Un cinéma qui s’interroge : Molodist 2020
Pour sa 50e année, le festival Molodist de Kiev a eu lieu du 22 au 30 août 2020. Décider de maintenir le festival, qui a normalement lieu de fin mai à août, était déjà un pari risqué. Comment organiser un tel événement en pleine période de pandémie mondiale ? Prenant une direction qui pourrait prévaloir pour l’avenir des festivals de cinéma, les organisateurs ont décidé d’un compromis : un festival hybride à la fois en- et hors-ligne. Ce sont donc les invités eux-mêmes qui décidaient ou pas de venir assister aux projections. Ainsi, plusieurs films ont été présentés avec une introduction vidéo de la part des réalisateurs. Les spectateurs ont ainsi vu les plages Brésiliennes de la fenêtre de l’un et les rues désertes de Melbourne – ville d’Australie toujours en confinement – par la fenêtre d’un autre.
A ce propos, on remarquait beaucoup Кіно не без питань, le nouveau slogan du le festival, qui se traduit littéralement par « cinéma non sans questions » et en anglais par la phrase chic « film for thought ». Avec des cahiers et des stylos, on offrait des masques noirs aux invités où ce slogan était imprimé – alertant des préoccupations pour le monde du cinéma dans une ville qui devient de plus en plus consciente des risques de COVID-19.
Le jury FIPRESCI, composé de trois membres venant d’Ukraine, d’Italie et de France, a choisi parmi les films de la compétition internationale du festival. Son prix a été décerné au film Deux, une coproduction belge, française et luxembourgeoise, réalisé par l’italien Filippo Menegetti. Il s’agit d’un film d’amour sur la vie d’un couple lesbien dans sa soixantaine, qui cache depuis très longtemps leur relation homosexuelle. Le personnage de la mère n’arrive pas à faire son coming-out auprès de ses propres enfants. Il s’agit d’une double révélation parce que sa sexualité et sa liaison ont été rigoureusement cachées. Les choses atteignent un stade critique lorsque son amante part en vrille dans la rue devant une connaissance mutuelle, la traitant de « vielle gouine ». Quand le scandale éclate au grand jour, la prise de conscience brutale qui s’ensuit va provoquer une profonde remise en cause des choix de toute une vie.
Le coming-out est également la thématique du film de Malou Reymann, A Perfect Family (En helt almindelig familie). S’appuyant sur sa propre vie avec un père transsexuel, la cinéaste montre l’histoire d’une famille en plein bouleversement. Malgré un début honnête, ce film ne s’approche guère de la beauté subtile de Deux.
La spécialité du festival Molodist est de ne projeter que des premiers ou seconds films. En particulier, cette année, les douze films en compétition internationale étaient des premiers films. Pour un amateur de cinéma, découvrir tant de nouveaux réalisateurs en l’espace d’une semaine est une proposition très attirante. On a le sentiment d’explorer des nouveaux territoires, de nouvelles façons de voir et de découvrir des schémas de pensée. Parmi les douze films présentés, sept d’entre eux étaient réalisés par des femmes, au sein desquels Myriam Verreault et Melina León se démarquent pour la qualité et le style de leur œuvre.
Le jury international a partagé son prix entre deux films. Tout d’abord Kuessipan, par la jeune réalisatrice Myriam Verreault, s’intéresse aux personnes de la communauté innus (plutôt qu’inuit), ce peuple autochtone du Nord-Est du Québec. Basé sur le roman éponyme de Naomi Fontaine, le film fait vivre la passion et la rage qui habite les personnages du film. D’autre part, Sin señas particulares,relate l’histoire de braqueurs qui errent sur la frontière entre la Mexique et les Etats-Unis, ainsi que leurs nombreuses victimes.
En plus de la compétition internationale, le festival propose une compétition nationale, deux sélections de courts-métrages et une sélection des films LGBT+ (qui existe depuis 21 ans maintenant). Avec son programme intelligent et novateur, ce festival peut se targuer de montrer des nouveaux films de qualité fait pour et par des jeunes qui n’ont pas peur de tenter de nouvelles approches au cinéma.
Colette de Castro
Grand Prix de la compétition officielle : Identifying Features, Fernanda Valadez, Mexique, Espagne, 2020, 97′ ex-aequo avec Kuessipan, Myriam Verreault, Canada, 2019, 117′
Prix du public : Two of Us, Filippo Meneghetti, France, Luxembourg, Belgique, 2019, 95′
Cerf d’or pour sa contribution au cinéma mondial : Robert Hossein
Grand Prix de la competition nationale : Hideout, Oksana Voitenko, Ukraine, 2020, 27′
Prix «Sunny Bunny» LGBT+ : Dry Wind, Daniel Nolasco, Brésil, 2020, 110’
Prix FIPRESCI de la Critique Internationale :Two of Us, Filippo Meneghetti, France, Luxembourg, Belgique, 2019, 95′
Prix du Jury œcuménique : Song Without a Name, Melina León, Pérou, Espagne, USA, 2019, 97′