Toronto évolue !
La 42e édition du Festival International du Film de Toronto marque sans aucun doute une évolution de la manifestation, évolution qui va incontestablement se poursuivre dans les années à venir. Cela dénote un refus de la routine remarquable d’intelligence pour un festival pourtant devenu depuis quelques années l’un des deux ou trois rendez-vous majeurs du cinéma mondial.
En 2017, la première étape de cette évolution est due à l’équipe qui a mené le Festival aux cimes depuis plusieurs années, Piers Handling, son directeur, Michèle Maheux, sa Directrice Exécutive, et Cameron Bailey, son directeur artistique, qui mène un groupe qualifié de programmateurs spécialisés. Interpellés par les professionnels sur le côté un peu trop gargantuesque de la manifestation depuis quelque temps, ils ont su se remettre en cause en supprimant tout simplement deux sections du festival, et en présentant cette année 20% de films de moins que l’année précédente. Cela laissa tout de même une programmation comportant la bagatelle de 296 longs métrages et 101 courts-métrages, sur un total de 7.299 films proposés. Certes, du coup, l’attention des professionnels s’est souvent un peu trop focalisée sur les mêmes films, saturant quelques-unes des projections qui leur étaient réservées. Mais des doubles présentations à la même heure, et plusieurs projections supplémentaires de dernière minute, ont permis de régler la plupart des problèmes.
Tourné vers les professionnels, le festival l’est aussi vers le public local, puisqu’il s’agit d’une des rares manifestations d’ampleur du calendrier du cinéma mondial où le public est accepté. Ainsi, les professionnels peuvent-ils bénéficier d’une véritable « sneak-preview » en quelque sorte, d’une « projection-test » grandeur nature, et ce, devant un public dont la réputation de bienveillance n’est plus à faire. Il fallait voir la chaleur de l’accueil fait à Guillermo del Toro lors de la première projection de The shape of Water, tout juste auréolé de son Lion d’Or vénitien, le réalisateur répondant après la projection aux questions d’une salle enthousiaste. C’est aussi la raison pour laquelle les grand studios n’hésitent pas à montrer leurs films à Toronto, permettant ainsi à la manifestation de présenter toute la palette du cinéma, et non pas seulement du cinéma « de festival » qui ne sort même plus en salles ordinaires.
Cette ouverture sur la ville et ses habitants est d’ailleurs très concrètement visible lors de la piétonisation de la rue qui borde le quartier général du Festival durant le premier week-end de la manifestation. C’est devenu une véritable kermesse populaire, avec des concerts gratuits, des stands distribuant des cadeaux en tous genres et de populaires « food-trucks ».
Un festival non compétitif… ou presque
Outre l’importance de ces projections avec un public véritable, l’autre grand attrait du festival de Toronto pour les professionnels est son absence de compétition, qui évite les biais habituels de la présence d’un palmarès officiel et de sa couverture journalistique souvent plus axée sur les pronostics quant au palmarès que sur les qualités intrinsèques des films présentés. Quelques prix y sont tout de même décernés, à des titres divers.
Le plus recherché est sans aucun doute le prix Grolsch du public. Il couronna, pour le documentaire, Agnès Varda et JR pour leur Visages Villages, qui, au-delà de son sujet apparent, est aussi le film de la confrontation de deux générations de cinéastes. Le prix Groslch du Public pour la fiction revint à Three billboards outside Ebbing, Missouri. Ce film de l’américain Martin McDonagh est mené par une prestation admirable de Frances McDormand, en lanceuse d’alerte qui s’offre trois panneaux publicitaires géants à l’entrée de sa ville pour dénoncer l’inaction du chef de la police locale. Déjà récipiendaire de l’Oscar de la meilleure actrice en 1997 pour sa prestation dans Fargo, Frances McDormand semble bien partie pour la course au trophée de cette année… en compagnie d’ailleurs de la vedette du troisième film le plus populaire du festival, Margot Robbie, parfaite dans I, Tonya, le film de Craig Gillespie qui narre les errements de la patineuse Tonya Harding, pour qui fut commanditée l’agression de sa principale rivale aux Jeux Olympiques de Lillehammer, en 1996. Une troisième candidate potentielle pour l’Oscar de la meilleure actrice s’est d’ailleurs également manifestée à Toronto, Jessica Chastain, époustouflante de présence et de brio dans Molly’s Game, le premier film du scénariste bien connu de la série télévisée A la Maison Blanche, Aaron Sorkin. Une fois de plus, le festival de Toronto a de la sorte marqué le début de la course aux Oscars, comme tous les ans, ou presque, puisque c’est là que Argo, The Artist ou Moonlight, parmi bien d’autres, ont commencé à attirer l’attention.
La Fipresci, la Fédération Internationale de la Presse Cinématographique, décerna deux prix. Le prix du programme « Discovery » alla à Ava, du réalisateur iranien Sadaf Foroughi et celui du programme « Special Presentations » à l’espagnol Manuel Martin Cuenca pour El Autor. Si une section canadienne à proprement parler n’existe plus au sein du festival, afin d’éviter un effet de ghetto, un prix du meilleur film canadien est néanmoins décerné par un jury ad hoc, le prix « Canada Goose », qui revint cette année aux Affamés, du québécois Robin Aubert, que les critiques canadiens considèrent comme un digne héritier du « cinéma-vérité ».
La reconnaissance mondiale du festival lui vaut d’ailleurs d’être soutenu par nombre d’entreprises, l’ajout le plus notable a cet égard ayant été celui de notre compagnie aérienne nationale, Air France. Le transporteur a en effet été cette année pour la première fois le mécène d’une des sections du festival, « Platform », section non négligeable puisque ses programmateurs en sont spécifiquement Piers Handling et Cameron Bailey. Un jury international prestigieux formé de Chen Kaige, Malgorzata Szumowska et Wim Wenders y décerna à l’unanimité son prix, doté de 25.000 dollars par Air France, à Sweet country, de l’Australien Warwick Thornton, qui avait gagné la « Caméra d’or » à Cannes en 2009 pour Samson and Delilah. C’est aussi dans la section « Plaform » que furent programmés Jusqu’à la garde, de Xavier Legrand, tout juste double lauréat à Venise, ou Mademoiselle Paradis, où la réalisatrice allemande Barbara Albert donne un nouveau regard féminin de qualité très actuel aux tentatives du médecin autrichien Franz Mesmer d’utiliser une sorte d’hypnose pour guérir ses patients – d’où le verbe « mesmériser ».
Parmi les autres favoris du public torontois, on notera Suburbicon, le nouveau film de George Clooney, où il dénonce le racisme de façon un peu convenue, mais avec une belle facture, ou Downsizing, l’excellente parabole écologique d’Alexander Payne qui revisite le thème de science-fiction bien connu de l’homme qui rétrécit sans tomber dans le piège du spectaculaire inutile. L’une des premières mondiales du Festival, le remarquable Disobedience, du réalisateur chilien Sebastian Lelio, porté par une superbe performance de Rachel Weisz et Rachel McAdams, objet d’un fort bouche à oreille des critiques et des professionnels, a aussi été l’un des points forts du festival. Ce film devrait faire une carrière intéressante, tout comme Lady Bird, de Greta Gerwig, et dans un registre différent, The Florida project, le film très réaliste de qualité de Sean Baker, que l’on avait déjà distingué pour son film précédent, Tangerine.
Du côté des professionnels
Le lieu de rendez-vous des professionnels, l’hôtel Hyatt qui jouxte le quartier général du festival, le « Bell Lightbox », a vu une fois de plus acheteurs et vendeurs venus du monde entier se bousculer. Ils y bénéficiaient même d’une bibliothèque de visionnement pour les films qu’ils n’avaient pas pu voir en salle. Les organismes de promotion du cinéma y tenaient une place importante, à commencer par Unifrance, bien sûr, l’organisme de défense du cinéma français. Son tout nouveau Président, Serge Toubiana, l’ancien directeur de la Cinémathèque Française, fut l’hôte de ce qui fut sans aucun doute la réception professionnelle la plus courue. Il faut dire que la sélection française était l’une des plus importantes du festival, en qualité et en quantité, avec en particulier Le sens de la fête d’Olivier Nakache et Eric Tolédano, qui fit la clôture du festival, dans la section « Gala », et, parmi d’autres, l’un des films les plus remarqués durant la décade, Les Gardiennes, de Xavier Beauvois.
« European Film Productions », l’organisme intereuropéen de promotion du cinéma, était également bien présent à Toronto, réorganisé pour la première fois sous la bannière » EUROPE ! Films. Talent. Spirit ». EFP regroupait sur son « stand-parapluie » pas moins de 13 organismes de promotion du cinéma de divers pays, sans compter les 11 autres qui avaient un stand séparé.
Et la télévision vint…
Si la présence de Netflix et d’autres acteurs de la télévision ne fit pas autant de bruit médiatique qu’à Cannes cette année, le Festival de Toronto s’en est tout de même préoccupé avec la programmation d’épisodes de quelques séries télévisées dans une nouvelle section « Primetime ». On y parla surtout du scabreux The Deuce sur les débuts du cinéma pornographique à New-York dans les années 1970, une série portée avec conviction par Maggie Gyllenhaal.
Le Festival de Toronto a donc clairement commencé en 2017 une évolution dont on suivra avec intérêt la suite dans les années à venir, puisque celui qui l’a si bien mené, Piers Handling, a annoncé que le millésime 2018 sera son dernier à sa tête.
Philippe J. Maarek
Jameson Cinefest 14° Festival international du film de Miskolc (Hongrie)
Dans cette jolie ville aux confins de la Hongrie, le festival de cinéma est un événement très populaire : les séances sont gratuites pour le public et c’est une occasion unique de voir des films qui ont été sélectionnés dans de grands festivals, ou qui viennent juste d’être terminés. Les salles sont pleines, même en semaine et on y voit des spectateurs de tous les âges.
Une sélection éclectique avec des genres très divers mais où, cette année, l’image de la mère a été bien chahutée… Bien sûr, il y avait celle de Mother! de Darren Aronofsky : jeune, possessive et tourmentée, tellement accrochée aux fruits de ses entrailles qu’on se dit, dans le déferlement ahurissant de catastrophes imposées par le réalisateur, que c’est peut être mieux ainsi pour le futur de l’humanité. Dans le délicat Colombus de Kogonada, la mère est une ancienne droguée que sa fille Casey surveille comme du lait sur le feu. Heureusement l’art, par le biais de l’architecture lui permet de se libérer de cette contrainte : un thème peu exploité au cinéma et une jolie découverte de cinéma. Et puis il y a les vraies criminelles, comme dans Les Filles d’Avril de Michel Franco où Avril vole l’enfant de sa fille, et le père avec, sans doute soucieuse de préserver les liens familiaux ; et Lady Macbeth de William Oldroy, tueuse en série pour pouvoir faire tranquillement la sieste sur son canapé…
Enfin, lorsque les mères ne sont qu’un personnage vraiment secondaire, comme dans Brigsy Bear de Dave McCary, hilarante satire des séries télé éducatives, on a la mère qui kidnappe et l’éplorée incapable ; dans Les Enfants de la nuit d’Andrea De Sica, elle abandonne son fils dans un pensionnat pour riches jeunes gens ; et dans l’excellent A Ciambra de Jonas Carpignano, on peut difficilement applaudir son rôle éducatif. Bref, on a n’a pas vu de mère idéale. Message revanchard des sélectionneurs ou contrepoint salutaire à de très nombreux films contemporains mettant à mal l’image de l’homme ?
Deux films ont un peu déboussolé le public, pour des raisons bien différentes. Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc de Bruno Dumont, sans doute parce que les sous-titres anglais et hongrois ne permettent pas de saisir la splendeur du texte de Charles Péguy ; et Purgatoire de Roderick Cabrido, un long-métrage venu des Philippines où un tripot clandestin est installé dans un faux funérarium (les morts là-bas portent chance aux joueurs), tenu par un travesti. Les vrais cadavres flottent dans un bain de formol et servent de jeux sexuels aux assistants, le tout présenté dans une lumière et une photo qui accentuent bien le côté sinistre de l’ensemble… Mais le dernier film présenté en compétition a permis à tous les spectateurs de retrouver le plaisir du cinéma avec La Passion Van Gogh/Loving Vincent de Dorota Kobiela et Hugh Welchman, long métrage d’animation autour des derniers jours de l’artiste.
Magali Van Reeth
Les principaux prix décernés :
Le jury international a récompensé Western de Valeska Grisebach (Allemagne/Bulgarie/Autriche) et L’Usine de rien de Pedro Pinho (Portugal)
Prix Fipresci : Colombus de Kogonada (Etats-Unis)
Prix œcuménique :Arrythmia de Boris Khlebnikov (Russie)
Prix CICAE : A Ciambra de Jonas Carpignano (Italie/France/Etats-Unis)