Abu Dhabi n°6: un vent nouveau!
Cette année, un vent nouveau a soufflé sur la sixième édition du Festival d’Abu Dhabi. Après avoir été dirigé avec succès pendant quatre ans par Peter Scarlet, qui avait su faire de ce festival un événement de renommée internationale, il était présenté cette année par Ali Al Jabri nouveau directeur et ancien proche collaborateur de Scarlet, et une nouvelle direction.
Désormais sous l’égide du groupe media local TwoFour54 soutenu par le gouvernement (cela correspond aux coordonnées géographiques d’Abu Dhabi), il vise à » favoriser le développement des contenus dans l’industrie des media et du divertissement au niveau mondial, réalisés par les Arabes pour les Arabes ». La stratégie du groupe a pour objectif de « faire du festival LE pole créatif de la région, en soutenant la production cinématographique locale en parallèle avec d’autres initiatives dans les secteurs de l’audiovisuel, de la musique, des media numériques, des événements, des jeux vidéo et des publications afin de positionner Abu Dhabi comme centre régional d’excellence en création de contenu. »
Ces changements de direction semblent également refléter une tendance plus générale dans les Emirats qui consiste à remplacer de plus en plus les étrangers par des Emirati comme l’a déjà annoncé Ali Al Jabri pour l’équipe pour le festival en 2013. Il sera intéressant de voir de quelle manière ces changements d’équipe de direction vont influencer les orientations du festival qui depuis sa création, avait déjà comme vocation d’offrir une plate forme privilégiée pour des réalisateurs de cinéma du monde arabe.
Cinq sections compétitives ont concentré les points forts de la programmation, qui par ailleurs a fait la part belle aux réalisatrices :
– Narrative Feature Competition avec 15 films dont les « valeurs sûres » comme les derniers films d’Ozon ou Manuel de Oliveira, mais aussi des oeuvres très audacieuses comme Lore, de l’australienne Cate Shortland ou Araf de la réalisatrice turque Yesim Ustaoglu qui à juste titre a reçu le Black Pearl Award de cette section. ;
– New Horizons Competition avec 15 premiers ou deuxièmes films parmi lesquels on pouvait trouver des succès de festivals comme Beasts of the Southern Wild, mais aussi la première mondiale d’un premier film particulièrement impressionnant de la réalisatrice égyptienne Hala Lofty, Coming Forth by Day ;
– une Compétition de films documentaires avec une excellente sélection de 12 films
– deux compétitions de courts métrages dont une réservée aux réalisateurs Emirati.
Dans ce festival bien organisé à la programmation très riche, ces compétitions officielles étaient accompagnées par la présentation de 24 films du monde entier, un hommage au cinéma algérien et une section sur la Corée du Sud, des master class et des rencontres pour l’industrie cinématographique.
On décerna aussi des Lifetime Achievement awards pour deux icônes du cinéma international, la belle Claudia Cardinale et « la Nefertiti du cinéma égyptien» Sawsan Badr. On vit défiler les stars du cinéma du monde arabe chaque soir sur le tapis rouge, défilés suivis par des dîners somptueux avec leurs senteurs orientales sur les terrasses de l’Emirate Palace qui ajoutaient une touche glamour indispensable à un événement de cette envergure.
Plusieurs séances étaient réservées aux femmes, pour leur permettre de pouvoir s’exprimer plus librement dans les discussions avec les réalisateurs qui suivaient normalement les projections, Curieusement , ces séances ont semblé être surtout prisées par les femmes étrangères.
Le jury Fipresci s’est concentré sur les treize films du monde arabe présentés dans les trois sections de la compétition principale, dont sept premières mondiales. Neuf de ces films avaient reçu auparavant le soutien du fond de développement et de post-production du Festival de Abu Dhabi, SANAD.
Si les films des « vétérans » Moussa Haddad (Harraga Blues, Algerie), Rachid Benhadj (Perfumes of Algiers, Algeriea) et Nouri Bouzid (Hidden Beauties, Tunisie-France-UAE) avaient du mal à convaincre, Hala Lotfy, une jeune réalisatrice égyptienne impressionna les jurys et le public avec un premier film prometteur, Coming Forth by Day, dont le langage cinématographique radical rompt avec le style habituel du cinéma arabe et égyptienne en particulier, et qui fut récompensée comme meilleure réalisatrice du monde arabe, et de notre Prix Fipresci, que j’eus l’honneur de lui remettre sur scène.
On nota enfin la présence de films très forts dans la section documentaire, comme notamment Cursed be the Phosphate, de Sami Tlili (Tunisie-Uae-Liban-Qatar) , In Search of Oil and Sand De Wael Omar et Philippe Dib (Egypte-Uae), Mohammad Saved By The Waters, de Safaa Fathy (Egypte-France-Uae). Enfin, last but not least A World not Ours, de Mahdi Fleifel. Ce documentaire plein d’émotions sans que la réalité soit perdue de vue revisite les mémoires d’un camp de réfugiés palestiniens au Liban, depuis les souvenirs nostalgiques d’enfance jusqu’aux espoirs déçus d’aujourd’hui. Il a monopolisé non seulement le Black Pearl Award du meilleur documentaire, mais également notre prix Fipresci, ainsi que le Prix Netpac.
Barbara Lorey de Lacharrière