HKIFF 2020: Menaces globales dans le jeune cinéma à Hong-Kong
Dans son article très intéressant écrit il y a vingt ans dans le numéro 7 de la revue Asian Cinema sous le titre « Identité locale et globale: où est le cinéma de Hong Kong » , Stephen Teo constate que « Le monde d’aujourd’hui est essentiellement un monde bifocal. Les cinéastes du monde entier s’intéressent à leur propre cinéma national, puis à Hollywood ... », et il tente de considérer le cinéma de Hong Kong comme un cinéma national, d’une part, et comme un cinéma transnational, d’autre part. « Des questions seront sans aucun doute posées», note-t-il, «quant à savoir si le cinéma de Hong Kong possède ou non une identité mondiale, tout comme il y aura des discussions sur son identité nationale ». Vingt ans plus tard, on peut élargir la question à l’ensemble du cinéma chinois et asiatique – mais aussi traiter séparément le «jeune cinéma» émergent pour lequel Hollywood n’est plus le bon modèle, à moins qu’il ne soit détourné…
Le festival de Hong-Kong, qui devait se dérouler en mars, a finalement eu lieu de façon virtuelle en août. Parmi les huit excellents films présentés au HKIFF 2020 dans le cadre de la section « Jeune cinéma», trois d’entre eux provenaient de pays non asiatiques, chacun utilisant ses propres outils cinématographiques. Ils illustrent bien cette transnationalité et cette mondialisation – notamment dans les thèmes et symboles.
Prenons le thème des «menaces et dangers» mondiaux tels qu’ils sont perçus, de manière plutôt critique et subversive, par cette jeune génération de cinéastes.
-D’abord, «l’autre», l’étranger, mais aussi les «vieux», des «vieilles» générations, ne représentent plus «la sagesse» et l’ordre, mais souvent la notion du mal lui-même; même respectables, ils méritent la mort.
-Le sexe est une source de danger et de trahison en lien souvent avec la mort.
-La famille traditionnelle est souvent pervertie, ou à la recherche de nouvelles structures, et n’assure plus amour et protection.
-Le corps humain devient une prison socialement construite.
-La mort est souvent violente sans égard pour les morts. Ils feraient mieux de disparaître, et de préférence être ensuite incinérés.
-Maladies et épidémies, souvent.
-Les animaux, réels ou surnaturels, sont une menace pour les humains, mais eux seuls méritent la pitié…
– Enfin l’Autorité – le pouvoir politique ou les riches, sont les ennemis impitoyables de la jeunesse.
Quelques lignes résumant les scénarios de quelques-uns de ces films montrent bien la dominance de ces préoccupations:
• Dans Soyez vivant comme vous du taïwanais Lai Meng Jle, Six est un homme handicapé, qui passe ses journées à vendre des billets de loterie et des collations dans les rues. Il est présenté à Noodle, une jeune femme solitaire travaillant dans une papeterie délabrée, par le propriétaire (âgé) qui la viole régulièrement. Leur romance graveleuse propose une exploration des désirs sexuels des handicapés, sans défense contre la cruauté du monde « réel», mais seulement après le meurtre du violeur…
• The Cloud in her Room, de la chinoise Zheng Lu Xinjuan, voit Muzi rentrer chez elle dans la ville de Hangzhou pour célébrer le Nouvel An chinois avec sa famille. Ses parents sont divorcés, son père musicien s’est remarié et est le père d’une jeune fille, tandis que sa mère semble osciller entre copains dans une brume d’alcool et de fumée de cigarette. Elle est dans une relation insatisfaisante avec un photographe décontractéL Et puis il y a une amie de l’âge de Muzi, qui surgit de temps en temps – elle n’est peut-être rien de plus qu’un produit de l’imagination de Muzi. Ou, peut-être qu’elle est en fait un autre amant …
• Dans Wisdom Tooth du réalisateur chinois Liang Ming, Gu Xi fait face à un avenir incertain. Son travail de femme de chambre dans un hôtel est menacé en raison de son statut de citoyenne sans papiers et sa relation avec son frère Gu Liang – sa seule famille – est perturbée par l’arrivée de sa nouvelle petite amie. Pendant ce temps, un déversement de pétrole souille les eaux côtières de la Mer Jaune voisine et la corruption s’infiltre dans la communauté du petit village de pêcheurs
• Le scénario de Stoma film de Kit Hung (Hong-Kong) sur la défunte icône culturelle Julian Lee est basé sur le combat de Lee contre le cancer. Le film suit le voyage émotionnellement éprouvant enduré par le jeune photographe gay Alex, après avoir reçu un diagnostic de cancer péritonéal. Abandonné par son frère et son amant européen, Alex est contraint de faire face à sa mortalité et à la perte de son identité sexuelle.
• Héros de Kala Azar de Janis Rafa (Pays-Bas-Grèce), Penelope et Dimitris sont des crémateurs professionnels pour animaux de compagnie. Ils parcourent la périphérie tentaculaire d’une ville industrielle grecque, récupèrent les animaux disparus de leurs propriétaires, les brûlent et rendent leurs cendres. Mais le pèlerinage du couple crépite aussi d’une certaine compassion, d’une empathie qui brouille leur distance par rapport aux carcasses et complique leur rôle de croque-mort. «Vous pouvez inclure certaines des choses préférées de votre animal», dit Pénélope à une femme en deuil avant de plier un mouchoir sur son poisson rouge mort…
• Enfin, du réalisateur du Lesotho Lemohang Jeremiah Mosese venait Ce n’est pas un enterrement, c’est une résurrection. Dans les montagnes du Lesotho, une veuve de 80 ans nommée Mantoa apprend la disparition de son fils qui avait travaillé dans les mines sud-africaines. Aspirant à sa propre mort après la perte de celui qui était le dernier membre de la famille, elle se résout à défendre l’héritage spirituel de la communauté quand elle apprend que les autorités provinciales ont l’intention d’évacuer le village, d’inonder toute la zone et de construire un barrage
The Cloud in Her Room du chinois ZHENG Lu Xinyuan et This Is Not a Burial, It’s a Resurrection, de Lemohang Jeremiah MOSESE, du Lesotho, ont partagé le prix Firebird du meilleur film de la compétition du Jeune cinéma du 44e Festival International Hong Kong International Film Festival’s, Jeremiah Mosese recevant également le Prix Fipresci de la Critique Internationale
Gideon Kouts