VENEZIA 77, AU TEMPS DU CORONA
Gagnant haut la main son pari, la 77e Mostra de Venise, a une fois de plus fait la démonstration de son audace et son indépendance. « Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser le cinéma mourir » s’exclamait Alberto Barbera, le directeur du plus ancien Festival de Cinéma du monde dans un interview. « Nous avons besoin de l’écran comme expérience unique et irremplaçable. Notre combat est de ramener les gens au cinéma ». En pleine pandémie du Covid-19, dans un pays qui venait de subir un désastre en pertes humaines, alors que tous les autres festivals s’étaient résignés, comme Cannes, à tout simplement annuler leur manifestation ou à sauver leurs sélections en mettant leur programmes seulement en ligne et transformant ainsi leur festival en un évènement 100% virtuel, le pari d’Alberto Barbera d’attirer des professionnels et du public dans ces conditions et dans un tel contexte sur le Lido paraissait un projet assez fou.
Malgré des incertitudes qui planaient jusqu’à la dernière minute sur la faisabilité de la manifestation, malgré des annulations par frilosité et peur du covid des uns, ou à cause de problèmes de voyage pour d’autres, le miracle du premier « vrai » festival après le confinement a bien eu lieu – pour le bonheur de tous ceux qui y ont participé. Certes, ce ne fût pas une année comme les autres, et non pas seulement à cause de l’absence des grands films et de stars américains, interdit de voyage comme tant d’autres nationalités d’ailleurs. Une organisation méticuleuse et remarquablement efficace afin de garantir le plus de sécurité sanitaire possible mit tout l’espace du festival sous une sorte de havre hautement surveillé où quasiment chaque pas du festivalier était enregistré et suivi. Accueilli par des policiers lourdement armés aux différents points d’accès du festival et après un contrôle minutieux des sacs et un passage obligé par une caméra thermique indiquant sa température, le festivalier n’avait quasiment plus de possibilité de respirer librement l’air frais. En effet, la surveillance du port du masque permanent (enlevé sauf pour boire ou manger) aussi bien dehors et qu’à l’intérieur était redoutable. Et l’œil vigilant des gardiens de notre santé, équipés de pointeurs infrarouges dans les salles, scrutait en permanence le public pour rappeler à l’ordre quiconque essayait discrètement de baisser son masque dans le noir. Même à chaque passage dans la salle de presse, l’arrivé et le départ de chacun était scrupuleusement notée ainsi que son emplacement dans la salle.
Puisque les places dans les salles étaient reduites de moitié, le festival a multiplié les séances dans d’autres cinémas et avec des projections en plein air aussi bien sur le Lido qu’à Venise et même à Mestre. Un système de réservation obligatoire de tickets par Internet, y compris pour les projections de presse, accessible 72h avant la projection, empêchait toute décision spontané comme changer à la dernière minute de film ou changer de place même dans une salle peu remplie. Malgré quelques difficultés au début, ce système permit efficacement de distribuer et de canaliser l’afflux des spectateurs en respectant la distanciation sanitaire indispensable. Cela dit, le nombre des accréditations ayant été réduit d’un tiers, on se sentait parfois bien seul dans les grandes salles…
Puis, il y a eu ce fameux mur en carton dont les photos firent le tour de tous les journaux: sur presque 50 m de long et avec une hauteur de 2m50, il s’élevait devant la façade du Palazzo du Cinema afin de cacher le tapis rouge et ainsi d’empêcher la foule des fans – souvent plutôt jeunes et un brin hystérique – de s’agglutiner comme d’habitude devant le Palais en attendant le défilé des célébrités dans l’espoir d’un selfie ou un autographe. Un mur un tant soit peu surréaliste car mis à part les quelques stars réunies lors de l’ouverture du festival il n’y avait pas tant de monde que cela sur ce tapis rouge…
Et les films alors ? Ils ne manquaient pas, et on les regardait avec plaisir en retrouvant les salles de cinéma, et certains même très bons. Une sélection plus réduite, certes, mais suffisamment riche pour bien remplir son programme de visionnement journalier.
Comme toujours, la sélection présentait un certain penchant pour des thèmes politiques brûlants mais sans pour autant verser dans le politiquement correct dans ces films qui nous parlent de la résistance à l’oppression et la répression de l’état, du terrorisme de gauche dans le passé (Padrenostro de Claudio Noce) ) et de la lutte actuelle contre l’essor de l’extrême droite (l’excellent film allemand de Julia von Heinz , Und morgen die ganze Welt (And Tomorrow the Entire World) , des crises migratoires et des guerres par procuration (Notturno, de Pierfranco Rosi, l’impressionnant essai documentaire tourné entre l’Irak, le Kurdistan et la Syrie, ou Guerra et Pace, une réflexion visuelle complexe de Martina Parenti et Massimo D’Anolfi sur les rapports entre cinéma et guerre) ou bien des luttes pour l’égalité des noirs aux USA, comme dans ce film éminemment intelligent de Regina King, One Night in Miami, présenté hors compétition Elle y imagine une rencontre fictive en 1964 entre Malcolm X, Muhammad Ali (alors Cassius Clay), le sportif et acteur Jim Brown et la star de la soul Sam Cooke, pour les faire débattre – et s’affronter – toute une nuit dans le huis-clos d’une chambre d’hôtel sur les différentes stratégies de lutte pour l’égalité… qui n’ont pas perdu leur actualité aujourd’hui, hélas.
L’un des moments forts de la compétition fut Dear Comrades !, du vétéran du cinéma russe Andrej Konchalovsky, un film époustouflant en noir et blanc qui sort de l’oubli le massacre de Novotcherkassk, en 1962, lorsque les ouvriers de cette ville se mirent en grève pour manifester contre la hausse des prix et la baisse de leurs salaires. Un grève des travailleurs dans un pays communiste étant évidemment inconcevable, Moscou dépêche ses troupes dans cette région du Don, et les tireurs d’élite du KGB se chargent de tirer en cachette sur la foule. Un drame, dont toute trace est aussitôt effacée sur ordre du pouvoir, vu à travers le regard d’une femme endurcie, membre dévouée du parti, dont la fille est impliquée dans les manifestations, et pour qui l’évènement va ébranler à jamais ses certitudes.
Posant lui aussi un regard sur l’histoire de son pays, Wife of a Spy, le premier film « historique » du japonais Kiyoshi Kurosawa, nous plonge dans le début des années quarante à Kobe, à la veille de la Deuxieme guerre mondiale, lorsqu’une jeune femme découvre que son mari s’apprête à dévoiler à l’ennemi américain des expérimentations secrètes de l’armée japonaise en Mandchourie. Jouant en permanence sur l’ambiguïté, ce thriller subtil et intriguant, suit un couple tiraillé constamment entre amour, doute et méfiance, dans un Japon en proie à un nationalisme exacerbé pendant les années de guerre.
Point de subtilité en revanche dans Nuevo Orden (New Order) du mexicain Michel Franco, qui nous jette en plein figure (c’est le mot pour le dire) sa vision dystopique d’un Mexique en plein implosion, en détaillant avec une violence inouïe en détails et gros plans une révolte ultra-sanglante des pauvres contre les riches, qui sera écrasée avec la même violence sanglante et doublée d’une bonne dose de perversité par un État dictatorial. Franco, qui veut envoyer avec son film un signal d’alarme contre l’explosion des inégalités sociales dans le monde et dit avoir été inspiré pèle-mêle par les actions des Gilets Jaunes en France, d’Occupy Wall Street et de Black Life Matters aux USA et les mouvements contestataires à Hongkong, au Chili et au Liban, pour lui les symptômes d’une rupture mondials de l’ordre social. Un message plutôt brouillé… Très apprécié cependant de la presse internationale, Franco reçut le Grand Prix du Jury.
Puis, arriva le tout dernier jour Nomadland de la cinéaste américaine Chloe Zhao, film « coup de cœur » qui remporta un Lion d’Or amplement mérité. Ce docudrame surprenant et insolite sur l’Amérique d’aujourd’hui est porté magnifiquement par Frances McDormand , l’antithèse de la star hollywoodienne, dans son meilleur rôle jusqu’à présent, qui crève l’écran, comme déjà il y a trois ans d’ailleurs à Venise dans Three Billboards Outside Ebbing, Missouri le film de Martin McDonagh. Elle incarne une femme qui, après la fermeture définitive de son entreprise au Nevada, perd non seulement son emploi mais aussi sa maison. Elle rejoint alors dans son vieux camping-car cette nouvelle tribu d’Amérique qui sillonne en van et mobile-home les routes de l’Ouest, à la recherche d’un boulot saisonnier, d’une communauté éphémère et d’un nouveau sens de la vie. Solitaires mais solidaires, pour la plupart à l’âge de la retraite, mais sans assez de ressources pour pouvoir s’arrêter de travailler, ils ont troqué leur vie bien rangée d’antan de classe moyenne ou ouvrière contre une liberté qui renvoie tantôt aux images exaltantes du mythe américain tantôt à celles plus sinistre des migrations de la Grande Dépression. Inspiré par l’enquête de Jessica Bruder, « Nomadland: Surviving America in the Twenty-First Century » et par le chantre du nomadisme radical et anticapitaliste, Bob Wells, qui lui aussi apparaît dans le film, Zhao a intégré dans son récit autour de son personnage de fiction des non-professionnels, de « vrais » nomades qui incarnent leur propre vie et apportent généreusement leur expérience. C’est un très beau film, bouleversant et émouvant sans pour autant trop romantiser la sombre réalité politique et sociale américaine qui a jeté ces nomades des temps modernes sur les routes.
Malgré cette réussite de Venise, au final, on peut se demander quel est l’avenir des festivals au temps du coronavirus ? N’avons-nous que le choix de rester cloîtré chacun chez soi, devant notre écran individuel, pour participer un de ces « nouveaux » festivals virtuels, ou de subir cette surveillance élaborée jusqu’au moindre détail, comme au Lido ? Est-ce cela le prix à payer désormais pour vivre un festival ? Et tout cela ne contribue-t-il pas insidieusement à nous habituer petit à petit à la surveillance et au contrôle generalisé ? Mais en même temps, il y a des moments où toute cela est oublié, comme au réveil, face à la lagune, lorsque se dessine au loin la silhouette de Venise -une ville, qui a survécu à tant de désastres à travers les siècles et en subira sans doute encore bien d’autres dans le futur, une ville menacée en permanence, l’image même de la résilience, tout comme la Biennale, qui a connu des hauts et des bas mais qui est toujours debout. Alors on se sent tout simplement comblé par le bonheur diffus d’être là une fois de plus, au sein du plus beau festival du monde.
Barbara Lorey de Lacharrière
Les prix de la Mostra de Venise 2020-09-28
Lion d’Or du meilleur film : Nomadland de Chloé Zhao (Etats-Unis)
Grand Prix du jury : Nuevo Orden de Michel Franco (Mexique)
Lion d’Argent du meilleur réalisateur : le Japonais Kiyoshi Kurosawa pour Les amants sacrifiés
Prix du meilleur scénario : l’Indien Chaitanya Tamhane, scénariste et réalisateur de The disciple
Prix spécial du jury : Chers camarades d’Andreï Kontchalovski (Russie)
Prix de la meilleure actrice : la Britannique Vanessa Kirby pour son rôle dans Pieces of a woman de Kornel Mundruczo
Prix du meilleur acteur : l’Italien Pierfrancesco Favino pour son rôle dans Padrenostro de Claudio Noce (Italie)
Prix « Marcello Mastroianni » du meilleur jeune interprète : l’Iranien Rouhollah Zamani, un enfant des rues de Téhéran protagoniste pour son premier rôle dans Khorshid de Majid Majidi
Un cinéma qui s’interroge : Molodist 2020
Pour sa 50e année, le festival Molodist de Kiev a eu lieu du 22 au 30 août 2020. Décider de maintenir le festival, qui a normalement lieu de fin mai à août, était déjà un pari risqué. Comment organiser un tel événement en pleine période de pandémie mondiale ? Prenant une direction qui pourrait prévaloir pour l’avenir des festivals de cinéma, les organisateurs ont décidé d’un compromis : un festival hybride à la fois en- et hors-ligne. Ce sont donc les invités eux-mêmes qui décidaient ou pas de venir assister aux projections. Ainsi, plusieurs films ont été présentés avec une introduction vidéo de la part des réalisateurs. Les spectateurs ont ainsi vu les plages Brésiliennes de la fenêtre de l’un et les rues désertes de Melbourne – ville d’Australie toujours en confinement – par la fenêtre d’un autre.
A ce propos, on remarquait beaucoup Кіно не без питань, le nouveau slogan du le festival, qui se traduit littéralement par « cinéma non sans questions » et en anglais par la phrase chic « film for thought ». Avec des cahiers et des stylos, on offrait des masques noirs aux invités où ce slogan était imprimé – alertant des préoccupations pour le monde du cinéma dans une ville qui devient de plus en plus consciente des risques de COVID-19.
Le jury FIPRESCI, composé de trois membres venant d’Ukraine, d’Italie et de France, a choisi parmi les films de la compétition internationale du festival. Son prix a été décerné au film Deux, une coproduction belge, française et luxembourgeoise, réalisé par l’italien Filippo Menegetti. Il s’agit d’un film d’amour sur la vie d’un couple lesbien dans sa soixantaine, qui cache depuis très longtemps leur relation homosexuelle. Le personnage de la mère n’arrive pas à faire son coming-out auprès de ses propres enfants. Il s’agit d’une double révélation parce que sa sexualité et sa liaison ont été rigoureusement cachées. Les choses atteignent un stade critique lorsque son amante part en vrille dans la rue devant une connaissance mutuelle, la traitant de « vielle gouine ». Quand le scandale éclate au grand jour, la prise de conscience brutale qui s’ensuit va provoquer une profonde remise en cause des choix de toute une vie.
Le coming-out est également la thématique du film de Malou Reymann, A Perfect Family (En helt almindelig familie). S’appuyant sur sa propre vie avec un père transsexuel, la cinéaste montre l’histoire d’une famille en plein bouleversement. Malgré un début honnête, ce film ne s’approche guère de la beauté subtile de Deux.
La spécialité du festival Molodist est de ne projeter que des premiers ou seconds films. En particulier, cette année, les douze films en compétition internationale étaient des premiers films. Pour un amateur de cinéma, découvrir tant de nouveaux réalisateurs en l’espace d’une semaine est une proposition très attirante. On a le sentiment d’explorer des nouveaux territoires, de nouvelles façons de voir et de découvrir des schémas de pensée. Parmi les douze films présentés, sept d’entre eux étaient réalisés par des femmes, au sein desquels Myriam Verreault et Melina León se démarquent pour la qualité et le style de leur œuvre.
Le jury international a partagé son prix entre deux films. Tout d’abord Kuessipan, par la jeune réalisatrice Myriam Verreault, s’intéresse aux personnes de la communauté innus (plutôt qu’inuit), ce peuple autochtone du Nord-Est du Québec. Basé sur le roman éponyme de Naomi Fontaine, le film fait vivre la passion et la rage qui habite les personnages du film. D’autre part, Sin señas particulares,relate l’histoire de braqueurs qui errent sur la frontière entre la Mexique et les Etats-Unis, ainsi que leurs nombreuses victimes.
En plus de la compétition internationale, le festival propose une compétition nationale, deux sélections de courts-métrages et une sélection des films LGBT+ (qui existe depuis 21 ans maintenant). Avec son programme intelligent et novateur, ce festival peut se targuer de montrer des nouveaux films de qualité fait pour et par des jeunes qui n’ont pas peur de tenter de nouvelles approches au cinéma.
Colette de Castro
Grand Prix de la compétition officielle : Identifying Features, Fernanda Valadez, Mexique, Espagne, 2020, 97′ ex-aequo avec Kuessipan, Myriam Verreault, Canada, 2019, 117′
Prix du public : Two of Us, Filippo Meneghetti, France, Luxembourg, Belgique, 2019, 95′
Cerf d’or pour sa contribution au cinéma mondial : Robert Hossein
Grand Prix de la competition nationale : Hideout, Oksana Voitenko, Ukraine, 2020, 27′
Prix «Sunny Bunny» LGBT+ : Dry Wind, Daniel Nolasco, Brésil, 2020, 110’
Prix FIPRESCI de la Critique Internationale :Two of Us, Filippo Meneghetti, France, Luxembourg, Belgique, 2019, 95′
Prix du Jury œcuménique : Song Without a Name, Melina León, Pérou, Espagne, USA, 2019, 97′
HKIFF 2020: Menaces globales dans le jeune cinéma à Hong-Kong
Dans son article très intéressant écrit il y a vingt ans dans le numéro 7 de la revue Asian Cinema sous le titre « Identité locale et globale: où est le cinéma de Hong Kong » , Stephen Teo constate que « Le monde d’aujourd’hui est essentiellement un monde bifocal. Les cinéastes du monde entier s’intéressent à leur propre cinéma national, puis à Hollywood ... », et il tente de considérer le cinéma de Hong Kong comme un cinéma national, d’une part, et comme un cinéma transnational, d’autre part. « Des questions seront sans aucun doute posées», note-t-il, «quant à savoir si le cinéma de Hong Kong possède ou non une identité mondiale, tout comme il y aura des discussions sur son identité nationale ». Vingt ans plus tard, on peut élargir la question à l’ensemble du cinéma chinois et asiatique – mais aussi traiter séparément le «jeune cinéma» émergent pour lequel Hollywood n’est plus le bon modèle, à moins qu’il ne soit détourné…
Le festival de Hong-Kong, qui devait se dérouler en mars, a finalement eu lieu de façon virtuelle en août. Parmi les huit excellents films présentés au HKIFF 2020 dans le cadre de la section « Jeune cinéma», trois d’entre eux provenaient de pays non asiatiques, chacun utilisant ses propres outils cinématographiques. Ils illustrent bien cette transnationalité et cette mondialisation – notamment dans les thèmes et symboles.
Prenons le thème des «menaces et dangers» mondiaux tels qu’ils sont perçus, de manière plutôt critique et subversive, par cette jeune génération de cinéastes.
-D’abord, «l’autre», l’étranger, mais aussi les «vieux», des «vieilles» générations, ne représentent plus «la sagesse» et l’ordre, mais souvent la notion du mal lui-même; même respectables, ils méritent la mort.
-Le sexe est une source de danger et de trahison en lien souvent avec la mort.
-La famille traditionnelle est souvent pervertie, ou à la recherche de nouvelles structures, et n’assure plus amour et protection.
-Le corps humain devient une prison socialement construite.
-La mort est souvent violente sans égard pour les morts. Ils feraient mieux de disparaître, et de préférence être ensuite incinérés.
-Maladies et épidémies, souvent.
-Les animaux, réels ou surnaturels, sont une menace pour les humains, mais eux seuls méritent la pitié…
– Enfin l’Autorité – le pouvoir politique ou les riches, sont les ennemis impitoyables de la jeunesse.
Quelques lignes résumant les scénarios de quelques-uns de ces films montrent bien la dominance de ces préoccupations:
• Dans Soyez vivant comme vous du taïwanais Lai Meng Jle, Six est un homme handicapé, qui passe ses journées à vendre des billets de loterie et des collations dans les rues. Il est présenté à Noodle, une jeune femme solitaire travaillant dans une papeterie délabrée, par le propriétaire (âgé) qui la viole régulièrement. Leur romance graveleuse propose une exploration des désirs sexuels des handicapés, sans défense contre la cruauté du monde « réel», mais seulement après le meurtre du violeur…
• The Cloud in her Room, de la chinoise Zheng Lu Xinjuan, voit Muzi rentrer chez elle dans la ville de Hangzhou pour célébrer le Nouvel An chinois avec sa famille. Ses parents sont divorcés, son père musicien s’est remarié et est le père d’une jeune fille, tandis que sa mère semble osciller entre copains dans une brume d’alcool et de fumée de cigarette. Elle est dans une relation insatisfaisante avec un photographe décontractéL Et puis il y a une amie de l’âge de Muzi, qui surgit de temps en temps – elle n’est peut-être rien de plus qu’un produit de l’imagination de Muzi. Ou, peut-être qu’elle est en fait un autre amant …
• Dans Wisdom Tooth du réalisateur chinois Liang Ming, Gu Xi fait face à un avenir incertain. Son travail de femme de chambre dans un hôtel est menacé en raison de son statut de citoyenne sans papiers et sa relation avec son frère Gu Liang – sa seule famille – est perturbée par l’arrivée de sa nouvelle petite amie. Pendant ce temps, un déversement de pétrole souille les eaux côtières de la Mer Jaune voisine et la corruption s’infiltre dans la communauté du petit village de pêcheurs
• Le scénario de Stoma film de Kit Hung (Hong-Kong) sur la défunte icône culturelle Julian Lee est basé sur le combat de Lee contre le cancer. Le film suit le voyage émotionnellement éprouvant enduré par le jeune photographe gay Alex, après avoir reçu un diagnostic de cancer péritonéal. Abandonné par son frère et son amant européen, Alex est contraint de faire face à sa mortalité et à la perte de son identité sexuelle.
• Héros de Kala Azar de Janis Rafa (Pays-Bas-Grèce), Penelope et Dimitris sont des crémateurs professionnels pour animaux de compagnie. Ils parcourent la périphérie tentaculaire d’une ville industrielle grecque, récupèrent les animaux disparus de leurs propriétaires, les brûlent et rendent leurs cendres. Mais le pèlerinage du couple crépite aussi d’une certaine compassion, d’une empathie qui brouille leur distance par rapport aux carcasses et complique leur rôle de croque-mort. «Vous pouvez inclure certaines des choses préférées de votre animal», dit Pénélope à une femme en deuil avant de plier un mouchoir sur son poisson rouge mort…
• Enfin, du réalisateur du Lesotho Lemohang Jeremiah Mosese venait Ce n’est pas un enterrement, c’est une résurrection. Dans les montagnes du Lesotho, une veuve de 80 ans nommée Mantoa apprend la disparition de son fils qui avait travaillé dans les mines sud-africaines. Aspirant à sa propre mort après la perte de celui qui était le dernier membre de la famille, elle se résout à défendre l’héritage spirituel de la communauté quand elle apprend que les autorités provinciales ont l’intention d’évacuer le village, d’inonder toute la zone et de construire un barrage
The Cloud in Her Room du chinois ZHENG Lu Xinyuan et This Is Not a Burial, It’s a Resurrection, de Lemohang Jeremiah MOSESE, du Lesotho, ont partagé le prix Firebird du meilleur film de la compétition du Jeune cinéma du 44e Festival International Hong Kong International Film Festival’s, Jeremiah Mosese recevant également le Prix Fipresci de la Critique Internationale
Gideon Kouts
Pétition pour la diversité du cinéma sur France Télévisions
Berlinale 2020 : le début d’une nouvelle ère
Les habitués de la Berlinale s’attendaient à des surprises pour cette 70° édition du Festival. Outre ce chiffre « rond », souvent annonceur de festivités particulières, 2020 marquait la première année à la direction de la manifestation d’un tandem formé, pour la direction artistique, de Carlo Chatrian, venant du Festival de Locarno, et pour la direction exécutive, de Mariette Rissenbeek, l’ancienne directrice de « German Films », l’équivalent d’Unifrance Outre-Rhin, ce tandem remplaçant ainsi la direction unique traditionnelle du Festival depuis sa fondation. Mais la volonté de la nouvelle équipe dirigeante d’effectuer une transition en douceur fut manifeste, ce qui fait que la 70° édition ne fut l’objet d’aucune commémoration particulière – d’autant que les activités initiales sous le régime nazi de son fondateur, Alfred Bauer, ont récemment été mises en question.
C’est donc uniquement dans les choix de Carlo Chatrian pour la programmation de la compétition officielle que l’on a pu découvrir sa « touche ». Il était assisté pour cela par pas moins de quatre de ses anciens partenaires du Festival de Locarno qui l’ont suivi à Berlin, Mark Peranson, directeur de la programmation, comme il l’était à Locarno, et Lorenzo Esposito, Sergio Fant et Aurélie Godet, qui formaient pas moins de la moitié du comité de sélection de la compétition officielle et de la nouvelle section « Rencontres ». Alors que la tradition berlinoise, héritée de la position particulière de la ville de Berlin, entre l’Est et l’Ouest durant la Guerre Froide, était une orientation très politique, quitte à sélectionner des films d’un niveau parfois un peu inégal, Carlo Chatrian a visiblement décidé de faire abstraction de cette direction pour ancrer sa sélection dans les préoccupations du moment.
Jamais la compétition officielle de la Berlinale ne sembla en particulier autant axée sur la recherche de la parité homme-femme, avec notamment plusieurs films visiblement sélectionnés pour l’originalité de leur regard féminin sur des genres typiquement masculins.
Procédait manifestement de cette orientation First cow, tout d’abord, une œuvre qui fait passer le western, genre masculin s’il en est, dans une toute autre dimension, grâce à la vision de la réalisatrice américaine Kelly Reichardt (River of Grass). Loin des courses échevelées et des fusillades routinières entre Indiens et cow-boys, le film relate à petites touches précises délivrées à un rythme presque alangui en comparaison des westerns traditionnels le sort de deux hommes réunis par le hasard aux débuts de la conquête de l’Oregon. Ils essaient de faire fortune en… vendant des gâteaux à base de lait volé au propriétaire de la première vache importée dans la région. Même le traitement des moments de violence qui suit la découverte de leur méfait est délibérément occulté par la réalisatrice, là où les réalisateurs des westerns « classiques » s’en seraient donné à cœur joie, le tout filmé avec un beau regard cinématographique sur les paysages naturels de l’Oregon.
Dans un tout autre registre, comme pour montrer, cette fois, que le potentiel des réalisatrices féminines vaut bien celui des hommes, Carlo Chatrian avait pris la décision de programmer en compétition officielle The Intruder, de l’argentine Natalia Meta, qui propose un film à suspense qu’Alfred Hitchcock aurait sans doute pu intégrer avec peu de modifications dans sa célèbre suite de téléfilms « Alfred Hitchcock présente ».
Ce regard féminin sur le cinéma décidé par Carlo Chatrian se manifesta même dans plusieurs films de réalisateurs masculins, comme tout particulièrement Undine, de Christian Petzold, véritable ode au talent de l’actrice qui tient le rôle principal – et le film – de bout en bout, Paula Beer, vue notamment dans Frantz, de François Ozon, et qui pourrait bien devenir la nouvelle star du cinéma allemand. Elle parvient à rendre quasiment crédible le vieux mythe de l’Ondine des contes germaniques transposé à nos jours par l’œil bienveillant de Christian Petzold.
Un palmarès diversifié
Le jury de la compétition officielle présidé par Jeremy Irons délivra un palmarès diversifié mettant en somme d’accord les uns et les autres. L’Ours d’Or du meilleur film, très politique, fut décerné à There is no evil (Sheytan vojud nadarad)que le réalisateur iranien Mohammad Rasoulof a réussi à tourner et à présenter au Festival malgré l’interdiction de sortie du territoire et les difficultés d’exercer son métier dans son pays. Le film fut également récompensé par plusieurs des jurys « parallèles », puisqu’il obtint le Prix du Jury Œcuménique et le Prix de la Guilde du Film Allemand. L’orientation vers le cinéma féminin de la sélection fut doublement saluée par l’Ours d’Agent du Grand Prix, décerné à Never Rarely Sometimes Always, d’Eliza Hittman et par celui du Prix d’Interprétation Féminine bien mérité de Paula Beer pour Undine, justement, d’ailleurs également récipiendaire du Prix Fipresci de la Critique Internationale pour la compétition. Curieusement, l’Ours d’argent de la meilleure réalisation fut décerné au Coréen Hong Sangsoo pour The woman who Ran (Domanghin Yeoga), alors que l’on attendait plutôt Giorgio Diritti pour sa mise en scène aboutie de la vie du peintre Antonio Ligabue, Je voulais me cacher (Volevo nascondermi), que le jury choisit plutôt de saluer en donnant à son acteur, Elio Germano, l’Ours d’Argent du meilleur rôle masculin. On notera enfin que l’Ours d’Argent spécial du 70° Anniversaire fut décerné à Effacer l’historique, de Benoît Delépine et Gustave Kervern, une allégorie moderne sur les réseaux sociaux et leur influence parfois aussi forte qu’imprévisible sur le quotidien des individus aujourd’hui.
La Berlinale, ce n’est pas seulement la compétition, mais aussi en particulier deux sections d’importance, Panorama et le Forum, sans compter une toute nouvelle section crée cette année par la nouvelle équipe qui dirige le festival « Encounters » (Rencontres). C’est dire si les cinéphiles qui forment le nombreux public de la Berlinale ont de quoi faire, qui se sont pressés dans les nombreuses salles réparties dans la capitale qui reprenaient les films de l’une ou l’autre section du festival.
Dans la nouvelle section « Rencontres », ce fut La Métamorphose des oiseaux, le premier film de la portugaise Catarina Vasconcelos qui obtint le Prix Fipresci de la Critique Internationale. Cette section innovante donna même une place de choix aux imposantes 477 minutes de The works and Days (of Tayoko Shiojiri in the Shiotani Basin) réalisé par l’américain C.W. Winter et le suédois Anders Edström. Dans la section « Panorama », sorte d’équivalent local de la section « Un certain regard » à Cannes, ce fut Mogul Mowgli, du Pakistanais Bassam Tariq, qui obtint le Prix Fipresci de cette section, et dans la section « Forum », à la direction renouvelée pour ce qui était son 50° anniversaire, ce fut The Twentieth Century, du canadien Matthew Rankin, qui reçut le Prix Fipresci. On notera la grande diversité habituelle de cette section, dédiée à tous types de formes de cinéma, où l’on remarqua en particulier l’onirique In deep sleep de la jeune réalisatrice soviétique Maria Ignatenko qui fait preuve d’un travail sur l’image et le son d’une remarquable maîtrise.
Les cinéphiles les plus tenaces de la Berlinale pouvaient aussi, entre autres, profiter de la section « Berlinale Special », qui fut marquée par la visite de Hillary Clinton elle-même à l’occasion de la projection de Hillary, le documentaire que lui a consacré Nanette Burstein. On pouvait aussi bénéficier d’un regard sur le cinéma allemand de l’année offert par la section « Perspective du Cinéma Allemand », et d’une belle rétrospective dont l’essentiel était la partie dédiée à King Vidor.
Son point fort fut incontestablement la superbe copie de La Grande Parade restaurée (et présentée) par Kevin Brownlow. Ses images noires et blanches colorées selon les moments en bleu, rose ou jaune étaient somptueusement mises en valeur par un accompagnement au piano sur scène (ici par Maud Nelissen), comme pour plusieurs autres des films muets du réalisateurs qui étaient présentés.
Un marché du film très fourni
Les premiers miasmes de l’épidémie due au coronavirus n’ont pratiquement pas eu d’influence visible sur le « Marché du Film Européen » berlinois, fondé par Beki Probst. En réalité devenu un marché mondial, il est maintenant dirigé par Matthijs Wouter Knol, et fut pratiquement aussi dense qu’à l’ordinaire, malgré, déjà, l’absence de la plupart des participants chinois habituels pour cause de virus et l’importance croissante de la SVOD qui le prive d’un certain nombre de films, déjà préachetés ou réservés par les Netflix et autres. Les professionnels français y étaient nombreux et actifs, nombre d’entre eux étant regroupés dans le stand « parapluie » d’Unifrance.
Carlo Chatrian et Mariette Riessebeek se sont par ailleurs bien gardés de modifier l’efficace opération « Talent Campus », qui accueille des jeunes professionnels du monde entier et qui est maintenant imitée par plusieurs festivals dans le monde, ce qui a concouru à parfaire, en somme, cette 70° édition de la Berlinale, en 2020 plus que jamais le premier grand rendez-vous du cinéma mondial de l’année.
Philippe J. Maarek
Philippe J. Maarek nouveau président de l’Union des Journalistes de Cinéma
Philippe J. Maarek, Vice-Président et co-fondateur de l’Union des Journalistes de Cinéma a été élu à sa Présidence par son Conseil de direction à l’unanimité. Il succède à Jean Roy qui en devient le deuxième Président d’Honneur, avec Laurent Delmas.
Egalement Directeur des Affaires Juridiques de la Fédération Internationale de la Presse Cinématographique (FIPRESCI) et Secrétaire Général de la Fédération Nationale des Critiques de la Presse Française, Philippe J. Maarek a travaillé pendant plus de 30 ans comme journaliste spécialisé dans le cinéma pour la revue professionnelle « Le Technicien du Film et de la vidéo ». Il a aussi été, entre autres, le Rédacteur en Chef pour la France de « European Reviews », le supplément critique de « Moving Pictures International », et tient ou a tenu des chroniques dans divers magazines français. Il a fait partie du comité de rédaction de la revue « Cinématographe », aujourd’hui disparue, et a collaboré à diverses autres revues de cinéma françaises bien connues (« La Revue du Cinéma », « Le Mensuel du Cinéma »), et à diverses autres publications françaises et étrangères (« Variety », « Film Comment », etc).
Il a été membre de la Commission dite « d’avances sur recettes » auprès du Centre National de la Cinématographie en 2000, dans le second collège (soutien aux réalisateurs ayant déjà réalisé au moins un long métrage). Il a également organisé ou participé à de nombreux colloques en France ou a l’étranger, notamment sur les Cinémas d’Afrique Noire, Les cinémas Fascistes Italiens, la Censure Cinématographique, la Critique aujourd’hui, etc.. Il a écrit, parmi d’autres, trois livres sur le cinéma et la politique: « De mai 68 aux films X » (Dujarric,1979), « La Censure cinématographique » (LITEC,1982), et « Média et malentendus, cinéma et communication politique » (Edilig,1986). Ce dernier livre lui a valu une mention spéciale de la part du Jury du Prix Littéraire du Syndicat Français de la Critique de Cinéma.Il a fait partie ou présidé de nombreux jurys de Festivals internationaux: « Caméra d’Or » à Cannes », « Prix du Meilleur Film Canadien » au Festival International de Toronto, « Prix des Montréalais » au Festival des Films du Monde de Montréal, Prix Norman Mc Laren à Montréal, Prix de la New-York Film Academy de la section Panorama du Festival International du Film de Berlin, sans oublier de nombreux Jurys de la Critique Internationale à Cannes, Rio de Janeiro, Montréal, Toronto, Stockholm, Puerto-Rico, etc. Il a été secrétaire du Jury Fipresci de la Critique Internationale de Cannes pendant dix ans.
Il est l’auteur d’un film de montage documentaire de 1h10 sur « La censure au cinéma », qui comporte plus de 70 extraits de films et divers interviews, dont il a lui-même supervisé la production et la réalisation (diffusion sur « Canal Plus » en 1989).
Docteur d’Etat en Science Politique, il est aussi Professeur en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université Paris Est Créteil. Il est Chevalier de la Légion d’Honneur.
Le 30° Festival de Stockholm
Le Festival international du film de Stockholm a célébré son 30e anniversaire cette année. Helen Barlow s’est entretenue avec sa directrice artistique, Git Scheynius, alors qu’elle faisait partie du jury FIPRESCI de la section Open Zone de l’événement:
GS: » Nous voulions créer une nouvelle plate-forme pour un film de qualité à Stockholm, nous avons donc lancé le festival du film en 1990″, se souvient Scheynius. « La première édition n’a duré que quatre jours et s’est transformée en un événement cinématographique toute l’année.«
Elle l’a créée avec son mari, journaliste à la télévision et autrefois distributeur et acheteur de films, Ignas Scheynius, et Kim Klein, directrice artistique pendant trois ans avant qu’elle ne prenne le relais. Bien que son mari ne fasse pas officiellement partie du festival, son initiative, puis sa connaissance des films et ses contacts avec l’industrie lui ont apporté un soutien précieux:
GS: » Ignas a pris l’initiative et nous a demandé à Kim et à moi, de le rejoindre. Nous avions trois activités différentes. J’étais productrice, et Kim avait un ciné-club à Stockholm que Ignas et moi-même visitions souvent. Nous avons donc appelé nos amis, environ cinquante personnes, et nous avons lancé le festival sans argent. Nous avions loué un appartement d’une pièce. Nous avions un ordinateur et un fax, et comme nous étions très nombreux dans ce petit appartement, vous deviez réserver votre tour pour l’ordinateur et si vous étiez en retard, vous pouviez attendre jusqu’à 1h du matin pour pouvoir y travailler ! La présentation était de haute qualité et très professionnelle, alors les gens pensaient que nous étions parrainés par SF Studios ou par l’organisme de financement suédois, mais ce n’était pas le cas. Nous avions juste tous travaillé très durement. «
Alors, comment avez-vous finalement obtenu un financement?
GS: « Il nous a fallu 12 ans avant que le festival puisse être entièrement financé. Ce fut un long combat, mais nous avons toujours eu un très bon soutien de la ville de Stockholm et du public. Ils voulaient vraiment ça. Mon objectif a donc toujours été de nous construire en tant qu’organisation culturelle, non seulement l’événement principal en tant que festival international du film, mais également en tant qu’événement pouvant communiquer avec les enfants. Il était également important d’organiser des projections en extérieur. Après dix ans, nous avons lancé un festival du film pour enfants et des projections en plein air. Environ 25.000 personnes assistent au ‘Stockholm Film Festival Junior’. En outre, en août, nous organisons trois grands événements en plein air et un festival du film sur mobile. «
Comment avez-vous réussi à gérer le Festival, tout en élevant trois enfants ?
GS: « Ce fut un combat, bien sûr, mais vous devez créer un groupe autour de vous qui vous soutienne, y compris des grand-mères et des amis. Organiser un festival de cinéma n’est pas quelque chose que l’on fait seul. Vous avez besoin de beaucoup de gens. Notre organisation est composée de 14 personnes qui travaillent toute l’année. En août, nous montons à 58 personnes qui travaillent à court terme. Puis, un mois avant le festival, nous en sommes à 400 personnes, et il y a aussi des volontaires bénévoles. ”
Pourriez-vous nous donner quelques lignes directrices de votre sélection?
GS: « Un tiers du programme SIFF est dédié aux cinéastes débutants. Nous mettons également l’accent sur les films de réalisatrices. Cette année, 40% des films sont réalisés par des réalisatrices. Beaucoup des réalisateurs sélectionnés assistent au Festival. «
Pourtant, alors que la compétition SIFF compte 17 films dont 6 films dirigés par des femmes, la section « The Open Zone » ne compte qu’un film réalisé par une réalisatrice sur 20 ?
GS: « Cette section est destinée aux cinéastes plus établis. Bien sûr, avec les courts métrages et les documentaires, la représentation féminine est plus élevée. Hélas, plus un film coûte cher, et moins on voit de femmes. C’est un problème dans le monde entier et également dans l’industrie cinématographique. Quand j’ai commencé, j’étais très seule en tant que femme directrice de festival et je pensais que cela pourrait être résolu dans les années qui allaient suivre. Mais ce ne fut pas le cas. Après quelques années, nous avons décidé de rechercher davantage de projets dirigés par des femmes. Cette année, nous avons été très heureux de remettre le ‘Stockholm Visionary Award’ à Céline Sciamma, directrice extraordinairement talentueuse. Nous sommes également heureux que Rosanna Arquette reçoive le ‘Stockholm Achievement Award’ pour sa belle carrière auprès d’auteurs comme Scorsese, Tarantino et Besson, mais aussi parce qu’elle est une icône en matière de harcèlement sexuel. Elle a également participé à un séminaire que nous avons organisé avec le mouvement suédois #MeToo. »
L’autre festival de cinéma suédois de premier plan a lieu à Göteborg. Quels sont vos rapports avec lui?
GS: « Je pense que chaque ville devrait avoir son propre festival. C’est bon pour la vie culturelle et pour la réputation de la ville. La Suède est un pays très vaste et si vous organisez un festival suédois dans le sud du pays, à Göteborg, cela n’implique pas tellement le monde de l’industrie et le public de Stockholm. Nous organisons donc deux grands festivals de cinéma en Suède. L’un est à Göteborg et l’autre à Stockholm. Il n’y a pas de différence entre nous.«
Entretien réalisé par Helen Barlow
Les prix de la compétition officielle:
Meilleur film: Song Without a Name de Melina León
Meilleur réalisateur: Mark Jenkin pour Bait
Meilleur premier film: You Deserve a Lover de Hafsia Herzi
Meilleur scénario: Synonyms de Nadav Lapid et Haim Lapid
Meilleure actrice: Nina Hoss pour The Audition
Meilleur acteur: Bartosz Bielenia pour Corpus Christi
Meilleure Cinématographie: Inti Briones pour Song Without a Name
Les prix de la section « documentaires »:
Meilleur documentaire: One Child Nation de Nanfu Wang et Jialing Zhang
Stockholm Impact Award: Kantemir Balagov pour Beanpole
Stockholm Rising Star Award: Celie Sparre
Courts-métrages
Meilleur court-métrage: Kingdom Come de Sean Robert Dunn
Prix FIPRESCI de la Critique Internationale
Grâce à Dieu de François Ozon
Disparition de Jean Douchet
Avec la disparition de Jean Douchet, c’est un ami et un mentor qui s’en va. Cinéphile débutant – balbutiant – et étudiant à l’université de Nanterre, j’y dirigeais le ciné-club, alors l’un des plus importants de France, avec six séances par semaine, plus de mille adhérents. Le mercredi, les cours de Jean Douchet au département de cinéma y avaient lieu, par un échange de services mutuels : nous avions ainsi un orateur « de luxe » et le département bénéficiait gracieusement des films que nous projetions. C’est ainsi que pendant plusieurs années le cinéphile amateur que j’étais, petit à petit, apprit à découvrir les arcanes cachés du cinéma sous les paroles de Jean. Le sens caché des plans de John Ford, les dessous des tournages et des images d’Hitchcock, la beauté de Mizoguchi, la magnifique ascèse du Gertrud de Dreyer, Ozu, Pabst, Lang, les propos de Jean Douchet, expliquaient, montraient, dessillaient. Jamais son enthousiasme ne diminuait à transmettre sa passion. Tout naturellement, quelques années plus tard, je demandai à Jean de faire partie du jury de mon Doctorat d’État. Là sa bienveillance et sa compréhension du cinéma couronnèrent mes études en un bel après-midi – Marc Ferro et lui se relayant pour me gronder de ce qu’ils auraient voulu lire, me féliciter de ce qu’ils avaient lu, m’encourager à continuer à réfléchir sur le cinéma et la politique, puisque c’était le sujet de mon travail. Après, venir le chercher de temps en temps boulevard Morland pour déjeuner. Avoir le plaisir de glisser son nom pour le prix de l’UJC en 2008. Le voir composer des silhouettes et même de véritables rôles au cinéma. Voir la délectation visible de sa participation à la Sale histoire de Jean Eustache ou son parrainage affectueux d’un rôle et de sa caution de Xavier Beauvois pour son Nord si talentueux et si prometteur. Et son éloquence pour aider tant d’autres. Le cinéma français lui doit tant ! Adieu Jean.
Philippe J. Maarek
Jean Douchet, né en 1929 à Arras, est décédé le 22 novembre dernier. Après avoir collaboré à la Gazette du cinéma d’Éric Rohmer, il fut l’une des plumes les plus suivies des « Cahiers du Cinéma » entre 1957 et 1963. En y analysant les films des jeunes cinéastes qui émergeaient, Truffaut, Godard, Rohmer, Rivette, il devint l’un des principaux acteurs de la Nouvelle Vague par sa seule plume. Après son départ des Cahiers, il devint le grand « passeur » de la cinéphilie en France jusqu’à nos jours. Il enseigna aux universités de Nanterre, Vincennes et Jussieu, puis à l’IDHEC, devenue ensuite Femis. Il tint d’innombrables séances de ciné-clubs ou conférences sur le cinéma un peu partout, de la Cinémathèque Française de Paris à celle de Nice, et bien d’autres lieux. Inspirant de nombreux jeunes cinéastes en devenir, puis contribuant à les faire connaître lorsqu’ils passaient à l’acte, il figura comme acteur dans plusieurs dizaines de films des uns ou des autres. Il réalisa aussi plusieurs essais et documentaires. Il avait reçu en 2008 le prix de l’Union des Journalistes de Cinéma pour l’ensemble de son œuvre.
L’an 1 du TIFF de Toronto pour le duo Bailey-Vicente sous le signe de la parité et de la diversité
Les yeux de la profession cinématographique étaient tournés vers la 44eédition du Festival International du Film de Toronto – désormais connu en Amérique du Nord sous son acronyme, TIFF. Elle marquait en effet l’an 1 de la nouvelle direction du Festival, après plus de deux décades sous la direction de Piers Handling, qui en a fait l’un des plus importants rendez-vous du cinéma mondial.
La transition avait en fait été préparée de longue date, puisque Cameron Bailey, le nouveau co-directeur et directeur artistique du festival avait été intronisé dans cette seconde fonction dès 2012. Certes nouvelle du côté du manche, mais fréquente habituée du festival comme invitée, était sa co-directrice et directrice exécutive, Joana Vicente, venue de la production indépendante new-yorkaise. La transition avait donc tout pour se faire en douceur, et, en vérité, un observateur non averti n’aurait sans doute pas vu trop de différences entre le millésime précédent de la manifestation et celui de 2019, ce qui est sans aucun doute un compliment. En effet, ce n’est pas une petite affaire que de piloter sans heurts une opération aussi colossale sur trois registres au moins : la sélection de plus de 300 film internationaux ; l’organisation de projections publiques attirant des dizaines de milliers de Torontois; l’accueil des professionnels internationaux du cinéma pour ce qui est tacitement devenu l’un des principaux marchés du film de l’année.
C’est aussi apparemment sans heurts que le tandem Bailey-Vicente a renouvelé une bonne partie de l’équipe permanente du festival, du côté de la programmation, comme de l’accompagnement des films. L’équipe de programmation était en particulier pour la première fois dotée d’une directrice au côté de Cameron Bailey, Diana Sanchez, ancienne directrice artistique du festival de Panama, entre autres. « Elle constitue l’apport le plus important du Festival de Toronto cette année de mon point de vue » nous a confié Cameron Bailey. Le reste de l’équipe a également vu de nombreuses transformations en 2019, de la promotion de Jennifer Frees comme Vice-Présidente des partenariats à la nomination d’une directrice intérimaire de la Communication, Alejandra Sosa, qui avait pourtant l’air de connaître la manœuvre comme une vétérane.
Pour les festivaliers, la continuité entre 2018 et 2019 fut surtout visible par l’importante place faite à la diversité, et surtout au cinéma féminin et à la parité, qu’il s’agisse aussi bien de l’équipe de programmation que des films sélectionnés. Toronto sembla ainsi remiser aux oubliettes de l’histoire le Festival de Venise 2019 qui se vantait crânement de ses choix « non genrés ». Une constante, sans aucun doute, chez Cameron Bailey, qui oriente depuis quelques années la sélection dans ce sens – son passé personnel d’enfant britannique immigrant au Canada mais d’une famille originaire de la Barbade jouant sans aucun doute ici. Un très beau choix de films réalisés par des femmes, et non des moindres, montra en effet qu’il suffit de se pencher suffisamment pour trouver de nombreux films de qualité faits par des femmes en 2019 ! Le bouche-à-oreille dans ce sens fut sans aucun doute mené par l’excellent Proximad’Alice Vinocour, dans la section « Platform ».
La réalisatrice parvient à renouveler le genre du cinéma de la conquête de l’espace en montrant avec une mise en scène toute en nuances comment une jeune femme, astronaute s’entraînant à une mission d’une année, tente de concilier son absence à venir et déjà forte avec sa situation de mère séparée d’une petite fille. Le rôle est tenu avec un brio tout de retenue par une Eva Green remarquable qui fait ici un beau retour au premier plan. Elle est sans doute bien partie pour les Oscars ! Fort remarqué également, cette fois dans la section « Galas », fut A beautiful Day in the Neighborhood, réalisé par Marielle Heller, qui donne ici une partition en or à Tom Hanks, dans l’un de ses plus beaux rôles. Il personnifie à merveille Mr Rogers, le présentateur durant plusieurs décennies d’une émission de télévision pour les enfants à l’empathie extraordinaire. Ajoutons encore, rien que pour la section « Galas », le populaire – et un peu tapageur – Hustlers, dû à Lorene Scafaria, dont Jennifer Lopez est la vedette en strip-teaseuse au grand cœur, et d’autres encore, puisque la parité hommes-femmes était quasiment atteinte dans toutes les sections du festival. La preuve fut largement faite à Toronto que l’on peut aujourd’hui alimenter un festival de cinéma avec des films de femmes en nombre…
Jojo Rabbit« Prix Grolsch » du public
On sait que le Festival de Toronto est non compétitif, ce qui est l’un de ses principaux atouts, notamment pour les productions hollywoodiennes qui ne le dédaignent pas, d’autant que ses projections publiques en font quasiment des tests pour les distributeurs. Quelques prix y sont toutefois décernés, à commencer par le « Prix Grolsch » du public, qui revint cette année à Jojo Rabbit, une comédie grinçante de Taika Waititi. Elle suit les pas d’un petit garçon embrigadé dans les jeunesses hitlériennes durant la Seconde Guerre Mondiale. Il croit voir Hitler le guider dans des visions incarnées par le réalisateur lui-même, qui le ridiculise de plus en plus au fur et à mesure de l’avancement du film. Le « Prix Canada Goose » du meilleur film canadien revint à Antigone, de la québécoise Sophie Deraspe, une transposition contemporaine à Montréal du drame de Sophocle. Parmi les autres prix décernés à Toronto, on citera bien sûr les deux Prix Fipresci de la Critique Internationale, l’un pour la section « Discovery », qui échut à Murmur, de la canadienne Heather Young, et l’autre pour la section « Présentations Spéciales », qui échut à How to build a Girl, de la britannique Coky Giedroyc – à nouveau deux films réalisés par des femmes! Le prix du jury de la section « Platform », enfin, se tourna vers Martin Eden, une coproduction Italo-française de Pietro Marcello tournée en Super 16 mm.
Naturellement, le festival de Toronto, avec ses trois centaines de films, ne se résume pas aux quelques titres que nous avons cités. Le public se pressa ainsi en particulier aux projections des films directement venus de Venise, à commencer par Ad Astra, de James Gray. Ce film relance de manière spectaculaire la carrière de Brad Pitt, tout de mesure en astronaute introverti à la recherche de son père perdu dans les cieux. On vit aussi à Toronto le « Lion d’Or » de Venise, Joker, de Todd Philips, qui renouvèle le genre du film de « superhéros » et remet brillamment en orbite Joaquim Phoenix. En revanche, le grand absent fut le Lion d’Argent de Venise, J’accuse de Roman Polanski, le réalisateur étant banni d’Amérique du Nord pour les raisons que l’on sait.
Éclectique, divers, le Festival de Toronto accueille aussi des films expérimentaux dans sa section « Wavelengths », des films d’horreur ou « marginaux » dans sa section « Cinéma de Minuit », des documentaires, et même une section de séries télévisés pour sa cinquième édition, renouvelée sous l’égide du programmeur Geoff Macnaughton… Bref, de quoi satisfaire le public de Toronto, dont on admire chaque année la patience inébranlable à faire des queues de plusieurs heures pour voir des films d’auteurs inconnus des salles de cinéma de la ville en temps ordinaire! L’ouverture du TIFF au public local se traduisit d’ailleurs aussi par la piétonisation de la rue qui borde le « Bell Lightbox », durant le premier week-end. Concerts gratuits, distribution de cadeaux en tous genres et « food-trucks » bariolés, ajoutèrent au côté bon enfant du festival.
Les professionnels au rendez-vous du premier week-end
Les professionnels du cinéma du monde entier furent à nouveau en 2019 au rendez-vous de Toronto, qui devient semble-t-il de plus en plus le marché du film terminé, par opposition à Cannes où l’on achète les films sur projets. Comme à l’accoutumée, ils se bousculèrent lors du premier week-end. Ils trouvaient dans l’hôtel Hyatt, leur quartier général, une bibliothèque de visionnement du festival, et les stands de plusieurs organismes de promotion du cinéma.
Unifrance, l’organisme de défense du cinéma français, était bien sûr là, avec un grand stand extrêmement actif, tout comme « European Film Productions », l’organisme intereuropéen de promotion du cinéma, qui compta au sein de la programmation du festival la bagatelle de 54 longs métrages où intervenaient producteurs ou acteurs découverts par ses opérations « Producers on the move » ou « European Shooting Stars ». Le Dga d’Unifrance, Gilles Renouard, et la directrice d’EFP, Sonia Heinen, profitèrent d’ailleurs de leur présence simultanée au festival pour signer un accord lançant une entreprise commune de promotion du cinéma, « Le marché de Miami du cinéma français et européen », au côté de Jaie Laplante, le directeur du Festival de Miami (Photo).
Le problème Netflix aussi à Toronto
La controverse internationale qui concerne les films produits ou achetés par Netflix s’introduisit à Toronto de façon inattendue. Le Festival, comme Venise, par exemple, accepte tous les films que ses programmateurs jugent dignes d’être sélectionnés. Il a ainsi programmé Roma dès l’an dernier. Mais cette année, il fut gêné dans son organisation par la décision de la société Cinéplex de refuser d’accueillir les films liés à Netflix ou toute autre compagnie de streaming vidéo direct dans la multisalle qui héberge l’essentiel des projections réservées à la presse et aux professionnels, le « Scotiabank ». Les salles de cinéma nord-américaines réclament en effet en général une fenêtre d’exclusivité de 90 jours avant le passage au streaming forfaitaire. Le festival dut donc reprogrammer une bonne douzaine de films et les loger in extrémis dans ses propres salles, celles du « Bell Lightbox ». Un contretemps transparent pour les festivaliers, certes.
Sans aucun doute, avec le bonus constitué par leur ligne directrice paritaire et diverse de qualité, Cameron Bailey et Joanna Vicente ont bien maintenu en 2019 le Festival International de Toronto 2019 comme l’un des quatre plus grands rendez-vous du cinéma mondial, avec Berlin, Cannes et Venise.
Philippe J. Maarek
Pour la libération de Mohammed Rasoulof
Communiqué de presse de l’Union des Journalistes de Cinéma du 28 juillet 2019
Le cinéaste iranien Mohammad Rasoulof, vainqueur du Prix Un Certain Regard Cannes 2017 pour son film « Un homme intègre », a été condamné à 1 an de prison ferme, suivi de 2 ans d’interdiction de sortie du territoire et d’interdiction de se livrer à la moindre activité sociale et politique. Cette condamnation suit une autre condamnation à un an de prison qu’il avait subie en 2011, et à une interdiction de voyager hors d’Iran et de travailler qui lui avait été signifiée en 2017.
L’Union des Journalistes de cinéma qui avait déjà protesté antérieurement contre les privations de liberté et de travailler de Mohammed Rasoulof appelle à signer la pétition mise en ligne par son distributeur français, ARP Sélection, demandant que sa liberté lui soit rendue sans plus tarder afin qu’il puisse continuer à créer. On peut la signer à l’adresse: https://www.change.org/p/pour-la-libération-de-mohammad-rasoulof