Un beau dernier Festival de Toronto pour Piers Handling !

La 43e édition du Festival International du Film de Toronto était particulièrement attendue, puisque son directeur depuis 1994, Piers Handling, avait annoncé en 2017 que ce serait son dernier à sa tête. Ce fut, en vérité, un chant du cygne fort réussi, avec une manifestation ouverte à toute l’étendue du spectre du cinéma mondial tout en sachant se focaliser sur l’essentiel.

2016 Toronto International Film Festival - "The Magnificent Seven" Premiere - ArrivalsDès 2017, Piers Handling, accompagné par son directeur artistique et futur co-directeur de la manifestation, Cameron Bailey, avait en effet entamé une intelligente évolution du festival qu’il a poursuivi avec constance cette année. Cette évolution a suivi deux directions : une internationalisation du festival plus accentuée et une concentration sur un nombre plus restreint de films. L’internationalisation du festival, tout d’abord, a été la plus forte de son histoire, semble-t-il, puisque pas moins de 83 pays différents étaient représentés dans ses diverses sections. Quant à la réduction du nombre de films décidée il y a un an, elle a été volontairement maintenue, puisque l’on en est resté à 256 longs métrages, à peu près comme en 2017, au lieu des 296 longs métrages de2016 – sur près de 8000 proposés aux sélectionneurs cette année, soit 800 de plus que l’an dernier !

Deux autres caractéristiques fortes sont aussi à mettre à l’actif du millésime 2018 du festival : la diversification et l’ouverture, avec l’intégration sans heurts de Netflix et autres.

La diversification, tout d’abord, montre à quel point Toronto a su rester en phase avec la société actuelle, mobilisée partout dans le monde par le mouvement « Me Too ». 34% des films présentés au TIFF 2018 étaient en effet dirigées par des femmes, un mouvement déjà engagé l’an dernier, d’ailleurs (33%), avant même que l’affaire Weinstein ne survienne. Alors que plusieurs autres festivals majeurs du calendrier mondial ne présentent qu’un nombre homéopathique de films dirigés par des femmes, cela prouve bien que ces films existent dès lors qu’on veut bien se donner la peine de les trouver, mais aussi de les mettre en valeur.  High life de Claire Denis, qui représentait la France en Gala, fut par exemple l’un des films les plus courus, et le festival n’hésita pas à organiser des projections supplémentaires destinées à la presse et l’industrie, devant son succès.

La diversification, ce fut également l’invitation pour la première fois de près de 200 journalistes spécialement choisis pour leur diversité (genre, médias, nationalité…) pour signifier ce tournant pris par le festival.

KingL’ouverture, enfin, se manifesta par l’acceptation sans heurts des productions Netflix, qui permit au public et aux professionnels d’avoir ainsi un aperçu de tout le spectre de la production mondiale, sans exceptions, à commencer par le film d’ouverture, Outlaw King, de David Mackenzie. Il retrace, certes de façon assez conventionnelle, le parcours difficile du roi d’Ecosse au Moyen-Age Robert Bruce, qui avait réussi à chasser de son pays l’envahisseur anglais après moult péripéties, en un véritable road-movie anachronique à travers les beaux paysages écossais bien mis en valeur. Bien évidemment, cette ouverture à Netflix bénéficia en tout premier à Roma, d’Alfonso Cuarón, qui venait d’obtenir le Lion d’Or à Venise. Ce beau film en noir et blanc qui suit avec minutie et délicatesse dans toutes ses activités les plus prosaïques les pas d’une petite bonne venue d’un village perdu du Mexique pour travailler dans une famille bourgeoise de Mexico dans les années 1970 recueillit une « standing ovation » du public du beau cinéma « Princess of Wales » lors de sa projection publique.

Malgré le mauvais temps certains jours, le public local répondit très nombreux à la programmation et se pressa comme jamais dans des queues interminables et stoïques, tant est forte sa ferveur de voir un cinéma qui lui est autrement invisible. Ainsi, les professionnels nord-américains bénéficient-ils d’une véritable « sneak-preview », d’une projection-test grandeur nature, et ceux du monde entier d’une plate-forme utile pour les ventes internationales de leur film, du fait de la présence d’un public très positif.

DESTROYERLe festival a d’ailleurs su garder un coté didactique et bon enfant que l’on a bien oublié dans la plupart des autres grandes manifestations internationales en proposant très souvent au public payant de rester dans la salle, parfois près de 30 minutes après la fin de la projection, pour des séances de questions-réponses ouvertes avec l’équipe du film. Il fallait ainsi écouter la belle qualité des échanges entre la salle et Karyn Kusama et Nicole Kidman après la projection de Destroyer, un film où la star méconnaissable, enlaidie à souhait dans un rôle de policière psychologiquement détruite par la mort de son partenaire et amant, donne une prestation qui devrait la mettre dans la liste des « Oscarisables » de l’année – Oscars pour lesquels Toronto est devenu l’une des principales rampes de lancement.

L’ouverture sur la ville et ses habitants se manifesta également lors de la piétonisation devenue rituelle de la rue qui borde le quartier général du Festival, le « Bell Lightbox », durant le premier week-end de la manifestation. Concerts gratuits, distribution de cadeaux en tous genres, « food-trucks » à foison, donnaient une belle ambiance à une rue Royale (« King Street ») joliment livrée au peuple de Toronto.

Les quelques prix d’un festival… non compétitif

Bien que le festival ne soit officiellement pas compétitif, ce qui lui donne l’accès à nombre de productions qui refusent les aléas des jurys, quelques prix y sont tout de même décernés, à des titres divers.

Le plus suivi est bien sûr le prix Grolsch du public. Il revint au Green Book, de Peter Farrelly, où Viggo Mortensen est en quelque sorte le « Bodyguard » de Mahershala Ali, en musicien noir devant faire une tournée dans le sud ségrégationniste des Etats-Unis en 1962. Il y a aussi maintenant un prix Grolsch du public de la section « Folies de minuit » (« Midnight Madness »), que reçut The Man who feels no pain de Vasa Bala et un prix Grolsch du documentaire qui fut attribué à Free Solo, de E. Chai Casarhelyi et Jimmy Chin.

FirefliesParmi les autres prix, on remarquera tout particulièrement le Prix Canadian Goose du meilleur film de fiction canadien décerné à La Disparition des Lucioles, film attentif et sobre du québécois Sébastien Pilote. Dans cet anti-Lolita, en quelque sorte, ce dernier parvient à renouveler le sujet classique de l’arrivée à maturité d’une adolescente. La jeune actrice Karelle Tremblay y offre avec qualité une répartie attachante à Pierre-Luc Brillant, acteur et musicien de talent, tout de retenue dans le rôle d’un adulte devenu l’objet d’une affection pudique qui n’est jamais malsaine.

On signalera également le Prix FIPRESCI de la Critique Internationale, qui revint, au sein de la section « Discovery », à Float like a Butterfly, de l’irlandaise Carmel Winters, et le Prix Air France de la section Platform dont la compagnie était le sponsor officiel pour la deuxième année, qui échut à Cities of Last Things, du réalisateur de Malaisie Wi Ding Ho. On décerna aussi pour la première fois un prix Eurimage-Audentia de la meilleure réalisatrice, qui revint à l’Israélo-Ethiopienne Aäläm-Wärqe Davidian pour Fig Tree.

Parmi les autres films les plus courus par le public torontois, on notera évidemment Fahrenheit 9/11, le nouveau semi-documentaire un tant soit peu décousu, comme à l’ordinaire, de Michael Moore. Il s’agit à la fois d’une intelligente introspection sur le mauvais sort fait par les États-Unis à certains de leurs citoyens les plus pauvres, comme à Flint, dans le Michigan, où l’on a sciemment alimenté les habitants en eau non potable pour faire des économies, et d’une tirade parfois maladroite et un peu confuse contre Donald Trump. On se pressa aussi aux projections de First Man, le nouveau film du réalisateur de La La Land, Damien Chazelle, qui retrace les pas de Neil Amstrong, de la Terre à la Lune, à celles des Frères Sisters, de Jacques Audiard, et à celles du remake fort remarqué de A star is born par Bradley Cooper, passé de l’autre côté de la caméra, où il partage la vedette avec Lady Gaga, encensée pour sa première prestation à l’écran.

Les professionnels en masse le premier week-end

Comme on en a maintenant l’habitude, c’est surtout le premier week-end que bruissa d’activité le lieu de rendez-vous des professionnels, l’hôtel Hyatt qui jouxte le quartier général du festival, le « Bell Lightbox ». Ils y trouvaient une bibliothèque de visionnement direct de nombreux films et les stands de nombreux organismes de promotion du cinéma. On y voyait en particulier Unifrance, bien sûr, l’organisme de défense du cinéma français, et « European Film Productions », l’organisme intereuropéen de promotion du cinéma. Maintenant dirigé par Sonja Heinen,  l’action à long terme de l’EFP s’est traduite par la présence à Toronto de pas moins de 53 longs métrages produits par 52 producteurs découverts au fil des années par ses opérations « Producers on the move » et 30 acteurs promus dans ses opérations « European Shooting Stars ».

Il reste maintenant à Cameron Bailey à prendre le relais, en compagnie également de sa nouvelle co-directrice, Joana Vicente, ancienne directrice de l’Independant Film Project, qui aura la tâche difficile de remplacer dans le courant de 2019 la directrice exécutive du festival, Michèle Maheux. Celle-ci a su efficacement accompagner et compléter le travail de Piers Handling durant les près de trois décades de leur beau parcours à la tête de ce qui n’était initialement qu’un « Festival des Festivals » sans grande ambition, et est maintenant devenu l’un des quatre plus grands rendez-vous du cinéma mondial, avec Berlin, Cannes et Venise.

Philippe J. Maarek

 

75° Mostra de cinéma de Venise – 2018

venise 2018

Un lieu magique, une organisation parfaite où les journalistes accrédités pouvaient voir les films de la compétition et des différentes sélections avant le public, sous réserve d’un embargo de 24 heures. Un festival qui attire les grands noms du cinéma international, sans pour autant que la qualité de leurs œuvres soient garanties. Ici, les partenaires commerciaux sont accueillis chaleureusement et force est de constater que les films produits par Netflix sont impressionnants, comme Roma, d’Alfonso Cuarón, un Lion d’or amplement mérité.

Romad’Alfonso Cuarón. Mexique, 2018, 2h15. Avec Yalitza Aparicio, Marina de Tavira, Marco Graf, Daniela Demesa, Enoc Leaño et Daniel Valtierra.

Après plusieurs productions internationales, le réalisateur mexicain Alfonso Cuarón revient dans son pays pour un film plus intimiste, le récit de son enfance brillamment mis en fiction pour faire coïncider l’histoire personnelle des femmes de son enfance et l’évocation du Mexique des années 1970.

L’ouverture du film est saisissante : de l’eau est répandue en grande quantité sur un sol en carrelage. Pendant que défile le générique, la bande son évoque un nettoyage à grande eau, avec des bruits de balai-brosse, de porte, de respiration. On imagine aisément quelqu’un en train de laver une grande surface et Cleo apparaît. C’est une petite femme à la peau sombre qui va peu à peu éveiller la grande maison où elle travaille. Une famille bourgeoise ordinaire, quatre enfants entre douze et six ans, une grand-mère, puis Sofia la mère, et Antonio, le père, qui est médecin. Une vaste maison au centre-ville de Mexico, dans le quartier de Roma qui donne son titre au film.

ROMA_USEFORANNOUNCEMENTLe temps du film se déroule sur une année environ et s’il est vu à travers les yeux d’un enfant, c’est Cleo qui au centre du récit. Elle habite une petite chambre sur les toits et descend un escalier métallique chaque matin pour gérer la grande maison : nettoyage de la cour intérieure dès l’aube, réveil des enfants et petit-déjeuner avant le départ à l’école, courses, lessive, rangement, et le soir encore, elle veille à ce que tout soit en ordre. Pour le cinéaste, c’est dans ce quotidien très banal que se tissent des liens durables, sans forcément qu’on en ait conscience. Il y aura aussi quelques drames, que les femmes sont capables de surmonter, où elles se découvrent solidaires au-delà des différences de classe sociale, alors que les hommes fuient leurs responsabilités.

Si Alfonso Cuarón dénonce les inégalités sociétés et raciales de son pays, il le fait avec subtilité, le montrant par des gestes ou des situations très anodines et ancrées dans le quotidien. Lorsque toute la famille regarde la télévision dans le salon, Cleo est avec eux, un enfant posant tendrement sa main sur son épaule. Mais c’est elle qui se lève pour préparer la tisane et qui reste la dernière éveillée pour éteindre les lumières, la première levée pour nettoyer la cour. Jamais Cleo ne se révolte, elle trouve normal d’être entièrement au service de ses patrons et les remercie sincèrement de si bien s’occuper d’elle lorsqu’ils lui achètent un lit pour son bébé à venir.

Lorsque Cleo va retrouver son amoureux au village, le contraste avec la ville est saisissant. Il faut prendre un bus, marcher dans la boue, passer devant de pauvres cabanes. Une vie grouillante loin de tout service public. Le réveillon du Nouvel an, dans un ranch à la campagne, au-delà d’une chaleureuse réunion entre amis, où les maîtres boivent trop, flirtent les uns avec les autres et s’amusent à la chasse au gibier sauvage, est aussi l’occasion, comme par inadvertance, de montrer la frontière entre  »maîtres et valets ». C’est dans ces détails que la mise en scène révèle la violence des situations.

Quand la révolte gronde dans la rue, ce sont les étudiants des classes les plus aisées qui défient le gouvernement en place. Lors du massacre de Corpus Christi (10 juin 1971), c’est avec l’aide de groupes paramilitaires indigènes payés par les forces de l’ordre officielles que les manifestations sont réprimées dans le sang. Là encore, c’est pour le réalisateur une façon de montrer toute la complexité de la société mexicaine de cette époque.

Roma est l’histoire d’une famille, c’est l’instantané d’un pays, à travers quelques d’épisodes superbement mis en scène, et visuellement très impressionnants. Comme une séance d’entraînement aux arts martiaux (entre effroi et ridicule), une trop grosse voiture américaine qui casse les murs de la maison, un chien toujours enfermé qui emmerde tout le monde, un accouchement entre douceur et tristesse, une sortie à la plage toute en tension et lumière.

L’utilisation d’une image en noir et blanc, magnifiquement éclairée, évoque les photos de famille et permet au spectateur d’entrer pleinement au cœur de cette maison, comme on feuillette un album de famille. Que l’intérieur de la maison, comme les extérieurs, soient dans une même gamme chromatique, permet de renforcer cette impression d’emprisonnement qui enveloppe les femmes, à l’instar des nombreuses grilles de la maison. Cela donne une certaine mélancolie à l’ensemble, comme si Alfonso Cuarón nous disait : tout n’était pas beau dans mon enfance, mais c’était mon enfance… Enfin le noir et blanc permet au réalisateur de rendre hommage à son héritage de cinéma, et quelques clins d’œil à ses films précédents.

Roma est le quartier dans lequel le réalisateur a vécu enfant. C’est aussi un mot qu’on peut lire à l’envers et qui alors dit  »amor », c’est à dire  »amour » en espagnol… Célébrant les femmes et le pays de son enfance, Alfonso Cuarón fait un film brillant et émouvant auquel le jury de la 75° Mostra de cinéma de Venise a attribué le Lion d’or du meilleur film de la compétition.

Produit par Netflix, il n’y a pas de sortie prévue en salle de cinéma, même si de façon ponctuelle, le film pourra être proposé sur grand écran, notamment à l’Institut Lumière de Lyon lors du festival qu’il organise en octobre.

Magali Van Reeth

Palmarès du jury de la 75° Mostra de cinéma de Venise :

(Président, Guillermo del Toro, avec Sylvia Chang, Trine Dyrholm, Nicole Garcia, Paolo Genovese, Malgorzata Szumowska, Taika Waititi, Christoph Waltz et Naomi Watts)

Lion d’Orpour le meilleur film : Roma d’Alfonso Cuarón (Mexique)

Lion d’Argent – Grand Prix du Jury : The Favourite de Yorgos Lanthimos (Royaume-Uni, Irlande, Etats-Unis)

willem-dafoe-van-gogh-at-eternitys-gate-2Lion D’argent du Meilleur Réalisateur : Jacques Audiard pour  Les Frères Sisters (France, Belgique, Roumanie, Espagne)

Coupe Volpi de la Meilleure Actrice : Olivia Colman (dans  The Favourite)

Coupe Volpi du Meilleur Acteur : Willem Dafoe dans At eternity’s gate de Julian Schnabel

Prix de la Mise en Scene : Joel Coen and Ethan Coen, pour The Ballad of Buster Scruggs

Prix Special Du Jury Prize : The Nightingale de Jennifer Kent (Australie)

Prix Marcello Mastroianni pour un ou une Jeune Acteur (Actrice) : Baykali Ganambarr (dans The Nightingale)

Sakhaline : « On the Edge »,  le festival du bout du monde

La 8ème édition du festival de films « On the Edge » de Sakhaline, qui s’est déroulé du 24 au 31 août dans cette île très éloignée, a donné l’occasion de voyager jusqu’à « la fin du monde » ou, comme dit Alexei Medvedev, son directeur artistique, jusqu’au « commencement du monde ».  Le film de Milad Alami, Danois d’origine iranienne, The Charmer, s’est vu décerner le Grand prix du festival par un jury composé de cinq membres présidé par La réalisatrice iranienne, Tahmineh Milani. Un  jury respectant parfaitement la parité.

SIFFAvant de parler du festival de films de Sakhaline « On the Edge », on se doit de  rappeler sa situation géographique, totalement en rapport avec son intitulé : « au bord du monde » ou « au fin fond du monde ».  Sakhaline, situé à l’extrémité de la Terre, est une île qui se trouve au-dessus du Japon.

Cependant, en ce lieu magnifique et éloigné, le monde contemporain ne semble pas connaître de bord ni de frontières. Le festival y donne les échos de différents événements de la vie dans le monde entier et bien sûr ceux en rapport avec la culture. Pour ainsi dire, celui-ci et les autres  festivals,  en présentant des films venus du monde entier, se font les hérauts du tumulte dans les sociétés  et des  événements qui se déroulent  partout en même temps.

Sakhaline, la fin du monde y prend part de cette façon et les habitants qui remplissent les salles de projection à toute heure, suivent avec joie et bonhommie cet évènement important. Les organisateurs du festival « On the Edge » rappellent que c’est en quelque sorte la réponse de l’Est aux questions de l’Ouest. Ils disent aussi : « Nous apportons les dernières nouvelles de Cannes, Berlin et Venise à Sakhaline où ils rencontrent les nouvelles du cinéma asiatique. L’Europe est la question, l’Asie est la réponse. Le monde est devenu un village planétaire depuis longtemps, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a aucune place pour toutes sortes d’originalités culturelles« .

Le festival permet non seulement des rencontres les plus improbables entre les étrangers et les locaux, il incite également la retrouvaille entre les locaux autour du cinéma et d’autres évènements liés à la fête du Septième Art.

En parlant du Septième, on se doit de parler du contenu du festival. Neuf films en compétition officielle et plus de cent films dans différentes sections, et très particulièrement la grande section du cinéma d’animation, donnent un aperçu du rôle qu’On the Edge s’est fixé.

Aussi, le choix du directeur artistique du festival, Alexei Medevedev, démontre son souci de non seulement permettre aux locaux de se tenir au courant de ce qui se passe ailleurs, mais aussi de ne pas céder à la tentation de divertir.

charmerPar conséquent, la qualité des films sélectionnés était au rendez-vous. Hormis le meilleur film de cette édition, The Charmer, qui parlait de la situation des réfugiés au Danemark et toutes les souffrances qu’ils y endurent, il y a eu d’autres films qui se distinguaient par leur qualité et originalité.

Anna’s War (Voina Anny) (La guerre d’Anna) du russe Alexei Fedorchenko, prix de la meilleure réalisation racontait de manière presque abstraite, le combat d’une petite fille de six ans, échappée au massacre de la population de tout un village y compris ses parents, pour survivre dans un espace réduit. Ce film étonnait par son style, son langage cinématographique, ses prises d’images et par les angles choisis par le réalisateur. Avec un minimum de mise en scène, il arrivait à transmettre toute l’horreur de la guerre et la bonté d’une enfant malgré les épreuves harassantes.

Le non moins efficace Scary mother (Sashishi deda)(Une mère effrayante),  de la réalisatrice géorgienne, Ana Urushadze, qui a valu le prix de la meilleure interprétation féminine à son personnage principal Manana (Nata Murvanidze), abordait le sujet des tabous imposés aux femmes écrivaines qui choisissent de parler librement du sexe. La réalisatrice parvenait à transmettre toutes les injustices faites aux femmes dans un huis clos étouffant. Le choix des décors et des scènes parfois absurdes permettait d’observer toutes les tentatives d’une femme douée et étrange pour sortir de son statut de mère au foyer. Mieux qu’un manifeste, Scary motherarrive à induire beaucoup de questionnements. Il ne laisse pas indifférent.

Encore un autre film russe, L’histoire d’un rendez-vous (Istoriya odnogo naznacheniya)de Avdotia Smirnova, prix du public, basée sur une histoire vraie, donnait toute la dimension de l’absurdité des lois militaires et des abus faits au nom de ces lois. L’histoire racontait l’implication du comte Léon Tolstoï dans une affaire militaire concernant un pauvre soldat privé de toute affection pendant toute sa courte vie qui offense un gradé. Un troisième personnage, le lieutenant Grigory Kolokoltsev, d’une famille bourgeoise et d’un père militaire, qui déçoit ce dernier par ses idées progressistes et son style de vie trépidant, donne l’ampleur de la complexité des rapports humains et des tournures que la vie prend, entrainant l’individu dans des voies inattendues.

Enfin ne peut ne pas évoquer l’excellent thriller danois, The Guilty, de Gustav Möller, programmé pour l’ouverture du festival

Shahla Nahid

Quelques questions à  Alexei Medvedev, le directeur artistique du festival « On the Edge

S. Nahid: Comment est née l’idée d’organiser un festival dans un endroit si éloigné du reste du monde ?

MedvededA. Medvedev : D’un autre point de vue, cet endroit peut être considéré comme le commencement du monde car c’est ici que le jour commence sa course dans le monde entier. Même si je crois que potentiellement Sakhaline pourrait être un centre économique et industriel, nous sommes ici pour organiser un festival de films. Un festival dans un endroit magnifique où se rencontrent des gens et des cultures différentes.

Lorsque nous avons été approchés par le gouverneur de Sakhaline il y a 8 ans, mes collègues et moi tout comme le producteur du festival, Alexei Agranovich, nous étions très enthousiastes. C’était un projet très excitant pour nous.

Nous avons organisé la première édition en deux mois. Ce fut une expérience rapide mais très réussie. Le public local était très spécialement inspirant : Ioujno-Sakhalinsk, la capitale de Sakhaline n’est peuplé que d’environ 200.000 personnes, or nous avons eu 35.000 spectateurs pour cette première édition. Nous n’avions jamais imaginé une telle soif pour les réalisations artistiques venues du monde entier.

Dans la même région, il y a l’un des plus importants festivals asiatiques, le festival international de films de Busan. Comment vous situez-vous par rapport à lui?

Busan, c’est tout à fait différent. C’est un gigantesque festival de cinéma avec un marché et une part énorme d’industrie de films. Nous n’en sommes pas à ce stade, bien que nous montrions plus de 100 films, ce qui est un chiffre assez élevé pour un festival régional de films en Russie. Nous ne pouvons pas être compétitifs sur le plan de l’industrie cinématographique, mais nous pouvons l’être sur le plan de la qualité artistique. C’est pourquoi nos invités de la région ou d’Europe viennent à notre festival et apprécient la qualité des films que nous présentons. C’est un festival pour le public et pour la communauté du cinéma.

Vous donnez une place très importante à l’animation et aux films pour enfants, pourquoi ?

Cela tient à une grande  et ancienne amitié entre les animateurs russes et japonais : Hayao Miyazaki est un ami de Yuri Norstein, l’un des animateurs les plus connus en Russie. Cette réalité a donné l’idée du programme « Miyasaki et les autres » qui tente de faire connaître l’art de l’animation japonaise et russe aux enfants. C’est logique parce que l’histoire de Sakhaline est liée au Japon. D’autre part, après cette première idée de rencontre entre l’Est et l’Ouest, entre l’Europe et l’Asie, nous devenons de plus en plus globaux. Bien sûr, nous sommes toujours attentifs à l’industrie cinématographique de l’Asie, mais nous sommes en expansion constante et nous n’invitons pas seulement les animations de cette région. Par exemple, cette année, nous avons un film d’animation, Le virus tropica« , venu d’Equateur.

Pouvez-vous nous décrire un peu l’atelier « l’île » parce que vous visez des films faits sur Sakhaline ou réalisés par des cinéastes originaires de Sakhaline ?

Medvedev : comme je l’ai évoqué auparavant, la base de notre festival de films est son statut basé sur  des programmes d’activités sociales et artistiques pour les habitants. L’une des premières idées était de concevoir un film pour  ceux qui étaient intéressés  par la réalisation mais qui n’étaient pas des professionnels. Il y avait aussi quelques réalisateurs  et des documentaristes. Mais, nous voulions aider ceux qui voulaient réaliser eux-mêmes avec l’aide de ce moyen de communication. Je dois dire que l’aide de notre festival a généré quelques succès et a abouti à la réalisation et la production de quelques films sur Sakhaline. Quelque sept films ont vu le jour et sont allés partout dans le monde, invités par des  festivals de films. Par ailleurs, l’un des films, « Sexe, peur et hamburger », produit  par notre atelier du film de Sakhaline, est programmé cette année dans la section « Orizzonti » (Horizons) de la Mostra de Venise… Par conséquent, nous voyons que le monde devient encore plus global. Je veux dire par là qu’un court-métrage provenant d’un modeste atelier de la lointaine île de Sakhaline, foule le tapis rouge du festival de Venise à Lido…

Vous avez choisi une célèbre réalisatrice iranienne, Tahmineh MILANI,  comme présidente d’un jury comprenant  deux  autres femmes parmi ses cinq membres. Y a-t-il une raison particulière derrière ce choix ainsi que celui de beaucoup de femmes cinéastes en compétition ?

La moitié des cinéastes présents en section compétition sont des femmes. Certes, je ne dis pas que cette année, je dois avoir des films sur la situation écologique, des films réalisés par des femmes ou des films réalisés en Amérique latine. Ça ne m’arrive jamais. Je voyage et je regarde des films. J’ai mon intuition et mon plan, ce que j’aimerais voir. J’ai en tête des cinéastes peu connus dont j’aimerais suivre le travail… C’est ainsi que le programme voit le jour. C’est ensuite que l’on voit apparaître les tendances, les lignes. L’une des tendances de cette année concerne les femmes cinéastes qui relèvent la tête pour revendiquer leurs droits et  leur position dans l’industrie cinématographique. Il s’agit d’un processus objectif et bien justifié. Cela montre aussi que mes intuitions étaient bonnes et qu’elles avaient des bases solides.