Le 17e Festival International du Film Documentaire de Thessalonique

PosterLe 17e Festival International du Film Documentaire de Thessalonique : Images of the 21st Century

A part des nouvelles sur son économie souffrante sur les chaînes d’information, des brochures de vacances et sa Nouvelle Vague en cinéma, la Grèce contemporaine est mal connue. Même pour moi, venant d’un pays voisin, un festival de documentaires comme celui de Thessalonique peut offrir une image colorée et surprenante.

En tant que membre du jury FIPRESCI, j’ai eu le plaisir de suivre les titres grecs au total au nombre de 17, inclus dans les différentes sections thématiques du festival, sans compter le panorama spécial grec de 46 (!) productions. Il n’y a rien d’étrange à ce que beaucoup de ces documentaires avaient l’air  télévisuel — dans le contexte aggravé de la crise financière, on ne pouvait demander aux 63 titres grecs présentés (sur 191 au total) d’être des chefs-d’œuvre du cinéma d’auteur. Mais télévision ne signifie pas automatiquement « qualité moindre ». Au contraire, les projections de Fascism Inc. d’Aris Chatzistefanou et d’agora – From Democracy To The Market de Yorgos Avgeropoulos, de la section panorama grecque, se sont avérées  très suivies. Les deux réalisateurs sont des journalistes respectés avec une filmographie documentaire excellente de sorte que leur budget a pu être facilement bouclé grâce au financement participatif. Pour cette raison, Fascism inc. peut être regardé gratuitement en ligne [http://infowarproductions.com/fascism_inc/], avec des sous-titres français, et je vous recommande fortement les deux titres précédents du même auteur. Ces films sont une introduction appropriée au point de vue spécifique des Grecs sur la politique et la crise mondiale.

En fait, la plupart des documentaires vus au festival parlent très peu de politique. Cependant, il y avait des «films politiques», comme  The fish on the mountain, de Stratoula Theodoratou, mais il appartient à un groupe de titres qui, généralement de façon télévisuelle, se saisit d’un problème urgent (ici l’industrie navale), puis « balance » au spectateur les faits, la douleur et la frustration. Dans cette catégorie, on peut retrouver aussi Emery Tales de Stelios Efstathopoulos & Susanne Bausinger (sur l’extraction de l’émeri aux Cyclades) et Milad – My Planet… de Menelaos Karamaghiolis (sur les immigrés clandestins).

Une perspective beaucoup plus variée fut offerte par deux titres de la section Habitat – In The Nest Of Time de Alexandros Papailiou et Leaving Is Living de Laura Maragoudaki. In The Nest Of Time  se concentre sur plusieurs jeunes écologistes travaillant dans différents domaines de la protection environnementale. Leurs choix de vie sont présentés comme la norme, et leur travail comme le plaisir, ce qui rend le film agréable à regarder. Encore plus dynamique et estimable est mon film favori grec du festival, Leaving Is Living, qui suit le braconnage des tourterelles pendant leur période de migration au printemps. Concis et pince-sans-rire, le film pénètre la culture de la chasse et sa signification aujourd’hui, ainsi que le modèle de « business-as-usual » en Grèce.

Mais les grandes trajectoires sont également vitales pour le cinéma documentaire. Il est donc louable que certains auteurs grecs n’hésitent pas à relever le défi. Un Condor de Yannis Kolozis est une invitation à voyager au Chili avec le protagoniste du film, réfugié politique en Angleterre. A Place For Everyone d’Angelos Rallis & Hans Ulrich Gοessl célèbre discrètement le vingtième anniversaire du génocide au Rwanda. The New Plastic Road d’Angelos Tsaousis & Myrto Papadopoulos nous emmène au Tadjikistan, où le commerce avec la Chine est  en plein essor actuellement. Pure Life, de Panagiotis Evangelidis, à son tour, examine les outsiders à Barcelone, en attaquant la plupart des préjugés des Balkans sur la culture gay et l’industrie porno.

No 874846Bien sûr, l’exception confirme la règle — la plupart des films grecs continuent traiter du territoire et de l’histoire de la Grèce, en optant pour un format et style classique. Deux titres ont été présentés dès le début comme très importants, surtout par nos collègues grecs : The Archaeologist de Kimon Tsakiris et Hail Arcadia de Filippos Koutsaftis. Les deux sont une réflexion sur la crise de l’État moderne, qui devrait autant se préoccuper de la prospérité économique que de la protection des ressources archéologiques et culturelles et du bien-être du peuple. De ces deux lectures, Hail Arcadia a remporté le prix FIPRESCI, probablement à cause de sa sensation d’exhaustivité et d’urgence au niveau du sujet, malgré sa mise en scène traditionaliste.

En parlant de traditions, je voudrais mentionner deux grandes leçons d’histoire : Escape From Amorgos, de Stelios Kouloglou et Kostis Palamas – The Supreme Flower In Greek Literature, de Stamatis Tsarouchas, qui se voudrait sérieux en théorie, mais se révèle comique dans la pratique pour son révisionnisme historique. Olympia de Stavros Psillakis et Mana de Valérie Kontakos m’ont fait réfléchir sur la façon dont le christianisme orthodoxe se confrontait avec l’identité nationale en Grèce, une oeuvre qui ajoute des aspects intéressants au débat sur la laïcité en France et au-dehors.

C’est pour cette raison que le cinéma documentaire est le meilleur ambassadeur d’un pays, celui qui initie de nouvelles conversations!

Yoana Pavlova

Guadalajara 2015


Viva Mexico

par Barbara Lorey de Lacharrière

Le Festival Internacional de Cine en Guadalajara (Festival International du Film de Guadalajara,  6-15 Mars 2015), dont on célébrait cette année le 30e anniversaire, est considéré comme l’une des vitrines les plus importantes du monde pour la promotion et la distribution des films mexicains et latino-américains. Soutenu par l’Université de Guadalajara, l’Institut mexicain de cinématographie (IMCINE), le Conseil national pour la culture et les arts (CONACULTA), le gouvernement de l’État de Jalisco, les villes de Guadalajara et Zapopan, le festival, sous la direction d’Ivan Trujillo, a pris ces dernières années une ampleur considérable .

Sans titreLe temps fort des sections officielles incluant  les deux programmes de compétition  de long métrages de fiction et de documentaires ibéro-américains (16 films chacun), une  section très riche de courts métrages et le Premio Maguey, compétition du Queer cinema (18 films) — est naturellement le prix Mezcal pour le meilleur premier film mexicain. Ce prix est  choisi par un jury  assez particulier composé de jeunes étudiants et d’enseignants venant du Mexique entier.

Cette année, la section Mezcal présentait un mélange très éclectique et inégal de 22 premiers longs métrages et de documentaires réalisés non seulement au Mexique mais aussi par des réalisateurs mexicains travaillant à l’étranger (en l’occurence l’Irlande, Royaume-Uni et Australie). Et même un long métrage d’animation pour enfants au message pédagogique mais ludique en faisait partie. C’est également dans cette section de films‚ Made in Mexico que le jury FIPRESCI devait choisir notre lauréat.

Stars, paillettes et Red Carpet 

Evidemment, les grands moments du festival étaient des hommages rendus à la délicieuse  Victoria Abril, à l’icône du cinéma mexicaine, la grande Isela Vega, au célèbre réalisateur mexicain et fondateur du festival, Jaime Humberto Hermosillo et au producteur-réalisateur Guillermo del Toro.

Del Toro, né à Guadalajara, qui a dirigé une master-class pour les étudiants du Talent Campus, a d’ailleurs provoqué une controverse lors de sa conférence de presse avec sa critique acerbe de l’insécurité et de la décomposition sociale dans son pays d’origine, où il dit même craindre pour sa propre sécurité.

Mais curieusement, la violence politique et sociale au Mexique, qui a fait plus de 100.000 victimes au cours des dernières années, n’est que rarement présente dans les films des jeunes réalisateurs mexicains que nous avons vus, à l’exception du thriller très efficace sur fond de trafic d’armes de Gabriel Ripstein, 600 Miles (600 Millas), et, bien moins réussi, de When the three 0’clock comes (Cuando de las tres), de Jonathan Sarmiento, dont le huit clos, maladroitement mis en scène, de guérilleros désabusés se veut une dénonciation virulente de l’inaction du gouvernement face à l’oppression et au crime organisé.

Le pays invité cette année était l’Italie avec la présentation d’une très belle sélection de 34 films. Malheureusement, le très attendu invité d’honneur, Bernardo Bertolucci, a dû annuler sa visite à la dernière minute en raison de problèmes de santé et n’a donc pas pu recevoir en personne le Golden Mayahuel Award pour l’ensemble de son oeuvre.

Guadalajara – plus qu’un festival du film

Le marché du film, qui s’efforce de devenir le plus grand événement de l’industrie cinématographique en Amérique latine, a organisé plusieurs réunions pour développer la participation et la coopération sur de nouveaux projets et pour aider à la création de nouveaux canaux de promotion et de financement du cinéma international: ceux-ci incluent les rencontres de co-production ibéro-américaines, la promotion de soutien européen de la vente des films et le Talent Campus, une vraie réussite depuis sept ans maintenant, co-organisé avec la Berlinale.

Un autre point fort du festival fut la projection de Film4Climate, sujet très à la mode et soutenu par la Banque mondiale, qui relie cinéma et changement climatique. Ce sujet brûlant a d’ailleurs inspiré le directeur du festival, Ivan Trujillo, à supprimer à l’avenir, 50% des publications imprimées.

Certes, le choix fait il y a quelques années de déplacer le centre du festival et les principaux lieux de projection du coeur de la ville vers la banlieue monotone de cette deuxième plus grande ville du Mexique, au grand Parc des Expositions et à l’hôtel Hilton juste en face, permet d’avoir à disposition les grandes espaces nécessaires pour développer avec succès le marché et ses diverses activités telles que les réunions de co-production et des ateliers. En revanche, pour les jurys et les invités il était assez laborieux à cause de la circulation pour se rendre aux différents lieux de projection – à savoir deux multiplexes dans des centres commerciaux à l’autre bout de la ville, et un théâtre étonnamment bien équipé dans un bâtiment de l’université. En outre, la salle de projection improvisée installée dans l’Expo, juste à côté du bruyant tohubohu du marché du film, ainsi que celles dans les deux salles de conférence de l’hôtel,  étaient peu adaptées à des projections de films.

Mais l’accueil chaleureux et la grande gentillesse des bénévoles et des organisateurs ainsi que les fêtes généreusement arrosés de tequila, organisées presque chaque nuit, ont compensé un peu la  frustration de se sentir déconnecté de la vie réelle de la ville.

Les  Prix

BreakVers la fin  du festival, les fortes pluies plutôt inhabituelles  qui se déversaient sur Guadalajara n’ont cependant pas pu  gâcher l’ambiance festive de la soirée de clôture, avec une cérémonie de remise des prix très plaisante et parfaitement organisée,  et une énorme fête,  déménagée en urgence dans un lieu abrité.

Le jury du prix Maguey, qui célèbre  sa quatrième édition de « queer cinema» dans cette ville abritant l’une des plus grandes communautés LGBTTTI du Mexique, a récompensé le film suédois Something must break (Nanting måste gå sönder) d’Ester Martin Bergsmark ,

Dans la section documentaire ibéro-américain, le prix a été décerné au film chilien, Tea Time (La Once), de Maite Alberdi, alors que le scénariste-réalisateur guatémaltèque Jayro Bustamente a reçu deux prix, pour Volcan Ixcanul (Ixcanul) – meilleur film ibéro-américain et meilleur réalisateur. Le film a été d’ailleurs récompensé par le Prix Alfred Bauer un mois plus tôt à la Berlinale.

Le prix du meilleur premier film dans la section ibéro-américain a été attribué à  l’argentin Sebastian Schindel pour The Boss, Anatomie of a crime (El Patrón, radiografía de crimen). Et le mexicain Celso Garcia  est reparti avec pas moins de quatre prix, celui du meilleur scénario, un prix spécial du jury de fiction ibéro-américain, le prix du public ainsi que le prix de la critique mexicaine pour son premier film The Thin Yellow Line (La Linea Delgada Amarilla), un petit bijou doux-amer, magistralement filmé, et produit par Guillermo de Toro.

Enfin, le Prix Mezcal est allé au drame poignant sur fond de trafic d’armes de Gabriel Ripstein 600 Miles (600 Millas), avec Tim Roth en agent de l’ATF qui est enlevé par un jeune trafiquant  mexicain; (il a également reçu le prix du meilleur premier long métrage à la Berlinale 2015.)

Dernier mais non le moindre, notre Prix FIPRESCI a été  décerné à l’unanimité au premier long-métrage documentaire de la cinéaste argentino-mexicaine Natalia Bruschtein, Temps Suspendu (Tiempo Supsendido), un film « qui éclaire la tragédie des «disparus» en Argentine dans les années 1970 à travers l’histoire d’une femme qui se bat pour préserver la mémoire nationale alors même que sa propre mémoire se dérobe “. Il a également reçu le prix spécial du jury de la compétition documentaire ibéro-américain.

Barbara Lorey de Lacharrière

Berlin 2015: félicitations au jury!

Comme l’aurait dit Rabelais, le jury de la 65ème édition de la Berlinale présidé par Darren Aronofsky aura su extraire la « substantifique moelle » d’une sélection en dents de scie.

La belle composition du jury pouvait, en vérité, laisser augurer d’un excellent palmarès. Sous la houlette de Darren Aronofsky, qui le présidait, siégeaient parmi d’autres rien moins que Matthew Weiner, l’auteur de la célèbre série télévisée Mad Men, dont on sait qu’il ne s’en laisse pas compter, mais aussi la productrice italienne Martha De Laurentiis. Il y avait aussi la réalisatrice péruvienne Claudia Llosa, une habituée des prix de la Fipresci, de la critique internationale et Audrey Tautou pour la France, bref, du beau monde.

Or, alors que la compétition avançait, il apparut de plus en plus que les films des cinéastes les plus « reconnus » décevaient plus ou moins.  En particulier, le Queen of the desert tant attendu de Werner Herzog ne parvint jamais à faire oublier le Laurence d’Arabie de David Lean malgré la similitude des prémisses et l’intérêt potentiel d’avoir fait du héros une héroïne. Nicole Kidman y incarne un personnage historique qui a probablement eu autant d’influence que Laurence d’Arabie, Gertrude Bell, une Anglaise féministe avant la lettre qui rayonna à dos de dromadaire à l’orée du 20° siècle à travers tout le Moyen-Orient, par fascination pour les tribus bédouines qui se le partageaient. Mais la mise en scène de Herzog, de façon surprenante, est extrêmement convenue, d’un classicisme étonnant pour le génie créateur de Fitzcaraldo ou de L’Enigme de Kaspar Hauser. En outre, l’effort du compositeur Klaus Badelt pour reprendre certaines des sonorités de Maurice Jarre dans le film de David Lean ne fait qu’ajouter à l’envie de revoir « l’original », en quelque sorte. Une autre déception fut le pastiche de Terence Malick par lui-même, en quelque sorte. Son Knight of cups dévoie une incontestable maîtrise de la caméra au service d’un scénario inexistant et même incompréhensible où Christian Bale, Cate Blanchett et Nathalie Portman en sont réduits à incarner des silhouette quasiment muettes se promenant devant la caméra de Malick.

TaxiBref, le jury sut ne pas s’arrêter à ces quelques déceptions venant de noms très attendus, et ne pas hésiter à aller chercher plus loin son palmarès. Il décerna ainsi à juste titre sa récompense supr Profitant du cadre fourni par un volcan actif où se situe le film, Bustamante nous fait comprendre la valeur r Jayro Bustamanteême, l’Ours d’Or, à un long métrage fait pourtant de bric et de broc, le Taxi de l’Iranien Jafar Panahi, dont on sait qu’il est théoriquement interdit de tournage dans son pays. Lui-même présent dans son film en chauffeur d’un taxi, Jafar Panahi a monté une caméra dans cette voiture, et en a fait son studio ambulant, en quelque sorte. Il est ainsi parvenu à composer une œuvre cinématographique en juxtaposant avec bonheur des saynètes constituées par les passagers qui hèlent la voiture pour composer un kaléidoscope vif et bien ajusté de l’Iran d’aujourd’hui. Darren Aronofsky et ses jurés furent d’ailleurs ici rejoints par le jury Fipresci de la Critique Internationale qui décerna également son prix pour la compétition à Taxi.

Le jury officiel continua à se détourner, à juste titre, nous semble-t-il, des valeurs « classiques » de la compétition, pour la plupart de ses autres prix. L’Ours d’Argent, son « Grand Prix », le dauphin de l’Ours d’Or, revint en effet à El Club, du cinéaste chilien Pablo Larrain, une sobre et nette introspection sur le catholicisme latino-américain aujourd’hui. L’Amérique Latine fut d’ailleurs à l’honneur puisque l’Ours d’Argent spécial « Alfred Bauer » est revenu au touchant Ixcanul, sans doute l’une des meilleurs surprises de la Berlinale 2015, une coproduction entre le Guatemala et la France réalisée par Jayro Bustamante. Profitant bien du cadre particulier fourni par un volcan actif au pied duquel se situe le film, Bustamante nous fait comprendre la valeur de la culture autochtone en la confrontant à la civilisation nord-américaine à travers les yeux du périple initiatique d’une jeune fille d’ascendance Maya. Toujours l’Amérique Latine au palmarès, enfin, pour le prix du meilleur scénario décerné au vétéran Patricio Guzman pour El Bóton de Nacár.

45 yearsParmi les autres récompenses décernées par le jury, on signalera encore l’astucieux octroi des deux Ours d’Argent de la meilleure interprétation au splendide duo d’acteurs formé par Charlotte Rampling et Tom Courtenay dans l’émouvant 45 Years du britannique Andrew Haigh, qui suit minutieusement, à petites touches, la décomposition implicite d’un couple âgé lorsque le corps de l’ancienne petite amie du mari, disparue à la suite d’un accident, est retrouvé après un demi-siècle. Le jury sut aussi saluer le tour de force réalisé par le directeur de la photographie Sturla Brandth Grœvlen qui tourna  Victoria de Sebastian Schipper en un seul plan de … 2 heures et 20 minutes! On y suit en temps réel à la lueur glauque de la nuit finissante un groupe de petits voyous berlinois qui commettent un « casse » accompagnés d’une jeune espagnole rencontrée par hasard. Grœvlen méritait cet Ours d’Argent, même si l’idée du plan unique revenait à son réalisateur-scénariste, dont le script était un peu trop décousu.

Au-delà de la compétition

Comme à l’accoutumée, le Festival de Berlin, qui se veut un festival populaire, avec plus de 300.000 spectateurs dans ses salles chaque année, a frappé par la qualité et le nombre de ses cinéphiles payants, puisqu’il accueille le public dans quasiment toutes les projections de ses sections officielles, mis à parts un nombre réduit de séances limitées à la Presse. C’est dire qu’outre la grande salle Marlène Dietrich, les répétitions de la compétition, par exemple, dans l’immense FriedrichPalast situé au cœur de l’ancien Berlin Est, furent bondées, tout comme celles de la section « Panorama », dirigé par Wieland Speck, qui fait ses premières au beau « ZooPalast » rénové depuis l’an dernier, l’ancien quartier général de la Berlinale, lui à l’Ouest de la ville. On y vit, entre autres, dans ses diverses programmations, les derniers films de Gabriel Ripstein (600 Millas), de Rosa von Praunheim, bien sûr, un habitué de la section (Härte), le dernier film de Raoul Peck, Meurtre à Pacot ou Ned Rifle, l’attachant film en forme de « Chronique d’un meurtre annoncé » de Hal Hartley. Les salles du « Forum International du Jeune cinéma », l’autre grande section historique du Festival, dirigée par Christoph Terhechte depuis que son fondateur, Ulrich Grégor, a passé la main, ne déparèrent pas non plus. Le jury de la Fipresci décerna son prix pour le Forum à Il gesto delle Mani, de l’italien Francesco Clerici, n’hésitant pas à saluer ici un documentaire presque calligraphique sur une fonderie de bronze traditionnelle établie depuis 1913 à Milan.

Les Professionnels aussi

Mais il ne faut pas oublier que le Festival de Berlin, c’est aussi le premier rendez-vous de l’année des professionnels du cinéma du monde entier, désireux d’y nouer des affaires avant le rush cannois du mois de mai, où au contraire d’y découvrir des gemmes avantIMG_0420 que d’autres ne les voient plus tard. A cet égard, la réussite du travail de longue haleine de Beki Probst, l’ancienne directrice et maintenant  Présidente du « Marché Européen du Film », est manifeste. On y a compté cette année la bagatelle de 8.500 professionnels accrédités, en provenance de 100 pays, dont 1.568 acheteurs. 748 films, le plus souvent différents de ceux des sections « publiques » y furent montrés en 1.014 séances! Même l’espace physique dédié au Marché s’est étendu, plusieurs étages de l’hôtel Marriott complétant maintenant le quartier général du Martin Gropius Bau. Un signe clair de ce succès, d’ailleurs, est le fait qu’Unifrance a dû réduire l’espace de détente de son stand pour accueillir plus de sociétés en son sein.

Ajoutons que le Festival, c’est aussi une multitude d’événements parallèles, comme par exemple le tremplin aux jeunes acteurs européens fourni par l’opération « Shooting Stars » de l’European Film Promotion, l’organisme de promotion fédérateur de ses homologues nationaux européens. Pour la première fois, une petite section de la Berlinale était consacrée… aux séries télévisées, montrant que Dieter Kosslick, le maître d’œuvre du festival, n’oublie pas de suivre l’évolution de la culture moderne, la présence au jury de Matthew Weiner en ayant été un autre signe.

Philippe J. Maarek

Nous sommes tous Charlie

Communiqué de Presse de l’Union des Journalistes de Cinéma du 7 janvier 2015

L’Union des Journalistes de Cinéma condamne avec force l’attentat contre Charlie Hebdo, attentat contre la vie, attentat contre la libre expression, attentat contre les journalistes, et exprime sa solidarité aux familles des victimes. Nous sommes tous Charlie.

Toronto 2014: le retour des acteurs-stars !

Pour sa 39° édition, le Festival International du Film de Toronto (TIFF) a continué à croître tout en semblant tester de nouvelles initiatives afin de préparer son 40° anniversaire, l’an prochain.

Avec la programmation cette année de 393 courts et longs métrages en provenance de 79 pays (dont 143 premières mondiales), avec la présence de plus de 5.000 professionnels venant de 80 pays, Piers Handling, directeur de la manifestation, et Cameron Bailey, son directeur artistique, appuyés par Michelle Maheux, la Directrice exécutive du Festival, ont battu une fois de plus leurs propres records, faisant ainsi à nouveau de Toronto le vrai carrefour du cinéma de la rentrée de septembre. Une fois de plus, le festival a su offrir à son chaleureux public aussi bien une importante sélection des meilleurs films présentés dans les autres manifestations cinématographiques mondiales tout au long des mois précédents qu’un important ensemble de films inédits – d’où l’intérêt des nombreux professionnels présents.

THE IMITATION GAMENon compétitif, le Festival de Toronto attire beaucoup de producteurs, et notamment ceux d’Amérique du Nord, qui s’en servent comme une projection test, une « sneak-preview » officielle, en quelque sorte. Ils évitent ainsi de risquer les jugements à double tranchant des palmarès des compétitions officielles vénitiennes ou autres. En l’absence de jurys, il y a tout de même quelques prix, mais un seul y marque véritablement les esprits, le prix du public, le « Groslch People’s Choice Award », décerné par vote dans des urnes à la sortie des projections. C’est le film très attendu de Morten Tyldum The Imitation Game, qui en a été le récipiendaire cette année. Certes de facture un peu convenue, il met en scène la vie de Alan Turing, le mathématicien prodige britannique qui parvint à déchiffrer les méthodes « Enigma » de codifications militaires nazies durant la Seconde Guerre Mondiale, mais qui eut une fin tragique, du fait de la révélation de son homosexualité, à une époque où celle-ci constituait encore un crime en Grande-Bretagne. Le film vaut surtout par la magnifique prestation de Benedict Cumberbatch, la révélation de Le Hobbit : La Désolation de Smaug et qui tient actuellement la vedette de la série télévisée Sherlock. The Imitation Game le voit bien parti pour un Oscar de la meilleure interprétation masculine. On parle même aussi de celui du meilleur second rôle féminin pour la belle prestation de Keira Knightley, dans une manifestation qui est connue comme une des meilleures rampes de lancement pour l’obtention de la célèbre statuette…

Seules véritables concessions au parti-pris non compétitif du Festival, des prix sont remis par deux jurys aux meilleurs films canadiens, afin de défendre la cinématographie locale. Ils revinrent cette année à Félix et Meira, du Québécois Maxime Giroux pour le long métrage, à Jeffrey St Jules pour Bang Bang Baby, en tant que premier long métrage, et à Randall Okita pour The Weatherman and the shadowboxer, pour le court-métrage. Notons que la Critique Internationale, la Fipresci, décerne également deux prix à Toronto. Son prix pour la section « Découvertes » est revenu à Qu’Allah bénisse la France, de Abd Al Malik. Quant au prix de la Fipresci pour le meilleur film de la section « Présentations spéciales », il a été remis à Time Out of Mind, de Oren Moverman, là encore un film porté par son acteur principal, ici Richard Gere.

Le retour des acteurs-stars

JUDGE, THELe millésime 2014 du Festival de Toronto a d’ailleurs semblé marquer le grand retour des acteurs de premier plan dans le cinéma mondial, plusieurs autres films ayant aussi été littéralement survoltés par la performance de leurs acteurs principaux. C’est ainsi le cas de Nightcrawler, de Dan Gilroy, littéralement transcendé par une performance hallucinante de Jake Gyllenhaal, sans qui le film aurait sans doute tourné vers la banalité d’un film noir à la trame relativement ténue. De même dans The Judge, de David Doblin, le beau duo formé de Robert Downey Jr et de Robert Duvall fait oublier la minceur du scénario. Citons encore Wild Thing, de Jean-Marc Vallée, qui n’existerait sans doute pas aussi fortement sans le travail sur elle-même de Reese Witherspoon, dans un contre-emploi fort réussi qui l’éloigne des rôles qui avaient initialement fait sa célébrité. On a aussi fort remarqué la magnifique performance de  Nina Hoss dans Phoenix, un film brillant dont on se demande comment il a pu passer inaperçu par les sélectionneurs des grands festivals compétitifs de l’année écoulée! Nina Hoss y tourne à nouveau sous la direction de Christian Pietzhold qui l’avait déjà si bien dirigée dans Barbara. Elle emporte ici superbement la conviction dans un double rôle dramatique où, de retour des camps de concentration allemands, non reconnue par son ancien mari qui l’a peut-être trahie parce qu’elle est juive, elle est incitée par celui-ci à incarner… sa propre identité, car il veut toucher son héritage. Un sujet difficile, traité avec tact et brio, aussi bien du point de vue scénaristique que de celui de la mise en scène, et, bien sûr,  de celui de l’interprétation de Nina Hoss.PHOENIX

Cette année, le Festival de Toronto a semblé tester deux nouvelles initiatives, sans doute pour les reprendre pour son 40° anniversaire en cas de succès. La première initiative, incontestablement réussie, a été d’augmenter encore la synergie réalisée de longue date avec la population de la ville, en organisant une véritable fête populaire le long de la rue King qui borde son quartier général, le Bell Lightbox, et ses deux salles de Gala, le Roy Thompson Hall et le Princess of Wales. Une portion de la rue devint piétonnière à leur niveau pendant tout le premier week-end du festival. Tables de restaurant ou de pique-nique, amuseurs et stands d’alimentation ou de jeux divers, en firent un véritable événement populaire. La seconde initiative, en revanche, fut plus contestée, et son sort semble incertain. Las de voir quelques premières nord-américaines lui échapper au profit du Festival de Telluride, qui le précède de quelques jours, le Festival avait en effet décidé de ne programmer ces films qui n’étaient de ce fait plus de « véritables » premières qu’après son premier week-end, à partir du cinquième jour. De ce fait, le bouche-à-oreille qui propulse habituellement achats et ventes de films par les professionnels fut bien plus lent qu’à l’ordinaire, puisque plusieurs des « locomotives » les plus attendues, comme ne commencèrent à être projetées que le lundi ou le mardi… après que nombre de professionnels soient repartis, la crise économique faisant que la présence pendant toute la durée du festival est devenue trop coûteuse, à Toronto comme à Berlin ou Cannes. En revanche, les cinéphiles torontois ne se plaignirent pas de cette innovation, bien sûr, puisqu’ils purent ainsi aller de découverte en découverte tout au long du festival, au lieu d’avoir à faire des choix cornéliens durant le premier week-end, remplissant ainsi aussi bien les salles des Galas que toutes les autres, sans oublier la section « Midnight Madness » (« Folies de Minuit »). Il y eut même d’ailleurs cette année pour la première fois à Toronto une section dédiée aux courts-métrages.

La sélection française, avec 55 films, menée par l’élégance de Juliette Binoche dans Sils Maria d’Olivier Assayas et par celle de Catherine Deneuve dans Trois Cœurs de Benoit UnifranceJacquot, n’a jamais été aussi importante, comme l’a bien montré l’affluence sur le stand d’Unifrance qui la coordonnait et la réussite de sa réception, sans aucun doute l’une des plus courues par les professionnels présents à Toronto. De son côté, l’organisme de promotion intereuropéen « European Film Promotion  » organisa à nouveau cette année à Toronto son « Producers Lab », plate-forme de rencontre entre dix producteurs européens, dix de leurs homologues canadiens et quatre australiens et Néo-Zélandais.

On signalera enfin que l’installation du Festival dans ses propres locaux, le « Bell Lightbox », un bâtiment tout neuf construite en grande partie à l’aide d’un financement par donations, est maintenant bien rodée, tout comme le regroupement de la manifestation dans la partie sud de la ville, après des années d’errance et de dispersion dans des salles réparties aux quatre coins de la ville. Il en profite maintenant pour se diversifier dans diverses manifestations de promotion du cinéma tout au long de l’année, à commencer par de belles expositions,  Celle dédiée à Stanley Kubrick dès cet automne succédera à celle consacrée à David Cronenberg l’an dernier.

Philippe J. Maarek

Venise 2014 : Quelques impressions

«  Veilleur, où en est la nuit  ?  » Miroir privilégié du monde contemporain, le cinéma nous renvoie une fois de plus une image plus déprimante que flatteuse : les guerres et les violences occupent une large place. Beaucoup de films sont durs, comportant des scènes éprouvantes à voir. Le génocide arménien et ses conséquences de malheurs et d’exils (The Cut de Fatih Akin), les massacres perpétrés en Indonésie en 1965 (The look of silence documentaire saisissant de Joshua Oppenheimer déjà connu pour The act of killing), la guerre d’Algérie (Loin des hommes de David Oelhoffen)la guerre en Afghanistan par drones interposés (Good kill d’Andrew Nicoll) le paroxysme étant atteint par un film japonais insoutenable (Nobi de Tsukamoto). La mafia est au coeur de la tragédie familiale racontée par le film italien Anime Nere et les problèmes de société sont largement évoqués comme la solitude d’un vieux misanthrope (Manglehorn de David Gordon Green), la dérive d’une jeune femme obsédée par une idéologie végétarienne (Hungry hearts), ou le scandale immobilier consécutif à la crise des subprimes aux USA (99 homes).

look of silenceCes toiles de fond tragiques n’empêchent pas les qualités narratives et esthétiques. Ainsi The look of silence a été doublement salué par le Grand Prix du jury et le Prix Fipresci. D’autre part certaines histoires fort attachantes sont remarquablement jouées  : les deux protagonistes de Hungry hearts ont bien mérité leur récompense au palmarès et l’évolution psychologique et morale du personnage principal de 99 homes a retenu l’attention du jury Signis qui lui a accordé une mention spéciale. La fresque historique soignée Il giovane favoloso, biopic du grand poète Giacomo Leopardi, ignorée des palmarès, avait été remarquée de nombreux critiques.

A noter que le cinéma français était bien représenté  : 4 films en sélection «  Venise 71ème  ». Loin des hommes (Prix Signis) inspiré d’une nouvelle d’Albert Camus met le projecteur de façon explicite sur les valeurs humanistes qui transcendent les différences de cultures et de religions. Dans La rançon de la gloire, Xavier Beauvois convoque habilement l’ombre du grand Chaplin pour nous raconter l’aventure tragi-comique de deux pieds nickelés  ; Dans 3 cœurs, Benoit Jacquot dirige des acteurs inspirés. Enfin l’espoir fait une entrée discrète avec Le dernier coup de marteau d’Alix Delaporte. Nous retrouvons avec bonheur les 2 acteurs (Clotilde Hesme et Grégory Gasdebois), qui avaient porté son 1er film Angèle et Tony, associés à un nouveau venu (Romain Paul) dans le rôle sensible d’un adolescent partagé entre révolte et tendresse. Le jury d’Alexandre Desplats ne s’y est pas trompé qui lui a accordé le Prix Marcello Mastroianni du meilleur jeune acteur. C’est ce film qui apporte au spectateur une vraie lumière plus que l’humour grinçant, très nordique, de l’étonnant «  Pigeon posé sur une branche s’interrogeant sur l’existence  » du réalisateur suédois Roy Anderson qui, à la surprise générale, emporta le Lion d’or.

Michèle Debidour

Soutien au cinéma « Le Capitole » d’Uzès

Communiqué de Presse de l’Union des Journalistes de Cinéma du 23 juin 2014

L’Union des Journalistes de Cinéma (UJC), attachée à la diversité du formidable maillage des salles de cinéma en France, s’inquiète des menaces qui pèsent sur l’avenir du cinéma « Le Capitole » situé à Uzès, dans le Gard. La fermeture de ces trois salles constituerait un véritable recul culturel. C’est pourquoi, à l’instar de plus de 80 personnalités du cinéma et de la culture, dont Edgard Morin, Jeanne Moreau, Costa Gavras, Nathalie Baye, Rithy Panh ou Catherine Breillat, l’UJC demande à la municipalité d’Uzès de rétablir la totalité de la subvention du Capitole., essentielle à sa survie.

Onze jours en mai…

Ce fut mon… 34e festival de Cannes, eh oui ! Enfin le premier, en 1982, je n’étais pas critique mais photographe, pour l’édition quotidienne du Film français. C’étaitd’ailleurs une très bonne manière de découvrir les lieux,et leurs coulisses, mêmes si pratiquement tout devait changer ensuite : c’était la première année de Jack Lang (qui ne quittait pas d’une semelle le président du jury, Giorgio Strehler, impressionnant) et la dernière année de l’ancien palais, du moins comme lieu de la compétition officielle. Mes obligations de photographe m’avaient empêché de voir des films cette année là sauf, mon devoir accompli, l’ultime film en compétition, stridence et enchantement du Passion de Jean-Luc Godard, puis la toute dernière séance officielle qui se soit donné dans la vénérable bâtisse, soirée de clôture avec E.T. en première mondiale, et Steven  Spielberg les baskets sur la rambarde du balcon d’une salle enthousiaste. Pas mal pour commencer.

J’ai loupé l’année 1983, depuis je n’ai plus raté ne serait-ce qu’une journée. Avec toujours ce sentiment étrange en écoutant tant de festivaliers se plaindre d’à peu près tout et de son contraire. J’ai dû entre-temps fréquenter aussi quelque 150 autres festivals de part le monde, souvent avec plaisir, il n’y a en a aucun où je sois assuré à l’issue de la manifestation d’avoir vu en si peu de temps autant de bons films, ni rencontré autant de gens que je suis content de voir, et qui pour beaucoup vivent au loin le reste de l’année. Au risque de passer pour un ravi de la crèche, il m’est impossible de me plaindre de Cannes en tant que tel, et j’écoute chaque année avec un certaine perplexité de bons camarades m’expliquer que non, cette fois, c’est moins bien que l’an dernier, qu’il s’agit d’une édition plutôt moyenne, qu’à l’évidence les grands films ne sont pas là.

Assurément ils n’y sont pas tous, il y a même souvent un, deux, trois film essentiels découverts dans un autre festival, ou hors festival. Mais sauf erreur, il n’est possible nulle part ailleurs de découvrir un nombre aussi élevé de films véritablement significatifs, mémorables, et d’une réelle diversité. Et cela de manière continue, année après année, depuis plus de 30 ans.

Assurément cela n’empêche pas de déceler des disfonctionnements, de vouloir faire des propositions, de chercher ce qui peut être amélioré. Ce ne peut être, selon moi, que des ajustements, des rééquilibrages. Comme d’ailleurs le système mixte public-privé du cinéma en France dans son ensemble, système dont il est une composante en même temps qu’une vitrine, le Festival de Cannes court surtout le risque de dévoiement de ses qualités, la routine ou l’exagération de ce qui était à l’origine un élément bénéfique tendant naturellement soit à croitre exagérément soit au contraire à s’étioler : c’est la caractéristique même des organismes vivants.

Festivalier blanchi sous le harnais, j’ai aussi appris à ne pas souffrir plus que de raison d’un palmarès avec lequel je suis en désaccord au moins deux fois sur trois – et comme j’étais enchanté de celui de l’an dernier, il était plus que prévisible que celui de cette année me paraitrait navrant, ce qui fut le cas. Nul ne peut prévoir ce qui émergera d’un jury, dont la composition répond à une logique inextricable : la première fonction du jury à Cannes n’est pas de décider des récompenses, mais d’être à Cannes, et si possible de monter les marches un nombre de fois aussi élevé que possible. Sa composition doit donc permettre le rayonnement glamour et l’affichage d’une diversité qui sont des garanties majeures de la puissance du festival, et donc de sa capacité à aider des films. Ceux qui ne voient pas que la présence de Wilhem Dafoe et de Carole Bouquet sur le tapis rouge fait partie de ce qui permet la reconnaissance internationale de Naomi Kawase ne comprennent rien au Festival de Cannes. Ensuite, ces personnalités brillantes et totalement hétérogènes, qui entretiennent avec les cinémas du monde des relations extrêmement variées (y compris la totale ignorance) se retrouvent à devoir prendre une décision très complexe. Pas étonnant qu’on se retrouve avec des palmarès quei ressemblent à monstres bizarres – je ne parle pas ici de choix différents de mes goûts, c’est une autre affaire, mais de palmarès incohérents ou illisibles. C’est à peu près inévitable.

CannesLes jours d’optimisme, je me dis qu’il serait peut-être heureux de rétablir un usage éliminé il y a une vingtaine d’années, à savoir la présence d’un critique parmi les jurés. Non pas que les critiques aient meilleur goût que qui que ce soit – grand dieu non ! – mais disons qu’il est possible d’espérer que, par formation, il lui soit possible de faire partager aux autres membres du jury une perception d’ensemble, disons, au sens très large, un «discours» sur le cinéma tel que la sélection l’a, durant une dizaine de jours en mai, incarné. 

On connaît bien sûr des exemples où un jury y a fort bien réussit tout seul – je pense au jury présidé par Wim Wenders l’année de Soderbergh, à celui présidé par Isabelle Adjani où Nanni Moretti joua un rôle majeur l’année de Kiarostami et d’Immamura, à celui présidé par David Cronenberg l’année des Dardenne et de Dumont. Mais il y a quelque espoir que dans nombre d’autres cas, une telle présence aurait aidé à construire un palmarès qui n’en aurait eu que plus d’efficacité pour renforcer les films, de les aider à vivre, à être vus et aimés. Puisque c’est bien de cela qu’il s’agit à la fin.fait partie de ce qui permet la reconnaissance internationale de Naomi Kawase ne comprennent rien au Festival de Cannes. Ensuite, ces personnalités brillantes et totalement hétérogènes, qui entretiennent avec les cinémas du monde des relations extrêmement variées (y compris la totale ignorance) se retrouvent à devoir prendre une décision très complexe. Pas étonnant qu’on se retrouve avec des palmarès qui ressemblent à monstres bizarres – je ne parle pas ici de choix différents de mes goûts, c’est une autre affaire, mais de palmarès incohérents ou illisibles. C’est à peu près inévitable.

Jean-Michel Frodon

Les prix de l’UJC 2014

ToutL’UJC a décidé pour la neuvième fois d’attribuer des prix annuels destinés à mettre en valeur les métiers du journalisme cinématographique. La cérémonie a été présidée de concert par Constantin Costa-Gavras et par Jean Roy.

Quatre prix ont été décernés en 2014 (au titre de 2013) :

• le Prix de l’UJC 2014, pour l’ensemble de son œuvre, à Pierre Murat

• le Prix de l’UJC de la jeune critique 2014 à Julien Gester

Bastide

• le Prix de l’UJC de la meilleure biographie ou du meilleur entretien 2014 concernant une personnalité du cinéma, à Bernard Bastide pour son livre-entretien « Bernadette Lafont, une vie de cinéma »  (Ed. Atelier Baie).

 

 

• La Plume d’Or 2014 du meilleur journaliste de cinéma de la Presse étrangère en France, enfin, a été décernée pour la neuvième fois conjointement par l’UJC et l’Association de la Presse Etrangère à Alex Vincent, pour sa couverture pluri décennale du cinéma français dans la presse hispanophone.

Les 4° Rencontres cinématographiques professionnelles du Sud d’Avignon

Réunis pendant 6 jours à Avignon, du 18 au 22 mars, les exploitants de la région ont pu assister aux projections proposées par les distributeurs nationaux, souvent présentées par l’équipe du film, comme ce fut le cas avec Frédéric Shoendoerffer pour 96 heures, Coline Serreau avec le documentaire choc Tout est permis ou Alexandre Arcady avec 24 jours, la vérité sur l’affaire Ilan Halimi. Ces projections étaient couplées avec des avant-premières tout public dans les cinéma de la ville et de la périphérie d’Avignon, où les équipes pouvaient rencontrer leurs futurs spectateurs. Un partenariat avec l’Université, des lycéens et une programmation jeune public complétaient ce programme copieux, 20 films pendant une semaine de cinéma, à laquelle quelques journalistes étaient conviés. Grâce à une excellente organisation et une équipe disponible et efficace, cette nouvelle édition des Rencontres a été un vrai succès.

La sortie des films programmés est prévue d’ici le mois de mai et, si les films français étaient majoritaires, plusieurs genres et pays étaient représentés. Notamment D’une Vie à l’autre de Georg Mass, grand succès en Allemagne, qui sera en salle le 7 mai prochain. Malgré ses défauts, Salaud, on t’aime, le nouveau film de Claude Lelouch, reflète une tendance lourde dans le cinéma de ces derniers mois : le chaos familial que les couples imposent à travers les séparations, divorces et nouvelles unions. Et la rancœur des enfants concernés, quelque soit leur âge. En prenant Johnny Hallyday (génération triple Y ?) pour jouer une version médiatique de son propre rôle, Lelouch mêle sans pudeur vie privée, vie intime et vie professionnelle.

avignon 2014_AFFICHE--230x300Dans les autres films de séparation, on trouve une comédie française, Les Yeux jaunes des crocodiles de Céline Telerman avec Julie Depardieu, Emmanuelle Béart et Patrick Bruel, où il est amusant de constater que le père va finir dans la mare avec les crocodiles pendant que son idiote de fille a simplement honte de sa mère ; un film américain, Last Days of Summer de Jason Reitman, où un jeune garçon contemple, à mi-chemin entre fascination et horreur, des adultes se mettre sans cesse en danger. Mais pourquoi ce titre alors que le film est tiré d’un roman, Labor Day, traduit en français par Long Week-end ? Dans une co-production entre la Jordanie et le Qatar, May in the Summer de Cherin Dabis, Hiam Abbas joue une mère divorcée, aux prises avec les récriminations de ses trois filles à la veille du mariage de l’une d’entre elles. Heureusement, Lucas Belvaux avec Pas son genre, une savoureuse comédie philosophico-romanesque, nous montre une jeune femme capable d’assumer ses choix et de protéger les siens d’une union bancale avec un prof aussi charmeur qu’indécis. Avec une Emilie Dequenne éblouissante, vibrante d’énergie et d’aspiration au bonheur.

Grâce à d’excellents programmes de restauration des films du patrimoine, ces journées professionnelles proposent régulièrement quelques trouvailles. Cette fois, c’était Cutter’s Way d’Ivan Passer (1981) qui a séduit les participants. Un film sur une époque où les anciens combattants du Vietnam noyaient leur amertume dans l’alcool plutôt que dans les anti-dépresseurs, où les jeunes gens portaient des pantalons de velours côtelé et où même dans les films américains, on faisait l’amour sans sous-vêtements. Une scène d’ouverture bluffante et un finale épique, avec un cheval blanc et un justicier boiteux, un très beau film ! Sortie en salle prévue le 25 juin.

Un seul regret : une programmation trop axée vers le grand public. Mais ces Rencontres, très intenses et organisées avec enthousiasme, ont permis de faire revivre quelques jours le cinéma Capitole, récemment fermé. Elles ont aussi donné à tous les participants un goût de prolongement, l’envie de se retrouver à  Avignon l’an prochain, pour une nouvelle édition, ou peut être pour un vrai festival un jour !

Magali Van Reeth

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