La Mostra 2016 – Même pas mort!
Comment fait-elle, La Mostra de Venise, avec ses 73 ans la grande vieille dame parmi les festivals , pour garder ce charme envoûtant et cette séduction qui la distingue de l’agitation frénétique qui vous engloutit à Cannes ou à Berlin, cette douce mélancolie dans une atmosphère de fin de saison estivale où se mêlent toujours allègrement gens du cinéma, journalistes, “grand public” cinéphile et les touristes qui viennent pour profiter des plages moins bondées qu’en été?
Certes, le nombre de fidèles qui font chaque année leur pèlerinage sur le Lido a visiblement diminué ces dernières années, et c’est encore plus visible après que le « truck » de l’industrie s’est envolé pour Toronto , au grand bonheur d’ailleurs de tous les accrédités cinéphiles qui dès lors trouvent des places aussi dans les projections réservées à la presse et l’industrie.
Certes, Venise n’a jamais réussi à se doter d’un grand marché , mais elle est présente, l’industrie du cinéma , et surtout celle de l’Italie. Cela dit, elle reste peu visible en dehors des heures de projections sur tapis rouge, car la Mostra aime se retrouver entre soi au splendide hôtel Excelsior, ses jardins et sa plage, à quelques centaines de mètres du palais du festival, ou dans des fêtes le soir dans des endroits somptueux, sur d’autres îles ou à Venise même, dans un va-et-vient discret de bateaux .
Situé entre Locarno, petite étoile montante, et la grand-messe annuelle du cinéma à Toronto, la Mostra semble rester immuable sur son île, loin du bruit et de fureur, le dos tourné à la skyline mythique de Venise qui elle , s’enfonce lentement et inéluctablement dans la vase de la lagune.
Venise célèbre le cinéma, à sa façon, très à l’Italienne (et surtout en italien!) malgré la forte présence de professionnels étrangers, à quelques mètres de la plage où l’on peut siroter son Spritz entre deux projections en toute tranquillité en contemplant les baigneurs de l’arrière-saison qui eux, semblent se moquer de la myriade de grandes stars américaines toujours nombreuses à la Mostra, et qui défilent sous les flashs crépitant des appareils photo sur le petit tapis rouge déroulé devant la Sala grande, où des jeunes filles en robes au décolleté vertigineux avec leurs accompagnateurs en smoking et cheveux gominés qui flânent entre le palais du festival et l’hôtel Excelsior en cherchant des yeux des photographes.
Certes, ici aussi il y a des grappes de jeunes filles assises par terre devant la grande salle depuis le matin qui attendent l’apparition de leurs idoles sur le tapis rouge, mais tout cela reste très bon enfant, dans une ambiance quasiment familiale. Et même les grosses barrières, blocs de béton couverts de grands draps bleus pour faire plus joli , dressées à quelques centaines de mètres de tous les points d’accès au centre du festival et censées empêcher des camions fous d’écraser les festivaliers, ressemblent avec leurs policiers décontractés plutôt à un exercice de style, sans dégager cette menace de danger imminent si pesant en France, dont on se sent si merveilleusement loin ici.
En fait, tout se passe tellement ‘comme toujours ‘que l’on ne prête presque pas attention aux grandes nouveautés architecturales . Pourtant, la nouveauté n’est pas seulement énorme, mais aussi toute rouge, rouge brillant comme du sang frais— la nouvelle salle qui a été érigée à la place du fameux trou béant entouré d’affreuses barrières de chantier pendant ces dernières années et auxquelles on avait presque fini par s’habituer…
Pourquoi tant insister sur le contexte de ce festival? Parce que c’est bien cela, cette ambiance si particulière de la Mostra qui rajoute une valeur supplémentaire à une programmation bien équilibrée entre cinéma d’auteur et films grand public que l’on peut y découvrir ici en toute sérénité et qui donne la raison que l’on reste si attaché à cet endroit — même si beaucoup de films de la compétition partent immédiatement à Toronto, sortent le lendemain en salle ou sont même accessibles pour les journalistes sur des sites en ligne.
Et des grands films il y en avait pleinement encore cette année – tout d’abord en compétition avec deux films français lumineux et sublimes , Frantz, de François Ozon, et Une Vie, de Stéphane Brizé, qui se détachaient nettement du lot, avec The Woman Who Left, l’oeuvre singulière en noir et blanc d’une durée de près de quatre heures de Lav Diaz, tout comme le portait acide de Jackie – la femme de J.F.Kennedy, revu par le grand Pablo Larrain, ou l’excellent El Ciudadano Illustre de Mariano Cohn et Gaston Duprat,venant d’Argentine. En revanche, passons sous silence les films de quelques grands noms comme Wim Wenders, Andreï Kontchalovski ou même le très en vue Mexicain Amat Escalate, tandis que la projection à 22h du dernier opus de Terrence Malick s’était transformée en une véritable séance de torture. Les deux films italiens de la compétition, sans doute pas des chefs d’oeuvres, mais tout à fait regardables, avaient au moins le mérite d’être dépourvus de cette prétention insupportable.
Mais on aurait eu tort de se contenter de ne voir que les vingt films en compétition. Comme chaque année, les sections parallèles – Orrizonti et les Giornate degli Autori – réservaient nombre de bonnes surprises passionnantes venant des quatre coins du monde, comme, pour ne nommer que quelques titres, Malaria,le film audacieux de l’Iranien Parviz Shabarzi sur la vie des jeunes à Téhéran, Sameblod, le premier film d’Amanda Kernell, qui nous fait découvrir le racisme dans les années trente envers les Sami dans le Grand Nord de la Suède et la lutte d’une jeune fille pour réaliser la vie dont elle rêve, ou le film népalais White Sun, de Deepak Rauniyar. qui nous plonge dans la vie de villageois au Népal déchiré par les tensions politiques après la guerre civile. En revanche, la sélection de la Semana de La Critica fut moins convaincante, malgré son ovni punk colombien, le très bruyant Los Nadié, de Juan Sebastian Mesa, qui, avec sa petite troupe de comédiens hauts en couleur, avait au moins réussi à diviser à l’extrême son audience.
Barbara Lorey de Lacharrière
Les Prix de la Fipresci ont été décernés à : Une vie, de Stéphane Brizé (France, Belgique, 2016, 119 min) pour la compétition, et Kékszakállú, de Gastón Solnicki (Argentine, 2016, 72 min, section Orrizonte), pour une première oeuvre dans les sections parallèles
Le jury international présidé par le réalisateur britannique Sam Mendes, a décerné les prix suivants: Lion d’Or du meilleur film:
de Lev Diaz (Philippines); Lion d’argent Grand Prix du Jury: Nocturnal Animals de Tom Ford (États-Unis); Lion d’Argent de la meilleure mise en scène: deux prix remis à Amat Escalante (Mexique) pour La Region salvaje et à Andreï Kontchalovski (Russie) pour Paradise; Prix du meilleur scénario: Noah Oppenheim pour Jackie de Pablo Larrain (Chili); Prix spécial du Jury: The Bad Batch d’Ana Lily Amirpour (États-Unis); Coupe Volpi de la meilleure interprète féminine: Emma Stone dans La la Land de Damien Chazelle (États-Unis); Coupe Volpi du meilleur interprète masculin: Oscar Martinez dans El Ciudada Ilustre de Mariano Cohn et Gastón Duprat (Argentine); Prix Marcello Mastroianni du meilleur espoir: Paula Beer pour Frantz de François Ozon (France); Prix du meilleur film de la section Orizzonti: Liberami de Federica De Giacomo (Italie); Prix du meilleur réalisateur de la section Orizzonti: Fien Troch pour Home (Belgique)