L’engagement au cœur des films du Festival International du Film d’Animation d’Annecy
Le Palmarès de la 42eédition de la compétition long-métrage du Festival International du Film d’Animation d’Annecy a récompensé des films à tonalité politique : les cinéastes primés racontent l’état du monde à travers le régime des Khmers rouges, la présence des talibans en Afghanistan…
Il y a dix ans, en 2007, Persepolis de Marianne Sartrapi et Vincent Paronnaud dessinait l’itinéraire d’une jeune fille aux prises avec l’histoire iranienne d’abord à l’époque du Shah et ensuite à l’arrivée de la République islamique. L’année suivante, Valse avec Bachir, de l’Israélien Ari Forman confirmait l’engagement du cinéma d’animation avec un récit autobiographique antimilitariste. C’est à cette période que le cinéma d’animation a pris un virage, prenant à bras le corps les sujets politiques.
Lors de la clôture de cette 42eédition, Parvana, une enfance en Afghanistan de l’irlandaise Nora Twomey, adapté de « The Breadwinner » de Deborah Ellis, a obtenu le Prix du jury long métrage et le Prix du public. Histoire d’une petite fille confrontée aux talibans, le film montre comment Parvana résiste à l’inculture par l’écriture et comment avec un trésor d’imagination, elle parvient à sauver les siens alors que son père est en prison. Le fait qu’elle sache lire et écrire va lui ouvrir des portes et lui permettre de résister à la barbarie. Le film alterne entre le réel, la vie de la petite fille, et un récit teinté d’onirisme où l’on voit un petit garçon partir à la recherche de semences pour sauver des villageois de la famine. Ce récit issu des contes populaires devient la métaphore de la douleur de la petite fille. Le film oscille entre l’idée d’un paradis perdu et de rêves de paix incarnés dans cette phrase : « C’est la pluie qui fait pousser les fleurs, pas le tonnerre ». En Afghanistan, pays où les femmes sont muselées et vivent derrière des murs, le message de Nora Twomey est féministe: sous les traits d’une petite fille qui détourne les interdits qui pèsent sur les femmes, de sa sœur qui refuse un mariage « arrangé », le film choisit l’imagination et l’émancipation contre l’oppression.
La figure de l’enfant porteur d’espoir évoque La Tour de Mats Grorud présenté hors compétition. Wardi une petite fille de onze ans vit dans un camp de réfugiés à Beyrouth. Sidi, son arrière grand-père malade y réside depuis le Nakba (La grande catastrophe) du 15 mai 1948 lorsque la terre de Palestine fut récupérée par Israël. Le vieil homme essaie de lui transmettre le moyen (la clé) de découvrir les éléments de l’Histoire et surtout pourquoi sa famille vit encore là depuis 70 ans. Lors de très émouvantes séquences le vieil homme évoque la beauté des grenadiers, des orangers, des goyaviers, du jasmin et du gardénia. A l’aide de photos incluses dans le récit, la petite fille découvre la vie de sa famille avant 1948 : « Si nous ne nous souvenons pas de notre passé, nous sommes rien » lui dit-on. Au fil des années la tour prend de la hauteur et c’est le moment pour la petite fille Wandi de l’escalader pour découvrir son histoire. Pour réaliser ce film le réalisateur a passé un an dans un camp au Liban et s’est inspiré de conversations qu’il a eues.
Funan de Denis Do a reçu le « Cristal » du meilleur long-métrage. Le réalisateur âgé de 33 ans s’est inspiré du passé de sa mère pour raconter la vie d’une famille sous le régime des Khmers rouges. Ce film retrace le combat d’une cambodgienne et de son mari séparé de leur enfant lors de la révolution Khmère de 1975. Il s’agit de la mère du réalisateur exilée en France avec son fils. Ce récit autobiographique défini comme une fiction s’appuie sur de solides références documentaires. Funan, premier film d’animation sur l’histoire du Cambodge fait figure d’œuvre cathartique et vient compléter aujourd’hui le travail du grand cinéaste Rithy Panh.
Enfin Le Mur film documentaire d’animation de Cam Christiansen présenté en compétition suit le scénariste David Hare qui explore les répercussions de la barrière de séparation israélienne sur les habitants de la région.
Au fil du temps et après cette quarante deuxième édition du Festival d’animation d’Annecy, on prend conscience que ce cinéma devient pour les jeunes auteurs un moyen de parler de la géopolitique sans pour autant négliger la poétique du dessin, comme si les deux constituaient un assemblage vivant et percutant. Outre cet aspect, le cinéma d’animation permet de contourner la censure présente dans certains pays comme l’Iran même pendant le tournage – on connaît aujourd’hui les conditions dans lesquelles Jafar Panahi réalise des films, et les ruses qu’il emploie, en filmant dans une voiture (Taxi Téhéran) ou dans un lieu protégé comme le village de ses parents avec une petite caméra (Trois visages). Malgré tout la menace pèse aussi sur l’animation. Le film fini peut susciter des interdictions à l’instar de Have Nice Day de Liu Jan censuré par les autorités chinoises à Annecy en 2017 et sorti en salles cette semaine. Le film montre une Chine urbaine gangrénée par le capitalisme et la puissance de l’argent.
Rien n’est définitif et les films d’animation dessinent le monde à leur façon, et, la beauté du trait ou les autres formes d’expression, le sens donné à l’Histoire par l’écriture, font de cet art un moyen puissant de raconter le monde, désastres et beautés.
Michèle TATU
Cannes 2018: à propos de « Kfarnaum », de Nadine Labaki
L’enfant Zein – un petit Jésus dans un monde noyé dans le chaos : dans Kfarnaum Labaki, prix du Jury du festival de Cannes 2018, est plus proche de la vie réelle qu’elle ne l’est du cinéma d’auteur
Après avoir remporté ce Prix du jury pour Kfarnaum, la cinéaste libanaise Nadine Labaki a profité de l’occasion pour lancer un appel public en faveur des enfants libanais privés de vie décente et d’opportunité d’aller à l’école. Elle considérait une enfance difficile comme « la racine de tous les maux du monde » et appelait le public à « ne plus détourner le regard de ces enfants qui souffrent dans leur lutte contre le chaos« . Cela semble être sa dernière vision de ce que le cinéma devrait être : « la plus forte des armes dans la sensibilisation à des questions particulière. »
Avec ce troisième film, Nadine Labaki a ramené le Liban – ce petit pays à la modeste production de films – à Cannes après une absence de 26 ans. La dernière fois qu’un film libanais a gagné un prix au festival, c’était en 1992, quand Maroun Bagdadi a remporté le prix du meilleur scénario pour son film La fille de l’air, moins d’un an avant sa mort subite. L’année précédente, il avait également remporté le Prix spécial du jury pour son film Hors la vie. Ceci explique la joie avec laquelle la nouvelle du prix de Labaki a été reçue de l’autre côté de la Méditerranée et le grand enthousiasme au Liban. Le fort succès public de ses deux films précédents a également concouru à susciter l’enthousiasme pour Kfarnaum parmi ses fans.
Ce nouveau travail, cependant, est radicalement différent dans le style et le contenu de ses deux œuvres précédentes (qui étaient toutes deux sélectionnées à Cannes). Son premier film, Caramel, a été projeté en 2007 à Cannes dans le cadre de la Quinzaine des Réalisateurs, tandis que son second Halla’la-wein (Où allons-nous maintenant) a été projeté en 2011 dans la section Un certain regard. Les deux films sont attrayants, des comédies-drames légères sur la société libanaise où les femmes sont au centre de la scène. Le premier se déroule dans un salon de beauté qui se transforme en un forum pour les femmes dans une ville pleine de confusion après la guerre civile. Le second se passe dans un village de montagne isolé où les femmes essayent de diverses façons de confronter leurs hommes afin de les empêcher de participer à la guerre. Les deux œuvres dépeignent les événements de l’intrigue dans un cadre comique qui transforme le drame qui se déroule en une série de séquences divertissantes qui façonnent finalement les histoires racontées dans le film.
Cette fois-ci, Nadine Labaki a surpris tout le monde en choisissant un sujet différent, où elle s’est éloignée du monde des femmes et des histoires d’amour pour présenter une histoire tout droit sortie de la réalité. Elle a pris soin de garder secret le sujet du film, qui a demandé six mois de tournage. Il était évident que les changements qu’elle a personnellement vécus ainsi que ceux subis par le Liban (ainsi que par plusieurs autres pays arabes) depuis 2011 ont influencé sa conception de l’art du cinéma et de son rôle.
Sept années s’écoulèrent entre son dernier film et celui-ci, au cours duquel Nadine Labaki devint mère et entra dans le monde politique à travers le milieu de la « société civile », en tant que candidate aux élections municipales sur la liste de Beyrouth Madinati, une coalition politique qui vise à défier la corruption des partis politiques traditionnels. Ce nouveau sentiment d’engagement politique et la vie compliquée et difficile de Beyrouth ont poussé la réalisatrice à tenter, comme elle l’a dit plus d’une fois, d’influencer le cours des choses par le biais d’une participation active la « société civile » et aussi grâce à sa caméra, qu’elle positionne différemment.
Le sujet de Kfarnaum reste social, mais n’est plus situé dans un endroit somptueux comme un salon de beauté, ou un endroit idyllique comme un village de montagne reculé. Il se déplace dans les rues bondées de Beyrouth, en constante évolution sous l’impact de la guerre dans la Syrie voisine. En dépit de sa petite superficie et de sa population, le Liban est actuellement le pays où le plus grand nombre de réfugiés syriens se trouvent – plus de 1,5 million de réfugiés syriens vivent dans ce pays dont ils constituent un tiers de la population.
Le film adopte une approche documentaire et inclut un ensemble divergent d’histoires qui touchent à de nombreux sujet. Cependant, cette structure dramatique, conçue dans le style habituel de Labaki, ne fonctionne pas dans ce cas en faveur du film, car elle n’aide pas à s’investir profondément dans l’histoire. L’intrigue combine l’histoire de l’enfant Zein qui est maltraité par sa famille avec des questions telles que l’immigration sans papiers, les travailleurs migrants exploités et le mariage des enfants (dans le cas de la petite sœur de Zein, que l’on marie à un homme adulte). Le film semble essayer de fonctionner dans tous ces domaines à la fois pour attirer la sympathie du spectateur, et de ce fait tombe dans une sentimentalité excessive qui produit l’effet inverse. Il manque les moments intimes qui doivent être ajoutés à toute scène cinématographique pour que nous puissions sympathiser avec les personnages, comme c’est le cas dans la scène où Zein tente de sauver la vie d’un autre enfant plus jeune et le nourrit. Cette scène, où les deux enfants sont seuls, est l’une des scènes les plus touchantes et artistiquement les plus sincères du film.
Malheureusement, la sombre réalité de Kfarnaum submerge le langage du cinéma et ses possibilités. La cinématographie, qui dépeint la ruine et le chaos de l’endroit, oublie la nécessité de porter le lieu dans un autre temps, celui qui fait partie du film. Labaki ne parvient pas vraiment à créer un monde artistique parallèle, convaincant et embrassant la réalité qu’elle dépeint, et elle n’arrive pas non plus à donner au film la touche personnelle qui suggérerait un langage cinématographique plus solide et mature.
Outre les deux personnages principaux, elle ne parvient pas non plus à gérer le reste des acteurs amateurs. Les performances de la mère, de la sœur et du reste des caractères secondaires ne sont pas convaincantes , et n’aident pas le film. À mon avis cependant, le plus gros problème de Kfarnaum vient du dialogue. Zein prononce des mots qui sont beaucoup trop complexes pour un garçon de 12 ans, même si l’école de la vie dans la rue a peut-être aiguisé sa conscience, au point qu’il commence à prêcher aux autres, en particulier aux adultes. Cela nuit au film, car il le fait en s’exprimant trop brutalement.
Tous ces élément alourdissent le film la plupart du temps, dans son traitement et son rythme, et l’éloignent de la légèreté et de la fluidité requises. C’est amplifié par la durée de Kfarnaum qui est de plus de deux heures, à partir des 500 heures initiales du tournage. Tout comme Labaki, qui joue elle-même dans Kfarnaum le rôle de l’avocat qui veut défendre l’enfant Zein contre ses parents imprégnés d’ignorance et de pauvreté, dans son rôle de réalisatrice, elle fait de la caméra l’avocat défendant la réalité de cette enfance contre la société : « Je voulais savoir pourquoi la société a tellement laissé tomber ces enfants!« . En somme, Kfarnaum est finalement plus proche d’un documentaire sur le monde réel que d’une interprétation cinématographique.
Houda Ibrahim
Le palmarès du Festival 2018:
Palme d’or : Une affaire de famille d’Hirokazu Kore-eda
Palme d’or spéciale : Jean-Luc Godard pour Le livre d’image
Grand prix : BlacKkKlansman de Spike Lee
Prix d’interprétation féminine : Samal Yeslyamova pour son rôle dans Ayka
Prix d’interprétation masculine : Marcello Fonte pour son rôle dans Dogman
Prix de la mise en scène : Cold War de Pawel Pawlikowski
Prix du jury : Capharnaüm de Nadine Labaki
Prix du scénario ex-aecquo : Alice Rohrwacher pour Heureux comme Lazzaro et Nader Saeivar pour Trois visages de Jafar Panahi.
Prix FIPRESCI de la Critique Internationale: Burning de Lee Chang-dong, pour la Compétition, Girl de Lukas Dhont pour Un Certain Regard, et Un jour de Zsófia Szilàgyi (Semaine de la critique) pour les sections parallèles
Les Prix de l’UJC 2018
Lors d’une cérémonie de remise de prix organisée en partenariat avec l’Association de la Presse Etrangère à la Mairie du 4° arrondissement de Paris, l’Union des Journalistes de Cinéma a remis ses prix pour 2018:
- • le Prix de l’UJC 2018,pour l’ensemble de sa carrière, à Patrick Brion
- • le Prix de l’UJC de la meilleure biographie ou du meilleur entretien 2017 concernant une personnalité du cinéma, à Stéphane Goudet et Louise Dumas pour leur entretien avec Ildiko Enyedi dans « Positif »
- • La Plume d’Or 2018du journalisme de cinéma de la Presse étrangère en France, enfin, a été décernée pour la douzième fois conjointement par l’UJC et l’Association de la Presse Etrangère à Moritz Pfeifer
Enfin l’Association de la Presse Etrangère a remis son « Prix de la Mémoire du Cinéma » annuel à Jean-Pierre Léaud après une émouvante « conversation » lors de laquelle Jean-Pierre Léaud a pu revoir des images du petit Antoine Doinel interrogé par une journaliste…
Conditions de travail des journalistes à Cannes: communiqué de l’UJC du 12 avril 2018
Communiqué de presse de l’Union des Journalistes de Cinéma du 12 avril 2018
Lors de la conférence de presse de ce jour, le Festival de Cannes n’est pas revenu sur sa décision de ne plus projeter les films aux journalistes et critiques de cinéma dans des séances de presse leur permettant de les voir en temps utile. Il ne s’agit pas d’un caprice de ces professionnels, mais d’une nécessité de publication de leurs articles au moment où l’on parle de chaque film, lors de la projection de gala qui suivait d’ordinaire, laissant ainsi le temps aux journalistes de faire leur travail – et particulièrement aux journalistes étrangers, comme le communiqué de presse de la Fipresci, la Fédération de la Presse Cinématographique Internationale, vient de le rappeler.
L’Union des Journalistes de Cinéma demande à nouveau à ce qu’un calendrier de projections réservées à la presse lui permettant de faire son travail normalement soit rétabli par le Festival, et propose qu’en contrepartie, les journalistes signent à réception de leur accréditation un engagement d’embargo absolu de publication avant la fin de la projection de gala.
La Berlinale 2018 sous le signe de #MeToo
Le Festival de Berlin, à sa 68° édition en 2018, a traditionnellement toujours été placé sous le signe de la politique. Politique de la main tendue, tout d’abord, jusqu’à la chute du Mur qui coupait la ville en deux, lorsque c’était un des lieux de rencontre de l’Europe de l’Ouest et de celle de l’Est, avec des sélections de films placées sous le signe de l’équilibre entre les deux blocs de la Guerre Froide. Politique de la réconciliation, ensuite, entre les deux Allemagnes réunifiées. Politique de l’acceptation de la diversité, enfin, avec la transposition par certains choix des sélectionneurs de la générosité traditionnelle berlinoise envers ce que l’on appelle aujourd’hui les LGBT, la remise dans son cadre des « Teddy Awards » réservés aux films gays et lesbiens depuis 1985 en étant le signe le plus manifeste. C’est dire qu’il ne fut pas surprenant de constater que le millésime 2018 de la manifestation s’était ostensiblement placé sous le signe de l’hashtag #MeToo. Le festival s’étant doté cette année d’une charte de bonne conduite, en quelque sorte, en diffusant largement son exigence de non-discrimination et de protection contre toute sorte de harcèlement des festivaliers, les professionnels comme le public payant. D’ailleurs, la Berlinale pouvait se targuer d’être au-dessus de tout soupçon en matière d’égalité entre les sexes, puisque l’Ours d’Or avait été attribué l’an dernier à la talentueuse Ildikó Enyedi pour On Body and Soul.
Le palmarès du jury, présidé cette année par le réalisateur allemand Tom Tykwer, fit cette année la part encore plus belle aux femmes, en somme, puisqu’elles y furent encore mieux représentées. L’Ours d’Or, tout d’abord, fut à nouveau attribué à une réalisatrice, la Roumaine Adina Pintilie, pour Touch Me Not, film intimiste sur les difficultés d’une femme ne supportant pas d’être touchée et donc les rapports sexuels, et sur ses tentatives de se dépasser. Premier film, Touch Me Not reçut d’ailleurs également le prix décerné à ce titre, l’équivalent berlinois de la Caméra d’Or cannoise, le Prix GWFF, doté de 50.000 euros. Quant au dauphin, L’Ours d’Argent Grand Prix du Jury, il fut également décerné à une réalisatrice, la polonaise Małgorzata Szumowska pour Twarz (Mug pour l’exportation). Même le prix Glashütte du meilleur documentaire, toutes sections confondues, décerné par un jury ad hoc, revint également à une réalisatrice, l’autrichienne Ruth Beckermann pour Waldheims Walzer (La Valse de Waldheim), un documentaire introspectif sur la révélation du passé nazi de Kurt Waldheim, ancien Secrétaire Général de l’ONU alors qu’il tentait ensuite de se présenter à la présidence de l’Autriche.
La répartition des autres Ours d’Argent fit à peu près le tour des autres films les plus remarqués d’une sélection officielle assez inégale. Le prix de la meilleure réalisation revint à Wes Anderson pour son original film d’animation Isle of dogs, qui fit l’ouverture du festival, une œuvre pleine de dérision montrant l’évacuation de force dans une île dépotoir de l’ensemble des canidés d’une ville japonaise en proie d’ici quelques décennies à une maladie du « chien fou » assez semblable à celle de la « vache folle », du fait du contact des humains avec les chiens malades. Le prix de la meilleure actrice revint à Ana Brun pour sa prestation dans Las herrederas (Les héritières), de Marcelo Martinessi, un film qui reçut également le prix Alfred Bauer du film innovant et le prix FIPRESCI de la critique internationale pour la compétition. Le prix du meilleur acteur fut décerné à Anthony Bajon pour sa prestation dans La Prière, de Cédric Kahn, seule représentation de la France au palmarès. Les Espagnols Manuel Alcalà et Alonso Ruizpalacios se partagèrent le prix du meilleur scénario pour leur travail dans Museo, réalisé par ce dernier. Enfin, le prix de la meilleure contribution artistique revint à Elena Okopnaya pour ses costumes et son travail dans Dovlatov, d’Alexey German Jr. On regrettera peut-être simplement l’absence d’une mention au palmarès pour l’exigeant Transit, de Christian Petzold, où les situations de la France en voie d’occupation par les troupes allemandes durant la Seconde Guerre Mondiale sont vécues en une sorte d’uchronie dans le cadre de la France d’aujourd’hui.
Parmi les autres récompenses, on signalera les deux autres prix FIPRESCI de la critique internationale, River’s Edge, du japonais Isao Yukisada, pour la section « Panorama » et An Elephant Sitting Still, du chinois Hu Bo, présenté au Forum International du Jeune Cinéma.
Un festival en voie d’évolution
Nous avions évoqué au fil des années l’importante diversification du festival, devenu de plus en plus protéiforme, entre l’augmentation du nombre de films présentés dans ses diverses sections, et la volonté affirmée par le Directeur de la Berlinale, Dieter Kosslick de délocaliser autant que possible la manifestation dans la ville, et pas seulement autour de son quartier général de la Potsdamer Strasse. Or comme Dieter Kosslick a annoncé un peu avant le début du festival qu’il ne demanderait pas le renouvellement de son contrat, qui s’achèvera après le millésime 2019 de la manifestation, les festivaliers multiplièrent les rumeurs. Celle qui revenait le plus souvent était la possibilité d’un resserrement du nomrbe de films de la Berlinale afin d’en accroître l’intérêt pour les journalistes et critiques. D’ailleurs, le renouvellement avait déjà commencé pour la section Panorama, dont son excellent directeur de longue date, Wieland Speck, a abandonné cette année la direction, revenue à un trio formé de Paz Lazaro, Michael Stütz, et Andreas Struck – le Forum restant animé par Christoph Terhechte.
Un marché du film européen… de plus en plus mondial !
Bien évidemment, ce resserrement ne concernerait que le Festival à proprement parler, et pas son Marché du Film. Le « Marché du Film Européen » qui avait été fondé par Beki Probst a en effet pris une résonnance mondiale, et il s’agit maintenant incontestablement du premier rendez-vous de l’année des professionnels du cinéma du monde entier, avec 9000 participants inscrits en 2018 pour sa 30° édition, selon les indications données à la presse. D’ailleurs, le marché a littéralement explosé physiquement cette année, puisque les stands sont maintenant répartis sur trois lieux. L’augmentation de la participation s’est faite physiquement sentir jusque dans les espaces dédiés aux stands. Avec 45 compagnies enregistrées pour le Marché en 2018, la France avait le contingent national le plus important. Unifrance, bourdonnant d’activité du matin au soir, a même dû sacrifier son « espace café » afin de laisser plus de place à nos professionnels de l’exportation ! Selon l’ensemble des observateurs, les achats ont été fort nombreux cette année, et pas seulement du fait des « nouveaux » acteurs, Amazon et autres Netflix, mais aussi du fait des acheteurs traditionnels pour les salles de cinéma.
Le Marché du Film, maintenant dirigé par Matthijs Wouter Knol multiplie par ailleurs les initiatives, avec cette année une focalisation sur le documentaire, mais aussi un séminaire sino-européen « Bridging the dragon », une série de débats, des ateliers de travail, etc. Maintenant présidente du Marché, Beki Probst, à l’origine et animatrice de cette évolution durant trois décennies, a d’ailleurs été récompensée d’un prix spécial durant le festival, la « Berlinale Camera ».
Une rétrospective remarquable
Comme si cette abondance ne suffisait pas, les plus cinéphiles ont pu constater que les Berlinois ne rechignaient pas à redécouvrir le passé un peu oublié du cinéma de la République de Weimar, qui, il y a un siècle, avait précédé l’avènement du nazisme. Accompagnée de l’édition d’un livre-catalogue (malheureusement seulement en Allemand), la rétrospective du Festival permit de découvrir dans divers cinémas de la ville des copies restaurées de comédies comme L’aventure de Théa Rolland, amusante pochade de 1932 dont Lil Dagover était la vedette (ci-contre), Crise, du grand Wilhem Pabst de 1928, le célèbre La Lumière Bleue, de et avec Leni Riefenstahl, et bien d’autres encore. La rétrospective méritait sans doute à elle seule le voyage pour un amateur d’histoire du cinéma. Non seulement devenu le premier des quatre grands rendez-vous de l’année de la profession cinématographique mondiale, avec Cannes, Venise et Toronto, la Berlinale a donc aussi été en 2018 une étape majeure de la cinéphilie !
Philippe J. Maarek
Les 48H de la Pige 2018 les 28 et 29 juin
Les 48H de la Pige 2018 les 28 et 29 juin auront lieu à Bordeaux. L’événement, organisé par l’association Profession : Pigiste, réunit chaque année plus de 200 journalistes pigistes pour deux jours d’échanges, conférences, débats et ateliers pratiques autour de la profession.
Cette année, les 48H de la Pige, bénéficiant du soutien du Club de la presse de Bordeaux, se tiendront dans les locaux de l’Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine (IJBA) et auront pour thème « Osons, soyons créatifs ». On y organisera également un « tremplin », c’es-à-dire l’achat ferme d’un article/reportage sur sélection de synopsis.
Le programme complet est en ligne sur https://48h.pigiste.org/
Soutien au cinéma indépendant « La Clef » à Paris
Alors que les exploitants du cinéma indépendant « La Clef » à Paris, bien connu comme une des meilleures salles d’art et d’essai de la ville, sont d’accord pour racheter leurs locaux, le propriétaire des murs refuse d’honorer sa parole et ne veut plus le leur vendre. Il s’agit pourtant du comité d’entreprise de la Caisse d’Épargne de l’Ile de France, principalement constitué de représentants syndicaux de SUD et de la CGT!
Ce comité d’entreprise menace d’expulser le cinéma dès le 31 mars 2018, alors que la somme demandée avait pourtant été rassemblée par le cinéma en fonction semble-t-il d’un accord verbal que le loueur ne veut plus honorer.
L’Union des Journalistes de Cinéma appelle à signer la pétition qui est en ligne pour soutenir ce cinéma, avec tous les détails, à :
Taipei Golden Horse Film Festival 2017
Afin de promouvoir le développement du cinéma taïwanais et de récompenser les meilleurs films, cinéastes et professionnels de l’année, le gouvernement de la République de Chine (R.O.C.) a créé en 1962 les premiers Prix Cheval d’or. (Golden Horse en Anglais)Le choix du nom « Cheval d’or » n’est bien sûr pas le fait du hasard. Il évoque naturellement le Lion ou l’Ours de Venise et de Berlin mais plus subtilement il reprend en mandarin les idéogrammes de deux petits archipels, Kinmen et Matzu situés à quelques encablures des côtes de la République Populaire de Chine dont la possession a été âprement défendue par Taïwan et qui constituent ainsi les symboles de la ténacité de la R.O.C. face à son grand voisin de l’Est.
Les Prix Cheval d’or ne sont pas les seuls prix décernés au cinéma à Taïwan, mais ils ont été les tous premiers dans le monde à récompenser des films en langue chinoise. Réservés à l’origine aux productions exclusivement taïwanaises, ils se sont étendus au début des années quatre-vingt-dix au cinéma de Hong Kong puis en 1996, avec la détente des relations entre les gouvernements de Taipei et de Pékin aux productions de la République Populaire de Chine. Ils se positionnent désormais comme l’une des principales compétitions pour l’ensemble des films en langue chinoise. Création gouvernementale, la compétition est par ailleurs depuis les années quatre-vingt-dix organisée par un organisme privé, le « Comité exécutif des Prix du Cheval d’or ».
Depuis 2007, désireux d’une plus large ouverture à l’international, les organisateurs des Prix Cheval d’or ont sollicité la collaboration de la FIPRESCI afin qu’elle désigne un jury susceptible de récompenser de jeunes et prometteurs talents. Le jury se compose de trois membres, deux critiques de cinéma étrangers et une ou un de Taïwan. Les membres du jury cette année étaient les deux critiques de cinéma Nachum Mochiach d’Israël et Chih-Yuan Liang de France, et en tant que personnalité du cinéma taïwanais Isabelle Wu critique et professeur de cinéma à Taïwan. Au bout d’une petite semaine de visionnage et de discussions parfois animées, le jury est parvenu à s’accorder sur son palmarès.
La sélection de huit films qui était soumise au jury se composait cette année uniquement de premiers films:
– Old Beast de Zhou Ziyang, une comédie-dramatique, représentant de la rare cinématographie de la Mongolie-Intérieure.
– Missing Johnny, une comédie moderne, du taïwanais Huang Xi, diplômé de cinéma aux États-Unis et qui a travaillé auprès de Hou Hsiao-Hsien.
– This is not what I Expected!, une comédie populaire, du hongkongais Derek Hui, monteur de nombreux films de Hong Kong et de Chine.
– Shuttle Life de Tan Seng Kiat, un drame social, originaire de Malaisie et diplômé du cinéma à Taïwan.
– The island the all flow by, une dramatique, du taïwanais Chan Ching-Lin, auteur d’un premier court métrage remarqué.
– The Receptionist, une comédie-dramatique, de l’unique réalisatrice de cette compétition, la taïwanaise Jenny Lu détentrice d’un doctorat des arts à Londres.
– See you tomorrow, une comédie burlesque, de style très hongkongais du chinois Zhang Jiajia, scénariste d’origine.
– The Great Buddha +, une comédie-dramatique film noir, du réalisateur taïwanais Huang Hsin-Yao, déjà auteur de nombreux documentaires. Son film est le seul à être par ailleurs nomminé au Cheval d’or pour le prix du meilleur film.
Après avoir visionné l’ensemble de la sélection, le jury de la FIPRESCI a retenu trois films lui paraissant susceptible de recevoir le prix. Old Beast, Missing Johnny et Shuttle Life. Old Beast pour son traitement cruel d’un sordide conflit familial, la forte tension psychologique qu’il dégage et sa fin à la fois totalement inattendue, tragique et glaçante. Situé à Taipei, Missing Johnny fait habilement se rencontrer ses trois personnages de solitaires dans une atmosphère pleine de naturel et de fraicheur. On y sent l’influence dans le rythme de ce premier film du maître Hou Hsiao-Hsien sur l’élève, le réalisateur. Shuttle Life, enfin, drame social naturaliste, gangréné par la misère remarquablement servi par ses acteurs. Ce film observe une micro-société plutôt défavorisée, également limitée à l’Asie du Sud-Est ; le scénario et la mise en scène nous rappellent étrangement le travail du cinéaste philippin Brillante Mendoza…Trois films aux styles très différents mais aux qualités cinématographiques incontestables.
Finalement, le choix du jury pour l’attribution du Prix international de la critique cinématographique de la FIPRESCI 2017 s’est porté sur Old Beast. L’intrigue de Old Beast est pleine d’une tension surprenante. C’est l’histoire de la réalité cruelle d’une famille, histoire qui pourrait se produire dans n’importe quelle ville du monde. Par ailleurs, on est emporté par les images très réalistes de la Mongolie-Intérieure. Les images du film sont grises et froides, à l’instar des tensions et conflits entre tous les protagonistes… La longueur volontaire des plans ne ralentit aucunement le rythme du film, mais au contraire tient en émoi le spectateur et c’est bien rare pour un premier film.
Dans Old Beast, le personnage du père est un animal sauvage incontrôlable et fier, interprété par l’excellent TU Men, dont la performance lui a fait remporter le Cheval d’or du meilleur acteur. En effet, sous une apparence bestiale, précise et naturelle, l’expérimenté TU Men nous donne à voir en même temps un être humain avec un grand cœur et un véritable amour pour sa famille. De fait, une belle et cruelle histoire d’AMOUR….
Chih-Yuan LIANG
Cartes « Vertes » pour 2018
La campagne 2018 pour le renouvellement ou l’octroi des cartes « vertes » de critiques de cinéma permettant l’accès des journalistes et critiques de cinéma est ouverte. Les dossiers en retard doivent parvenir D’URGENCE et avant le 15 janvier au maximum au secrétariat de la Commission, assuré par le groupe Audiens sous l’égide de la Fédération Nationale des Critiques de la Presse Française (voir rubrique « La Profession »)
Une pétition pour soutenir Mohammad Rassoulof
Le réalisateur iranien Mohammad Rassoulof, Prix « Un certain regard » du Festival de Cannes cette année pour Un homme intègre a été brusquement interdit de voyager (son passeport a été confisqué à son retour de voyage). Il est maintenant assigné à résidence, et risque jusqu’à 6 ans de prison pour « atteinte à la sécurité », sans aucun doute à cause de la liberté de ton de ses films, qui lui avait déjà valu une condamnation à un an de prison en 2011.Une pétition internationale a été lancée pour l’aider par l’ARP sélections, son distributeur français. On peut la trouver à l’adresse suivante: