Le Festival de Toronto entrouvre ses portes!
La 46e édition du Festival International de Toronto aura permis un début de retour à la normale de la manifestation. Alors que l’année précédente, il s’était déroulé en version extrêmement réduite du fait de la pandémie due au COVID-19, il a entrouvert ses portes en 2021: une bonne partie des salles ont en effet été rouvertes, et le cœur du programme a été concentré durant les cinq premières journées afin de faciliter la tâche des professionnels.
Pour leur troisième année à la tête de cette du Festival, Cameron Bailey, le co-directeur et directeur artistique du festival et Joana Vicente, sa co-directrice et directrice exécutive, n’ont tout de même pas eu la tâche facile. Contrairement aux festivals européens, Toronto a en effet à nouveau pâti de sa position en Amérique du Nord, notamment pour ce qui est de la participation des professionnels et de la presse. En effet, le Canada, quasiment fermé aux voyageurs depuis le début de la pandémie, n’avait rouvert que peu de temps auparavant pour les voyageurs américains, mais n’avait prévu d’accepter les voyageurs des autres pays que… la veille de l’ouverture du Festival, sans garantie (à condition qu’ils soient pleinement vaccinés, bien sûr). Devant ces difficulté, les journalistes étrangers, et la plupart des professionnels ne purent à nouveau suivre le Festival que par Internet.
Les organismes professionnels, comme Unifrance, assurèrent donc leur présence seulement par des stands virtuels, ce qui permit tout de même un flux non négligeable de transactions – 4000 professionnels et journalistes ayant été accrédités, toutes catégories confondues. En revanche, les journalistes étrangers, français, en tous cas, furent handicapés par les mesures trop fortes prises par beaucoup de producteurs des films sélectionnés contre la copie pirate: ils interdirent la vision à distance de très nombreux films. Il serait pourtant grand temps que les producteurs qui présentent des films dans les festivals comprennent que les journalistes accrédités avec un grand sérieux par un festival majeur et reconnu comme celui de Toronto ne sont pas des pirates, mais ont besoin de faire leur travail! La plupart des films qui firent apparemment le « buzz », la rumeur, durant le festival, furent exclus de la plate-forme de visionnement à distance des journalistes. Ce fut le cas par exemple de Belfast, de Kenneth Brannagh, que la rumeur dit bien parti pour les Oscars, et qui reçut le Prix « People’s Choice » du public: il fut interdit de vision à distance pour les journalistes français, comme aussi son dauphin, The power of the Dog, de Jane Campion.
Titane, Prix du Public de la section « Midnight Madness »
Titane, de Julia Ducournau, reçut le second prix « People’s Choice » du public, celui de la célèbre section « Midnight Madness » qui a ouvert de longue date avec efficacité le « film de genre » aux festivaliers. Il continua ainsi sa récolte de récompenses, dans la foulée de sa Palme d’Or cannoise. Yuni, le film indonésien de Kamila Andini, reçut le prix de la section « Platform », qui regroupe les recommandations particulières de Cameron Bailey. Parmi les récompenses diverses qui furent également attribuées en fin de manifestation, on notera enfin le prix « Amplify » du meilleur film de long métrage canadien décerné à Ste Anne, de la réalisatrice du Manitoba Rhayne Vermette. On notera enfin qu’un jury de la Fipresci décerna le Prix de la Critique Internationale à Anatolian Leopard, du réalisateur turc Emre Kayiş.
Parmi les films que nous pûmes voir, nous retiendrons As in heaven, de la réalisatrice danoise Tea Lindenburg, joli film intimiste qui recrée avec minutie et de façon touchante l’univers paysan danois à l’orée du 20e siècle, au moment charnière où les superstitions immémoriales vont faire place à la modernité: on cette transition à travers les yeux des jeunes enfants de la maîtresse de la ferme au moment où elle entre en couches de façon difficile.
On retiendra également le virage à 180 degrés pris par Barry Levinson qui a mis son art chevronné de la mise en scène au service de The Survivor. Ce film retrace l’histoire authentique et émouvante du boxeur juif Harry Haft qui ne put survivre à l’extermination à Auschwitz qu’en acceptant de boxer contre d’autres malheureux déportés, la survie étant au prix de la victoire. Trois ans après la fin de la guerre, les images en noir et blanc d’Auschwitz lui reviennent par flash brutaux lorsqu’il veut se battre contre Rocky Marciano en espérant que la notoriété apportée par le combat lui permettra de retrouver celle qu’il a perdue de vue à Auschwitz mais qu’il croit toujours vivante. Ben Foster endosse superbement ce rôle, entouré par Danny DeVito, Vicky Krieps, Peter Sarsgaard, et John Leguizamo qui composent autour de lui un beau quatuor de seconds rôles que Barry Levinson sait bien mettre en valeur.
Violet, le film le plus original que nous avons pu voir, enfin, est dû à l’actrice Justine Bateman qui passe pour la première fois derrière la caméra pour une œuvre qui lui aurait sans doute valu d’être en lice pour la Caméra d’Or si elle avait été à Cannes. Porté par Olivia Munn dont c’est sans doute le meilleur rôle, Violet suit les états d’âme d’une productrice hollywoodienne partagée entre le carriérisme qui lui fait subir les pires avanies et le talent qui l’incite de façon contradictoire à se libérer du carcan de la misogynie et de la concurrence sans pitié qui règnent à Hollywood parmi ceux qui décident de produire ou non les films. Cette approche est très bien servie par une grande inventivité de la mise en scène, qui oppose avec brio une voix off– mâle, bien sûr – que l’on entend inciter la jeune femme au conformisme et à la platitude à des bulles de textes qui viennent au contraire écrire sur l’écran ses aspirations réelles. Un film à voir, et surtout, une nouvelle réalisatrice à suivre !
En fin de Festival, Cameron Bailey et Joana Vicente eurent la bonne idée de rendre un hommage, un « TIFF Tribute award » à quelques-uns de leurs invités. Denis Villeneuve, Alanis Obomsawin, Jessica Chastain, Benedict Cumberbatch, Danis Goulet, Ari Wegner et Dionne Warwick furent honorées lors d’une cérémonie qui clôtura avec bonheur la manifestation.
Philippe J. Maarek
Off-camera de Cracovie
Un jour ou jour un : le festival « Off-cinéma de Cracovie
Au cours des jours longs et solitaires de confinement à Paris, je me suis retrouvée sans l’élément qui me donne un sens de communauté dans cette ville, mon échappatoire adorée, le cinéma. Courir est alors devenu ma nouvelle activité préférée, la seule chose qui préservait ma santé mentale. Cette nouvelle activité m’aidait à mettre mon cerveau affolé dans une stupeur induite par l’adrénaline pour le calmer pendant quelques heures.
C’est probablement une des raisons pour lesquelles j’ai tant apprécié le premier film que j’ai vu parmi la sélection principale à Off-Camera, Sweat de Magnus von Horn. Le film traite de Sylwia Zając, gourou polonaise de la mise en forme. Sylwia est millenniale, mais elle sait utiliser les réseaux sociaux comme quelqu’un de la génération Z. C’est le type de femme qu’on aime détester, à la manière de Britney Spears dans les années 90. Sylwia est constamment sur son téléphone. Elle publie sur Internet, puis elle regarde à nouveau ce qu’elle vient de publier dans un cauchemar sisyphéen. Mais en parallèle elle semble véritablement se sustenter de ses “followers” – qu’elle traite de “mes chéris« , et “mes Amours”, avec une chaleur authentique.
De nombreux films dans la compétition principale du festival, intitulée Making Way, traitaient du thème totalement actuel de l’isolement. Avec Sweat on est face à une exploration nuancée et adroite de la matière. On se rend rapidement compte que la vie de Sylwia est plus problématique qu’au premier clic. Il s’avère qu’elle a récemment publié une vidéo avec des revasseries un peu tristes sur sa vie solitaire. Alors qu’elle regarde de nouveau sa vidéo, le spectateur la voit en double, les larmes coulant sur son visage parfaitement maquillé le long de son écran. Ses admirateurs ne savent pas trop comment réagir, mais son agent réagit sur le coup – transmettant des menaces de la part de ses promoteurs qui veulent annuler son financement. Mais ce qui semble être le début d’une dépression nerveuse se tourne vers une représentation plus nuancée d’une femme complexe. Plutôt que de l’entraîner dans une spirale descendante, elle s’occupe de ses problèmes avec une fermeté calme et mature. Le scénariste/réalisateur semble sérieusement comprendre la complexité de ce qui motive cette génération coincée entre la vie réelle et le virtuel.
Le prix principal de 25.000 dollars a été accordé à la réalisatrice hollandaise Isabel Lamberti pour son docu-fiction Last Days of Spring. Le film traite d’une famille vivant dans un bidonville des environs de Madrid. Avec de (trop) nombreux gros plans sur un bébé qui dort, et une bande sonore polluée en arrière-plan par des chiens qui aboient constamment, le film ne m’a pas convaincu et laisse à désirer, surtout dans l’aspect psychologique des personnages.
Le Prix Fipresci de la Critique Internationale a été décerné à Gaza Mon Amour, le deuxième long métrage (après Dégradé en 2015) des frères jumeaux Ahmad Abou Nasser et Mohammed Abou Nasser (surnommés Arab et Tarzan). Une lettre d’amour à Gaza, le film dépeint la vie du pêcheur palestinien Issa (Salim Daw), perdu dans sa recherche d’amour dans la Palestine d’aujourd’hui. Le film se passe dans ce port de Gaza – à la fois port d’attache de bateaux de pêche et base de la police navale palestinienne. Mais les deux cinéastes se concentrent finalement peu sur la situation politique et se tournent plutôt vers l’intime, posant la question de la quête d’amour à l’âge mûr avec une finesse et un langage cinématographique inouï.
Également dans la compétition se situait L’Homme qui a vendu sa peau, une vision ahurissante du monde de l’art contemporain. Le film présente l’acteur syrien Yahya Mahayni dans le rôle de Sam Ali – un réfugié qui se fait tatouer un visa Schengen sur le dos, le transformant ainsi en une œuvre d’art. Ce visa lui permet de se rendre en Belgique pour retrouver son âme sœur. C’est ainsi que l’acteur Koen de Bouw prononce les mots suivants, en l’artiste-tatoueur Jeffrey Godefroi : “en transformant Sam en une sorte de marchandise, il pourra, selon les codes de notre temps, retrouver son humanité et sa liberté… C’est assez paradoxal, n’est-ce pas ?.” L’écrivain et réalisateur Kaouther Ben Hania crée Godefroi en tant que stéréotype du sauveur blanc. Le film est une recherche profonde sur le monde de l’art moderne: une confection de prestige un tant soit peu sinistre.
Au total, une centaine de films ont été présentés à « Off-Camera » en 2021. Parmi les sections thématiques il y a notamment “Indies américains”, composé de films qui datent de la dernière décennie du cinéma américain indépendant, “Best of Fests”, avec surtout des films de Cannes et de Venise, et “Different Shades of Crisis”, une réflexion sur la crise sous toutes ses formes dans le monde actuel.
Un équilibre subtil entre la redécouverte de la liberté et le respect correct des normes sanitaires était constamment en jeu pendant le festival Off-Camera. Trouver un équilibre en ces temps vertigineux est une bonne cause, même si cela implique des conversations inconfortables, ainsi que des conflits de culture et de style. Au mieux, un festival de cinéma permet justement ce genre d’interaction. Le festival Off-Camera de cette année nous a aidé à ouvrir la discussion à de nouvelles perspectives sur l’isolement, la solitude et les meilleures stratégies d’adaptation.
Colette de Castro