Off-camera de Cracovie
Un jour ou jour un : le festival « Off-cinéma de Cracovie
Au cours des jours longs et solitaires de confinement à Paris, je me suis retrouvée sans l’élément qui me donne un sens de communauté dans cette ville, mon échappatoire adorée, le cinéma. Courir est alors devenu ma nouvelle activité préférée, la seule chose qui préservait ma santé mentale. Cette nouvelle activité m’aidait à mettre mon cerveau affolé dans une stupeur induite par l’adrénaline pour le calmer pendant quelques heures.
C’est probablement une des raisons pour lesquelles j’ai tant apprécié le premier film que j’ai vu parmi la sélection principale à Off-Camera, Sweat de Magnus von Horn. Le film traite de Sylwia Zając, gourou polonaise de la mise en forme. Sylwia est millenniale, mais elle sait utiliser les réseaux sociaux comme quelqu’un de la génération Z. C’est le type de femme qu’on aime détester, à la manière de Britney Spears dans les années 90. Sylwia est constamment sur son téléphone. Elle publie sur Internet, puis elle regarde à nouveau ce qu’elle vient de publier dans un cauchemar sisyphéen. Mais en parallèle elle semble véritablement se sustenter de ses “followers” – qu’elle traite de “mes chéris« , et “mes Amours”, avec une chaleur authentique.
De nombreux films dans la compétition principale du festival, intitulée Making Way, traitaient du thème totalement actuel de l’isolement. Avec Sweat on est face à une exploration nuancée et adroite de la matière. On se rend rapidement compte que la vie de Sylwia est plus problématique qu’au premier clic. Il s’avère qu’elle a récemment publié une vidéo avec des revasseries un peu tristes sur sa vie solitaire. Alors qu’elle regarde de nouveau sa vidéo, le spectateur la voit en double, les larmes coulant sur son visage parfaitement maquillé le long de son écran. Ses admirateurs ne savent pas trop comment réagir, mais son agent réagit sur le coup – transmettant des menaces de la part de ses promoteurs qui veulent annuler son financement. Mais ce qui semble être le début d’une dépression nerveuse se tourne vers une représentation plus nuancée d’une femme complexe. Plutôt que de l’entraîner dans une spirale descendante, elle s’occupe de ses problèmes avec une fermeté calme et mature. Le scénariste/réalisateur semble sérieusement comprendre la complexité de ce qui motive cette génération coincée entre la vie réelle et le virtuel.
Le prix principal de 25.000 dollars a été accordé à la réalisatrice hollandaise Isabel Lamberti pour son docu-fiction Last Days of Spring. Le film traite d’une famille vivant dans un bidonville des environs de Madrid. Avec de (trop) nombreux gros plans sur un bébé qui dort, et une bande sonore polluée en arrière-plan par des chiens qui aboient constamment, le film ne m’a pas convaincu et laisse à désirer, surtout dans l’aspect psychologique des personnages.
Le Prix Fipresci de la Critique Internationale a été décerné à Gaza Mon Amour, le deuxième long métrage (après Dégradé en 2015) des frères jumeaux Ahmad Abou Nasser et Mohammed Abou Nasser (surnommés Arab et Tarzan). Une lettre d’amour à Gaza, le film dépeint la vie du pêcheur palestinien Issa (Salim Daw), perdu dans sa recherche d’amour dans la Palestine d’aujourd’hui. Le film se passe dans ce port de Gaza – à la fois port d’attache de bateaux de pêche et base de la police navale palestinienne. Mais les deux cinéastes se concentrent finalement peu sur la situation politique et se tournent plutôt vers l’intime, posant la question de la quête d’amour à l’âge mûr avec une finesse et un langage cinématographique inouï.
Également dans la compétition se situait L’Homme qui a vendu sa peau, une vision ahurissante du monde de l’art contemporain. Le film présente l’acteur syrien Yahya Mahayni dans le rôle de Sam Ali – un réfugié qui se fait tatouer un visa Schengen sur le dos, le transformant ainsi en une œuvre d’art. Ce visa lui permet de se rendre en Belgique pour retrouver son âme sœur. C’est ainsi que l’acteur Koen de Bouw prononce les mots suivants, en l’artiste-tatoueur Jeffrey Godefroi : “en transformant Sam en une sorte de marchandise, il pourra, selon les codes de notre temps, retrouver son humanité et sa liberté… C’est assez paradoxal, n’est-ce pas ?.” L’écrivain et réalisateur Kaouther Ben Hania crée Godefroi en tant que stéréotype du sauveur blanc. Le film est une recherche profonde sur le monde de l’art moderne: une confection de prestige un tant soit peu sinistre.
Au total, une centaine de films ont été présentés à « Off-Camera » en 2021. Parmi les sections thématiques il y a notamment “Indies américains”, composé de films qui datent de la dernière décennie du cinéma américain indépendant, “Best of Fests”, avec surtout des films de Cannes et de Venise, et “Different Shades of Crisis”, une réflexion sur la crise sous toutes ses formes dans le monde actuel.
Un équilibre subtil entre la redécouverte de la liberté et le respect correct des normes sanitaires était constamment en jeu pendant le festival Off-Camera. Trouver un équilibre en ces temps vertigineux est une bonne cause, même si cela implique des conversations inconfortables, ainsi que des conflits de culture et de style. Au mieux, un festival de cinéma permet justement ce genre d’interaction. Le festival Off-Camera de cette année nous a aidé à ouvrir la discussion à de nouvelles perspectives sur l’isolement, la solitude et les meilleures stratégies d’adaptation.
Colette de Castro