L’Union des Journalistes de Cinéma demande à Aurélie Filipetti de reclasser immédiatement Nymphomaniac normalement

Communiqué de Presse du 28 février 2014

Alors que le film de Lars Von Trier avait été autorisé par la Commission de Classification des Films, suivi par le Ministère de la Culture, aux mineurs de moins de 12 ans (pour la première partie) et de moins de 16 ans (pour la deuxième partie), une association a réussi à obtenir d’un juge administratif en urgence une suspension de cette classification, pour une mesure plus dure (moins de 16 ans et moins de 18 ans).

Même si cette suspension de la décision de classification n’est que temporaire, puisqu’un jugement interviendra par la suite pour la valider ou non, il est clair que cette suspension correspond à un arbitraire inadmissible dans un pays où la liberté d’expression ne devrait absolument pas, par principe, être soumise à une censure préventive – au-delà des conséquences économiques importantes de cette censure, qui limite considérablement les possibilités de diffusion du film à la télévision, en particulier.

Dans le cas du cinéma, cette décision est d’autant plus étonnante qu’une Commission de 28 membres et 55 suppléants (où les professionnels du cinéma ne sont même pas majoritaires, mais des représentants de diverses catégories de personnes désignées par l’Etat!) a pris une décision éclairée. Qu’une seule personne, fut-ce un juge administratif, ait donc pu suspendre et aggraver cette décision collective de classification, entérinée par le Ministère de la Culture, même temporairement en attendant un jugement définitif, n’est pas acceptable.

L’Union des Journalistes de Cinéma demande donc par la présente à Aurélie Filipetti, Ministre de la Culture, de prendre à nouveau immédiatement une décision de classement similaire à la précédente, et de prendre toutes mesures nécessaires, y compris législatives, pour qu’une telle situation ne puisse plus se reproduire. Un juge solitaire ne doit pas pouvoir entraver la liberté d’expression cinématographique, à laquelle la procédure de classification des films doit accorder une garantie nécessaire et suffisante.

Le Festival de Berlin 2014 au rendez-vous de la profession et du public

La 64ème édition de la Berlinale a montré, une fois de plus, que les professionnels du cinéma du monde entier ont bien fait de la capitale de l’Allemagne leur premier grand rendez-vous de l’année. Après un départ un peu lent, la fréquentation record du Marché du Film a été étonnante, alors que la crise économique bat pourtant encore son plein dans de nombreux pays. Quant au Festival à proprement parler, il a été égal à lui-même, marquant parfois autant par ses sections annexes que par sa compétition.

La compétition officielle du Festival de Berlin a en effet été, comme à l’habitude, un tant soit peu inégale, hésitant comme toujours entre le grand public et l’art et l’essai. Incontestablement, le fait que la « Berlinale » soit également un grand événement populaire dans sa ville, avec un accès très facile aux films pour le grand public, fait hésiter les organisateurs, Dieter Kosslick, son Directeur, en tête: contrairement à Cannes, ils ne peuvent pas compter sur un public homogène et averti composé uniquement de professionnels et ont donc une sélection plus contrainte. La sélection du Monument Men, de George Clooney, garantissait ainsi la présence de la pléiade de stars de son générique – tout en présentant, certes, un intérêt historique certain, sous-estimé par nombre de critiques. Quant à la programmation de la version « allongée » du volume 1 du Nymphomaniac de Lars Von Trier, elle permettait d’avoir la certitude de remplir les colonnes des journaux à grand public de rumeurs sur les scènes « ajoutées », et donc les salles, même si les critiques qui avaient vu les deux versions s’accordèrent pour ne voir qu’un intérêt assez limité à ces ajouts… Il est vrai que quand, comme à Berlin, on peut faire entrer 330.000 spectateurs enthousiastes, et payant leur place, pourquoi s’en priverait-on? A cet égard, la réouverture dans l’Ouest de la Ville, de l’ancien quartier général du Festival, le « Zoo Palast », entièrement rénové, après deux années de travaux, a constitué un nouveau signe de la popularité du Festival auprès des Berlinois, la grande salle étant presque toujours comble.

Ours d'OrLe jury du Festival était présidé par le scénariste et producteur James Schamus, si fréquent complice de Ang Lee, et producteur de Brokeback Mountain. On y comptait des personnalités aussi différentes que l’éclectique Michel Gondry, et la productrice des « James Bond », Barbara Broccoli! Il s’accorda pour faire un choix assez audacieux en donnant l’Ours d’Or, la récompense suprême, à Black Coal, Thin ice, une revisitation du genre du cinéma policier par le réalisateur chinois Diao Yinan, également scénariste du film.

GHB_6852 20130121.CR2Un choix qui fut équilibré par l’octroi de l’Ours d’Argent qui équivaut au « Grand Prix Spécial » cannois à The Grand Budapest Hôtel, le très divertissant et très hollywoodien film de Wes Anderson au charme renforcé par celui de Ralph Fiennes, ici pour unefois utilisé à sa juste valeur. Parmi les autres prix, on remarquera bien sûr l’Ours d’Argent de la réalisation décerné à Richard Linklater, pour Boyhood, fiction documentariste, en quelque sorte, tournée en douze ans à échéance régulière avec les mêmes acteurs. Enfin, on rappellera évidemment l’Ours d’Argent spécial « Alfred Bauer » obtenu par Alain Resnais dont Aimer, boire et chanter a enchanté les spectateurs berlinois… ainsi que le Jury de la Fipresci, la Critique Internationale, qui lui décerna également son prix pour la compétition. 71, en revanche, de Yann Demange, resta vierge de récompenses, malgré la qualité de sa reconstitution de la guerre civile en Irlande du Nord qui donna subitement un coup de vieux à Kenneth Loach par le coté presque documentaire de cette fiction, au suspense un peu convenu, certes.

Comme on en est maintenant habitué à Berlin, c’est au sein des deux principales sections non compétitives de la Berlinale, « Panorama », dirigée par Wieland Speck, qui est en somme l’équivalent d’un « Certain Regard » à Cannes, et le « Forum International du Jeune Cinéma », dirigé par Christophe Terhechte, que les festivaliers ont plutôt l’habitude de picorer pour chercher la surprise, et trouver des gemmes nouvelles. Les critiques de la Fipresci, la Fédération de la Presse Cinématographique Internationale, ne s’y trompent d’ailleurs pas, qui décernent également un prix dans chacune de ces deux sections. Dans la section « Forum », la récompense des critiques revint à Forma, du japonais Ayumi Sakamoto, dont les tonalités en gris et beige correspondent à l’atmosphère aigre-douce du film. Dans la section « Panorama », leur prix revint à Hoje Eu Quero Voltar SozinhoGuerosdu brésilien Daniel Ribeiro. Le prix du Meilleur premier film, décerné par un jury ad hoc est également revenu à un film de la section Panorama, Güeros, du mexicain, Alonso Ruizpalacios, un road-movie en noir et blanc et au format 1,33 « classique », en hommage au cinéma de la « Nouvelle Vague » française, qui empocha ainsi les 50.000 euros de sa dotation.

Du côté du Marché du Film, une affluence record de près de 7500 professionnels accrédités obligea son efficace Directrice, Beki Probst à l’agrandir. Tout un étage supplémentaires de stands fut donc adjoint au Marché dans l’Hôtel Mariott, qui sert de complément de plus en plus important à son quartier général établi dans le musée « Martin Gropius Bau ». Les professionnels français ne furent pas en reste, puisque le grand stand Unifrance dut même sacrifier en bonne partie son espace de détente pour pouvoir accueillir un nombre plus important d’exportateurs de nos films que les années précédentes.

On rappellera enfin que la Berlinale se complète d’une section « Génération » destinée aux jeunes, lointaine héritière de l’ancien festival du film pour enfants qui s’y tenait auparavant, d’une rétrospective, et d’une opération « Talent Campus », destinées aux futurs jeunes talents des métiers du cinéma maintenant reconnue et imitée par d’autres festivals internationaux. A ces compléments s’ajoutent la désormais traditionnelle opération « Shooting Stars », destinée à faire connaître de jeunes acteurs européens prometteurs, organisée par « European Film Promotion », et la populaire remise  des « Teddy awards » qui rappelle le côté un peu « fringe » d’une partie de la capitale berlinoise. Il ne reste plus qu’à la 65° édition de la Berlinale, en 2015, de faire… encore mieux!

Philippe J. Maarek

32ème Fajr Festival international du film de Téhéran

Pour qui aime le cinéma, l’arrivée à Téhéran est un enchantement. La ville est immense, éparpillée autour de la haute silhouette de la Tour Milad. Au fond, les montagnes enneigées et, à perte de vue, l’enchevêtrement des autoroutes où les voitures se croisent inlassablement. Les silhouettes des femmes dans leurs foulards et cette langue si harmonieuse, nous projettent instantanément au cœur du cinéma iranien. Ce paysage, ces visages, ces embouteillages étouffants, on les a connu à l’écran. Découverte avec les œuvres de Mohsen Makhmalbaf, Bahman Ghobadi, Abbas Kiarostami, Jafar Panahi ou Asghar Farahdi et, après quelques heures d’avion, la réalité de Téhéran ressemble bien à celle des films, magie du cinéma !

Au sein de la 32ème édition de ce festival, qui s’est achevée le 11 février, la sélection du nouveau cinéma iranien était d’excellente qualité. Dans cette compétition sont rassemblés des premiers ou seconds longs métrages produits et tournés en Iran. On peut grosso modo classer les films en deux catégories : les films ayant pour sujet principal l’évocation d’un fait historique ou religieux et les films de la vie quotidienne.

Parmi les films historiques, aucun n’a suscité beaucoup d’enthousiasme. Si Che d’Ebrahim Hatamikia (1979, conflit entre l’Iran et les séparatistes kurdes) est un bel exemple de guérilla urbaine où la bataille se gagne rue après rue, il pêche par excès de grandiloquence, notamment avec un crash d’hélicoptère digne d’un jeu vidéo. The last 50 steps de Kioumars Pourahmad permet de vérifier que le « cliché de la gourde vide », a toujours cours dans les films de guerre. Hossein who said no de Ahmad Reza Darwich est une saga politco-historico-religieuse située au 7ème siècle, lorsque les petits-enfants du Prophète se déchiraient son héritage spirituel. Beaux jeunes hommes au regard de braise, sabres tranchants, trahison, passion amoureuse retenue, chevaux et désert, tous les ingrédients du péplum sont présents dans cette fresque de 2h30. Le film manque un peu de souplesse mais la musique de Stephen Warbek et les magnifiques costumes lui donnent un bel élan.

Dans la catégorie des films de société, le thème de la famille au bord de l’explosion est toujours récurrent. On ne dira rien de quelques mauvaises tentatives de « faradisation » mais on salue l’audace de Saman Salour qui, avec Rasberry traite de la problématique des mères porteuses dans un pays où la loi religieuse complique les problématiques financières et humaines. La seule femme réalisatrice de cette sélection, Rakhshan Bani Etamad a beaucoup impressionné avec Tales, une promenade contemporaine dans une capitale traversée par les problèmes des femmes, de la misère, de la drogue, des méandres de l’administration et des mauvaises conditions de travail. Un récit tout en fluidité pour faire entrer et sortir les différents personnages et évoquer les tensions actuelles, avec un certain sens de l’humour et de l’à-propos.

On retiendra 13 d’Hooman Seydi, où un jeune adolescent en souffrance, à cause de la séparation de ses parents, cherche dans la rue une attention qu’il n’a plus chez lui. Avec une forme cinématographique originale, le réalisateur souligne la détresse du personnage. Pour son second film, Barf/Neige, Mehdi Rahmani séduit avec le portrait d’une famille autrefois influente qui tente de préserver les apparences, malgré la déroute financière causée par le fils ainé, lors des fiançailles de sa sœur. Unité de lieu, de temps et d’action, de bons acteurs et une fin ouverte : du vrai cinéma populaire, dans le bon sens du terme. Le seul couple heureux de cette sélection, ce sont Parviz Parastouei et Ahou Kheradmand qui l’interprètent pour le réalisateur Mohammad Mehdi Asgarpour dans We have a guest/L’Invité : une vieille maison de famille devenue trop grande, un fils blessé à la guerre et des souvenirs intacts des temps heureux. Un film touchant malgré quelques longueurs.

Lors de la dernière journée de projection, deux films ont été remarqué par les invités présents (journalistes, jurés, marché du film). Today/Aujourd’hui de Seyed Reza Mirkarimi raconte la longue journée d’un chauffeur de taxi taciturne qui accompagne à l’hôpital une jeune femme battue, enceinte et affolée. Parviz Parastouei – encore lui – donne à cet ancien combattant silencieux, une présence aussi forte que douce face à l’hostilité du monde. Enfin, un impressionnant premier film, A Few Cube Meters Love/Quelques mètres cubes d’amour de Navid Mahmoudi. Une histoire d’amour dans les gravats d’une entreprise de recyclage, entre un jeune ouvrier iranien et la fille d’un migrant clandestin afghan. On entre dans le récit sans recours au dialogue mais avec une mise en scène maîtrisée, une belle photo et des jeux de lumière qui mettent de la magie dans cet environnement sordide. Si les questions politiques du film n’ont pas permis à celui-ci de figurer au palmarès final, sa portée universelle et l’excellent travail du réalisateur devraient lui permettre de trouver une reconnaissance internationale.

La gentillesse et le sens de l’hospitalité des organisateurs de ce festival ont tempéré les contraintes d’organisation et la complexité de cette société qui a soif de changement. Si à l’écran on a vu autant de crises familiales, c’est sans doute parce que le pays, comme une grande famille, est secoué par différents courants, entre le désir de modernité et d’émancipation des jeunes, la peur du changement chez leurs parents et la douceur ancestrale représentée par les grands-parents (parfois amnésiques). La qualité de cette sélection du nouveau cinéma iranien, et la large palette des sujets abordés (retour sur les guerres passées, omniprésence du fait religieux, divorce, avortement, alcoolisme, désir d’ailleurs et place de la femme) ne doit pas faire oublier que les réalisateurs louvoient constamment avec la censure. Leur désir est pourtant de faire d’abord du cinéma pour le public iranien et en Iran.

Magali Van Reeth

L’excellente sélection de Mannheim-Heidelberg

La 62ème édition du Festival international du film de Mannheim-Heidelberg (Allemagne) s’est déroulée du 31 octobre au 10 novembre 2013. Si le catalogue mettait en avant la place dans femmes à l’écran, et le traitement de leurs différentes personnalités (la battante, la romantique, la rebelle, la sensible, l’artiste, etc.), il semble pourtant difficile d’y voir un vrai thème. Et, de façon assez ironique, le seul film sans actrice, Mandariinid de Zaza Urushadze (un monsieur, contrairement à ce que son prénom peut évoquer pour les francophones), a obtenu le prix du public et le prix spécial du jury…

La grande originalité de ce festival peu connu, y compris chez les journalistes de cinéma, et pourtant très ancien, tient dans l’excellente qualité de sa sélection. A une époque où beaucoup de premiers films tournent de festival en festival, il devient rare d’avoir la surprise de la découverte. Parmi les 18 films en compétition, le directeur du festival, Michael Koetz a choisi des pépites inconnues et harmonieusement mélangé les genres. Film historique, The Retrieval de Chris Eska (États-Unis) ; sujet de société traité avec humour et finesse, De Nieuwe Wereld de Jaap van Heusden (Pays-Bas) ; fantaisie zen, Koan de Printemps de Marc-Olivier Louveau (France) ou savoureuse déclinaison d’une pensée de Montaigne sur la foi à la mode orientale, Yuan Lai Ni Hai Zai d’Elsa Yang (Taiwan).

Quelques films s’éloignaient courageusement d’une réception grand public. Blackbird a été co-réalisé par trois jeunes Irlandais, Robyn Pete, Jamie Chambers et John Craine. Dans un bout du monde économiquement et géographiquement isolé, un jeune homme collectionne les rebuts de la société, que ce soit les morceaux de verre ramassés sur la plage ou les ballades traditionnelles chantées par des vieux en voie de disparition. Une belle photo, des personnages atypiques et attachants mais un traitement trop brouillon pour convaincre. Drift de Benny Vandendriessche (Belgique), dans une forme poétique et radicale, où le récit en pointillé entremêle le deuil et une meute de chiens sauvages, laisse à un acteur étonnant, Dirk Hendrikx emmener le spectateur vers l’univers âpre de la désolation physique. Le jury Fipresci lui a décerné son prix.

Présidé par István Szabó, le jury officiel a un peu déçu. Certes Melaza de Carlos Lechuga (Cuba) est un charmant portrait d’une famille empêtrée dans le quotidien cubain mais son traitement cinématographique, très classique et sans surprise, ne le place pas du côté des œuvres indispensables.

On regrette aussi l’habitude allemande de présenter les films, du moins ceux qui ne sont pas en compétition, en version doublée et qui nous a fait abandonner la projection de la version longue de « Alexander » d’Oliver Stone… Autre regret mais qui vaut pour beaucoup d’autres festivals : les films venus de pays anglophones présentés sans sous-titres, sont un réel handicap pour les jurés et les spectateurs qui, s’ils maîtrisent un peu l’anglais, ne sont pas forcément à l’aise avec les accents gallois, australiens, africains ou du sud des États-Unis.

Cela n’enlève en rien le plaisir d’avoir pu participer à cette édition du Festival de Mannheim-Heidelberg : une ambiance chaleureuse, une proximité quotidienne entre les réalisateurs et le public et une excellente sélection dans la compétition internationale.

Magali Van Reeth

Lumière 2013 Grand Lyon Film Festival

Il y a six ans, les grincheux ne voyaient pas comment on pouvait mettre en place un nouveau grand festival de cinéma en France, pays du Festival de Cannes où il y a pratiquement un festival par semaine et déclinant tous les thèmes possibles (sciences, histoire, humour, horreur et même films de parapentes). Avec le succès remporté par cette cinquième édition du Lumière Grand Lyon Film Festival, et le plaisir qu’on y a pris, on se demande comment on a pu faire partie de ces grincheux…

La grande originalité du Festival Lumière est de montrer des films classiques, des films rares et anciens, des restaurations récentes, des copies 35mm retrouvées par hasard. La plupart des réalisateurs sont morts : Germaine Dulac, Henri Verneuil, Ingmar Bergman, Cecil B. DeMille, Lino Brocka, Otto Preminger ou Sydney Pollack. Les films proposés, on en a toujours entendu parler et on ne les a jamais vu (Une Femme douce de Robert Bresson), ou on les a vu quand on avait 15 ans et on a un peu oublié ou rien compris à l’époque (Providence d’Alain Resnais) ; ou on en a jamais entendu parler (Gli Ultimi de David Maria Turoldo et Vito Pandolfi). Et pour faire venir le grand public, on invite des vedettes bien vivantes à présenter, devant les spectateurs, le film choisi. Des jeunes, des moins jeunes, acteurs ou réalisateurs. Il y a Clotilde Coureau et Rome ville ouverte, Belmondo pour Un Singe en hiver, Max Von Sydow pour Les Communiants, Eric Guirado pour A l’Est d’Eden. Il y a des hommages à Dominique Sanda en sa présence,  un prix remis à Quentin Tarantino en sa présence.

Dans cette célébration du cinéma classique par ceux qui le font aujourd’hui, il y a une ambiance étonnante qui peut surprendre les habitués de Cannes. Ici tout le monde se mélange avec bonheur et sans heurts, personne ne hurle quand Uma Thurman entre dans la salle, personne ne remarque Luc Dardenne assis au milieu des spectateurs et personne (ou presque) ne s’étonne de croiser Fatih Akin sur les pelouses de la villa Lumière ou Tim Roth dans les rues du Vieux Lyon. En une semaine lyonnaise, on côtoie plus de vedettes qu’en 10 ans de Croisette. A Lyon, une seule couleur d’accréditation et des projections ouvertes à tous, les journalistes comme les lycéens.

On apprécie aussi que ces projections aient lieu dans de vrais cinémas, tous les cinémas de l’agglomération éparpillés dans des quartiers très différents, avec des habitués qui le sont tout autant. Même les grands cinémas commerciaux mettent à disposition quelques unes de leurs salles et se laissent envahir par un public moins portés sur le pop-corn et les comédies grassouillettes. Et bien évidemment, attirés par les frissons médiatiques du festival et le renom d’une vedette internationale, les Lyonnais redécouvrent leur cinéma de quartier.

Cette grande célébration du cinéma, orchestrée par Thierry Frémeaux avec l’aide des collectivités territoriales, du CNC et des spécialistes de la restauration des films, est une vraie réussite. Comme quoi le tapis rouge, c’est pas indispensable.

Magali Van Reeth

Le monde du cinéma se bouscule à Toronto!

D’année en année, le Festival International du Film de Toronto (TIFF) prend un peu d’ampleur supplémentaire et semble décidément ne pas pouvoir s’arrêter de croître. Plus que jamais, il a marqué les esprits en 2013 : les professionnels du cinéma du monde entier se bousculent désormais pour être présents à ce qui est devenu clairement le principal rendez-vous cinématographique de la seconde partie de l’année… sans compter l’engouement du public, toujours aussi assidu en de longues queues tout au long des trottoirs de la ville.

Piers Handling, le directeur de la manifestation, qui maîtrise depuis de longues années cette croissance avec l’aide de Michelle Maheux, Directrice exécutive, et Cameron Bailey, Directeur artistique, peut être satisfait. Une fois de plus, il a réussi à maintenir un équilibre a priori improbable entre l’internationalisation du Festival, son côté populaire et son côté professionnel, attirant aussi bien les oeuvres d’art et d’essai que les « blockbusters » hollywoodiens, les cinéphiles que les professionnels de l’achat-vente de films. Plusieurs films importants ont même dédaigné l’invitation du Festival de Venise pour ouvrir à Toronto en première mondiale, ce qui n’est pas peu dire.

Grâce à son public nombreux et chaleureux, Toronto sert de longue date de rampe de lancement aux premiers concurrents des Oscars, et 2013 n’a pas fait exception à la règle. Il fallut ainsi ajouter en urgence des projections pour les professionnels pour Gravity,  qui a clairement confirmé le talent d’Alphonso Cuaron, dont la maîtrise de la 3D ne semble être égalée que par James Cameron et son Avatar. Gravity confirme aussi que Sandra Bullock, à 49 ans, non seulement maintient son statut de star, mais que sa prestation, toute d’énergie et d’animalité maîtrisée devant la peur de l’immensité sidérale où elle apparaissait perdue est bien partie pour se faire donner l’Oscar de la meilleure actrice.

Un des autres événements du Festival fut la première mondiale de «12 years a slave, où Steve McQueen, après Hunger et Shame, a réaffirmé qu’il était décidément l’un des grands réalisateurs du moment. Il y porte à l’écran l’histoire authentique d’un musicien affranchi noir enlevé en 1841 et réduit en esclavage pendant douze ans. Meilleur film, meilleure mise en scène, meilleure interprétation pour Chiwetel Ejiofor ou Michael Fassbender, les Oscars possibles sont nombreux pour ce film remarquable qui emporta d’ailleurs l’une des seules récompenses de ce festival non compétitif, le « Prix Blackberry du Public ». L’un de ses dauphins fut Prisonners, premier film « hollywoodien » du québécois Denis Villeneuve, l’auteur remarqué d’Incendies, auquel certains préférèrent d’ailleurs son… second film présenté au sein du Festival, Enemy. Jake Gyllenhaal y assume magistralement un double rôle face à Mélanie Laurent, au sein d’un Toronto filmé par Villeneuve de façon à donner une présence forte à son architecture aux gratte-ciels en croissance quasi-permanente, en des vues aériennes aux angles inédits et aux tonalités accordées à celles des personnages.

Mais le festival de Toronto ne s’arrête pas aux sections « Gala, Maîtres, et Presentations Spéciales » et aux « locomotives » nord-américaines, ni à la présence de dizaines de stars pour un film ou un autre, de Sharon Stone à Nicole Kidman ou Mathew McConaughey. Près de 400 films y furent projetés au total, et les foules y furent aussi nombreuses pour les œuvres d’auteur en provenance du monde entier projetées dans les sections « Découvertes», ou « Cinéma Mondial Contemporain », sans compter les plus ésotériques « Longueurs d’Ondes » ou « Avant-Garde », et la populaire section « Folie de Minuit »; Colin Geddes continue avec bonheur à y faire venir films d’horreur ou de « Série B » soigneusement sélectionnés, qui côtoient ainsi « blockbusters » et films « d’art et d’essai » dans le programme.

La Fipresci valide d’ailleurs ce dernier aspect par la présence de son jury de la critique internationale. Il a décerné deux prix, l’un dans la section « Présentations spéciales » à Ida, du polonais pawel Pawlikowski, et l’autre dans la section « Découvertes » à The Amazing Catfish, de la mexicaine Claudia Sainte-Luce. On rappellera, enfin, que par exception à la règle générale, un « vrai » jury siège pour décerner un prix au meilleur film canadien, qui revint cette année à  Shayne Ehman et Seth Scriver pour leur film d’animation Asphalt Watches.

La délégation française, forte de près de 40 films fut guidée par Unifrance dont la nouvelle Directrice Générale, Isabelle Giordano, fût l’hôte de ce qui est sans doute la réception la plus courue par les acheteurs et vendeurs. Si l’on put voir à Toronto la Palme d’Or de Cannes cette année, La Vie d’Adèle, rebaptisé Blue is the warmest color pour les anglo-saxon, puisque le Festival n’est pas compétitif, c’est Quai d’Orsay de Bertrand Tavernier qui fut la tête de file des films à nos couleurs. Son adaptation grinçante et souvent très drôle du roman et de la BD homonyme marque une vraie évolution pour un cinéaste dont on ne savait pas qu’il cultivait autant l’humour. Elle reste toutefois peut-être moins forte pour un public ne sachant pas qu’il s’agit d’une allusion au passage de Dominique de Villepin au Ministère des Affaires Etrangères.

Quant aux professionnels, ils ont attesté de la reprise économique incontestable en Amérique du Nord depuis la Crise de 2008 par quelques records dans les montants de leurs achats, dans un Festival qui est tout de même un Marché du Film sans le revendiquer… En particulier, on retient les 7 millions de dollars versés pour les droits en Amérique du Nord du film de John Carney Can a Song Gave Your Life ? où Mark Ruffalo donne avec son charme bourru coutumier la réplique à une Keira Kneightley attachante dont on ne savait pas qu’elle avait aussi des talents de chanteuse. De nombreux ateliers de travail étaient d’ailleurs organisés à l’intention des professionnels par le festival, ou par des organismes comme European Film Productions, qui réunit les société d’aide à l’exportation européennes. Ce dernier a réuni pendant trois jours une vingtaine de producteurs européens et canadiens dans le but de favoriser l’émergence de nouvelles coproductions entre les deux cotés de l’Atlantique. Yaël Fogiel, des « Films du Poisson », y représentait la France.

Le Festival a bénéficié, comme depuis deux ans, d’un quartier général où il dispose de plusieurs salles, l’immeuble du « Bell Lightbox », et s’est encore agrandi en 2013 d’une grande salle voisine, le théâtre « Prince Edward », accroissant ainsi sa capacité d’accueil du public… et des paparazzis. Ceux-ci durent se livrer sans arrêt à des choix cornéliens puisque cette salle est tacitement devenu d’emblée un troisième lieu quotidien de galas, avec l’immense « Roy Thomson Hall » et l’ « Elgin ». Pas d’escalier comme à Cannes, certes, mais trois fois plus de « grands événements » chaque soir !

Il est vrai que le festival est devenu l’étendard de la ville de Toronto, en tous cas l’un de ses pôles les plus attractifs pour la réputation de la ville, ce qui lui vaut d’être soutenu par de nombreuses grandes entreprises mécènes : la Banque Royale du Canada lui a même dédié une carte « Visa » avec un amusant visuel dédié ! Grâce à la pérennité due à son installation dans ses locaux, TIFF se prolonge maintenant toute l’année pour les habitants de la ville : on verra cet automne une exposition inédite sur l’univers de David Cronenberg, sans compter une programmation de films tout au long de l’année dans les salles du « Bell Lightbox ».

Philippe J. Maarek

Cartes « Vertes » pour 2014

La campagne 2014 pour le renouvellement ou l’octroi des cartes « vertes » de critiques de cinéma permettant l’accès des journalistes et critiques de cinéma est ouverte. Les dossiers doivent parvenir avant le 30 novembre au secrétariat de la Commission, assuré par le groupe Audiens sous l’égide de la Fédération Nationale des Critiques de la Presse Française (voir rubrique « La Profession »)

Avis de beau temps sur la lagune vénitienne

Entre créateurs aptes à imposer leur vision du monde et illustrateurs au talent plus que louable, cette 70e Mostra est un grand cru. Trois titres nous ont particulièrement marqués.

Dans cette 70e Mostra, plusieurs titres ont pour nous de très loin mené en tête une course plus divisée que jamais entre poids lourds et chevau-légers, entre créateurs aptes à imposer leur vision du monde et illustrateurs dont on peut à l’occasion louer le talent. Parmi les premiers il convient d’en isoler un, seul parvenu à explorer avec succès la voie de l’imaginaire contre celle de la réalité, l’onirisme à la Fellini et à l’occasion à la Kubrick dont il témoigne, relevant d’une extrapolation futuriste qui rejette moins la prise en compte de notre société que la négation de cette dernière. Il s’agit de Terry Gilliam qui, dans The Zero Theorem, s’interroge une fois de plus sur le sens de la vie, avec une acuité philosophique grotesque proche de celle qu’il avait portée à son apogée il y a trente ans dans Brazil. L’auteur lui-même insiste sur le fait que seule la mise à jour du regard et l’évolution de la société justifient d’avoir réinvesti ce classique. On retrouve dans ce budget modeste, même si chaque image est une source d’invention et de créativité qui met en valeur un Christoph Waltz méconnaissable, les figures symboliques de la jeune femme blonde qui suscite le désir (Mélanie Thierry), qu’elle soit réelle ou issue du monde virtuel des clics sur le clavier, et celui de l’ordonnateur de l’ordinateur (Matt Damon).

À l’opposé stylistique de The Zero Theorem, le film qui nous a le plus impressionné est l’Autre Heimat, chronique d’une vision, d’Edgar Reitz bien sûr (hors compétition). On croyait que Reitz en avait fini avec sa chronique du village de Schabbach développée en 1984 sur 929 minutes, travail prolongé en 1992 sur 25 heures et 32 minutes, puis en 2004 sur 10 heures et 58 minutes, mais nous étions à terme. L’histoire aux 140 personnages principaux et 5 000 figurants de ce petit village du Hunsrück, en Rhénanie, qui commençait au lendemain de la Première Guerre mondiale, nous avait conduits en 1982 et il n’y avait plus rien à raconter. Patatras ! Avec ce nouveau titre, Edgar Reitz nous fait le clou du « prequel », qui consiste à raconter ce qui s’est passé avant là où le « sequel », la suite donc, raconte ce qui s’est passé ensuite. Pendant quatre heures de projection, nous voici à nouveau sur les mêmes lieux, cette fois au milieu du XIXe siècle dans une Allemagne ravagée par la pauvreté et le despotisme alors que l’espoir des habitants repose pour nombre d’entre eux sur l’émigration en Amérique du Sud, celle de deux frères étant au centre de l’intrigue. Le noir et blanc est somptueux et l’intrigue passionnante. On reste sans fin saisi par le talent du cinéaste… comme nous l’étions depuis des dizaines d’heures de projection et plusieurs décennies de conception.

Parlons aussi de cette réussite qu’incarne Stephen Frears avec Philomena. Judi Dench, dont le rôle sent le prix d’interprétation, y incarne cette femme qui « fauta » jeune fille et se vit retirer son enfant par des religieuses irlandaises en 1952. Elle ne cessa de tenter de le retrouver. Touchant, juste et totalement réussi.

Jean Roy

Cannes 2013 : une palme pour « la Vie d’Adèle – chapitre 1 & 2 » : bravo

Un cinéaste est parvenu au sommet de l’épanouissement, il a été justement distingué. Lui, Abdellatif Kechiche, et ses deux actrices fétiches, Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos.

Le 66e Festival de Cannes s’est achevé avec la proclamation du palmarès, la liste des heureux étant prononcée par le président du jury, Steven Spielberg. Ce n’est pas la première fois que nous assistons à cette cérémonie, doux euphémisme. Nous avons connu les années tempête, comme quand Maurice Pialat, se croyant insulté, s’en prit à la salle. Nous avons connu les années polémiques, les années mollement consensuelles. Jamais peut-être autant que cette fois nous n’avions vu palmarès autant applaudi, à commencer par cette palme d’or, longuement saluée debout par la salle, couronnant Abdellatif Kechiche, pour la première fois associé dans le communiqué officiel à ses deux admirables comédiennes, Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux, dont le réalisateur, au bout de cinq mois de tournage et des centaines d’heures impressionnées (ce qu’on appelle les rushs), a su tirer le meilleur, dans la digne suite du Bresson de Mouchette ou du Pialat d’À nos amours. Le film avait suscité les éloges de notre journal, ceux de presque toute la presse française, de la presse de partout, emportant hier le prix de la critique internationale (prix Fipresci).

Ce jury a aussi su faire preuve d’éclectisme

Nous avons pu maintenant vérifier qu’un jury composé d’artistes venus du monde entier avait partagé le même enthousiasme, que les trois heures de caméra portée traquant au plus près les visages et les corps n’avaient repoussé personne, que l’amour, y compris sous sa forme homosexuelle et féminine, était d’abord l’amour, renvoyant aux placards empoussiérés les dinosaures ayant manifesté le même jour à Paris leur dépit et leur haine. Notons aussi qu’Abdellatif Kechiche, après avoir salué « l’esprit de la liberté et de vivre ensemble », a tenu à saluer la révolution tunisienne (il est né à Tunis en 1960) avec une formule qui ne pourra que déplaire aux intégristes : « exprimer librement, vivre librement, aimer librement ». Cela dit, on ne peut que se réjouir que cette palme soit française et qu’elle couronne un de ces films hors longueur standard et hors norme qui font la justification et la fierté de l’exception culturelle, cela discrètement rappelé par Spielberg. Bravo donc également à Wild Bunch et Vincent Maraval, sans discuter ici de certaines de ses positions personnelles. Preuve par ailleurs que les subventions ne se résument pas à des fonds publics jetées au moulin des vanités, le film a été acheté par les Américains. Ce jury a aussi su faire preuve d’éclectisme en ignorant les prés carrés, répartissant ses lauriers en sachant être ouvert à différentes esthétiques à diverses régions du monde, Chine, Japon, Mexique, États-Unis. On peut bien sûr discuter tel ou tel choix mais, globalement, on ne peut que saluer ce verdict qui conclut une édition de haut niveau.

Jean Roy

Le palmares complet :

Palme d’Or : La vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche

Grand Prix : Inside Llewyn Davis de Joel et Ethan Coen

Prix de la mise en scène : Amat Escalante pour Héli

Prix du Jury : Tel Père, Tel Fils de Kore-Eda Hirokazu

Prix d’interprétation masculine : Bruce Dern pour Nebraska d’Alexander Payne

Prix d’interprétation féminine : Bérénice Béjo pour Le Passé

Prix du scénario : Jia Zhang Ke pour A Touch of Sin

Palme d’Or du meilleur court-métrage : Safe, de Byoung-Gon Moon

Caméra d’Or : Ilo Ilo d’Anthony Chen

Histoires de sorcières au Festival d’Ankara

Depuis 16 ans, un regroupement d’associations de femmes turques organise un festival de cinéma où les films présentés sont tous réalisés par des femmes… Entre étonnement et curiosité, je suis partie à Ankara, comme jurée Fipresci et j’ai découvert une sélection d’excellente qualité, dans une ambiance particulièrement chaleureuse.

Du 9 au 16 mai 2013, le Flying Broom International Women’s Film Festival – ou en français, le Balais volant, Festival international de femmes réalisatrices – a présenté un programme très copieux. 12 films dans la compétition internationale, 5 dans la sélection turque, 13 dans la catégorie « en résistance », 12 pour « la famille » plus une kyrielle d’autres mini programmes autour des courts, de l’écologie ou des documentaires. Enfin, deux hommages, l’un à la réalisatrice allemande et l’autre à la réalisatrice suédoise Mai Zetterling.

Le seul prix attribué à un film pendant ce festival est celui de la Fipresci, dans la sélection internationale. Il a été décerné à Queen of Montreuil de Solveig Anspach « pour l’optimisme avec lequel il traite des chagrins de la vie, de la solitude et du deuil, et pour ses deux personnages de femmes libres et artistes, qui nous montrent combien le cinéma est source de joie ». Mais plusieurs actrices et réalisatrices turques ont été récompensées, lors de la cérémonie d’ouverture et de clôture : notamment Perihan Savaş, Zeynep Aksu, Suzan Kardeş et Yildiz Kenter.

Les bonnes surprises ont été nombreuses dans ce festival. D’abord parce que, pour la première année, il y avait 5 films de réalisatrices turques, ce qui a permis de faire une section à part et de prouver la vitalité des femmes cinéastes dans ce pays. Auréolé d’un grand succès populaire, Araf (Somewhere in Between, 2012, 124′) de Yeşim Ustaoğlu raconte l’histoire d’amour malheureuse entre une très jeune fille idéaliste et un beau ténébreux (ah, le charme d’un 35tonnes rouge sur une aire d’autoroute…). Mais si la première partie est réalisée avec beaucoup de finesse, la suite est trop maladroite pour convaincre. Le sujet d’une grossesse non désirée est sans doute encore trop délicat pour être traité autrement que frontalement. J’ai été plus séduite par le premier film de Belmin Söylemez,  Şimdiki Zaman (Au Présent, 2012, 110′), histoire moins dramatique et plus universelle d’une jeune femme un peu perdue dans sa vie et dans sa ville. Elle trouve un travail de diseuse de bonne aventure, qui lui permet d’exprimer son malaise.

Beaucoup de bons films dans la sélection internationale, notamment Baby Blues (2012, 98′) de la polonaise Katazzyna Roslaniec où cette fois la très jeune mère veut son bébé pour combler un gros manque affectif. Une dénonciation radicale et très dynamique de l’égoïsme et de l’immaturité affective de nos contemporains. Ginger and Rosa (Royaume-Uni, 2012, 90′) de Sally Potter conjugue l’explosion de la famille nucléaire sur fond de militantisme anti-nucléaire, avec Elle Fanning dans le rôle principal, bien obligée de grandir devant tant de déceptions. Le film sort en France le 29 mai prochain. Atmosphère étrange et belle photographie pour le film de Threes Anna, Silent City (Pays-Bas, 2012, 76′), où une jeune Européenne effectue un stage de découpe de poissons chez un grand maître japonais : ça redonne des couleurs aux suhis !

Monica Treut est venue elle-même présenter 4 de ses films et participer à des débats passionnés dans ce pays où l’homosexualité est encore considérée comme une maladie mentale et où on n’ose pas s’afficher en public. Etonnant de voir avec quelle émotion les spectateurs posaient leurs questions, étonnant aussi de voir l’assiduité d’un groupe de jeunes femmes voilées à ces projections… Comme quoi ce festival répond à une véritable attente et qu’il faut toujours des sorcières venues de loin pour changer le cours des événements.

La dernière sorcière venait du grand Nord et la découverte de l’œuvre de Mai Zetterling a été un grand plaisir de cinéma. Les Amoureux (1964), Jeux de nuit (1966), Les Filles (1968) et Amorosa (1986) sont des films aussi brillants que surprenants. Une mise en scène virevoltante pour des personnages hors normes confrontés aux préjugés bourgeois, joués par des actrices pétillantes. La réalisatrice suédoise, morte en 1994, est étrangement absente des catalogues et des rétrospectives des festivals généralistes.  Son cinéma est pourtant très novateur (trop peut-être messieurs les critiques ?) radical, avec une mise en scène éblouissante. Il fallait coiffer  son chapeau pointu et enfourcher son balai magique pour voler jusqu’à Ankara, et participer à cette belle réunion de sorcières et de cinéma pour en profiter.

Magali Van Reeth

Lien site festival : http://festival.ucansupurge.org/english/index.php

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