Cannes 2019
Once upon a time in Hollywood… et à Cannes: Quentin Tarantino combat le gang Manson et les médias et est heureux avec sa femme.
A la veille de la cérémonie du Palmarès du Festival de Cannes, le traditionnel dîner des « présentateurs des prix » s’est tenu sous la tente de l’Agora près du Palais des Festivals. Aux tables approvisionnées par le chef Bruno Ogier, étaient assis, entre autres, Catherine Deneuve et sa fille Chiara Mastroianni, Sylvester Stallone, Michael Moore, Alejandro Inarritu et ses collègues du Jury, le Délégué général Thierry Frémaux, le Président Pierre Lescure, et Quentin Tarantino et son épouse Daniella Pick. A la fin du dernier met, les musiciens Mariachis mexicains sont entrés dans la salle – en l’honneur du président du jury – et ont fait sursauter les convives avec des chansons rythmées bien connues. Tarantino, qui adore les fêtes, chantait à tue-tête et Daniella l’a rejoint. Je lui ai demandé si, en tant qu’ex célibataire endurci, il était satisfait de s’être marié (avec une chanteuse d’origine israélienne). « Je suis très heureux et fier de ma femme israélienne« , s’est exclamé Tarantino avec enthousiasme, retournant au chant et à la danse mexicaine. Danielle a poursuivi en disant que leur mariage jusqu’à présent était heureux, que Quentin était un mari sensible et aimant, et que ce mariage allait durer longtemps.
Plus tôt, lors de la conférence de presse de son film Once upon a time in Hollywood, on a demandé à Tarantino si et comment il avait changé depuis sa venue au festival il y a vingt-cinq ans, quand il avait raflé la Palme d’or avec Pulp fiction. Sa réponse a fusé immédiatement : « Je me suis marié il y a six mois, je n’avais jamais fait ça avant, et maintenant je sais pourquoi… j’ai juste attendu la bonne fille. » Daniella a vraiment prouvé à Cannes que Quentin ne pouvait pas se passer d’elle, elle s’est occupée de tous les petits détails des événements dans lesquels son mari était impliqué, s’est assurée qu’il avait l’air aussi correct que possible et tous les deux ont souvent fait preuve devant tous de leur affection mutuelle. Bref, à l’âge de cinquante-six ans, l’enfant terrible d’Hollywood a finalement volontairement succombé à sa « dresseuse » et semblait très content tout en ne dédaignant pas de continuer à courir à toute allure pour son plaisir afin de s’affronter aux médias.
Le lendemain, Tarantino était le seul des participants du dîner n’ayant reçu aucun prix mais il a choisi quand même de rester à Cannes et de monter les marches du Palais des Festivals, profitant jusqu’à la dernière minute de la fête. La participation de Tarantino n’était pas considérée comme acquise, dix ans après queInglourious basterdsait participé à la compétition sans être primé. Certes, il y a vingt-cinq ans, Cannes a donné un formidable coup de pouce à sa carrière en remettant la Palme d’Or à Pulp fiction, mais depuis, il est reparti bredouille (sauf pour le prix le prix du meilleur acteur décerné à Christoph Waltz pour Inglourious basterd. Tarantino a blâmé les médias, en particulier les médias américains, et a été considéré par eux comme l’un des principaux responsables de la décision du festival prise l’année dernière d’annuler les avant-premières pour les journalistes qui suivent le festival. Une décision sur laquelle on est d’ailleurs en parti revenu cette année, notamment grâce à l’intervention de l’Union des Journalistes de Cinéma. Le Délégué général du festival Thierry Frémaux expliquait à l’époque cette décision par sa volonté « de ne plus voir les équipes monter avec des mauvaises mines sur le tapis rouge« . Tarantino lui-même a dit à VanityFair: « Ce festival m’a laissé un goût amer. J’étais très excité par la première projection du film pour la presse à 8h30 du matin, mais voir tous ces gens courir vite de la projection pour être les premiers à publier les critiques déjà préparées… c’était un peu déprimant, ça a brisé la magie, je ne me souviens pas d’une telle fièvre, autrefois les gens prenaient plus du temps pour digérer les films, il y avait de la bonne volonté … Aujourd’hui, je ne suis pas prêt à m’entretenir en tête-à-tête avec un journaliste américain. Cela me coûte trop cher… «
Les entrevues formelles ont donc été uniquement menées en groupes ou en conférence de presse, dans une atmosphère de suspicion et de pression de la part de la production. Tarantino a su attiser la colère de nombreux journalistes lorsqu’il leur a demandé dans un communiqué spécial avant la projection, d’éviter le « spoiler » et de ne pas révéler le tournant de l’intrigue « afin de ne pas nuire au plaisir des futurs spectateurs ». Et ce, pour un film officiellement en compétition à Cannes…
Les « responsables » de la production qui l’entouraient semblaient également se soucier du « politiquement correct » et imposaient aux journalistes d’éviter les sujets délicats, comme les agissements du producteur Harvey Weinstein, que Tarantino décrivit pourtant un jour comme « un père qu’il n’avait jamais eu…« . Ou de poser trop de questions sur le sor d’un des personnages deOnce upon a time in Hollywood, le réalisateur Roman Polanski. Cependant, il était un peu difficile d’ignorer Polanski, (qui est incarné dans le film par un acteur polonais), puisque que l’horrible meurtre de sa femme, l’actrice Sharon Tate à l’âge de vingt-six ans, alors qu’elle était enceinte de huit mois, par la bande de hippies fous de Charles Manson est un paradigme central du film, même si les choses à l’écran « se passent » finalement, comme dans les Basterds, dans le monde fictif de Tarantino. Et que le rêve de vie du héros du film, un acteur « perdant » interprété par Leonardo Di Caprio, est d’être invité chez ses voisins, Polanski et Sharon Tate…
« Je n’ai pas jugé cela nécessaire« , a-t-il répondu quand on lui a demandé s’il avait consulté Polanski au sujet du scénario, en disant juste : « Je suis fan de Rosemary’s Baby. », mais en ajoutant : « Je n’ai pas dit qu’il était alors le plus grand réalisateur de son temps, seulement le plus célèbre. Et le couple qu’il formait avec Sharon Tate symbolisait alors la quintessence d’Hollywood.«
« Je rejette cette hypothèse« , a-t-il répondu vivement à une journaliste trouvant qu’il n’avait pas donné assez de texte à Margot Robbie (qui joue Sharon Tate). Il a alors laissé Robbie expliquer que ce n’était pas la longueur du texte qu’elle avait à dire dans Once upon a time in Hollywoodqui comptait dans l’hommage vraiment émouvant qu’elle y a rendu à l’actrice assassinée.
Quant à Emmanuelle Seigner, l’épouse actuelle de longue date de Roman Polanski, ellea réagi avec colère à la projection du film, non pas à cause de son contenu, mais à cause de ce qu’elle a dénommé « l’hypocrisie » du comportement hollywoodien qui a chassé Polanski de l’Académie des Oscars tout en profitant de son histoire : « Comment peut-on se servir de la vie tragique de quelqu’un tout en le piétinant ? (…) donc de faire du business avec cela, alors que de l’autre côté, ils en ont fait un paria«
D’énormes ressources ont été investies dans la reconstruction de la période des années 1060 pour Once upon a time in Hollywood. Tarantino connaît par cœur tous les personnages et films de la fin des années 60 (et nous a donné, par exemple, un portrait amusant de Bruce Lee ou plus respectueux de Steve McQueen…). « C’est probablement la dernière production qui peut reproduire ce qu’était Hollywood, nous n’avons pas fait d’effets numériques, nous avons construit des décors, il est difficile de trouver quelqu’un prêt à dépenser autant d’argent pour une reconstitution, la ville change si vite. Comme si vous couriez sur un pont en feu, et sentiez les flammes vous poursuivre derrière vous« , a déclaré Tarantino à CanalPlus. « A propos de Manson, nous avons essayé de faire des recherches pour savoir comment il avait réussi à rallier ces jeunes hommes et femmes autour de lui – sans trop de succès« …
Dans les rôles principaux, Tarantino a choisi deux acteurs qui ont déjà travaillé avec lui, Leonardo Di Caprio, ici acteur de westerns sur le déclin, et Brad Pitt, son alter ego et cascadeur. « Tous deux sont des acteurs exceptionnels, et deux des plus grandes stars de notre époque, j’ai déjà travaillé avec eux deux, et ils ont bien réagi à mes demandes, » dit-il. » J’aime les acteurs qui travaillent vraiment sur le personnage, y investissent et se demandent qui est l’homme, même s’ils n’ont pas de réponses immédiates, ils continuent à enquêter, l’histoire est moins importante pour eux, ils me laissent y penser…et en bons acteurs ils connaissent aussi leur rôle par cœur… « .
Quand on a demandé à Tarantino si, comme dans Once upon a time in Hollywood, il pouvait changer, avec une baguette magique, le cours de l’histoire, il a répondu: « Je changerais beaucoup de choses si j’avais la capacité de changer le cours de l’histoire dans la vie réelle… D’abord, je claquerais des doigts et tous ces appareils photo numériques disparaîtraient, et tous les films seraient projetés en 16, 35 ou 70 mm… Et les téléphones portables n’auraient pas du tout été inventés... »
Après les projections à Cannes, Tarantino a annoncé qu’il remontera le film pour sa sortie en salles à la mi-août. La version « cannoise » de deux heures et trente-neuf minutes lui semble trop courte : « Le film n’est pas fini… Je voulais présenter la version la plus serrée à Cannes… pour moi, le dernier montage est la version finale du script… J’avais un bon film dans la tête… Je l’ai eu pendant des années et j’ai l’impression d’avoir eu le film que je voulais. Comme tous mes films, et c’était l’un des plus durs à faire« .
Tarantino a dit un jour qu’il ne ferait que dix longs métrages. C’est le neuvième. Des rumeurs insistantes prétendent qu’il dirigera le prochain StarTrek, mais il le nie: « Je n’ai aucune idée de ce que sera le prochain film…. Je travaille sur un film pendant des années, puis parfois je me repose un an, et souvent pendant cette année une idée apparaît…«
Quant à l’idée pour ce dernier dixième film : « C’est drôle que je n’en ai aucune idée cette fois, mais je ne suis pas pressé, j’ai dit que je me retirerais avec dix films – ou quand j’aurai soixante ans, au premier des deux termes échus, alors peut-être que j’en aurai soixante sans faire un film…«
Gidéon Kouts
PALMARES DU FESTIVAL
Palme d’or
Gisaengchung (Parasite) réalisé par BONG Joon-Ho
Grand prix
Atlantiqueréalisé par Mati DIOP
Prix de la mise en scène
Le jeune Ahmedréalisé par Jean-Pierre & Luc DARDENNE
Prix du jury ex-æquo
Les misérablesréalisé par Ladj LY &
Bacurauréalisé par Kleber Mendonça Filho & Juliano Dornelles
Prix d’interprétation masculine
Antonio Banderas dans Dolor y gloria réalisé par Pedro ALMODÓVAR
Prix d’interprétation féminine
Emily Beecham dans Little Joeréalisé par Jessica Hausner
Prix du scénario
Céline Sciamma pour Portrait de la jeune fille en feu
Mention spéciale
À Elia Suleiman pour It must be heaven
(qui a également obtenu le prix FIPRESCI de la Critique Internationale pour la compétition)
Courts métrages
Palme d’or
The distance between us and the sky réalisé par Vasilis Kekatos
Mention spéciale du jury
Monstruo diosréalisé par Agustina San Martín