguey, qui célèbre  sa quatrième édition de « queer cinema» dans cette ville abritant l’une des plus grandes communautés LGBTTTI du Mexique, a récompensé le film suédois Something must break (Nanting måste gå sönder) d’Ester Martin Bergsmark ,

Dans la section documentaire ibéro-américain, le prix a été décerné au film chilien, Tea Time (La Once), de Maite Alberdi, alors que le scénariste-réalisateur guatémaltèque Jayro Bustamente a reçu deux prix, pour Volcan Ixcanul (Ixcanul) – meilleur film ibéro-américain et meilleur réalisateur. Le film a été d’ailleurs récompensé par le Prix Alfred Bauer un mois plus tôt à la Berlinale.

Le prix du meilleur premier film dans la section ibéro-américain a été attribué à  l’argentin Sebastian Schindel pour The Boss, Anatomie of a crime (El Patrón, radiografía de crimen). Et le mexicain Celso Garcia  est reparti avec pas moins de quatre prix, celui du meilleur scénario, un prix spécial du jury de fiction ibéro-américain, le prix du public ainsi que le prix de la critique mexicaine pour son premier film The Thin Yellow Line (La Linea Delgada Amarilla), un petit bijou doux-amer, magistralement filmé, et produit par Guillermo de Toro.

Enfin, le Prix Mezcal est allé au drame poignant sur fond de trafic d’armes de Gabriel Ripstein 600 Miles (600 Millas), avec Tim Roth en agent de l’ATF qui est enlevé par un jeune trafiquant  mexicain; (il a également reçu le prix du meilleur premier long métrage à la Berlinale 2015.)

Dernier mais non le moindre, notre Prix FIPRESCI a été  décerné à l’unanimité au premier long-métrage documentaire de la cinéaste argentino-mexicaine Natalia Bruschtein, Temps Suspendu (Tiempo Supsendido), un film « qui éclaire la tragédie des «disparus» en Argentine dans les années 1970 à travers l’histoire d’une femme qui se bat pour préserver la mémoire nationale alors même que sa propre mémoire se dérobe “. Il a également reçu le prix spécial du jury de la compétition documentaire ibéro-américain.

Barbara Lorey de Lacharrière

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