Documentarist 2016 – les 9e Journées du documentaire d’Istanbul

Istambul DocLe festival Documentarist d’Istanbul, qui s’est déroulé du 28 Mai au 2 Juin, est un véritable bijou, avec une sélection internationale de films de grande qualité, qui brillent souvent par la profondeur de leur propos. Aujourd’hui dans sa neuvième édition, le festival est composé de nombreuses catégories ordonnées selon ses différentes sections: queer, musique, danse, etc. Il a également proposé cette année une rétrospective du très talentueux réalisateur Serbe Želimir Žilnik.

Le thème général du Documentarist 2016 était celui de la censure. La comédienne turque Füsan Demirel a incarné cette année le rôle d’égérie du festival : à la fois par son visage – l’affiche du festival en est une version pixellisée sur fonds rouge vif – et en tant que présidente du jury pour le prix Nouveau Talent. En apprenant ce qui est arrivé à l’actrice en 2015 – une allusion aux Pershmergas lors d’un entretien pour un magazine féminin avait alors déclenché une forte campagne médiatique de dénigrement et d’attaques à son égard – je me suis souvenue de l’importance que peut avoir un festival de cinéma dans une époque comme la nôtre : une plate-forme qui a la possibilité de remettre en jeu la parole des médias dans la société.

Un festival dans la ville d’Istanbul, face-à-face collé-serré entre l’Est et l’Ouest, est un lieu unique pour mettre en question le rapport entre une vérité et la censure, les observer et penser les limites entre réalité et fiction. Projet ambitieux, s’il en est. Le festival est organisé par une équipe passionnée, qui aura sélectionné des œuvres à la fois subversives et d’une vivacité d’esprit incroyable. Le directeur du festival, Necati Sönmez, annonce d’entrée son ambition dans l’éditorial du programme du festival, dont le titre est sans ambages : « Le documentaire contre les mensonges qui nous entourent« . Ce qu’il écrit vaut la peine d’être cité: « L’année dernière il n’y avait pas encore eu de massacre à Suruç, à Ankara, à Paris et à Baga. Le massacre organisé n’était pas encore devenu la réalité des villes Kurdes et les réfugiés syriens n’avaient pas été vendus à la Turquie pour 3 milliards d’Euros par les Etats-membres de l’Union Européenne – les mêmes qui avaient pleuré pour l’enfant Aylan seulement quelques mois auparavant. »

Dans le documentaire turc intitulé Only Blockbusters Left Alive: Monopolizing Film Distribution in Turkey nous présente un panorama du cinema en Turquie. Il souligne que près de 50% du marché turc passe, d’une façon ou d’une autre par le biais d’un seul canal: celui du géant Mars Distribution (acheté en avril par le groupe sud-coréen CJ-CGV), impliqué dans la gestion de la production, de la distribution des films ainsi que dans l’exploitation des salles de cinéma. Et qu’en dépit d’une hausse de la production cinématographique turque, les films locaux trouvent avec de plus en plus de difficultés des opportunités de projection dans les salles de cinéma. Le film revient sur le procès aux États-Unis de Paramount Pictures en 1948, poursuivi au motif de l’entorse faite aux lois antitrust dont le rôle était d’assurer la transparence dans l’industrie du film et de maintenir la concurrence sur le marché. Aujourd’hui, de telles questions se posent toujours, et sans aucun doute, à une échelle plus grande encore, à l’heure du renforcement des sociétés comme Netflix qui dominent la diffusion cinématographique sur Internet. Verrons-nous un revirement de situation, ou assisterons-nous à la mort lente et dans la douleur des productions indépendantes de ces grands canaux de diffusion?

Cette tendance était malheureusement illustrée par le festival lui-même. Malgré la qualité des films, la présence fréquentes des réalisateurs et les projections organisées dans les salles de cinéma prestigieuses et centrales d’Istanbul, le public restait réduit.

IstambulLe prix FIPRESCI de la critique internationale a été gagné par le film Pakistanais A Walnut Tree (Ceviz Ağacı) de Ammar Aziz. Le film décrit la situation des habitants d’un petit village qui doivent fuir ce dernier à cause de la présence des Talibans au Pakistan. Une mention spéciale doit être accordée au travail de photographie, assuré par Danyal Rasheed de façon admirable à qui l’on doit la beauté colorée et intense des images qui invite à méditer sur le message qu’il porte.

Colette de Castro

In memoriam Marcel Martin

IMG_7796Né le 12 octobre 1926 à Nancy, Marcel Martin, après des études de lettres, de philosophie et de filmologie, s’est vite orienté vers la critique de cinéma, telle qu’elle se développe en particulier dans les publications liées aux mouvements d’éducation populaire d’après-guerre. Dès 1956, il écrit à « Cinéma », une revue mensuelle issue de la Fédération Française des Ciné Clubs ; puis il fait partie des rédacteurs qui quittent « Cinéma » pour fonder « Ecran » : Marcel Martin y reste de 1972 à 1979. À la disparition d’« Écran », Marcel Martin rejoint « la Revue du cinéma ». S’il brandissait le drapeau de la curiosité cinéphilique, qui l’avait conduit à rejoindre parmi les premiers le comité de sélection de la Semaine Internationale de la Critique Française  – première section parallèle du Festival International du Film – il ne cachait pas non plus son appartenance au PCF. C’est ainsi qu’il collabora aux « Lettres Françaises », et à « Regards », puis à « Révolution ».

Dès 1955, le critique se fait théoricien, analysant le langage du cinéma avant même les premiers sémiologues : « Le Langage cinématographique », paru en 1955 aux Editions du Cerf, est traduit et publié dans toutes les langues de communication majeures, dont le russe, le chinois et le japonais. La notoriété ainsi acquise par Martin lui vaut de devenir conférencier à l’université Nippon et à l’université Seishin (Sacré Cœur) à Tokyo, à celle de Montréal, et aussi à celle de Santa Barbara en Californie.

Pour autant Marcel Martin reste attaché à l’étude des cinéastes ; il publie un « Robert Flaherty » dans la collection Anthologie du cinéma en 1965, un « Jean Vigo » dans la même collection en 1966, un « Charles Chaplin » chez Seghers en 1966. Il étudie aussi de vastes ensembles cinématographiques : « Le Cinéma soviétique par ceux qui l’ont fait » (1966), « Le Cinéma français depuis la guerre » (1984), « le Cinéma soviétique de Khrouchtvev à Gorbatchev » (1993).

Critique engagé, fin analyste des formes cinématographiques, Marcel Martin fut le premier Secrétaire général de la Fédération internationale de la Presse Cinématographique. Il en devint président le jour où il renonça à en assurer le secrétariat, puis président d’honneur au terme de ses quatre années de mandat. Il avait reçu le Prix de l’UJC 2010 pour l’ensemble de son oeuvre.