Tout est à Toronto !
Pour sa 41e édition, le Festival International du Film de Toronto, qui s’est achevé le 18 septembre, a montré une nouvelle fois sa force. Grâce à son aspect non compétitif, il peut se permettre de programmer le meilleur de la cinématographie mondiale des mois écoulés. En outre, on peut y voir par avance une bonne partie des sorties de l’automne, qu’il s’agisse de films des studios hollywoodiens ou d’œuvres plus difficiles d’Europe et d’ailleurs, attirés par la présence de projection avec un véritable public et par l’absence de compétition – si fructueuse pour les gagnants, mais si dangereuse pour les (bien plus nombreux !) perdants.
Piers Handling, Cameron Bailey, le directeur artistique du Festival et Michèle Maheux, sa Directrice Exécutive, peuvent donc se féliciter d’avoir su maintenir cet équilibre qui leur permet de programmer le meilleur du cinéma du moment, ou presque, d’attirer ainsi les professionnels, vendeurs et acheteurs, et aussi de satisfaire un public curieux, sympathique et cinéphile – autour de 300.000 billets vendus chaque année. Comme depuis deux ans, le festival s’ouvre d’ailleurs encore plus à la ville en permettant aux Torontois de profiter durant les premiers jours de la piétonnisation de la rue qui borde le quartier général du Festival. Concerts gratuits et cadeaux en tous genres aux badauds accroissent ainsi l’aspect festif de la manifestation.
Tous les cinémas du monde !
Avec 296 longs métrages, et 101 courts, 138 premières mondiales, choisis parmi près de 5.700 films candidats, le Festival de Toronto, dont l’acronyme, « TIFF », est devenu le surnom familier, offre à ses spectateurs une fenêtre sur tous types de cinéma. Certes, l’attention est souvent focalisée sur les deux sections les plus prestigieuses, « Gala », et « Masters ». Ouverte par le flamboyant remake des Sept Mercenaires d’Antoine Fuqua, qui fit l’ouverture de la manifestation, la section « Gala » comportait plusieurs des films qui attireront sans doute nombre de spectateurs dans les salles un peu partout dans le monde cet automne. En particulier, Arrival de Denis Villeneuve, marqua l’attention en parvenant à renouveler le mythe de l’arrivée sur Terre d’extraterrestres, et restera sans doute comme le nouvel E.T. pour de nombreux spectateurs. Le film fourmille d’idées, visuelles (les extraterrestres sont des sortes de calamars géants heptapodes) et scénaristiques (l’accent donné sur l’apprentissage de leur langage, par exemple). On y vit aussi des films misant sur la réinterprétation de l’actualité la plus récente, comme le Snowden d’Oliver Stone, qui tente – déjà – de mythifier l’histoire de celui qui divulgua les secrets de la CIA ou Deepwater Horizon, reconstitution par Peter Berg de la catastrophe pétrolière du golfe du Mexique en 2010. Benoit Jacquot et son A jamais, Olivier Assayas avec son tout dernier Personal Shipper, mené par Kirsten Stewart, représentaient la France dans la section « Masters », et Planétarium de Rebecca Zlotowski, dans la section « Gala ». Mais le Festival ne se limite pas à ces deux sections, loin de là. On y vit même une ouverture bien rare au cinéma africain, avec huit films nigériens, certes de niveau inégal, mais tous dignes d’intérêt à un titre ou un autre, programmés dans la section « City to city », dédiée cette année à Lagos, la capitale du pays, sans compter plusieurs autres sections qui complétaient avec bonheur ce véritable florilège du cinéma mondial qu’est le Festival de Toronto.
Quant aux récompenses, si le festival ne comporte pas de compétition officielle, son public donne tout de même des prix fort appréciés, les « Grolsch people’s choice award », du nom d’un de ses sponsors, la bière de ce nom. Le film favori du public – comme sans doute de la critique – fut La La Land, l’entrainante comédie musicale de Damien Chazelle qui remet magnifiquement au premier plan ce genre que l’on croyait passé aux oubliettes. Ryan Gosling et Emma Stone y reforment cinq ans après le joli couple qu’ils composaient déjà dans Crazy stupid love en y faisant preuve d’un talent qu’on ne leur connaissait pas pour la danse et le chant – et qui pourraient bien les propulser vers les Oscars, tout comme le film lui-même et son réalisateur. Dans l’éclectique et populaire section « Midnight Madness » dirigée par Colin Geddes, un prix du public fut également décerné et revint, à juste titre, à Free Fire, de Ben Wheatley. Ce réalisateur y compose une mise en scène parodique d’anthologie d’une bataille rangée entre gangsters britanniques, en une quasi-chorégraphie d’exception. Le dernier prix du public, celui du documentaire, enfin, revint à Raoul Peck pour Je ne suis pas votre nègre.
Les critiques de la Fipresci décernèrent de leur côté leur prix de la critique internationale à Kati Kati, de Mbithi Mazya, dans la section « Discovery » et à I am not Madame Bovary de Feng Ziaogang, dans la section « Présentations spéciales ». Un jury ad hoc, enfin, donna le prix du meilleur film de la section « Platform » à Jackie, la remarquable reconstitution par Pablo Larrain des moments qui suivirent l’assassinat de John Kennedy pour sa femme Jackie. Le film est marqué par l’interprétation remarquable, toute d’intériorité, de Natalie Portman, qui pourrait en faire elle aussi une candidate sérieuse à l’Oscar dans quelques mois. Un autre jury ad hoc, enfin, donna à Simon Lavoie et Mathieu Denis le prix « Canada Goose » du meilleur long métrage canadien pour Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau. Mais nombre d’autres films retinrent aussi l’attention, y compris ceux qui auraient pu sembler « exilés » en fin de catalogue, comme ceux de la section « Avant-Garde », qui permit en particulier à Anne Hathaway de se rappeler au souvenir des festivaliers dans Colossal, une très amusante et efficace parodie des films fantastiques japonais de la série Godzilla qu’elle anime avec brio et humour.
Du côté des professionnels
Depuis l’ajout l’an dernier du grand cinéma-théâtre « Princesse de Galles », qui jouxte l’immeuble du Festival, les professionnels ont un accès bien plus facile aux projections les plus demandées, s’ils ne souhaitent pas voir les films lors des séances publiques. Ils disposent aussi dans l’hôtel Hyatt qui est le quartier général des acheteurs et vendeurs venus du monde entier d’une salle de visionnement bénéficiant de l’efficace système de streaming à accès contrôlé de « Cinando ».
Le Hyatt est d’ailleurs le quartier général des vendeurs et acheteurs, avec de vastes espaces de rencontre qui leurs sont dédiés. Les organismes de promotion du cinéma y étaient implantés, à commencer par Unifrance, bien sûr, l’organisme de défense du cinéma français, dont le stand, fut d’ailleurs déplacé et agrandi cette année pour mieux accueillir nos professionnels et leurs clients – sans compter une réception où près de 400 invités professionnels purent côtoyer les acteurs, réalisateurs et producteurs de nos films, d’Isabelle Huppert à Olivier Assayas ou Julie Gayet. « European Film Productions », l’organisme intereuropéen de promotion du cinéma, était également bien présent à Toronto, avec son « Producers Lab », plate-forme d’échanges et de rencontres entre producteurs, où Hélène Cases, la productrice d’Angèle et Tony », le César 2012 de la meilleure première œuvre, avait été choisie pour la France. Elle venait y chercher des partenaires pour sa nouvelle collaboration prévue ave Alix Delaporte.
Comme si tout cela ne suffisait pas, le quartier général du Festival, son immeuble, le « Bell Lightbox », beau lieu ouvert toute l’année pour la culture cinématographique des Torontois, accueillait aussi dans son espace d’exposition une installation artistique due à Denys Arcand, nouvelle preuve de son bel oecuménisme!
Philippe J. Maarek