Le 61e Festival du Film de Cracovie

Les festivals peuvent être une sorte de conscience du monde, du moins les bonnes. Au cours des dernières décennies, nous avons remarqué, en particulier dans le cinéma polonais – et les sélections de festivals – une reconnaissance plus ciblée des questions morales et éthiques intrigantes. Cela n’est peut-être pas étonnant face à une culture encore fortement marquée par la religion catholique et marquée par le concept de culpabilité. Ce serait une discussion considérable et digne de tenir, de se demander si la religion est toujours la force principale et le catalyseur de la demande de responsabilité. Pouvons-nous développer une responsabilité pour nos proches, mais aussi pour les étrangers, l’environnement et la nature sans croyance même si la pensée rationnelle peut aussi conduire à des résultats similaires, mais une pensée rationnelle à l’échelle mondiale, et pas seulement au niveau personnel ?…

Quoi qu’il en soit, l’édition de Cracovie de cette année a été marquée par un grand nombre de films confrontés à des catastrophes humaines et à la recherche de solutions. Mais il y a une différence entre revendiquer les droits de l’homme, mettre en cause les crimes de guerre et les catastrophes environnementales et permettre d’être confronté à une responsabilité personnelle.

1Faire face à la responsabilité : le film primé par la FIPRESCI Children of the Enemy de Gorki Glaser-Müller (Chili-Suède), présenté en compétition internationale, en est déjà un exemple marquant. Le protagoniste principal, le suédo-chilien Patricio Galvez, aux prises avec ses propres problèmes, n’a pas veillé au développement psychologique de sa propre fille, ce qui l’a amenée, elle et son mari, de plus en plus vers l’islamisme militaire. Il a aussi échoué à ne lui envoyer d’argent alors qu’elle a déjà intégré la guerre sur le sol syrien en tant que djihadiste. Confronté à sa mort d’elle et de son mari, il décide d’agir sans aucune aide du gouvernement suédois – au moins dans un premier temps – et d’essayer de rapatrier ses sept petits-enfants, qui survivent dans le camp de réfugiés d’Al-Hawl.

Dans Far Eastern Golgotha (Dalnevostochnaya Golgofa) de Julia Serginait (Russie), nous sommes face à un jeune homme frustré sans compétences particulières, qui se dresse contre la corruption de l’État russe. Pourchassé, intimidé et « contrôlé », il risque de tout perdre, ainsi que son ami qui l’assistait. Ils avaient été les seuls à protester ouvertement contre la dégradation de l’espace public, des soins de santé et des services sociaux, sans parler de l’absence totale de perspectives d’avenir.

Dans When We Were Bullies, présenté dans la compétition des courts-métrages, Jay Rosenblatt (USA) revient sur un traumatisme tout à fait personnel de son enfance, lorsqu’il s’en est pris violamment avec ses camarades de classe à un étranger. Leur professeur de l’époque les accusait d’être des animaux. Après des décennies, Rosenblatt a mis fin à son silence et a commencé à recontacter tous ces camarades de classe, leur demandant leurs souvenirs et leurs réflexions, y compris celle de l’enseignant. Dans ce douloureux travail de mémoire, Rosenblatt – pas par hasard connu comme profondément impliqué dans la pensée psychanalytique – put enfin trouver les mots justes et assez touchants en écrivant une lettre à leur ancienne victime, que le réalisateur a volontairement exclue de son film.

Branka, d’Álor K Kovács, également en compétition pour les courts-métrages, présente une jeune infirmière dans la Yougoslavie des années 1990, un pays en ruine divisé par des conflits sanglants. Elles commence à travailler dans un hôpital, où elle est confrontée au fait, que des interventions chirurgicales sur les enfants sont pratiquées, que des nouveau-nés sont déclarés morts, mais sont en fait livrés pour être vendus sur le marché occidental. Le médecin-chef légitime ses actions, affirmant que c’est le meilleur moyen pour les enfants d’avoir une vie juste et pour les mères d’être libérées. Mais Branka doit prendre une décision face à cela.

2Dans Lost Boys, de Joonas Neuvonen et Sadri Cetinkaya (Finlande), nous suivons un groupe de jeunes hommes, dont le cinéaste, en route de la Finlande au Cambodge pour s’amuser, faire l’amour et se droguer, comme les pires voyageurs occidentaux. Mais après que les choses sont devenues incontrôlables, les cinéastes s’enfuient en Finlande pour y recevoir un message, disant qu’un ami est mort et qu’un autre a disparu. Le cinéaste a alors décidé de repartir pour savoir ce qui s’est passé, et plus important encore, pour chercher son ami, qui a peut-être survécu.

À côté de ces exemples de documentaires à prise de responsabilité explicite, il fut possible de découvrir quelques documentaires politiques dans cette 61e édition du festival de Cracovie. Dans Courage, nous voyons des centaines de personnes sans défense de toutes sortes, principalement de simples citoyens, perturbés et écrasés par les forces militaires et policières dans la Biélorussie actuelle. Le réalisateur Aliaksei Paluyan (Biélorussie-Allemagne) retrace la douleur des personnes à la recherche de leurs amis ou de membres de leur famille emprisonnés, torturés et parfois disparus.

Impuissants mais résistants sont aussi les jeunes Hongkongais encerclés par les forces de l’ordre dans leur campus universitaire. « The Hong Kong Documentary Filmmakers » (ils doivent rester anonyme) on posté dans Inside the Red Brick Wall leurs caméras au centre de la lutte, capturant des tentatives d’évasion et des discussions internes sur la façon d’agir dans cette situation désespérée. Que ce soit pour se rendre ou pour se battre jusqu’au bout, ce douloureux documentaire offre un autre exemple de sociétés détruites et opprimées, même si des centaines de milliers de personnes tentent de résister. La résistance ouverte dans la rue semble maintenant disparaître, face aux techniques de reconnaissance faciale et aux technologies policières du même ordre. La lutte pour la liberté et la justice a évidemment besoin d’autres dimensions et stratégies. Le jeu de pouvoir principal ne peut pas être gagné dans les rues, peut-être ne pourrait-il jamais l’être. Il reste une force symbolique.

On trouve enfin un autre niveau de conscience, sur les conflits sociaux et politiques dans Nature my Homeland de Marek Gajczak (Pologne). Le film veut offrir la possibilité d’un nouveau dialogue avec la nature, avec les bases de notre propre vie. Scientifiques, artistes et autres individus socialement engagés, chacun agissant à sa manière, face aux questions de survie les plus urgentes et les plus profondes aujourd’hui. Ce défi, nous le connaissons. Avons-nous besoin qu’on nous le rappelle, qu’on nous y confronte à nouveau ? Le connait-on assez ? Aujourd’hui, même les actions les plus faciles à réaliser tardent. Les films peuvent-ils changer la réalité ? Il faut le croire…

Dieter Wieczorek

Les Prix 2020-21 de l’Union des Journalistes de Cinéma

L’UJC a décidé pour la quinzième fois d’attribuer des prix annuels destinés à mettre en valeur les métiers du journalisme cinématographique. Quatre prix sont décernés pour 2020-21:

  • le Prix de l’UJC 2020, pour l’ensemble de sa carrière, à Jean Roy (« L’Humanité »)
  • le Prix de l’UJC 2020 de la jeune critique à Guillaume Gas (« Abus de Ciné »)
  • le Prix de l’UJC de la meilleure biographie ou du meilleur entretien 2020 à Nicolas Saada, pour “Questions de Cinéma”, Carlotta Films ed.
  • La Plume d’Or 2020 du journalisme de cinéma de la Presse étrangère en France, enfin, a été décernée pour la quatorzième fois conjointement par l’UJC et l’Association de la Presse Etrangère à Boyd Van Hoeij (« Hollywood Reporter », etc.).

La remise de prix a été effectuée à distance le 21 mai 2021 en « présence » des lauréats et de Vincent Paul-Boncour, éditeur de films et de livres et en l’occurrence du livre de Nicolas Saada (Carlotta Films)

Capture d’écran 2021-05-21 à 11.15.40

A propos de la réouverture des cinémas : 19 mai 2021

Pour moi et probablement plusieurs d’entre nous, aller au cinéma est une fête. Mon vœu était que nous encensions cette résurrection par un acte de foi religieux, mais encore impossible cette fois-ci. Tenir l’Assemblée Générale annuelle statutaire de l’Union des Journalistes de Cinéma en présentiel dans un des temples du Septième Art, le cinéma Max Linder, 24 boulevard Poissonnière, 75009 Paris, avec l’accord de Claudine Cornillat supposée par moi ravie que sa salle rouvre avec une si remarquable assistance et nous offrant l’occupation gracieuse du lieu. Après, selon nos rituels, apéro à côté au Sunset Boulevard. Ensuite déjeuner avec nos lauréats au restaurant Marcella Caffe Ouvert en Octobre 2018, 9 Boulevard Poissonnière 75009 Paris  dans ce petit coin d’Italie au cœur de Paris.

Ensuite retour au Max Linder Panorama vers 15-16 heures, en respectant la jauge médico-légale, pour une avant-première de Profession du père – chez Ad Vitam, sortie salles le 28 juillet 2021- de Jean-Pierre Améris, cinéaste révélé par la Semaine Internationale de la Critique  avec Les Aveux de l’innocent, en sa présence et celle de son comédien Benoît Poelvoorde autre révélation de la Semaine avec C’est arrivé près de chez vous, suivi d’un Q and A dans la salle. Projection gratuite pour les membres de l’UJC et leurs invités, par exemple Gaspar Noë et Lucile Hadzihalilovic, venus en voisins, Isabelle Danel pour la FIPRESCI et le CICT-UNESCO (et partage de la recette des places du public entre le Max Linder et l’ UJC !).

Avoir Pierre Zéni (Canal +) pour filmer toute cette admirable journée et en tirer un sujet et Laurent Delmas en Monsieur Loyal pour l’animer, comme il le fait si bien à Cannes lors des Rencontres cinématographiques d’hiver. Et le tout sous la houlette sourcilleuse de mon digne successeur Philippe J. Maarek.

Un rêve cette année, une réalité demain?…

Jean Roy, Président d’Honneur de l’Union des Journalistes de Cinéma

 

Communiqué du 16 mars 2021 : réouvrir les salles de cinéma !

L’Union des Journalistes de Cinéma s’associe à la pétition relayée par l’ACID concernant la demande de réouverture des salles de cinéma. L’UJC invite à la signer en cliquant sur le lien ci-contre: je signe le manifeste 

Berlinale 2021: un festival « virtuel » réussi !

La 71e édition de la Berlinale s’annonçait sous de mauvais auspices. Prévue en « présentiel », elle a dû se transformer à l’improviste entre l’automne et le mois de mars en une nouvelle configuration inédite : un festival pour les professionnels et journalistes à échelle réduite, en 5 jours, du 1er au 5 mars, et une reprise annoncée pour le mois de juin pour le public de la ville, sans doute dans des salles en plein air, du fait de la pandémie.

On doit donc féliciter les deux co-directeurs de la manifestation, le directeur artistique, Carlo Chatrian, et la directrice exécutive, Mariette Rissenbeek, qui ont réussi leur pari, pour leur deuxième année à la tête de la manifestation. Certes réduite à une centaine de films au lieu des deux à trois cents habituels, la Berlinale 2021 a pourtant fait preuve d’une belle vitalité. Les journalistes et professionnels accrédités ont pu chaque jour faire – dans leur salon, certes – leur choix entre les principales sections habituelles, la compétition, les sections « Berlinale Spécial » et « Rencontres », le Panorama, le Forum International du Jeune Cinéma, les séries, et les courts-métrages, sans oublier la section dédiée au cinéma allemand. Seul manquait à l’appel pour les journalistes, en tous cas, la rétrospective. En effet, chaque jour, le festival offrait aux professionnels accrédités deux à trois films de chacune de ces sections au minimum, ce qui donnait déjà fort à faire. Certes, il manqua ce qui fait souvent le sel des Festivals, les discussions d’après-film entre festivaliers, mais en somme, la frustration ne vint que de ce côté.

La sélection, en revanche, resserrée par la force des choses, donc, sembla au contraire, peut-être de ce fait, bien plus forte qu’à l’ordinaire, avec chaque jour un certain nombre de films marquants, pour une raison ou pour une autre.

La compétition officielle bénéficia d’un jury international très spécial, formé de six cinéastes, dont quatre purent visionner les films sur place, dans une vraie salle de cinéma. 202106025_1Dans l’esprit souvent politique de la Berlinale, ce jury engendra un palmarès bien dans l’air du temps ! En particulier, pour la récompense principale, l’Ours d’Or, il décida en effet de couronner le film du roumain Radu Jude, Bad luck banging or loony porn, une œuvre qui n’est pas sans laisser un tant soit peu perplexe. Commençant brutalement comme un film classé « X », images fort graphiques à l’appui, le film narre dans le contexte actuel du Covid-19, acteurs masqués y compris, comment une professeure se voit accusée par un jury populaire parce que les images de ses ébats ont filtré sur Internet. On peut penser que le jury a voulu récompenser la façon dont Radu Jude a su se servir de l’actualité et de la réalité quotidienne de la pandémie, mais il n’est pas sûr que son propos au second degré soit toujours perçu comme tel.

Pas de contestation, en revanche, pour le dauphin, l’Ours d’Argent Grand Prix du Jury décerné au très beau film du japonais Ryusuke Hamaguchi, Wheel of Fortune and Fantasy. Le réalisateur de Senses y juxtapose avec doigté trois scènes mettant magnifiquement en valeur les actrices féminines qui en sont les vectrices. Le hasard règne en maître dans des duos ou trios d’acteur qui réussissent à frôler le théâtre filmé sans jamais y verser. Cela fait parfois penser aux contes qu’aimait si souvent raconter Eric Rohmer, aussi bien quant à la trame scénaristique amenée d’une touche légère, comme un prétexte, et quant au talent des actrices si bien mises en valeur, face à quelques rares personnages masculins peu valorisés à dessein, comme souvent dans le cinéma de Hamaguchi.

202103036_4A propos d’actrices, le jury fit le choix de donner le prix de la meilleure interprétation à l’allemande Maren Egert, excellente dans Ich bin dein Mensch. Elle y tient le rôle d’une jeune femme qui teste pour une société un compagnon androïde au cerveau doté d’un algorithme déroutant de capacité à deviner tous ses états d’âmes. Le film, d’une bonne facture, est réalisé par Maria Schrader qui fait un passage derrière la caméra convainquant, s’ajoutant à son joli parcours antérieur d’actrice.

Mis à part ce prix, le reste du palmarès montra l’adéquation entre les choix du jury et l’ancrage traditionnel politique de la Berlinale. C’est ainsi que la mise en scène de grande qualité, mais en somme sans surprise, de Natural Light, le premier film du hongrois Denes Nagy, fut récompensée d’un Ours d’argent de la meilleure réalisation que l’on aurait bien vu plutôt attribué à Xavier Beauvois pour son Albatros. Mais le sujet de Natural Light a visiblement beaucoup fait pour ce prix. C’est en effet sans doute le premier film de repentance, en quelque sorte, et de dénonciation, de l’alliance terrible de la Hongrie du régent Horthy à Hitler durant la Seconde Guerre Mondiale. Les images lunaires et certes bien maîtrisées du film, en concordance avec son propos, renvoient à la conduite ignoble de certaines des troupes hongroises qui participèrent avec les troupes allemandes à la guerre contre la Russie. 202104498_2Très politique également fut le Prix du Jury décerné à ce qui est presque une docu-fiction, Herr Bachmann und seine Klasse, de l’allemande Maria Speth, film-fleuve de plus de 3h30 qui forme une sorte d’alliage réussi entre le cinéma de Nicolas Philibert et celui de Raymond Depardon. On y suit les efforts passionnants d’un instituteur décidé à emprunter toutes les voies possibles pour motiver les enfants venus de la diversité des banlieues d’aujourd’hui, allemandes comme françaises, en somme, un film d’une actualité forte.  Le reste du palmarès fut composé d’un prix du meilleur second rôle pour Lilla Kizlinger dans Forest – I See You Everywhere du hongrois Bence Fliegauf, un prix du meilleur scénario pour le Sud-Coréen Hong Sangsoo pour Introduction et d’un prix de la meilleure contribution artistique pour le monteur Ybran Asuad de A cop movie,  le film mexicain de Alonso Ruizpalacios.

202102046_1Quant aux deux longs métrages français sélectionnés en compétition, malgré leurs qualités, ils revinrent donc bredouilles. D’un côté, l’Albatros de Xavier Beauvois, dérouta peut-être par son changement de pied à mi-parcours, lorsque sa très belle mise en situation presque documentaire du quotidien d’un gendarme de province, à la manière de son Petit Lieutenant, se transforme en une expiation semi-onirique d’un homicide accidentel. Enfin, la rencontre à travers le temps d’une petite fille et de sa mère du Petite Maman de Céline Sciamma, joli conte plein de charme, était très certainement loin de correspondre aux choix très politiques de ce jury !

Pas seulement la compétition

Cette compétition restreinte et de bonne qualité générale fut, au moins autant que chaque année, complétée par nombre de films méritant le détour dans les autres sections du festival, avec souvent cet ancrage dans la réalité qui en fut décidément la marque cette année.

202105519_1Dans la section « Berlinale Special », Language Lessons, de l’américaine Nathalie Morales, qui y tient d’ailleurs l’un des deux rôles principaux, fait appel avec humour à une parodie de la communication « distancielle » en Zoom qui est devenue notre lot quotidien. L’idée est astucieuse, bien menée, même si le procédé est un peu fastidieux à la longue – comme les sessions en Zoom, en somme!

Le « catastrophisme » ambiant en ce moment était aussi représenté par des films de qualité dans cette section, notamment avec Tides de Tim Fehlbaum. Notre Terre massacrée par les humains n’y est plus dans un futur proche qu’une planète presque inhabitable, envahie par la montée des eaux des océans, et fuie dans l’espace par quelques riches exilés qui tentent d’y revenir après deux générations, un thème en somme déjà classique, dont même les séries télévisées se sont déjà emparées (Les 100). La section Panorama ne fut pas non plus en reste de catastrophisme avec notamment le Night Raiders du canadien Denis Goulet où les enfants deviennent « bien d’État » dans une Amérique du Nord devenue dictatoriale, un peu comme le Gilead  de la Servante Ecarlate.

202102062_3Quant à la repentance, c’est aussi le thème de Azor, d’Andréas Fontana, dans la section « Rencontres », qui dénonce avec intelligence la connivence sordide de la banque suisse et des bourreaux de la dictature militaire argentine des années 1970-80, et bien sûr du Mauritanien, où Jodie Foster vient appuyer de son talent la mise en cause par Kevin McDonald de la torture à Gantanamo, un autre film de la section « Berlinale Special ».

Un marché du film très fourni

Alors que les journalistes avaient donc accès à ce bel ensemble de films, les acheteurs et vendeurs professionnels du cinéma mondial pouvaient parallèlement accéder durant ces cinq journées à des centaines de projections dans le cadre du Marché du Film. Le catalogue des films disponibles à la vente était aussi impressionnant qu’à l’ordinaire, avec pas moins de 28 pages écran d’une trentaine de films chacune. Cela montra ainsi que, comme à l’ordinaire, le Marché du Film berlinois a été le premier grand rendez-vous mondial des professionnels du cinéma de l’année 2021. Les projections du Marché étaient complétées par un mix de podcasts, de webinaires en direct et autres ateliers en Zoom ou enregistrés qui permettaient de rappeler a minima que les marchés du film sont aussi des espaces de rencontre – ici par la force des choses réduits à une version « à distance ».

Il reste à souhaiter à la Berlinale que la pandémie s’apaise suffisamment pour que sa version « publique » où les films seront repris pour le public berlinois puisse se dérouler dans de bonnes conditions, afin de le faire profiter de cette sélection de bon aloi qui ne dépare pas de celle des millésimes ordinaires, loin de là !

Philippe J. Maarek

Communiqué du 22 février 2021

L’Union des Journalistes de Cinéma s’associe aux protestations concernant les menaces de fermeture des options artistiques au lycée, l’un des viviers de la profession cinématographique, mais aussi de l’éveil à la culture des jeunes générations.

Soutien de l’UJC aux salles de cinéma

Communiqué de presse de l’Union des Journalistes de Cinéma du 17 décembre 2020

L’Union de Journalistes de Cinéma soutient le recours mené par la FNCF au nom de l’ensemble des professionnels du cinéma pour contester le maintien de la fermeture des salles de cinéma durant les fêtes de fin d’année. Ce maintien a en outre été décidé brutalement alors que la réouverture annoncée pour le 15 décembre avait occasionné de nombreuses dépenses de promotion et de préparation de la réouverture, exposées inutilement alors que la profession est déjà en grande difficulté cette année.

Briser les murs au Festival du film « Listapad » de Minsk

Capture d’écran 2020-12-17 à 13.23.02L’annulation de dernière minute par les autorités de Biélorussie du 27e Festival international du film Listapad de Minsk, même dans sa version  virtuelle, en avançant qu’il s’agissait d’une mesure anti COVID, a porté un coup sévère à l’indépendance de la Culture dans le contexte des manifestations populaires et de la bataille pour la liberté dans les rues. Mais tous les jurys prévus pour le Festival ont exprimé leur détermination à continuer leur travail en ligne, même si les résultats ne seraient officiellement annoncés au public local que lors du 28e Festival l’année prochaine.

Les Prix ne pouvaient que traiter cette fois, comme d’ailleurs la plupart des films du festival interdit, de la lutte politique, sociale et culturelle des hommes et des peuples. Le jury en ligne de la FIPRESCI a décidé de décerner son prix «New Voices» au film indien Just like that (Juste comme ça), pour sa contribution importante à la lutte pour les droits des femmes. Le film est magnifiquement réalisé, tourné et interprété, nous faisant comprendre les obligations oppressives, les attentes sociales ,que l’Inde inflige aux femmes âgées après que leurs «devoirs» ont été «accomplis».

Après 52 ans de mariage, la jeune veuve Mme Sharma (Mohini Sharma) a décidé de commencer à vivre pour elle-même et de ne pas, comme on s’y attend, agir en « bonne veuve » et emménager avec son fils Virendra (Harish Khanna), reporter de la radio locale, et sa femme Sonia (Sadhna Singh). Elle commence à sortir pour s’acheter des glaces, recevoir des soins de beauté, apprendre l’art de la fabrication de Kislaypoupées avec l’aide d’un tailleur local et, le plus «choquant», contrôler son propre argent: elle ouvre son premier compte bancaire. Malgré la pression de Virendra de «déplacer» sa chambre en bas pour que la famille à court de ressources financières puisse louer l’étage supérieur, elle résiste obstinément. Pour aggraver les choses, elle se lie d’amitié avec une jeune femme qui travaille dans le salon qu’elle commence à fréquenter, Sugandhi (Trimala Adhikari), et un homme musulman, Ali (Mohammed Iqbal), qui lui apprend à coudre. Rapidement, Mme Sharma devient la source des potins de la ville d’Allahabad mais persiste à refuser de sacrifier son indépendance.
Le réalisateur Kislay transmet efficacement son message, en touches légères. Il illustre parfaitement la position de Mme Sharma avec une combinaison d’images aliénantes qui la mettent hors de la foule et introduisent le monde dans sa nouvelle vie. La structure du film repose sur la compréhension de la façon dont Mme Sharma passe d’un état ou elle se sent complètement libérée à celui où elle se sent s à nouveau piégée, mais elle laisse l’espoir à une vieille femme de briser les murs de la tradition injuste.

Par ailleurs, en réponse directe à la soudaine interdiction de l’Etat de tenir le Festival, le Jury a décidé de décerner exceptionnellement un Prix Spécial au court métrage documentaire biélorusse Walls (Murs), présenté en projection spéciale, pour sa forte expression et description des manifestations contre le pouvoir biélorusse, en expression de solidarité avec les organisateurs du Listapad Festival et à la lutte des créateurs de la culture biélorusse pour le respect des droits de l’homme et de la liberté d’expression. À travers l’utilisation d’outils du quotidien tels que les smartphones, le réalisateur Andrey Kutsila y élabore un portrait émouvant de Biélorusses à la recherche de leurs proches, détenus dans les prisons de Minsk après les manifestations d’août 2020, dans une œuvre à la fois d’intérêt humain et cinématographique.

Kutsila ne raconte pas les histoires des victimes de torture elles-mêmes, mais celle de leurs proches, protestant sous les murs de la prison de la rue Akretsina, dans un état émotionnel d’incertitude, de confusion et d’espoir. La caméra capte les visages individuels e et « écoute » leurs conversations. Kutsila met intelligemment en valeur l’hymne « Briser les murs de la prison » entonné par les manifestants  dans les rues, dont les paroles sont la traduction biélorusse de l’hymne du mouvement de solidarité polonaise de 1978, Mury, écrit par le poète et auteur-compositeur-interprète Jacek Kaczmarski. Lui-même avait basé son air sur  » ’Estaca  catalan de 1968, de Lluis Llach, une chanson de résistance contre le régime de Franco en Espagne. Plus récemment, l’hymne a également été chanté et joué en Tunisie lors du printemps arabe.

Gidéon Kouts

Le 45e Festival de Toronto transformé par le coronavirus

Social_FBPour leur seconde année à la tête du Festival de Toronto, Cameron Bailey, le co-directeur et directeur artistique du festival et Joana Vicente, sa co-directrice et directrice exécutive, ont dû faire face à des difficultés considérables du fait de la pandémie due au Covid-19. Il a tout de même eu lieu aux dates prévues, du 10 au 19 septembre, sous un format considérablement adapté, et avec un slogan révélateur de l’humour et de la résilience du Festival: « Le popcorn pour diner, ça continue (au Festival)« 

Contrairement aux festivals européens de la rentrée, Toronto a en effet cette fois pâti de sa position en Amérique du Nord. En Europe, où la circulation dans la zone Schengen de l’Union Européenne était relativement facile pour des professionnels européens désirant s’y rendre, Venise, Deauville ou San Sébastian ont pu se dérouler presque normalement. Certes ces manifestations ont été forcées de réduire le nombre de spectateurs et de les soumettre à des mesures de sécurité drastiques afin d’éviter la propagation du virus. Mais, en somme, il n’y manquait justement, que les professionnels nord-Américains, de toutes les façons plus friands de Toronto que de l’Europe en cette période. Or Toronto, situé au Canada, était dans la pire des positions, puisque depuis le début de la pandémie ou presque, le gouvernement de ce pays a quasiment fermé les frontières aux voyageurs, y compris ceux des États-Unis. La grande transhumance habituelle vers le festival des professionnels européens, asiatiques, et surtout de ceux d’Hollywood et de New-York, les deux pôles de l’industrie des États-Unis, qui fait de ce festival un lieu de rencontre mondial si important pour la profession, était donc rendue impossible.

Le tandem Bailey-Vicente a donc décidé de maintenir le festival, tout en le transformant temporairement : au départ une cinquantaine de longs métrages seulement, au lieu des 250 à 300 habituels (un peu plus au final). Un choix plus tourné vers les films d’auteur qu’à l’ordinaire, par la force des choses, du fait de la raréfaction des films du grand voisin du Sud. Du fait des consignes de sécurité, seules quelques salles du Bell Lightbox, le quartier général du festival, accueillaient le public, sous réservation, et les rares invités et professionnels présents, principalement canadiens. Surtout, afin de continuer à faire du Festival un événement dirigé vers le public torontois, quatre « drive-in » en périphérie de la ville accueillaient les habitants de la ville, qui pouvaient aussi prendre des abonnements pour la plate-forme numérique du Festival sur Internet.

Comme le Marché cannois le fit à la fin juin, les professionnels, vendeurs et acheteurs, eurent, eux, la possibilité d’accéder aux films sur Internet. Près de 4000 se sont enregistrés, et le flux d’affaires ne fut pas négligeable. Ils purent bénéficier de la plate-forme bien rodée de Cinando, « Match and Meet ». Les acheteurs de Netflix, en particulier, bien présents en ligne, achetèrent trois films de la sélection. La presse fut également interdite d’accès dans les salles, et ne put accéder aux films que sur Internet.

nomad-land-chloe-zhao-frances-mcdormandNomadland, Prix du public

Puisque public il y avait tout de même, parmi une sélection délibérément marquée par une participation de 43% de réalisatrices et de 46% de représentants de la diversité, le 43e prix du public fut décerné par les spectateurs à Nomadland, le film de Chloé Zhao incarné par Frances McDormand, qui venait d’ailleurs de recevoir le Lion d’Or du Festival de Venise. Une fois de plus, Toronto pourrait bien avoir été là la rampe de lancement d’un film pour les Oscars ! Nomadland était suivi dans les votes par One Night in Miami, premier film de Regina King, et par Beans, de Tracy Deer. Un prix du public fut également décerné spécifiquement pour la section documentaire à inconvenient-indian-01Inconvenient Indian, de Michelle Latimer, également récipiendaire du prix Amplify Canada Goose du meilleur film canadien. Enfin un prix du public de la section « Midnight Madness » revint à Shadow in the Cloud, de Roseanne Liang. Le Prix Fipresci de la Critique Internationale, enfin, fut décerné par un jury « à distance » à Beginning, le premier long métrage de la Georgienne Dea Kulumbegashvili dont un court-métrage avait été sélectionné au Festival de Cannes en 2014.

Il ne reste qu’à espérer que le Festival de Toronto 2021 puisse se dérouler normalement. On le lui souhaite !

Philippe J. Maarek

 

L’arche du cinéma a débarqué à Deauville

deauvilleAprès le déluge, l’arche de Noé a débarqué ses voyageurs représentatifs des espèces animales et humaines sauvés des eaux, au sommet du Mont Ararat. Après le terrible vide qu’a créé le Covid-19 dans le Septième Art, le 46ème Festival du cinéma américain a servi d’ « arche » permettant de conserver de fins spécimens du cinéma américain contemporain. Mais le festival de Deauville fut aussi cette fois hexagonal, avec la projection de dix films « labélisés » Festival de Cannes, la principale victime de la pandémie parmi les grands festivals du cinéma. Et les plages de Deauville ont joué cette année le rôle du Mont Ararat !

Les drapeaux américains ont flotté, comme d’habitude, partout sur la station balnéaire, mais cette fois, il n’y avait pas de représentants en personne de cette Amérique cinématographique pour les admirer. Néanmoins, les films ont bien été là pour prouver les mots justes de l’invité principal du premier weekend du festival, le Délégué général du Festival de Cannes Thierry Frémaux, selon lesquelles il n’y pas de vrai cinéma sans salles et sans public. La grande et très fonctionnelle salle du Centre international de Deauville, majestueusement enterrée au bord de la mer en a donné la preuve. Elle était bien remplie – c’est-à-dire un peu plus qu’à la moitié, selon la réglementation sanitaire en cours, par des cinéphiles bien masqués et néanmoins bienveillants vis-à-vis des bons films – et même des moins bons – qui y ont été présentés. Même le diner d’ouverture a été maintenu- mais divisé en trois.

Le délégué général Bruno Barde a tenu sa promesse et réussi son pari et a même pu laisser généreusement la scène à ses collègues de Cannes, Pierre Lescure et Thierry Frémaux lors de l’ouverture. Celui-ci ne s’est pas privé de l’occasion de présenter de manière très détaillée les films qui auraient pu défiler cette année sur la Croisette tout en étant bien obligé de parader sur les non moins mythiques planches de Deauville. Cet œcuménisme, certes bienvenu, du millésime 2020 du Festival de Deauville a même parfois dérouté, lorsqu’on s’est demandé s’il ne fallait pas échanger le drapeau américain avec celui de la Corée puisque fut projetés, d’abord en ouverture du festival le très gentil, et parfois piquant, film sur l’immigration, Minari de Lee Isac Chung, ainsi qu’à un autre moment Peninsula, le film de zombies à sauce de pandémie du nouveau maitre oriental du genre Sang Ho Yeon. Mais l’apparition d’une vraie star hollywoodienne, Michaël Douglas, même en vidéo, dans le cadre d’un hommage à son père Kirk, décédé cette année, a un peu rassuré les amateurs de « l’American connection » habituelle de Deauville.

Le public a semblé beaucoup apprécier la très sympathique et très distinguée victime homosexuelle de l’injustice sociale,L’Oncle Frank d’Allan Ball. En revanche, Eleanor Coppola, a prouvé dans son film à sketches Love is Love is Love qu’un nom ne suffit pour faire du bon cinéma, réussissant même à susciter quelques rires déplacés derrière les masques du public, pourtant d’habitude si lénient, du Festival de Deauville. Deux femmes cinéastes ont marqué le festival. Kitty Green avec sa cruelle et précise mise en scène de The Assistant, et Kelly Reichardt avec First cow, un western socio-écolo un peu laborieux mais plein de belles  images et de bonnes intentions. Maints films de la sélection ont sombré, probablement à juste titre, dans une vision apocalyptique de l’Amérique, mais finalement, tous se sont réconciliés autour de l’inquiétant chef d’œuvre de  Sean Durkin The Nest , sur les dangers de la vie de famille.

Gideon Kouts

comp_photo-film-the-nest-ok-1900x1069Les prix du 46ème Festival de Deauville :

Grand prix, prix de la critique, prix de la révélation, The Nest, de Sean Durkin.

Prix du jury : Ex-aequo, First Cow de Kelly Reichardt et Lorelei de Sabrina Doyle

Prix de la mise en scène : The Assistant, de Kitty Green

Prix du public : Uncle Frank, de Alan Ball

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