Berlin sera toujours Berlin !

Les professionnels du cinéma du monde entier attendaient avec curiosité de voir quel allait être le résultat de l’arrivée à la tête de la Berlinale, le Festival du Film de Berlin, de Tricia Tuttle, précédemment directrice du Festival du Film du London Film Festival, après les quelques années de direction par le tandem Carlo Chatrian/ Mariette Riesenbeck. L’édition 2025 du Festival aura montré en quelque sorte une influence réciproque de la Berlinale sur sa nouvelle directrice et vice-versa. Dans l’ensemble, d’une part, la 75Berlinale n’aura pas vraiment surpris, qu’il s’agisse de la sélection ou du palmarès final, on était bien à Berlin plutôt qu’à Cannes ou à Venise : quelques films « grand public » auxquels on n’était pas habitués à Berlin, certes, mais dans l’ensemble une sélection « berlinoise », entre l’art et l’essai et les cinématographies peu représentées habituellement dans les salles. En revanche, d’autre part, la sélection est apparue plus dense, plus resserrée, plus homogène, bref de meilleure qualité générale qu’à l’ordinaire, ce qui doit être porté au crédit de Tricia Tuttle. On lui saura gré également d’avoir su concentrer l’attention sur les films, alors que le fait qu’il s’agissait du 75e anniversaire de la manifestation aurait pu être un prétexte à des commémorations festives excessives – qui ne se souvient du 50e anniversaire de Cannes, boursoufflé par les sponsors ?

Un palmarès… berlinois !

Le jury présidé par Todd Haynes sembla lui aussi inspiré par la « tradition » berlinoise, en tentant de mettre en valeur les films qu’il jugeait avoir le plus besoin de soutien – tout en étant parmi les plus méritants, certes. Il accorda ainsi l’Ours d’Or, le Grand Prix du Festival, à  Drømmer (Dreams (Sex Love)) du norvégien Dag Johan Haugerud. Troisième opus de sa trilogie « Sex, Dreams, Love », le film joue sur le rapport entre l’écrit et la réalité, lorsque  la relation amoureuse entre une adolescente de 17 ans et sa professeure est découverte par la lecture de son journal intime. Drømmer  a également reçu le Prix Fipresci de la Critique Internationale pour la compétition, réussissant ainsi un beau doublé !

 L’Ours d’argent revint à O último azul (The Blue Trail) du brésilien Gabriel Mascaro, une ode à la vieillesse, en quelque sorte. Le film suit l’itinérance à travers la forêt amazonienne d’une femme de 77 ans qui, dans un proche futur, refuse de rejoindre le lieu où l’administration regroupe les personnes âgées. Quant aux prix d’interprétation, ils revinrent à Huo Meng pour Sheng xi zhi di (Living the Land), du chinois Huo Meng et à Rose Byrne pour If I Had Legs I‘d Kick You de l’américaine Mary Bronstein. Parmi les autres prix, on retiendra évidemment l’Ours d’Argent de la meilleure contribution artistique remis à La Tour de Glace, de Lucile Hadžihalilović. La réalisatrice française y donne une contribution onirique entre rêve et réalité. Marion Cotillard, diva lointaine et aussi froide que le personnage qu’elle incarne, prend pourtant sous son aile une jeune adolescente en fuite d’un refuge des services sociaux qui s’est retrouvée par hasard sur le lieu de tournage d’un film. Le rythme volontairement lent donné au film de façon appuyée par Lucile Hadžihalilović convient assez bien à l’entreprise, tout en en ayant dérouté certains.

Une ouverture vers le grand public

Le « brief » de Tricia Tuttle si l’on peut dire, consistait à tenter d’ouvrer la Berlinale sur le grand public en général et le cinéma hollywoodien en particulier. Deux films que l’on n’aurait pas forcément vus à Berlin dans le passé ont rempli cette partie de son contrat. La compétition comportait ainsi un autre Dreams, celui de Michel Franco, dont Jessica Chastain tient la tête du générique. Le film retrace de façon glaçante l’emprise d’une femme de la « bonne société » américaine sur son jeune amant mexicain. C’est un jeune danseur de grand talent, qui rêve de faire carrière dans les plus grands corps de ballet américains, mais que la « cougar » préfèrerait retrouver, soumis, dans le logement de Mexico qu’elle met à sa disposition lorsqu’elle y voyage. L’interprétation de Jessica Chastain est, comme de coutume, magistrale, et son partenaire, le jeune danseur Isaac Hernández, l’un des plus grands danseurs actuels, y montre des dispositions brillantes à une carrière parallèle comme acteur ! Chastain comme Hernandez auraient d’ailleurs largement mérité un prix d’interprétation, mais le jury, bien dans l’esprit de la Berlinale, préféra évidemment, nous les avons cités, soutenir dans son palmarès des acteurs tout aussi méritants, mais n’ayant pas besoin d’un surcroit de notoriété.

C’est dans un gala de la section « Berlinale Special » que l’on aura pu voir l’autre grand appel du pied de Tricia Tuttle au grand public, Mickey 17, le nouveau film du coréen Bong Ho. Robert Pattinson en est la tête d’affiche, en compagnie notamment de Marc Ruffalo, superbe dans un second rôle de composition désopilant et non sans comporter quelques sous-entendus politiques… Le réalisateur de Snowpiercer, le Transperceneige continue à imaginer un avenir pas si lointain, où l’on est arrivé cette fois à cloner de façon illimitée les humains : leur vie et leur « essence » peuvent être conservées dans une sorte de brique informatique, et peuvent donc être réinjectées à volonté à une copie de leur corps s’ils décèdent. Interdit sur Terre pour des raisons éthiques, ce clonage est utilisé par une expédition sur une autre planète pour pouvoir disposer d’un cobaye humain utilisable pour des tâches dangereuses sans scrupules, puisque s’il meurt, on le fait revivre instantanément. Ce sont les péripéties qui surviennent à la 17e itinérance de Mickey que Bong Ho nous fait suivre dans Mickey 17, où il joint avec réussite l’humour de Parasite et le coté sombre de la science-fiction de Snowpiercer.

Une réorganisation en douceur 

Tricia Tuttle n’a pas limité son travail à cela, et a aussi réorganisé en douceur la Berlinale 2025. Elle a pu pour cela bénéficier de l’ouverture d’une nouvelle grande salle, juste en face du Berlinale Palast, le « Stage Blue Man Theater ». Une nouvelle section « Perspectives », réservée aux premiers longs métrages, est par ailleurs venue remplacer la section « Encounters », tandis que l’accent était moins mis que d’habitude sur la section Panorama. Cette section reste, il est vrai, en quête d’une nouvelle direction aussi forte que l’avait été pendant des années celle de Wieland Speck, hélas parti à la retraite. On regrettera enfin que, sans doute faute d’intérêt du public pour les périodes plus anciennes, les sections traditionnellement destinées au cinéma de répertoire se limitent quasiment maintenant aux années 1970 ou 1980, aucune projection de film muet ou de comédie des années 1930 n’étant au programme cette année.

Le marché du film à plein régime

Du côté du Marché du Film berlinois, l’EFM, il était placé lui aussi sous la une nouvelle direction, celle de Tanja Meissner, professionnelle du cinéma franco-allemande respectée de la profession, dont la responsabilité dépasse maintenant celle du Marché, puisqu’elle est en charge de Talent Campus et d’autres parties de la Berlinale. On l’ avait notamment connue en France lorsqu’elle était en charge des ventes de Celluloïd Dreams et de Mémento Films. Les professionnels de l’import-export du cinéma du monde entier furent en tous cas à son rendez-vous, on en compta près de 12.000, les moindres recoins du Martin Gropius Bau et de l’hôtel Marriott étant occupés par des stands ! Unifrance, avec un nouveau club, bourgeonna en particulier d’activités.

Philippe J. Maarek

La qualité au programme de Sundance 2025 !

Une fois de plus, sous la houlette de Eugene Hernandez, Directeur du festival, et de Kim Yutani, Directrice de la programmation, Sundance a tenu en 2025 ses promesses. Le festival a délivré maints films de qualité et a mis en avant les noms de réalisateurs et de réalisatrices à retenir. A ce propos, en constatant le nombre de réalisatrices citées dans cet article, on peut se demander comment Cannes ou Venise peuvent encore avoir des sélections comportant aussi peu de femmes…

Comme à l’accoutumée, d’autre part, la grande force de Sundance aura été de donner autant de place au cinéma documentaire qu’au cinéma de fiction. Les quatre principales sections sont en effet: cinéma américain de fiction et cinéma américain documentaire, et, de même, cinéma « étranger » de fiction et documentaire. 

Atropia Grand Prix du Jury du cinéma de fiction américain

C’est une réalisatrice, pour Atropia, son tout premier film de long métrage, Hailey Gates, qui a reçu le Grand Prix du Jury pour la section des films américains de fiction. Le film commence comme une sorte de documentaire sur l’entrée de troupes américaines dans un village irakien. Mais on comprend vite qu’il s’agit d’un faux village reconstitué avec des acteurs, mais de vrais soldats, et d’une satire d’un univers méconnu : celui des 200 simulations analogues réparties à travers les Etats-Unis pour entraîner les soldats américains avant de les projeter dans des théâtres de guerre à l’étranger. Sous un prétexte de fiction (l’intérêt que porte une des actrices/villageoises à un soldat temporairement enrôlé comme acteur/chef terroriste) Atropia dévoile avec brio les coulisses de l’entreprise et de son comique involontaire, puisque son but est la guerre. Quelques images réelles de conflits s’immiscent dans plusieurs scènes pour rappeler régulièrement le spectateur à la réalité. Dans le rôle de l’actrice/villageoise, Alia Shawkat, actrice bien connue, surtout par ses prestations dans des séries télévisées (Arrested Development, The Old Man, etc.), porte le film avec un brio magnifique qui lui aurait valu un prix d’interprétation si Sundance en donnait. Elle sait profiter de son ascendance pour affermir la crédibilité de son jeu (son père est irakien, sa mère américaine). A la fin d’Atropia, quelques lignes indiquent que ces simulations sont en cours de conversion, la Russie prenant maintenant la place du Moyen-Orient…

Parmi les autres fictions américaines, Sunfish (& Other Stories on Green Lake) a mis en évidence une autre réalisatrice, Sierra Falconer, dont le style n’est pas sans rappeler celui de Kelly Reichardt, la réalisatrice de First Cow. Sa mise en scène est épurée, sans fioritures, faisant penser par un rythme faussement paisible au lac autour duquel se déroulent les quatre saynètes qui composent le film. Un peu comme pour La Ronde d’Ophüls, mais sans le contexte amoureux, quatre saynètes s’enchaînent en effet pour faire le tour du lac. Cela nous donne quatre incursions dans la vie de personnages très divers que l’on découvre au fur et à mesure. Des transitions habiles viennent aider à passer de l’une à l’autre, et la boucle s’achève par un dernier plan où l’adolescente de la première saynète est visible en toile de fond des jeunes filles de la quatrième scène. Le tout dans une symbiose avec la nature symbolisée par la survie d’un bébé caneton malgré les nombreux prédateurs qu’il pourrait trouver.

Continuons avec les découvertes. Le premier long métrage de Cole Webley , Omaha, prend initialement l’apparence d’un road-movie puis se transforme en une terrible critique du sort des laissés pour compte de l’économie américaine. Le père de deux petites filles, veuf, probablement criblé de dettes, est expulsé de leur maison, et prend la route vers Omaha, sans que l’on sache trop pourquoi. A petites touches, la déchéance de la famille s’installe au fil des arrêts de la voiture : épuisement des coupons-repas de l’aide alimentaire, dépense des quelques billets qui restent, puis des pièces, relégation sinistre du fidèle chien de la famille dans une SPA, la tension monte pour s’accomplir une fois arrivé à Omaha par l’abandon brutal par le père de ses deux filles. On comprend alors que le long voyage en voiture était dû au fait qu’une loi du Nebraska (maintenant abrogée) permettait d’abandonner ses enfants, même adolescents, sans poursuite judiciaire ni nécessité de continuer à pourvoir à leurs besoins. Cole Webley prend subtilement le spectateur par la main en le faisant suivre ce terrible crescendo placé sous le signe de l’abandon en un style volontairement dénué d’emphase, presque froid, qui accentue l’efficacité d’Omaha. Une fiction qui prend parfois l’aspect d’un terrible documentaire, en somme.

The Perfect Neighbor, un documentaire américain glaçant

Documentariste chevronnée, Geeta Gandbhir expose avec intelligence le racisme latent de certains habitants de l’Amérique profonde dans The perfect neighor. Ce titre ironique décrit une femme blanche d’un certain âge vivant dans un petit lotissement. Elle supporte de moins en moins ses voisins, dont les enfants jouent près de sa maison, en un racisme évident, mais jamais explicité. Elle multiplie les appels à la police pour de prétendus troubles de voisinage, pour finir par mettre en scène une vengeance horrible : elle pense profiter d’une loi de Floride disant qu’on peut même tuer « en légitime défense » si l’on peut simplement prouver qu’on a eu peur. La force de The Perfect Neighbor ne réside pas seulement dans le déroulement de cette trame, hélas véridique, mais dans le matériau qui le constitue. Geeta Gandbhir a en effet eu accès à des dizaines d’heures de films tournés par les « body cameras », les caméras que les policiers ont portées et mises en route à chacune de leurs interventions. Mettant à profit son expérience initiale de monteuse professionnelle, elle a su tirer de ces dizaines d’heures un véritable récit, scandé par le froid réalisme de ces images. Elle rend ainsi le spectateur littéralement témoin de la terrible spirale dont il sent petit à petit le dénouement tragique approcher.

Parmi les autres documentaires américains, lui présenté en « premières », on retiendra aussi Sally, récipiendaire du « Prix 2025 Alfred P. Sloan » destiné à « un film remarquable concernant la science ou la technologie ». La réalisatrice Cristina Costantini y retrace la carrière de Sally Ride, la première femme américaine à être allée dans l’espace. Elle entremêle les images d’actualité de l’époque avec de longs entretiens très intéressants menés avec l’ancienne amie d’enfance de l’astronaute, devenue sa compagne, Tam O’Shaughnessy. Or Sally Ride a gardé secrète cette relation jusqu’à sa mort. Elle s’est même mariée avec un de ses collègues astronautes pour éviter de risquer la perte de sa place pour l’espace. Elle craignait en effet le scandale que l’Amérique puritaine de l’époque aurait sans doute fait si son homosexualité avait été dévoilée publiquement. On est bien ici dans l’esprit très ouvert aux « différences » des sélections de Sundance. Une autre « différence », le handicap, a d’ailleurs aussi été saluée dans cette section par Marlee Matlin: Not Alone Anymore. Ce tout premier documentaire, bien mené, de Shoshannah Stern, est consacré par cette réalisatrice, elle-même sourde de naissance, à l’actrice qui a été la première personne sourde-muette – et longtemps la seule – à obtenir un Oscar. 

Double récompense pour DJ Ahmet dans la catégorie « Fictions étrangères »

Premier long métrage de fiction du macédonien du Nord Georgi M. Unkovski, DJ Ahmet est une touchante description de la relation croissante entre deux adolescents d’un village perdu dans les montagnes de Macédoine du Nord. D’un côté, un jeune garçon, arraché à l’école par son père, veuf prématurément, pour garder son petit frère, apparemment muet, et pour aider à l’exploitation de la ferme et de son petit troupeau de moutons. De l’autre, une jeune adolescente d’une famille riche du voisinage, promise malgré son jeune âge à un mariage arrangé avec un homme bien plus vieux qu’elle. Féru d’une musique moderne bien éloignée de leurs deux univers familiaux ancrés dans le passé, le garçon parviendra à toucher grâce à cela le cœur de la fiancée malgré elle. Il y parviendra au fil de péripéties parfois très dures : il est souvent victime des mauvais traitements de son père, comme de l’ire du père de la jeune femme, tendu vers l’accomplissement du contrat de mariage arrangé pour sa fille. Prenant corps autour de choix musicaux habiles, rendu émouvant par la narration parallèle de la mutité apparente du petit frère que tente de forcer le père, DJ Ahmet montre subtilement la réalité du pays d’origine de Georgi Unkovski. Il démontre avec brio que l’apparence de modernisation due à la pénétration de la technique, tracteurs ou téléphone portable, est encore aujourd’hui contredite par la conduite anachronique des habitants. Le film a reçu deux prix, le Prix du public pour la section Films de fiction étrangers, et le « Prix spécial du jury pour la vision créative ».

Dans la même section, le jury attribua son Prix spécial du scénario à Two women, (Deux femmes en or) de la réalisatrice québécoise Chloé Robichaud, sur un script de Catherine Léger. Le film reprend la trame d’un film homonyme de Claude Fournier de 1970, qui a déjà inspiré une pièce de théâtre mise en scène par Robichaud elle-même en 2023. Il est construit comme une efficace et amusante pochade pleine d’humour sur la libéralisation sexuelle de deux femmes délaissées par leurs compagnons. Voisines de palier dans un grand immeuble, elles se prennent en amitié, tout en menant un parcours parallèle commun vers une liberté sexuelle qui les affranchit. Si elle frôle parfois la caricature, Chloé Robichaud parvient à rester sur la ligne de crête la séparant de la niaiserie ou de l’excès, le tout avec de savoureux dialogues. Elle est formidablement aidée par deux belles actrices bien connues au Québec, Laurence Leboeuf et Karine Gonthier-Hyndman. Elles n’hésitent pas à se servir de leur corps sans aucune maladresse pour accompagner l’humour instillé tout au long du film. Il faut espérer que Deux femmes en or sera distribué en France ! 

Toujours dans la catégorie Films de fiction étrangers, Where the wind comes from, premier film de la réalisatrice tunisienne Amel Guellaty est, nous semble-t-il, le grand oublié de ce festival. Au départ, ce qui a sans doute trompé, c’est qu’il apparaît comme un banal « road-movie ». Il est le fait de deux meilleurs amis d’enfance, voisins d’immeuble, une jeune fille désœuvrée et un jeune homme sans emploi, comme beaucoup dans la Tunisie en crise actuelle. Puisque le garçon est doué pour le dessin, ils entreprennent de traverser la Tunisie quasiment sans argent pour essayer de gagner un concours d’art permettant de partir en Allemagne. Leurs rapports évoluent au fil du voyage de l’enfance à l’âge adulte, un trame très bien menée, mais que l’on pourrait penser classique, à tort. En réalité, Amel Guellaty, par petites touches qu’on ne reconnaît pas forcément d’emblée, évoque et critique la situation politique de son pays. Elle met ainsi en évidence sans y paraître l’écart énorme entre la classe dominante, aisée, et la grande partie du peuple, représentée par les deux jeunes gens. Amel Guellaty sait aussi diriger avec bonheur les deux jeunes acteurs qui enchantent le film au fil de la prise de conscience respective de leur passage à des rapports adultes et de leurs tours de passe-passe pour tenter d’arriver à leurs fins.

Une riche catégorie « Documentaires étrangers »

Le documentaire « étranger » sans doute le plus fascinant, étant donné son actualité pour un Européen, est sans aucun doute Mr. Nobody Against Putin. Prix spécial du jury pour cette section, il a été coréalisé par David Borenstein et Pavel Talankin, sur une scénarisation de Borenstein. Le film reprend deux années de films tournés plus ou moins en secret par Pavel Talankin dans la petite ville de 10.000 habitants perdue dans l’Oural russe où il vivait. Vite conscient de l’emprise croissante que prenait la propagande d’État quant à la guerre en Ukraine dans l’école où il travaillait, il décida d’en tenir un journal filmé. Prenant de plus en plus de recul par rapport à ce qu’il est seul à comprendre comme de l’endoctrinement, il dévoile par ses images le manque de réaction de ses concitoyens, par naïveté pour les uns, par peur pour les autres. Pavel Talankin a par la suite réussi au bout de ces deux années à fuir son pays avec ces dizaines d’heures de film, d’où est né Mr. Nobody Against Putin. Même si sa facture est relativement classique, Mr. Nobody Against Putin met impeccablement à jour la façon dont tout un peuple est ainsi petit à petit amené à accepter l’emprise croissante de « l’opération militaire spéciale » initialement annoncée par Vladimir Poutine.

On retiendra également le Prix du Public de cette catégorie, Prime Minister, le documentaire de Michelle Walshe et Lindsay Utz. Il reprend pour une bonne part des images tournées en privé par Clarke Gayfordn le partenaire de Jacinda Ardern la Première ministre de Nouvelle-Zélande, qu’ils ont accepté de rendre publiques. Elle est suivie de sa désignation surprise comme candidate au poste de Premier ministre quelques semaines à peine avant les élections législatives de 2017, jusqu’à sa démission inattendue pour passer à autre chose, en quelque sorte, en 2023. Le spectateur voit ainsi de l’intérieur la vie et les décisions de la femme qui sut aussi bien mettre au monde son premier enfant tout en dirigeant son pays que le guider efficacement lors de l’épidémie du COVID-19. Les réalisatrices mêlent sans heurts les images d’actualité d’époque aux scènes intimes tournées par le compagnon de Jacinda Ardern, et même aux clips audio officiels du gouvernement, pour ne jamais lasser dans cette évocation du parcours si brillant de la politicienne néo-zélandaise. 

« Next » et autres…

Sundance comporte trois autres sections en parallèle aux quatre principales sections que nous venons d’évoquer : « Next », « Premières » et « courts-métrages », sans compter quelques images de séries télévisées. Nous retiendrons le prix du public de la catégorie « Next », East of Wall, de la scénariste et réalisatrice Kate Beecroft. On pourrait considérer ce film comme étant en quelque sorte l’expression du paradoxe représenté par les Etats-Unis d’aujourd’hui. Le film, explicitement une docu-fiction, est constitué par les images tournées pendant à peu près deux ans par la réalisatrice dans un ranch du Midwest américain spécialisé dans l’élevage de chevaux. La réalisatrice fut frappée par le fait qu’il est dirigé avec poigne par la veuve d’un rancher, Tabatha Zimiga, qui héberge en outre de jeunes adolescentes en déshérence recueillies lorsque le hasard les lui amène et dont elle fait des cow-girls. Kate Beecroft décida ensuite de mettre en fiction ces images, l’argument étant la difficulté de la veuve à faire fonctionner son ranch malgré des troubles financiers et le machisme du milieu. Le tempérament remarquable de cette femme sert évidemment le film, qui porte de façon très intéressante les contradictions de son pays. D’un côté, sa vision de la population du Midwest l’apparente à cette tendance conservatrice actuelle qui a, par exemple, fait le succès de la série télévisée Yellowstone de Kevin Costner. La vie des éleveurs des ranchs traditionnels y est érigée en une geste héroïque préservatrice des valeurs anciennes. De l’autre, par la mise en avant d’un univers principalement féminin qui essaye de déjouer les obstacles de la masculinité ambiante de cet univers, la réalisatrice apparente son film au thème bien actuel de la mise en cause des rôles traditionnels des genres. 

Bien d’autres films dignes d’intérêt, certains d’ailleurs récompensés de divers autres prix, ont été projetés à Sundance, qu’il n’est pas tous possible d’évoquer ici, formant un bel ensemble d’une grande qualité et d’une remarquable cohérence.

Philippe J. Maarek

NB: photos, courtesy of Sundance Institute