Le 30° Festival international de cinéma de Mar del Plata (Argentine)
Le festival, fondé en 1954 par Evita Perron dans la station balnéaire de Mar del Plata, au sud de Buenos Aires, célébrait cette année sa trentième édition (il en manque quelques uns à cause des difficultés de l’Histoire économique et politique…). Le nouveau gouvernement de l’Argentine soutien pleinement son festival. Lors des cérémonies officielles, les interventions de Lucrecia Cardoso, présidente de l’Institut national du cinéma et des arts audiovisuels, étaient un hommage passionnel à l’importance de la culture dans la vie quotidienne, exprimant avec virulence un soutien enthousiaste à la création et à la diffusion auprès d’un large public. Les médias locaux proposent quotidiennement des suppléments cinéma et les partenaires financiers sont présents sans être envahissants. La ministre de la culture Teresa Parodi a ouvert la cérémonie de remise des prix en commençant par cette phrase : « Le cinéma, résumé de tous les arts, est le miroir de la culture et par là même une forme d’expression essentielle pour que le peuple puisse construire son identité« .
Toutes les projections étaient accessibles au public, et se répartissaient dans les 5 cinémas de la ville, l’auditorium du casino pour les films de la compétition officielle, et le musée d’art contemporain pour les rétrospectives gratuites. Pour la première fois cette année, il y a aussi eu une projection sur la plage. Près de 120 000 spectateurs se sont déplacés pendant la semaine du festival pour voir quelques uns des 400 films proposés dans les différentes sélections. Le public de Mar del Plata est très enthousiaste et très cinéphile et comme il est surtout local, certains films ne sont pas sous-titrés en anglais, ce qui est dommage pour les rares visiteurs non-hispanophones. On se console en remarquant qu’ici, le maïs soufflé qu’on mange au cinéma est appelé « pochoclos » et non par l’habituel vocable nord-américain… Toutes les séances étaient quasiment pleines et on voit peu de monde sortir, y compris pour des films très austères comme le dernier film de Chantal Akerman, No Home Movie ou Santa Teresa y otras historias de Nelson Carlo de los Santos Aria (Mexique), un film à la limite du vidéo art, sans trame narrative évidente, qui a obtenu le prix du meilleur film dans la sélection latino-américaine.
La sélection argentine étant doté de nombreux prix financiers (aide à la distribution, à la post-production, etc.), on comprend comment l’Argentine est devenu, au cours de ces dix dernières années, un pays de cinéma à part entière, tant sur le plan de la quantité que de la qualité. 17 films argentins étaient présentés et, parmi eux, de jolies surprises. Notamment Como funcionan casi todas las cosas, premier long-métrage de Fernando Salem qui a obtenu le prix du meilleur réalisateur dans la compétition argentine. Avec une belle photo, un ton à la fois poétique et burlesque, c’est le portrait d’une jeune femme en deuil de son père, à la recherche d’une mère disparue, racontée par une mise en scène pleine de surprises. Une jolie comédie dramatique, Camino a la Paz de Francisco Varone est la rencontre d’un jeune homme désinvolte et d’un vieux monsieur musulman, embarqué dans un long voyage où ils apprendront à se connaître et à montrer un pays aux facettes multiples. Dans un tout autre genre, Pequeno diccionario ilustrado de la electricidad de Carolina Rimini et Gustavo Caluppo. Citant au générique Foucault, Debord, Deleuze (toujours très populaires en Argentine) et Walter Benjamin, ce film mélange, sur un rythme extrêmement rapide des images d’archives, une trame narrative de fiction et une mise en scène presque hypnotique pour rappeler tout ce qu’on a pu faire avec l’électricité, des grands groupes industriels (le travail à la chaîne) à la naissance du cinéma commercial (capturer l’âme humaine) en passant par la littérature (Jules Verne).
Dans la compétition internationale, c’est L’étreinte du serpent de Ciro Guerra (Colombie) qui est reparti avec le prix du meilleur film. Evocation du destin tragique des indiens d’Amazonie, ce film en noir et blanc rappelle les premières rencontres avec les Blancs, le choc des cultures différentes et la tentation de ne garder « que le pire des deux mondes ». Le prix du meilleur réalisateur a été attribué à Koza d’Ivan Ostrochovsky (Slovaquie), portrait rigoureux d’un ancien boxeur qui ne se laisse pas abattre malgré la misère ambiante et un froid de loups. Un premier long-métrage subtil et impressionnant ! Le jury international a décerné le prix de la meilleur interprétation masculine à tous les acteurs de El Club de Pablo Larrain, une récompense méritée pour un film qui dénonce les comportements de l’Eglise catholique au Chili et met en scène des hommes au jugement faussé, incapables de comprendre la portée de leurs actes. L’autre belle découverte dans cette sélection a été La Luz incidente d’Ariel Rotter, une âpreté rigoureuse et une excellente photo noir et blanc pour l’itinéraire d’une jeune veuve en proie aux pressions de son entourage, qui a reçu le prix Fipresci et le prix de la meilleur interprétation féminine pour Erica Rivas.
Magali Van Reeth