Les Prix de l’UJC 2013
L’UJC a décidé pour la huitième fois d’attribuer pour la huitième fois ses prix annuels destinés à mettre en valeur les métiers du journalisme cinématographique:
• le Prix de l’UJC 2013, pour l’ensemble de son œuvre, à Pascal Mérigeau
• le Prix de l’UJC de la jeune critique 2013 à Noémie Luciani
• le Prix de l’UJC de la meilleure biographie ou du meilleur entretien 2013 concernant une personnalité du cinéma, à Eric Libiot et Christophe Carrière pour leur entretien avec Michael Haneke dans « L’Express » du 24 octobre 2012 (l’entretien est toujours accessible gratuitement en ligne à http://www.lexpress.fr/culture/cinema/michael-haneke-il-faut-saisir-le-spectateur-pas-l-etouffer_1178656.html )
• La Plume d’Or 20131 du meilleur journaliste de cinéma de la Presse étrangère en France, enfin, a été décernée pour la huitième fois conjointement par l’UJC et l’Association de la Presse Etrangère à Lisa Nesselsson, pour sa couverture pluri décennale du cinéma français dans la presse anglo-saxonne.
L’Europe de l’Est à l’honneur au 63° festival de Berlin
La 63ème édition de la Berlinale aura confirmé que le Festival de Berlin est durablement implanté dans le paysage des « grands festivals » cinématographiques, et, surtout, constitue le premier grand rendez-vous international de l’année des professionnels. Il reste, en même temps, un festival populaire, puisqu’il est ouvert au public, qui l’a plébiscité en 2013 avec un chiffre annoncé de plus de 250.000 spectateurs. Les films venant d’Europe de l’Est y ont cette année remporté de nombreux prix.
A tout seigneur, tout honneur, parmi les films présentés en compétition officielle, le jury présidé par Wong Kar-Waï a en effet décerné la récompense suprême, l’Ours d’Or, au roumain, « Poziţia Copilului » (« Child’s Pose »), de Călin Peter Netzer (ci-contre avec sa productrice). Il a ainsi rejoint pour une fois le Prix de la Critique Internationale (Fipresci), ce qui n’est pas si courant! Consacré à la dénonciation de la corruption, le film montre avec une grande sobriété de style les efforts désespérés d’une femme d’un milieu favorisé pour sauver de la prison son fils, auteur d’un accident mortel, quitte à corrompre policiers, témoins, et même parents de l’enfant tué. L’autre grand vainqueur du palmarès, est encore en provenance de l’Europe de l’Est. Il s’agit de Danis Tanović, le scénariste et réalisateur bosniaque qui avait reçu, entre autres, l’Oscar du meilleur long métrage étranger pour son premier film, « No man’s land », également prix du meilleur scénario à Cannes en 2001. Son film, « Un épisode dans la vie d’un ramasseur de fer », a remporté deux Ours d’Argent: le Grand Prix du Jury, et, pour l’acteur Nazif Mujić, le prix de la meilleure interprétation masculine – Paulina Garcia recevant le prix de la meilleure interprétation féminine pour le chilo-espagnol « Gloria », de Sebastian Lelio. Le cinéaste iranien Jafar Panahi, toujours empêché de sortir de son pays et sous le coup d’une condamnation à ne plus exercer son métier, a reçu quant à lui un prix du meilleur scénario pour « Pardé », co-réalisé avec Kamboziya Partovi.Quant aux Français, ils sont revenus bredouilles, si l’on met à part l’Ours d’Or spécial pour sa carrière remis à Claude Lanzmann, le réalisateur de « Shoah », à qui le festival a consacré une rétrospective.
Le Festival de Berlin ne se limite en effet pas à la compétition officielle et aux ors du tapis rouge orchestrés par Dieter Kosslick, son Directeur. Cette année, la sélection officielle alourdie par quelques films convenus, de l’avis général, méritait ainsi parfois d’être oubliée au profit par exemple de la section « Panorama », dirigée par Wieland Speck, qui est l’équivalent d’un « Certain Regard » à Cannes. Méritait ainsi très largement le détour des films forts, comme « Exposed », présenté dans l’intéressante section « Documentaire » du « Panorama », oeuvre audacieuse qui marque un retour de la cinéaste Beth B.. De même, fut apprécié dans une section dite « Berlinale Special », « The look of Love », l’excellent docu-fiction consacré par Michael Winterbottom à Paul Raymond, l’ancien magnat britannique des magazines et spectacles « risqués » des années 60 à 80. Ajoutons y les perspectives ouvertes par le « Forum International du Jeune Cinéma » dirigé par Christoph Terhechte, quipeut être comparé aux sections « parallèles » cannoises. On y remarqua notamment « Krugovi », du cinéaste serbe Srdan Golubovi, une introspection sur les guerres civiles qui ont déchiré l’ancienne Yougoslavie, un film qui reçut le Prix de la Critique Internationale (Fipresci) pour la section du Forum – encore l’Europe de l’Est! Moins courues par les professionnels, par manque de temps, les sections « Géneration 14 », « Cinéma culinaire », où un repas suit les projections, et la rétrospective, furent en revanche fort suivies par le public berlinois, qui peut en outre bénéficier maintenant d’une décentralisation du festival à travers toute la ville. Nous avons pu constater que les cinémas de l’ancienne partie orientale de la ville étaient aussi remplis que les salles principales de la « Potsdamer Platz ».
Quant aux professionnels du cinéma du monde entier, acheteurs et vendeurs, ils répondirent largement à l’appel du Marché du Film berlinois, qui est incontestablement devenu leur premier grand rendez-vous de l’année, sous la houlette assurée de Beki Probst, sa directrice. Les professionnels américains s’y rendent en particulier à nouveau de plus en plus nombreux, obligeant le Marché à ouvrir de nouveaux lieux d’accueil, en sus du bâtiment principal du Marché, le « Martin Gropius Bau ». Le grand stand Unifrance y fut fort achalandé, et pour la seconde année, les « indépendants » américains, y ont donc repris des espaces. On rappellera enfin la poursuite de la populaire opération « Talent Campus », destinées aux futurs jeunes talents des métiers du cinéma, et la seconde année d’ouverture de la « résidence », berlinoise, sorte de « Villa Médicis » allemande pour futurs cinéastes.
De nombreux autres événements se déroulent traditionnellement en marge du Festival. On citera ainsi la très officielle opération « Shooting Stars », destinée à faire connaître de jeunes acteurs européens prometteurs, organisée par « European Film Promotion », qui regroupe les organisme de promotion du cinéma européens à l’étranger, ou la remise des « Teddy awards », les prix faisant honneur à la tradition libertarienne de la ville de Berlin.
Philippe J. Maarek
Pour la défense des droits des Journalistes et Critiques de Cinéma sur Internet
Communiqué de Presse du 4 février 2013
Devant la diversification des supports de presse, l’Union des Journalistes de Cinéma rappelle solennellement qu’Internet n’est pas une zone de non droit.
En particulier, la critique de cinéma et les articles journalistiques sur le cinéma sont écrits par des auteurs dont il faut de facto respecter les droits, et leur reprise sur Internet ne peut pas être automatique sans respect des droits d’auteur, aussi bien dans leurs aspects financiers que moraux.
De même, la cession et le rachat de plus en plus fréquents de sociétés de presse, même après un dépôt de bilan, n’exemptent pas du respect des journalistes titulaires des droits d’auteur
Le Black Night Film Festival de Tallinn
Un mega-festival se forme dans l’Europe du Nord-Est !
Le 16e Tallinn Black Night Film Festival (à Talinn en hiver, la nuit tombe vers 16h) propose un large programme de séries de compétition et de séries secondaires:
– « Eurasia », la compétition principale,
– la compétition du meilleur film estonien, la « Tridens Herring » compétition, qui présente des oeuvres baltes et nord-européennes (Allemagne incluse)
– la compétition « North American Indies »
– les « Section des droits de l’homme », « Nord Lights », « Forum » et « Panorama » et même d’autres programmes nationaux et thématiques.
Au-delà, le Black Night Film Festival comprend pendant les premiers jours un festival à part entière de court-métrages et des films d’étudiants, aussi connu sous le nom « Sleepwalkers ». C’est un programme international mais où il y a surtout des films estoniens et baltes et ceux de la très prometteuse « Baltic Film and Mediaschool ». De plus, un festival de film d’animation et de film pour enfants complète le programme ainsi qu’un marché du film qui gagne en importance d’année en année (il est concentré sur les derniers jours de la quinzaine du festival). L’équipe du Black Night Festival s’occupe de tous ses invités avec une attention chaleureuse qui rend difficile le départ.
Le principal prix a été remporté par l’ukrainien « House with a Turret » d’Eva Neymann. Ce film en noir et blanc montre avec intensité le large éventail du sentiment de solitude. Solitude seulement du personnage principal, un garçon de huit ans, qui, en temps de guerre, se met à la recherche de son grand-père dans un paysage hivernal après avoir perdu sa mère décédée dans un hôpital provincial, mais aussi solitude de tous ceux qu’il croise sur son chemin. La caméra suit son regard enfantin sur une réalité cruelle. Ce n’est que dans ses rêves qu’il trouve de la paix et du bonheur. Ces petits moments d’évasion malgé les désastres environnants sont capturés avec une grande sensibilité poétique par Neymann.
Hors du commun est également « Wadjda », la première oeuvre du cinéaste Haifaa Al-Mansour qui est aussi le premier film entièrement réalisé et finalisé en Arabie-Saoudite. Al-Mansour, trace le portrait, souvent en caméra cachée, d’une fille rebelle et sûre d’elle de douze ans dans son entourage hypocrite, dont le quotidien est parfaitement structuré par des règlements, sous la surveillance de sa mère et son professeur. En dépit de tous les obstacles, elle cherche un chemin vers plus de liberté et d’autonomie, n’abandonnant jamais son rêve d’avoir une bicyclette, symbole de la révolte féminine contre une éducation stéréotypée. Pour atteindre son objectif, elle apprend des extraits du coran par coeur, car ainsi elle pourra gagner des prix. Elle se révèle plus talentueuse que ses condisciples dévotes. Avec un humeur fin en évitant pathos et polémique, Al-Mansour offre un regard intense sur une société en transformation lente vers le respect de l’individualité et la reconnaissance du droit à l’autonomie.
Une autre contribution impressionnante venant de la Grèce, « Boy is eating the bird’s food » d’Ektoras Lygizos, plonge dans l’univers d’un jeune homme aux perceptions troublées et au comportement psychotique et instable. Les gros-plan systématiques ne permettent au spectateur ni de voir l’ensemble et ni de prendre distance mais le positionnent dans une situation claustrophobe dans laquelle se trouve également le protagoniste. Dans une transe provoqué par une manque de nourriture, avec des mouvements précipités et non-contrôlés, celui-ci goute et avale tout ce que se trouve dans son entourage immédiate, y compris la nourriture pour ses deux oiseaux, les seuls êtres vivants dont il s’occupe vraiment. La désorientation de cet esprit confus évoque le « Requiem for a dream » de Darren Aronofsky.
La contribution allemande, « Hanna Arendt » de Margarethe von Trotta, gâche malheureusement le sujet important de la confrontation avec la banalité administrative du « mal » qui est devenue une évidence choquante pour Arendt au cours du procès Eichmann en Israël. Le film se réduit aux aspects sentimentaux de l’entourage privé d’Arendt, celui de quelques intellectuels immigrés aux Etats-Unis, ainsi que de ses amis israéliens, sans oublier Heidegger, qui, dans un flashback, se met à genou devant elle en faisant une déclaration d’amour. Tous ces personnages sont représentés comme une horde de jeunes hystériques, entre rancune et moralisation simpliste. Heureusement, Trotta donne quelques minutes de pur plaisir intellectuel en mettant en scène le discours d’Arendt sur la dignité de la pensée dans une conférence magistrale. Un passage qui reste dans les mémoires.
Au sein du programme « Eurasien » et du programme estonien, Toomas Hussard s’est fait remarquer avec « Mushrooming » pour sa représentation satirique de la dégradation mentale et morale d’un politicien de haut rang et d’une rockstar dans des situations critiques et néfastes pour leur carrière. Sans doute, ce sujet est-il d’actualité, au moment où l’on soupçonne de corruption faits à certains politiciens de haut rang en Estonie… Hussar montre avec lucidité la manipulation des faits par les mass-média. On remarqua également dans la section estonienne le film « Demons » d’Ain Mäeots, qui est apparemment une étude sur la mentalité d’un joueur, mais qui montre plus généralement la confrontation des naïfs avec les fausses promesses d’une société de consommation, qui mène à la catastrophe tous ceux qui ne sont pas fin prêts pour ses jeux et risques.
Au sein de la compétition « Tridens Heering » qui regroupe des productions nord-européennes et baltes, la contribution allemande de Jan Ole Gerster a retenu un vif intérêt. Son film « Oh boy » est une nouvelle variante d’une histoire banale : le désarroi et la difficulté d’un jeune homme d’accepter un statut ou un rôle dans la société. Dès le début du film, il refuse l’invitation de sa copine de rester, ses démarches concernant son permis de conduire le confrontent avec les rituels sadiques mais bureaucratiquement justifié de l’administration, son père, la caricature d’un homme d’affaire fortuné, ne lui offre pas de perspectives, et même les rencontres avec des personnes apparemment libres comme une actrice, jadis amoureuse lui, se révèlent problématiques. L’absence d’un modèle de vie acceptable lui donnant du sens culmine dans une dernière rencontre avec un vieux solitaire dans un bar berlinois qui n’a pas trouvé le chemin vers la sociabilité pendant toute sa vie et qui meurt peu après à l’hôpital sans un seul parent autour de lui. Pour le jeune personnage principal, le vieil homme devient alors ce que pourrait être dans le futur sa propre vie s’il ne trouve pas sa voie. Gersten a souligné qu’il a fait un film très subjectif, basé sur ses propres expériences, et n’a pas cédé à la tentation de mettre en scène un scénario plus prometteur. Son film est sorti avec succès en Allemagne, spécialement à Berlin.
Le deuxième film hors des sentiers battus de « Tridens Heering » vient de la Russie. « La Fille » d’Aleksandr Kasatkins et de Natalya Nazarova fait vivre l’ambiance d’une petite ville provinciale russe et de ses adolescents pour lesquels cet endroit est équivalent d’un monde sans futur. D’un côté, par défaut, ils se réfugient dans le monde bien contrôlé du sexe facile et des drogues, et de l’autre ils sont confrontés avec les valeurs de la religion orthodoxe qui leur reproche leurs péchés. A travers un climat de violence, où le problème du secret de la confession s’oppose à la révélation de situations extrêmes comme des pratiques de tortures policières, les cinéastes parviennent à dessiner une histoire d’amour timide et douce qui ne paraît jamais forcée notamment grâce à la performance convaincante des jeunes acteurs. Le jury de la FIPRESCI attribue son prix à cette oeuvre complexe et actuelle.
Dieter Wieczorek
Les Prix de la « Diversité Culturelle » 2012
Au cours d’une chaleureuse cérémonie dans les salons de la SACD, Pascal Rogard, Président de la Coalition française pour la diversité culturelle, dont l’UJC fait partie, a remis les Prix « Diversité Culturelle » 2012 à Raoul Peck, cinéaste, ancien ministre de la Culture d’Haïti et actuel président de la Femis, et à l’Association « Solidarité Provence Amérique du Sud » représentée par ses fondateurs, Hernan et Leonor Harispe (à g. de P. Rogard sur la photo ci-contre).
La troisième récipiendaire du Prix pour cette année, qui n’a pu être présente, est Louise Beaudouin, ancienne ministre québécoise de la Culture et des Communications, puis des relations internationales et de la francophonie.
P.J.M.
Festival de Kiev: « Molodist 42 »
Une jeunesse européenne chahutée par le bouleversement des valeurs traditionnelles, autant affectives qu’économiques et c’est, à travers les films en compétition, tout un nouveau monde qui se construit sous nos yeux.
Du 20 au 28 octobre 2012, le festival international du film de Kiev, le Molodist 42, s’est déroulé dans plusieurs cinémas de la capitale ukrainienne. Les deux principales compétitions, celle des courts-métrages et celles des longs métrages ont donné un bel instantané de la grande Europe, du Portugal aux confins de la Russie. Ces compétitions sont ouvertes aux jeunes réalisateurs qui présentent leur premier film.
La compétition des cours-métrages a été d’une excellente qualité, que ce soit dans l’utilisation des images d’archives, comme pour Le Facteur humain du français Thibault le Texier, sur la rationalisation du travail des salariés ; dans la dénonciation de la crise financière, avec Circus de l’espagnol Pablo Remon ou dans l’importance de la poésie pour une génération contemplative, comme dans le film géorgien, Shavi Tuta de Gabriel Razmadze.
Parmi eux, deux films d’animation, Sommeil de la polonaise Marta Pajek et Oh Willy… une réalisation franco-belge d’Emma De Swaef et Marc James Roels. Depuis un an, ce petit bijou tourne dans de nombreux festivals et rafle tous les prix. Des figurines de tissu, dont la douceur et la fragilité s’accordent particulièrement bien avec cette histoire de deuil et de résilience. Un chef d’œuvre qui donne tout son sens à l’animation.
La compétition des longs métrages a montré combien les citoyens européens sont aujourd’hui mobiles : Eastaglia de Darya Onyyshcheriko en est le meilleur exemple. Une coproduction entre l’Ukraine, l’Allemagne et la Serbie et des personnages de différents pays, immigrés heureux dans leur pays d’accueil, expatriés professionnels, histoires d’amour entre langues dfférentes, des destins imbriqués et des rêves communs, les jeunes montrent une réelle volonté de dépasser les clivages culturels.
Lors de la remise des prix, le président du jury officiel, l’artiste hongrois Zoltan Kamondi, réalisateur, dramaturge et producteur, a prononcé un brillant hommage à Antonin Arthaud. Rappelant l’importance du cri et de la révolte hors des sentiers battus pour le poète français, il a remis le prix du meilleur long-métrage au réalisateur grec Babis Makridis pour son film « L ». Tragédie burlesque où un homme, au volant de sa voiture, cherche une route à suivre, balloté entre ses désirs de jeunesse, de voyage et de maturité et affrontant la figure de l’ours. Cet animal a inspiré toutes les cultures européennes depuis des siècles, il est signe de puissance, d’effroi et de force, entre mythe et folklore. Dans ce film grec, il est le miroir d’un homme à la recherche d’une nouvelle expression de la virilité. Et le cri de l’acteur principal est l’un des plus long de l’histoire du cinéma !
Le jury Fipresci a attribué son prix au film franco/israélien Le Jardin d’Hanna d’Hadar Friedlich qui sortira dans quelques semaines en France sous le nom de Beautiful Valley. Ce qui laisse une nouvelle fois songeur face à l’absurdité des titres de film lors de la distribution en salle… Le jury œcuménique a récompensé Hemel de Sacha Polack. Portrait d’une jeune femme cherchant la frontière entre sexe et amour, et de son père, incapable d’assumer son statut. Présenté en février dernier à la Berlinale, ce film néerlandais avait déjà obtenu un prix Fipresci.
Magali Van Reeth
Abu Dhabi n°6: un vent nouveau!
Cette année, un vent nouveau a soufflé sur la sixième édition du Festival d’Abu Dhabi. Après avoir été dirigé avec succès pendant quatre ans par Peter Scarlet, qui avait su faire de ce festival un événement de renommée internationale, il était présenté cette année par Ali Al Jabri nouveau directeur et ancien proche collaborateur de Scarlet, et une nouvelle direction.
Désormais sous l’égide du groupe media local TwoFour54 soutenu par le gouvernement (cela correspond aux coordonnées géographiques d’Abu Dhabi), il vise à » favoriser le développement des contenus dans l’industrie des media et du divertissement au niveau mondial, réalisés par les Arabes pour les Arabes ». La stratégie du groupe a pour objectif de « faire du festival LE pole créatif de la région, en soutenant la production cinématographique locale en parallèle avec d’autres initiatives dans les secteurs de l’audiovisuel, de la musique, des media numériques, des événements, des jeux vidéo et des publications afin de positionner Abu Dhabi comme centre régional d’excellence en création de contenu. »
Ces changements de direction semblent également refléter une tendance plus générale dans les Emirats qui consiste à remplacer de plus en plus les étrangers par des Emirati comme l’a déjà annoncé Ali Al Jabri pour l’équipe pour le festival en 2013. Il sera intéressant de voir de quelle manière ces changements d’équipe de direction vont influencer les orientations du festival qui depuis sa création, avait déjà comme vocation d’offrir une plate forme privilégiée pour des réalisateurs de cinéma du monde arabe.
Cinq sections compétitives ont concentré les points forts de la programmation, qui par ailleurs a fait la part belle aux réalisatrices :
– Narrative Feature Competition avec 15 films dont les « valeurs sûres » comme les derniers films d’Ozon ou Manuel de Oliveira, mais aussi des oeuvres très audacieuses comme Lore, de l’australienne Cate Shortland ou Araf de la réalisatrice turque Yesim Ustaoglu qui à juste titre a reçu le Black Pearl Award de cette section. ;
– New Horizons Competition avec 15 premiers ou deuxièmes films parmi lesquels on pouvait trouver des succès de festivals comme Beasts of the Southern Wild, mais aussi la première mondiale d’un premier film particulièrement impressionnant de la réalisatrice égyptienne Hala Lofty, Coming Forth by Day ;
– une Compétition de films documentaires avec une excellente sélection de 12 films
– deux compétitions de courts métrages dont une réservée aux réalisateurs Emirati.
Dans ce festival bien organisé à la programmation très riche, ces compétitions officielles étaient accompagnées par la présentation de 24 films du monde entier, un hommage au cinéma algérien et une section sur la Corée du Sud, des master class et des rencontres pour l’industrie cinématographique.
On décerna aussi des Lifetime Achievement awards pour deux icônes du cinéma international, la belle Claudia Cardinale et « la Nefertiti du cinéma égyptien» Sawsan Badr. On vit défiler les stars du cinéma du monde arabe chaque soir sur le tapis rouge, défilés suivis par des dîners somptueux avec leurs senteurs orientales sur les terrasses de l’Emirate Palace qui ajoutaient une touche glamour indispensable à un événement de cette envergure.
Plusieurs séances étaient réservées aux femmes, pour leur permettre de pouvoir s’exprimer plus librement dans les discussions avec les réalisateurs qui suivaient normalement les projections, Curieusement , ces séances ont semblé être surtout prisées par les femmes étrangères.
Le jury Fipresci s’est concentré sur les treize films du monde arabe présentés dans les trois sections de la compétition principale, dont sept premières mondiales. Neuf de ces films avaient reçu auparavant le soutien du fond de développement et de post-production du Festival de Abu Dhabi, SANAD.
Si les films des « vétérans » Moussa Haddad (Harraga Blues, Algerie), Rachid Benhadj (Perfumes of Algiers, Algeriea) et Nouri Bouzid (Hidden Beauties, Tunisie-France-UAE) avaient du mal à convaincre, Hala Lotfy, une jeune réalisatrice égyptienne impressionna les jurys et le public avec un premier film prometteur, Coming Forth by Day, dont le langage cinématographique radical rompt avec le style habituel du cinéma arabe et égyptienne en particulier, et qui fut récompensée comme meilleure réalisatrice du monde arabe, et de notre Prix Fipresci, que j’eus l’honneur de lui remettre sur scène.
On nota enfin la présence de films très forts dans la section documentaire, comme notamment Cursed be the Phosphate, de Sami Tlili (Tunisie-Uae-Liban-Qatar) , In Search of Oil and Sand De Wael Omar et Philippe Dib (Egypte-Uae), Mohammad Saved By The Waters, de Safaa Fathy (Egypte-France-Uae). Enfin, last but not least A World not Ours, de Mahdi Fleifel. Ce documentaire plein d’émotions sans que la réalité soit perdue de vue revisite les mémoires d’un camp de réfugiés palestiniens au Liban, depuis les souvenirs nostalgiques d’enfance jusqu’aux espoirs déçus d’aujourd’hui. Il a monopolisé non seulement le Black Pearl Award du meilleur documentaire, mais également notre prix Fipresci, ainsi que le Prix Netpac.
Barbara Lorey de Lacharrière
Le Festival de Toronto fait l’événement
Il n’y a dorénavant plus aucun doute, le Festival International de Toronto est devenu l’événement cinématographique majeur de la seconde partie de l’année, se démarquant maintenant considérablement de ses principaux concurrents de l’automne, et notamment de Venise, par l’importance de la participation des professionnels du cinéma du monde entier, mais aussi par la ferveur de son public de spectateurs cinéphiles. Depuis deux ans, Toronto bénéficie en outre d’une remarquable base, le Bell Lightbox un bâtiment tout neuf, construit grâce à des millions de dollars de donations. Il dispose ainsi tout au long de l’année d’espaces d’exposition, de cinq salles de cinéma, et de bureaux permanents sur ses six étages. Cela fait maintenant du groupe un acteur permanent de la vie culturelle de la capitale économique du Canada.
Le Festival se prolonge ainsi toute l’année pour les habitants de la ville, avec par exemple une reprise cet automne de l’exposition sur le monde de James Bond qui a fait cet été le plein au musée Barbican de Londres. Mais il est aussi devenu un événement cinématographique majeur grâce à deux facteurs qu’il est sans aucun doute le seul à avoir su réunir aussi bien, sous la houlette de Piers Handling, qui préside avec brio de longue date à la destinée de l’ensemble de ses activités, assisté maintenant de Cameron Bailey à la direction artistique du Festival à proprement parler.
Le premier facteur de réussite est son côté non compétitif, qui lui permet d’attirer nombre de productions indépendantes, nord-américaines en particulier, qui n’auraient jamais pris le risque d’une compétition avec les aléas des jurys et de leurs compositions hétéroclites. Deux avantages en découlent ainsi, d’abord, la possibilité de présenter des films pas forcément complètement inédits, des « simples » premières nord-américains de films européens ou autres remarqués dans d’autres festivals par ses sélectionneurs par exemple. Le deuxième avantage est de donner ainsi une rampe de lancement à des films indépendants nord-américains qui y trouvent public, presse et professionnels. Ainsi, depuis nombre d’années, Toronto est-il devenu une rampe de lancement des Oscars. Cette année encore, parmi d’autres, Argo, le film de Ben Affleck inspiré par l’histoire authentique de la demi douzaine de diplomates américains qui ont réussi à échapper à la prise d’otage du personnel de l’ambassade du pays à Téhéran, du temps de Jimmy Carter, a ainsi pris ses marques de façon très nette à Toronto pour la compétition, comme The Artist l’avait fait l’an dernier, d’ailleurs. Il faut dire que Ben Affleck, qui s’est donné le rôle principal du film, tient le spectateur en haleine : sa mise en scène est nerveuse et précise, d’une grande efficacité, n’hésitant pas à utiliser tous les ressorts possibles pour cela (jusqu’à une boite de vitesse récalcitrante au tout dernier moment, qui semble empêcher pendant quelques seconde le départ du bus des fugitifs vers l’avion salvateur…). Un film qui s’est en outre révélé d’actualité, puisqu’au moment de sa projection, on manifestait, et hélas tuait, devant et dans plusieurs ambassades américaines au Moyen-Orient. Argo a d’ailleurs failli remporter le prix « Blackberry » du Public, arrivant très près du vainqueur, Silver Linings Playbook, de David O. Russell, un film aidé par la présence de Robert de Niro et de Bradley Cooper, surnommé depuis quelques temps outre-Atlantique le « nouveau Clooney ».
Le deuxième facteur de succès de Toronto réside justement dans cette présence d’un véritable public payant, un peu comme à Berlin – et contrairement à Cannes, où le public majoritairement formé de professionnels est ainsi moins représentatif de la réalité et sans aucun doute plus exigeant qu’un public « normal». Grâce à l’ouverture du Bell Lightbox et à l’utilisation de nombre de salles d’un énorme complexe cinématographique voisin, le Festival se dédouble en effet, une partie des salles n’accueillant que le public payant (avec quelques invités professionnels quand ils le demandent), et l’autre n’accueillant que les professionnels, sans les contraintes des précédentes (pas de queues, un accès rapide aux films). Du coup, les projections prennent l’aspect de « sneak-previews » grandeur nature et permettent ainsi de tester les films, et notamment ceux des productions « indépendantes » américaines ou les importations potentielles d’outremer aux yeux des professionnels présents. Ainsi, en 2012, si Passion de Brian de Palma, a été aussi mal accueilli à Toronto qu’il l’avait été à Venise, malgré la superbe prestation de Rachel Mc Adams, des œuvres comme le Spring Breakers de Harmony Korine, The Sessions, de Ben Lewin, ou The Paperboy de Lee Daniels – certains vus à Cannes et encore dans les cartons – ont montré par leur succès public aux 4280 professionnels en provenance de 80 pays présents qu’ils pouvaient envisager une sortie nord-américaine ou étrangère sereine malgré des aspects un peu difficiles ou provocateurs.
Cette année, le festival se divisa en une bagatelle de quinze sections différentes, présentant ainsi un éventail considérable. On pouvait certes y voir des films à grand public dans la section « Galas », où quasiment toutes les stars hollywoodiennes, de Tom Hanks à Will Smith, Robert Redford ou Helen Hunter, ou d’outremer, comme Monica Belucci ou Pierce Brosnan, passèrent un jour ou un autre. Mais, à l’autre extrême, il y avait les séances de minuit des films d’horreur ou de série B de la section « Midnight Madness » programmée par Colin Geddes, aux 1500 places remplies à craquer malgré l’heure tardive tous les soirs de spectateurs enthousiastes – et sympathiquement bruyants !
Quant au cinéma français, il eut la part belle à Toronto, avec pas moins de 24 films dans les différentes sections du festival, placés sous l’ombrelle d’Unifrance, dont la réception fut l’une des plus suivies des professionnels. Parmi eux, Dans la maison, de François Ozon, s’octroya le Prix Fipresci de la Critique Internationale de la section « Présentations spéciales » – le prix de la section « Discovery » allant à Call Girl, de l’Américain Mikael Marcimain.
Couronnement indispensable, enfin, pour les visiteurs comme pour les cinéastes « locaux », le festival est aussi une plate-forme de lancement inégalable pour les films canadiens, les seuls d’ailleurs à être placés sous la coupe d’un « vrai » jury, qui récompensa cette année de son prix « Sky Vodka » Antiviral, où Brandon Cronenberg prend la suite de son père David, avec une première œuvre dans le registre de la science-fiction, ex-aequo avec Blackbird, de Jason Buxton.
Philippe J. Maarek
Quand Dieu s’invite à la Mostra de Venise
Il flottait comme un léger air de mélancolie sur la 69ème Mostra de Venise. Pourtant, comme le projet d’un nouveau palais de festival a été apparemment enterré faute de moyens, le grand chantier qui défigurait le Lungomare a partiellement disparu laissant la place à une jolie promenade où il faisait bon se reposer entre les projections. Mais les alentours du festival paraissaient étrangement vides, attirant visiblement beaucoup moins de monde que les années précédentes. Créée il y a maintenant 80 ans, la Mostra qui marque cette année le retour d’Alberta Barbera comme directeur (il avait dirigé le festival de 1999 à 2002 avant d’être « débarqué » par le gouvernement Berlusconi), a certainement besoin d’un nouveau souffle si elle ne veut pas s’endormir sur sa lagune hors du temps. Mais la situation est difficile dans un pays plongé dans une crise dont il ne sortira pas sitôt et le marché du film, annoncé par Barbera comme une des nouveautés pour booster le festival est encore loin de tenir ses promesses. Enfin le spectre du puissant festival de Rome, qui se prépare sous l’égide de son prédécesseur plein de ressources, Marco Muller, semblait planer comme un ombre menaçante sur le Lido.
Est-ce l’air du temps ou la crise avec ses incertitudes et ses angoisses existentielles qui suscitent cette recherche de promesses de salut religieux et idéologiques et qui semblent gagner insidieusement non seulement notre société mais transforme également certains cinéastes en passeurs de messages spirituels plus ou moins douteux? Curieusement, cette année, le grand thème de la Mostra était la foi, (ou son absence!), servie à toutes les sauces religieuses et idéologiques, surtout dans les 18 films de la compétition internationale dont la plupart privilégiaient le contenu à la forme.
Au film d’ouverture The Reluctant Fundamentalist de Mira Naïr qui plaide pour une certaine compréhension envers la radicalisation islamiste des intellectuels séduit par l’Ouest mais finalement dégoûtés par le capitalisme (américain) exacerbé, répondait en écho d’un des pays théocratiques par excellence, l’Arabie saoudite, le premier film fort surprenant et courageux d’une autre femme, Wadja, d’Haifaa al Mansour, témoignant de l’enfermement forcé dans une réclusion totale des femmes.
Dans le glacial Paradis : Glaube ,deuxième partie de sa trilogie, le metteur en scène autrichien Ulrich Seidl invite le spectateur à accompagner son actrice fétiche Maria Hofstätter sur son chemin de croix de l’évangélisation auprès de populations viennoises vivant en marge de la société. Elle passe tout son temps libre en faisant du porte-à-porte avec une madone en bois sous le bras quand elle ne se flagelle pas jusqu’au sang agenouillée devant le crucifix de sa chambre, et un soir elle prend même le crucifix dans son lit. Promptement alertée par cette scène de masturbation pour le moins insolite, une organisation ultra-conservateur catholique avait immédiatement porté plainte pour blasphème contre Seidl, l’actrice, les producteurs et même le directeur du festival.
Le film de Marco Bellocchio Bella Addormentata nous replonge lui dans les polémiques qui avaient divisé l’Italie en 2009 autour de la mort d’Eluana Englaro dont l’assistance respiratoire avait été débranchée à la demande de son père et des médecins après 17 ans de coma. Les catholiques « intégristes » se sont rendus devant le palais du festival en brandissant des pancartes avec la photo d’Elena et de la Vierge et ont réclamé le retrait immédiat du film. Pourtant, ce film, un peu trop didactique et qui malheureusement noie son sujet dans des méandres sentimentaux d’ajouts fictionnels n’a rien d’un pamphlet provocateur mais s’efforce plutôt d’explorer la question de l’euthanasie sous tous ses angles.
L’un des films les plus attendus de la compétition, To the wonder, de Terence Malick, a laissé les spectateurs et même les fans de ses premières œuvres perplexes. Lors d’un voyage en France, Neil (Affleck, séduisant comme un morceau de bois sec), rencontre Marina (Kurylenko) et, après des déclarations d’amours en voix off alignant des platitudes affligeantes sur fond de la très photogénique Baie de Saint Michel, la ramène avec sa petite fille dans un « bled » perdu des plaines de l’ Oklahoma. Comme il fallait s’attendre, la vie quotidienne dans ce lotissement dépourvu de toute charme éteint assez rapidement l’amour passionnel qu’éprouve l’héroïne pour son amant monosyllabique et réticent à l’épouser. Marina plie bagage pour revenir quelques temps plus tard sans que l’on comprenne pourquoi, et ainsi de suite. Cerise sur le gâteau de cette rêverie pseudo -chrétienne exaspérante et frôlant souvent le ridicule c’est le personnage d’un prêtre (Javier Bardem) en proie à une sévère crise de foi qui erre sans arrêt à travers sa maison et les quartiers pauvres de sa banlieue pendant que l’on entend sa voix en off commentant ses doutes comme un bruit de fond jusqu’au jour où se produit le miracle ; il retrouve Jésus, qui, cette fois-ci, revient même en force vers lui. « Le Christ en moi, le Christ au dessus de moi, Le Christ en dessous de moi, Le Christ à ma droite, le Christ à ma gauche » jubile-t-il tandis que les palissades en bois qui entourent les maisons du lotissement s’éclairent lentement, illuminés par les rayons dorés du soleil levant.
Mais la compétition avait encore d’autres surprises divines dans son programme – notamment avec Lemale Et Ha’Chalal (Fill the Void) de Rama Burshtein (Israël), d’ailleurs le seul film en compétition réalisé par une femme. Sans distance critique aucune mais avec une maîtrise tout à fait louable, la réalisatrice met en scène la vie d’une communauté ultra-orthodoxe à Tel Aviv où une jeune fille est amenée par sa famille à accepter d’épouser le mari de sa soeur décédée afin que l’enfant du couple reste auprès de sa grand-mère. Bursthein, strictement vêtu selon les codes vestimentaires des haredi ultra-orthodoxes, livre dans le dossier de presse sa confession de foi et énonce les objectifs de son film « fidèle à la façon dont je vois le monde« sans la moindre ambiguité . Que la réalisatrice puisse présenter en Israël ses films uniquement aux femmes de sa communauté d’où les hommes sont exclus des projections -soit. En revanche, on peut se poser la question de savoir si la compétition de la Mostra de Venise devait servir de plateforme pour faire l’éloge d’un monde où la femme n’est pas égale de l’homme, Reste aussi le mystère d’une intervention divine par laquelle le jury a cru bon d’honorer ce film en décernant le prix de la meilleur actrice à sa jeune protagoniste.
Heureusement, The Master de Paul Thomas Anderson nous livre une antidote aux rêveries fondamentalistes véhiculées dans certains films de cette compétition. Avec bravoure et une force créatrice d »image et narrative qui sort ce film du lot, Anderson présente, sans la nommer explicitement , la vie d’un fondateur de secte au début des années 50 (dans laquelle on pourrait reconnaître Ron Hubbard , père de l’Eglise scientologique). Ce Dodd (merveilleusement incarné par Philip Seymour Hofmann) auteur charismatique et despotique, séducteur et manipulateur, porté sur les boissons fortes s’est inventé une nouvelle forme de croyance fondée sur un mélange de philosophies, de religions et de thérapies plus ou moins obscures comme le voyage dans le temps, qui rassemble autour de lui de plus en plus d’adeptes. Mais l’idée géniale d’Anderson est de non pas de raconter cette histoire en forme de biopic mais à travers un autre personnage fictionnel, celui du vétéran de guerre ultra violent , Freddy, (Joaquin Phoenix en sparring partner cogénial) profondément traumatisé par la guerre au Pacifique. Entre ces deux personnages aux caractères forts et diamétralement opposés s’établit une relation ambigüe de maitre-élève voire même de père-fils. Mais Dodd, face à l’impossibilité de maîtriser la violence de Freddie, lui redonne en quelque sorte sa liberté. Sans prendre position, Anderson nous amène au centre du monde clos d’une secte en démontrant les mécanismes de la soumission, tout en laissant une petite porte ouverte par laquelle Freddie réussira peut-être un jour à s’échapper.
Dans un tout autre registre , Kim Ki-Duk plonge ses fans avec Pieta une fois de plus dans la descente aux enfers d’une histoire de crime, châtiment et rédemption – parcours cher au christianisme, mais ici avec une radicalité et une cruauté visuelle qui dépasse par moments la limite de l’insupportable.
Mais c’est finalement The Fifth Season, film d’une force et d’une beauté visuelles absolument saisissantes du couple Jessica Woodworth et Peter Brosens, qui nous mène impitoyablement vers une apocalypse païenne qui, ici, se prépare lentement sur les terres lourdes d’un village au fin fond des Ardennes. Ce film complètement à part qui raconte une histoire d’évolution humaine à reculons où la bêtise, la cruauté et la méchanceté des hommes sont punies par une nature de plus en plus déchainée au fur à mesure que la violence entre les habitants dégénère n’est pas sans évoquer certains tableaux de Breughel.
Heureusement Olivier Assayas nous ramène vers la vie avec l’un des plus beaux films de la Mostra : Après Mai, un hommage aux années 70 à travers les aventures politiques de jeunes lycéens d’une banlieue de Paris. Ce film d’une intelligence, d’une luminosité et d’une tendresse salutaire dans l’évocation un brin nostalgique mais sans aucune fausse sentimentalité d’une époque qui aujourd’hui paraît plus lointaine qu’elle ne l’est réellement, est joué par huit jeunes acteurs et actrices de moins de vingt ans qui se glissent admirablement dans la peau de ces jeunes qui rêvaient de révolution, roulaient en bus Volkswagen, s’aimaient et se séparaient sur fond de discussions politiques incessantes, animés par des questionnements sur la façon de rendre le monde meilleur.
Barbara Lorey de Lacharrière
Prix Fipresci :
The Master de Paul Thomas Anderson (USA)
Orizzonti et Settimana Internazionale della Critica
L’intervallo de Leonardo Di Costanzo(Italie)
Pour la libération immédate du cinéaste syrien Orwa Nyrabia
Communiqué de Presse du 1er Septembre 2012