Téhéran 2014
32ème Fajr Festival international du film de Téhéran
Pour qui aime le cinéma, l’arrivée à Téhéran est un enchantement. La ville est immense, éparpillée autour de la haute silhouette de la Tour Milad. Au fond, les montagnes enneigées et, à perte de vue, l’enchevêtrement des autoroutes où les voitures se croisent inlassablement. Les silhouettes des femmes dans leurs foulards et cette langue si harmonieuse, nous projettent instantanément au cœur du cinéma iranien. Ce paysage, ces visages, ces embouteillages étouffants, on les a connu à l’écran. Découverte avec les œuvres de Mohsen Makhmalbaf, Bahman Ghobadi, Abbas Kiarostami, Jafar Panahi ou Asghar Farahdi et, après quelques heures d’avion, la réalité de Téhéran ressemble bien à celle des films, magie du cinéma !
Au sein de la 32ème édition de ce festival, qui s’est achevée le 11 février, la sélection du nouveau cinéma iranien était d’excellente qualité. Dans cette compétition sont rassemblés des premiers ou seconds longs métrages produits et tournés en Iran. On peut grosso modo classer les films en deux catégories : les films ayant pour sujet principal l’évocation d’un fait historique ou religieux et les films de la vie quotidienne.
Parmi les films historiques, aucun n’a suscité beaucoup d’enthousiasme. Si Che d’Ebrahim Hatamikia (1979, conflit entre l’Iran et les séparatistes kurdes) est un bel exemple de guérilla urbaine où la bataille se gagne rue après rue, il pêche par excès de grandiloquence, notamment avec un crash d’hélicoptère digne d’un jeu vidéo. The last 50 steps de Kioumars Pourahmad permet de vérifier que le « cliché de la gourde vide », a toujours cours dans les films de guerre. Hossein who said no de Ahmad Reza Darwich est une saga politco-historico-religieuse située au 7ème siècle, lorsque les petits-enfants du Prophète se déchiraient son héritage spirituel. Beaux jeunes hommes au regard de braise, sabres tranchants, trahison, passion amoureuse retenue, chevaux et désert, tous les ingrédients du péplum sont présents dans cette fresque de 2h30. Le film manque un peu de souplesse mais la musique de Stephen Warbek et les magnifiques costumes lui donnent un bel élan.
Dans la catégorie des films de société, le thème de la famille au bord de l’explosion est toujours récurrent. On ne dira rien de quelques mauvaises tentatives de « faradisation » mais on salue l’audace de Saman Salour qui, avec Rasberry traite de la problématique des mères porteuses dans un pays où la loi religieuse complique les problématiques financières et humaines. La seule femme réalisatrice de cette sélection, Rakhshan Bani Etamad a beaucoup impressionné avec Tales, une promenade contemporaine dans une capitale traversée par les problèmes des femmes, de la misère, de la drogue, des méandres de l’administration et des mauvaises conditions de travail. Un récit tout en fluidité pour faire entrer et sortir les différents personnages et évoquer les tensions actuelles, avec un certain sens de l’humour et de l’à-propos.
On retiendra 13 d’Hooman Seydi, où un jeune adolescent en souffrance, à cause de la séparation de ses parents, cherche dans la rue une attention qu’il n’a plus chez lui. Avec une forme cinématographique originale, le réalisateur souligne la détresse du personnage. Pour son second film, Barf/Neige, Mehdi Rahmani séduit avec le portrait d’une famille autrefois influente qui tente de préserver les apparences, malgré la déroute financière causée par le fils ainé, lors des fiançailles de sa sœur. Unité de lieu, de temps et d’action, de bons acteurs et une fin ouverte : du vrai cinéma populaire, dans le bon sens du terme. Le seul couple heureux de cette sélection, ce sont Parviz Parastouei et Ahou Kheradmand qui l’interprètent pour le réalisateur Mohammad Mehdi Asgarpour dans We have a guest/L’Invité : une vieille maison de famille devenue trop grande, un fils blessé à la guerre et des souvenirs intacts des temps heureux. Un film touchant malgré quelques longueurs.
Lors de la dernière journée de projection, deux films ont été remarqué par les invités présents (journalistes, jurés, marché du film). Today/Aujourd’hui de Seyed Reza Mirkarimi raconte la longue journée d’un chauffeur de taxi taciturne qui accompagne à l’hôpital une jeune femme battue, enceinte et affolée. Parviz Parastouei – encore lui – donne à cet ancien combattant silencieux, une présence aussi forte que douce face à l’hostilité du monde. Enfin, un impressionnant premier film, A Few Cube Meters Love/Quelques mètres cubes d’amour de Navid Mahmoudi. Une histoire d’amour dans les gravats d’une entreprise de recyclage, entre un jeune ouvrier iranien et la fille d’un migrant clandestin afghan. On entre dans le récit sans recours au dialogue mais avec une mise en scène maîtrisée, une belle photo et des jeux de lumière qui mettent de la magie dans cet environnement sordide. Si les questions politiques du film n’ont pas permis à celui-ci de figurer au palmarès final, sa portée universelle et l’excellent travail du réalisateur devraient lui permettre de trouver une reconnaissance internationale.
La gentillesse et le sens de l’hospitalité des organisateurs de ce festival ont tempéré les contraintes d’organisation et la complexité de cette société qui a soif de changement. Si à l’écran on a vu autant de crises familiales, c’est sans doute parce que le pays, comme une grande famille, est secoué par différents courants, entre le désir de modernité et d’émancipation des jeunes, la peur du changement chez leurs parents et la douceur ancestrale représentée par les grands-parents (parfois amnésiques). La qualité de cette sélection du nouveau cinéma iranien, et la large palette des sujets abordés (retour sur les guerres passées, omniprésence du fait religieux, divorce, avortement, alcoolisme, désir d’ailleurs et place de la femme) ne doit pas faire oublier que les réalisateurs louvoient constamment avec la censure. Leur désir est pourtant de faire d’abord du cinéma pour le public iranien et en Iran.
Magali Van Reeth