Les Prix de la « Diversité Culturelle » 2012

Au cours d’une chaleureuse cérémonie dans les salons de la SACD, Pascal Rogard, Président de la Coalition française pour la diversité culturelle, dont l’UJC fait partie, a remis les Prix « Diversité Culturelle » 2012 à Raoul Peck, cinéaste, ancien ministre de la Culture d’Haïti et actuel président de la Femis, et à l’Association « Solidarité Provence Amérique du Sud » représentée par ses fondateurs, Hernan et Leonor Harispe (à g. de P. Rogard sur la photo ci-contre).

La troisième récipiendaire du Prix pour cette année, qui n’a pu être présente, est Louise Beaudouin, ancienne ministre québécoise de la Culture et des Communications, puis des relations internationales et de la francophonie.

P.J.M.

Festival de Kiev: « Molodist 42 »

Une jeunesse européenne chahutée par le bouleversement des valeurs traditionnelles, autant affectives qu’économiques et c’est, à travers les films en compétition, tout un nouveau monde qui se construit sous nos yeux.

Du 20 au 28 octobre 2012, le festival international du film de Kiev, le Molodist 42, s’est déroulé dans plusieurs cinémas de la capitale ukrainienne. Les deux principales compétitions, celle des courts-métrages et celles des longs métrages ont donné un bel instantané de la grande Europe, du Portugal aux confins de la Russie. Ces compétitions sont ouvertes aux jeunes réalisateurs qui présentent leur premier film.

La compétition des cours-métrages a été d’une excellente qualité, que ce soit dans l’utilisation des images d’archives, comme pour Le Facteur humain du français Thibault le Texier, sur la rationalisation du travail des salariés ; dans la dénonciation de la crise financière, avec Circus de l’espagnol Pablo Remon ou dans l’importance de la poésie pour une génération contemplative, comme dans le film géorgien, Shavi Tuta de Gabriel Razmadze.

Parmi eux, deux films d’animation, Sommeil de la polonaise Marta Pajek et Oh Willy… une réalisation franco-belge d’Emma De Swaef et Marc James Roels. Depuis un an, ce petit bijou tourne dans de nombreux festivals et rafle tous les prix. Des figurines de tissu, dont la douceur et la fragilité s’accordent particulièrement bien avec cette histoire de deuil et de résilience. Un chef d’œuvre qui donne tout son sens à l’animation.

La compétition des longs métrages a montré combien les citoyens européens sont aujourd’hui mobiles : Eastaglia de Darya Onyyshcheriko en est le meilleur exemple. Une coproduction entre l’Ukraine, l’Allemagne et la Serbie et des personnages de différents pays, immigrés heureux dans leur pays d’accueil, expatriés professionnels, histoires d’amour entre langues dfférentes, des destins imbriqués et des rêves communs, les jeunes montrent une réelle volonté de dépasser les clivages culturels.

Lors de la remise des prix, le président du jury officiel, l’artiste hongrois Zoltan Kamondi, réalisateur, dramaturge et producteur, a prononcé un brillant hommage à Antonin Arthaud. Rappelant l’importance du cri et de la révolte hors des sentiers battus pour le poète français, il a remis le prix du meilleur long-métrage au réalisateur grec Babis Makridis pour son film « L ». Tragédie burlesque où un homme, au volant de sa voiture, cherche une route à suivre, balloté entre ses désirs de jeunesse, de voyage et de maturité et affrontant la figure de l’ours. Cet animal a inspiré toutes les cultures européennes depuis des siècles, il est signe de puissance, d’effroi et de force, entre mythe et folklore. Dans ce film grec, il est le miroir d’un homme à la recherche d’une nouvelle expression de la virilité. Et le cri de l’acteur principal est l’un des plus long de l’histoire du cinéma !

Le jury Fipresci a attribué son prix au film franco/israélien Le Jardin d’Hanna d’Hadar Friedlich qui sortira dans quelques semaines en France sous le nom de Beautiful Valley. Ce qui laisse une nouvelle fois songeur face à l’absurdité des titres de film lors de la distribution en salle… Le jury œcuménique a récompensé Hemel de Sacha Polack. Portrait d’une jeune femme cherchant la frontière entre sexe et amour, et de son père, incapable d’assumer son statut. Présenté en février dernier à la Berlinale, ce film néerlandais avait déjà obtenu un prix Fipresci.

Magali Van Reeth

Abu Dhabi n°6: un vent nouveau!

Cette année, un vent nouveau a soufflé sur la sixième édition du Festival d’Abu Dhabi. Après avoir été dirigé avec succès pendant quatre ans par Peter Scarlet, qui avait su faire de ce festival un événement de renommée internationale, il était présenté cette année par Ali Al Jabri nouveau directeur et ancien proche collaborateur de Scarlet, et une nouvelle direction.

Désormais sous l’égide du groupe media local TwoFour54 soutenu par le gouvernement (cela correspond aux coordonnées géographiques d’Abu Dhabi), il vise à  » favoriser le développement des contenus dans l’industrie des media et du divertissement au niveau mondial, réalisés par les Arabes pour les Arabes ». La stratégie du groupe a pour objectif de « faire du festival LE pole créatif de la région, en soutenant la production cinématographique locale en parallèle avec d’autres initiatives dans les secteurs de l’audiovisuel, de la musique, des media numériques, des événements, des jeux vidéo et des publications afin de positionner Abu Dhabi comme centre régional d’excellence en création de contenu. »

Ces changements de direction semblent également refléter une tendance plus générale dans les Emirats qui consiste à remplacer de plus en plus les étrangers par des Emirati comme l’a déjà annoncé Ali Al Jabri pour l’équipe pour le festival en 2013. Il sera intéressant de voir de quelle manière ces changements d’équipe de direction vont influencer les orientations du festival qui depuis sa création, avait déjà comme vocation d’offrir une plate forme privilégiée pour des réalisateurs de cinéma du monde arabe.

Cinq sections compétitives ont concentré les points forts de la programmation, qui par ailleurs a fait la part belle aux réalisatrices :

Narrative Feature Competition avec 15 films dont les « valeurs sûres » comme les derniers films d’Ozon ou Manuel de Oliveira, mais aussi des oeuvres très audacieuses comme Lore, de l’australienne Cate Shortland ou Araf de la réalisatrice turque Yesim Ustaoglu qui à juste titre a reçu le Black Pearl Award de cette section. ;

New Horizons Competition avec 15 premiers ou deuxièmes films parmi lesquels on pouvait trouver des succès de festivals comme Beasts of the Southern Wild, mais aussi la première mondiale d’un premier film particulièrement impressionnant de la réalisatrice égyptienne Hala Lofty, Coming Forth by Day ;

– une Compétition de films documentaires avec une excellente sélection de 12 films

– deux compétitions de courts métrages dont une réservée aux réalisateurs Emirati.

Dans ce festival bien organisé à la programmation très riche, ces compétitions officielles étaient accompagnées par la présentation de 24 films du monde entier, un hommage au cinéma algérien et une section sur la Corée du Sud, des master class et des rencontres pour l’industrie cinématographique.

On décerna aussi des Lifetime Achievement awards pour deux icônes du cinéma international, la belle Claudia Cardinale et « la Nefertiti du cinéma égyptien» Sawsan Badr. On vit défiler les stars du cinéma du monde arabe chaque soir sur le tapis rouge, défilés suivis par des dîners somptueux avec leurs senteurs orientales sur les terrasses de l’Emirate Palace qui ajoutaient une touche glamour indispensable à un événement de cette envergure.

Plusieurs séances étaient réservées aux femmes, pour leur permettre de pouvoir s’exprimer plus librement dans les discussions avec les réalisateurs qui suivaient normalement les projections, Curieusement , ces séances ont semblé être surtout prisées par les femmes étrangères.

Le jury Fipresci s’est concentré sur les treize films du monde arabe présentés dans les trois sections de la compétition principale, dont sept premières mondiales. Neuf de ces films avaient reçu auparavant le soutien du fond de développement et de post-production du Festival de Abu Dhabi, SANAD.

Si les films des « vétérans » Moussa Haddad (Harraga Blues, Algerie), Rachid Benhadj (Perfumes of Algiers, Algeriea) et Nouri Bouzid (Hidden Beauties, Tunisie-France-UAE) avaient du mal à convaincre, Hala Lotfy, une jeune réalisatrice égyptienne impressionna les jurys et le public avec un premier film prometteur, Coming Forth by Day, dont le langage cinématographique radical rompt avec le style habituel du cinéma arabe et égyptienne en particulier, et qui fut récompensée comme meilleure réalisatrice du monde arabe, et de notre Prix Fipresci, que j’eus l’honneur de lui remettre sur scène.

On nota enfin la présence de films très forts dans la section documentaire, comme notamment Cursed be the Phosphate, de Sami Tlili (Tunisie-Uae-Liban-Qatar) , In Search of Oil and Sand De Wael Omar et Philippe Dib (Egypte-Uae), Mohammad Saved By The Waters, de Safaa Fathy (Egypte-France-Uae). Enfin, last but not least A World not Ours, de Mahdi Fleifel. Ce documentaire plein d’émotions sans que la réalité soit perdue de vue revisite les mémoires d’un camp de réfugiés palestiniens au Liban, depuis les souvenirs nostalgiques d’enfance jusqu’aux espoirs déçus d’aujourd’hui. Il a monopolisé non seulement le Black Pearl Award du meilleur documentaire, mais également notre prix Fipresci, ainsi que le Prix Netpac.

Barbara Lorey de Lacharrière

Le Festival de Toronto fait l’événement

Il n’y a dorénavant plus aucun doute, le Festival International de Toronto est devenu l’événement cinématographique majeur de la seconde partie de l’année, se démarquant maintenant considérablement de ses principaux concurrents de l’automne, et notamment de Venise, par l’importance de la participation des professionnels du cinéma du monde entier, mais aussi par la ferveur de son public de spectateurs cinéphiles. Depuis deux ans, Toronto bénéficie en outre d’une remarquable base, le Bell Lightbox un bâtiment tout neuf, construit grâce à des millions de dollars de donations. Il dispose ainsi tout au long de l’année d’espaces d’exposition, de cinq salles de cinéma, et de bureaux permanents sur ses six étages. Cela fait maintenant du groupe un acteur permanent de la vie culturelle de la capitale économique du Canada.

Le Festival se prolonge ainsi toute l’année pour les habitants de la ville, avec par exemple une reprise cet automne de l’exposition sur le monde de James Bond qui a fait cet été le plein au musée Barbican de Londres. Mais il est aussi devenu un événement cinématographique majeur grâce à deux facteurs qu’il est sans aucun doute le seul à avoir su réunir aussi bien, sous la houlette de Piers Handling, qui préside avec brio de longue date à la destinée de l’ensemble de ses activités, assisté maintenant de Cameron Bailey à la direction artistique du Festival à proprement parler.

Le premier facteur de réussite est son côté non compétitif, qui lui permet d’attirer nombre de productions indépendantes, nord-américaines en particulier, qui n’auraient jamais pris le risque d’une compétition avec les aléas des jurys et de leurs compositions hétéroclites. Deux avantages en découlent ainsi, d’abord, la possibilité de présenter des films pas forcément complètement inédits, des « simples » premières nord-américains de films européens ou autres remarqués dans d’autres festivals par ses sélectionneurs par exemple. Le deuxième avantage est de donner ainsi une rampe de lancement à des films indépendants nord-américains qui y trouvent public, presse et professionnels. Ainsi, depuis nombre d’années, Toronto est-il devenu une rampe de lancement des Oscars. Cette année encore, parmi d’autres, Argo, le film de Ben Affleck inspiré par l’histoire authentique de la demi douzaine de diplomates américains qui ont réussi à échapper à la prise d’otage du personnel de l’ambassade du pays à Téhéran, du temps de Jimmy Carter, a ainsi pris ses marques de façon très nette à Toronto pour la compétition, comme The Artist l’avait fait l’an dernier, d’ailleurs. Il faut dire que Ben Affleck, qui s’est donné le rôle principal du film, tient le spectateur en haleine : sa mise en scène est nerveuse et précise, d’une grande efficacité, n’hésitant pas à utiliser tous les ressorts possibles pour cela (jusqu’à une boite de vitesse récalcitrante au tout dernier moment, qui semble empêcher pendant quelques seconde le départ du bus des fugitifs vers l’avion salvateur…). Un film qui s’est en outre révélé d’actualité, puisqu’au moment de sa projection, on manifestait, et hélas tuait, devant et dans plusieurs ambassades américaines au Moyen-Orient. Argo a d’ailleurs failli remporter le prix « Blackberry » du Public, arrivant très près du vainqueur, Silver Linings Playbook, de David O. Russell, un film aidé par la présence de Robert de Niro et de Bradley Cooper, surnommé depuis quelques temps outre-Atlantique le « nouveau Clooney ».

Le deuxième facteur de succès de Toronto réside justement dans cette présence d’un véritable public payant, un peu comme à Berlin – et contrairement à Cannes, où le public majoritairement formé de professionnels est ainsi moins représentatif de la réalité et sans aucun doute plus exigeant qu’un public « normal». Grâce à l’ouverture du Bell Lightbox et à l’utilisation de nombre de salles d’un énorme complexe cinématographique voisin, le Festival se dédouble en effet, une partie des salles n’accueillant que le public payant (avec quelques invités professionnels quand ils le demandent), et l’autre n’accueillant que les professionnels, sans les contraintes des précédentes (pas de queues, un accès rapide aux films). Du coup, les projections prennent l’aspect de « sneak-previews » grandeur nature et permettent ainsi de tester les films, et notamment ceux des productions « indépendantes » américaines ou les importations potentielles d’outremer aux yeux des professionnels présents. Ainsi, en 2012, si Passion de Brian de Palma, a été aussi mal accueilli à Toronto qu’il l’avait été à Venise, malgré la superbe prestation de Rachel Mc Adams, des œuvres comme le Spring Breakers de Harmony Korine, The Sessions, de Ben Lewin, ou The Paperboy de Lee Daniels – certains vus à Cannes et encore dans les cartons – ont montré par leur succès public aux 4280 professionnels en provenance de 80 pays présents qu’ils pouvaient envisager une sortie nord-américaine ou étrangère sereine malgré des aspects un peu difficiles ou provocateurs.

Cette année, le festival se divisa en une bagatelle de quinze sections différentes, présentant ainsi un éventail considérable. On pouvait certes y voir des films à grand public dans la section « Galas », où quasiment toutes les stars hollywoodiennes, de Tom Hanks à Will Smith, Robert Redford ou Helen Hunter, ou d’outremer, comme Monica Belucci ou Pierce Brosnan, passèrent un jour ou un autre. Mais, à l’autre extrême, il y avait les séances de minuit des films d’horreur ou de série B de la section « Midnight Madness » programmée par Colin Geddes, aux 1500 places remplies à craquer malgré l’heure tardive tous les soirs de spectateurs enthousiastes – et sympathiquement bruyants !

Quant au cinéma français, il eut la part belle à Toronto, avec pas moins de 24 films dans les différentes sections du festival, placés sous l’ombrelle d’Unifrance, dont la réception fut l’une des plus suivies des professionnels. Parmi eux, Dans la maison, de François Ozon, s’octroya le Prix Fipresci de la Critique Internationale de la section « Présentations spéciales » – le prix de la section « Discovery » allant à Call Girl, de l’Américain Mikael Marcimain.

Couronnement indispensable, enfin, pour les visiteurs comme pour les cinéastes « locaux », le festival est aussi une plate-forme de lancement inégalable pour les films canadiens, les seuls d’ailleurs à être placés sous la coupe d’un « vrai » jury, qui récompensa cette année de son prix « Sky Vodka » Antiviral, où Brandon Cronenberg prend la suite de son père David, avec une première œuvre dans le registre de la science-fiction, ex-aequo avec Blackbird, de Jason Buxton.

Philippe J. Maarek

Quand Dieu s’invite à la Mostra de Venise

Il flottait comme un léger air de mélancolie sur la 69ème Mostra de Venise. Pourtant, comme le projet d’un nouveau palais de festival a été apparemment enterré faute de moyens, le grand chantier qui défigurait le Lungomare a partiellement disparu laissant la place à une jolie promenade où il faisait bon se reposer entre les projections. Mais les alentours du festival paraissaient étrangement vides, attirant visiblement beaucoup moins de monde que les années précédentes. Créée il y a maintenant 80 ans, la Mostra qui marque cette année le retour d’Alberta Barbera comme directeur (il avait dirigé le festival de 1999 à 2002 avant d’être « débarqué » par le gouvernement Berlusconi), a certainement besoin d’un nouveau souffle si elle ne veut pas s’endormir sur sa lagune hors du temps. Mais la situation est difficile dans un pays plongé dans une crise dont il ne sortira pas sitôt et le marché du film, annoncé par Barbera comme une des nouveautés pour booster le festival est encore loin de tenir ses promesses. Enfin le spectre du puissant festival de Rome, qui se prépare sous l’égide de son prédécesseur plein de ressources, Marco Muller, semblait planer comme un ombre menaçante sur le Lido.

Est-ce l’air du temps ou la crise avec ses incertitudes et ses angoisses existentielles qui suscitent cette recherche de promesses de salut religieux et idéologiques et qui semblent gagner insidieusement non seulement notre société mais transforme également certains cinéastes en passeurs de messages spirituels plus ou moins douteux? Curieusement, cette année, le grand thème de la Mostra était la foi, (ou son absence!), servie à toutes les sauces religieuses et idéologiques, surtout dans les 18 films de la compétition internationale dont la plupart privilégiaient le contenu à la forme.

Au film d’ouverture The Reluctant Fundamentalist de Mira Naïr qui plaide pour une certaine compréhension envers la radicalisation islamiste des intellectuels séduit par l’Ouest mais finalement dégoûtés par le capitalisme (américain) exacerbé, répondait en écho d’un des pays théocratiques par excellence, l’Arabie saoudite, le premier film fort surprenant et courageux d’une autre femme, Wadja, d’Haifaa al Mansour, témoignant de l’enfermement forcé dans une réclusion totale des femmes.

Dans le glacial Paradis : Glaube ,deuxième partie de sa trilogie, le metteur en scène autrichien Ulrich Seidl invite le spectateur à accompagner son actrice fétiche Maria Hofstätter sur son chemin de croix de l’évangélisation auprès de populations viennoises vivant en marge de la société. Elle passe tout son temps libre en faisant du porte-à-porte avec une madone en bois sous le bras quand elle ne se flagelle pas jusqu’au sang agenouillée devant le crucifix de sa chambre, et un soir elle prend même le crucifix dans son lit. Promptement alertée par cette scène de masturbation pour le moins insolite, une organisation ultra-conservateur catholique avait immédiatement porté plainte pour blasphème contre Seidl, l’actrice, les producteurs et même le directeur du festival.

Le film de Marco Bellocchio Bella Addormentata nous replonge lui dans les polémiques qui avaient divisé l’Italie en 2009 autour de la mort d’Eluana Englaro dont l’assistance respiratoire avait été débranchée à la demande de son père et des médecins après 17 ans de coma. Les catholiques « intégristes » se sont rendus devant le palais du festival en brandissant des pancartes avec la photo d’Elena et de la Vierge et ont réclamé le retrait immédiat du film. Pourtant, ce film, un peu trop didactique et qui malheureusement noie son sujet dans des méandres sentimentaux d’ajouts fictionnels n’a rien d’un pamphlet provocateur mais s’efforce plutôt d’explorer la question de l’euthanasie sous tous ses angles.

L’un des films les plus attendus de la compétition, To the wonder, de Terence Malick, a laissé les spectateurs et même les fans de ses premières œuvres perplexes. Lors d’un voyage en France, Neil (Affleck, séduisant comme un morceau de bois sec), rencontre Marina (Kurylenko) et, après des déclarations d’amours en voix off alignant des platitudes affligeantes sur fond de la très photogénique Baie de Saint Michel, la ramène avec sa petite fille dans un « bled » perdu des plaines de l’ Oklahoma. Comme il fallait s’attendre, la vie quotidienne dans ce lotissement dépourvu de toute charme éteint assez rapidement l’amour passionnel qu’éprouve l’héroïne pour son amant monosyllabique et réticent à l’épouser. Marina plie bagage pour revenir quelques temps plus tard sans que l’on comprenne pourquoi, et ainsi de suite. Cerise sur le gâteau de cette rêverie pseudo -chrétienne exaspérante et frôlant souvent le ridicule c’est le personnage d’un prêtre (Javier Bardem) en proie à une sévère crise de foi qui erre sans arrêt à travers sa maison et les quartiers pauvres de sa banlieue pendant que l’on entend sa voix en off commentant ses doutes comme un bruit de fond jusqu’au jour où se produit le miracle ; il retrouve Jésus, qui, cette fois-ci, revient même en force vers lui. « Le Christ en moi, le Christ au dessus de moi, Le Christ en dessous de moi, Le Christ à ma droite, le Christ à ma gauche » jubile-t-il tandis que les palissades en bois qui entourent les maisons du lotissement s’éclairent lentement, illuminés par les rayons dorés du soleil levant.

Mais la compétition avait encore d’autres surprises divines dans son programme – notamment avec Lemale Et Ha’Chalal (Fill the Void) de Rama Burshtein (Israël), d’ailleurs le seul film en compétition réalisé par une femme. Sans distance critique aucune mais avec une maîtrise tout à fait louable, la réalisatrice met en scène la vie d’une communauté ultra-orthodoxe à Tel Aviv où une jeune fille est amenée par sa famille à accepter d’épouser le mari de sa soeur décédée afin que l’enfant du couple reste auprès de sa grand-mère. Bursthein, strictement vêtu selon les codes vestimentaires des haredi ultra-orthodoxes, livre dans le dossier de presse sa confession de foi et énonce les objectifs de son film « fidèle à la façon dont je vois le monde«  sans la moindre ambiguité . Que la réalisatrice puisse présenter en Israël ses films uniquement aux femmes de sa communauté d’où les hommes sont exclus des projections -soit. En revanche, on peut se poser la question de savoir si la compétition de la Mostra de Venise devait servir de plateforme pour faire l’éloge d’un monde où la femme n’est pas égale de l’homme, Reste aussi le mystère d’une intervention divine par laquelle le jury a cru bon d’honorer ce film en décernant le prix de la meilleur actrice à sa jeune protagoniste.

Heureusement, The Master de Paul Thomas Anderson nous livre une antidote aux rêveries fondamentalistes véhiculées dans certains films de cette compétition. Avec bravoure et une force créatrice d »image et narrative qui sort ce film du lot, Anderson présente, sans la nommer explicitement , la vie d’un fondateur de secte au début des années 50 (dans laquelle on pourrait reconnaître Ron Hubbard , père de l’Eglise scientologique). Ce Dodd (merveilleusement incarné par Philip Seymour Hofmann) auteur charismatique et despotique, séducteur et manipulateur, porté sur les boissons fortes s’est inventé une nouvelle forme de croyance fondée sur un mélange de philosophies, de religions et de thérapies plus ou moins obscures comme le voyage dans le temps, qui rassemble autour de lui de plus en plus d’adeptes. Mais l’idée géniale d’Anderson est de non pas de raconter cette histoire en forme de biopic mais à travers un autre personnage fictionnel, celui du vétéran de guerre ultra violent , Freddy, (Joaquin Phoenix en sparring partner cogénial) profondément traumatisé par la guerre au Pacifique. Entre ces deux personnages aux caractères forts et diamétralement opposés s’établit une relation ambigüe de maitre-élève voire même de père-fils. Mais Dodd, face à l’impossibilité de maîtriser la violence de Freddie, lui redonne en quelque sorte sa liberté. Sans prendre position, Anderson nous amène au centre du monde clos d’une secte en démontrant les mécanismes de la soumission, tout en laissant une petite porte ouverte par laquelle Freddie réussira peut-être un jour à s’échapper.

Dans un tout autre registre , Kim Ki-Duk plonge ses fans avec Pieta une fois de plus dans la descente aux enfers d’une histoire de crime, châtiment et rédemption – parcours cher au christianisme, mais ici avec une radicalité et une cruauté visuelle qui dépasse par moments la limite de l’insupportable.

Mais c’est finalement The Fifth Season, film d’une force et d’une beauté visuelles absolument saisissantes du couple Jessica Woodworth et Peter Brosens, qui nous mène impitoyablement vers une apocalypse païenne qui, ici, se prépare lentement sur les terres lourdes d’un village au fin fond des Ardennes. Ce film complètement à part qui raconte une histoire d’évolution humaine à reculons où la bêtise, la cruauté et la méchanceté des hommes sont punies par une nature de plus en plus déchainée au fur à mesure que la violence entre les habitants dégénère n’est pas sans évoquer certains tableaux de Breughel.

Heureusement Olivier Assayas nous ramène vers la vie avec l’un des plus beaux films de la Mostra : Après Mai, un hommage aux années 70 à travers les aventures politiques de jeunes lycéens d’une banlieue de Paris. Ce film d’une intelligence, d’une luminosité et d’une tendresse salutaire dans l’évocation un brin nostalgique mais sans aucune fausse sentimentalité d’une époque qui aujourd’hui paraît plus lointaine qu’elle ne l’est réellement, est joué par huit jeunes acteurs et actrices de moins de vingt ans qui se glissent admirablement dans la peau de ces jeunes qui rêvaient de révolution, roulaient en bus Volkswagen, s’aimaient et se séparaient sur fond de discussions politiques incessantes, animés par des questionnements sur la façon de rendre le monde meilleur.

Barbara Lorey de Lacharrière

Prix Fipresci :

The Master de Paul Thomas Anderson (USA)

Orizzonti et Settimana Internazionale della Critica

L’intervallo de Leonardo Di Costanzo(Italie)

Pour la libération immédate du cinéaste syrien Orwa Nyrabia

Communiqué de Presse du 1er Septembre 2012


L’Union des Journalistes de Cinéma exprime sa grande inquiétude au sujet de l’arrestation subite de Orwa Nyrabia, le directeur syrien de Dox Box, le Festival du Cinéma Documentaire de Damas, le 23 août dernier, et dont personne n’a eu de nouvelles depuis. Nous appelons à la libération immédiate de ce cinéaste, défenseur de la libre expression dans le festival qu’il dirige comme dans ses oeuvres.

Soutien au Catalogue national des films documentaires

Suite à la décision du Conseil de l’UJC, le 27 juin 2012, l‘Union des Journalistes de Cinéma a signé la pétition de soutien au Catalogue national des films documentaires dont le texte est ci-dessous, et invite tous ceux qui se sentent concernés à signer individuellement cette pétition à:

http://www.petitions24.net/soutien_au_catalogue_national_des_films_documentaires


Texte de la pétition:

Nous apprenons avec inquiétude que la pérennité du Catalogue national des films documentaires n’est aujourd’hui plus assurée, faute de financement.

Confié depuis 2005 à la Bibliothèque Publique d’Information du Centre Georges-Pompidou (BPI), le Catalogue national des films documentaires est un outil indispensable, au service de tous, pour un accès public et de qualité à des oeuvres souvent majeures du cinéma documentaire français et international. Il permet, sur l’ensemble du territoire et tout au long de l’année, la mise en oeuvre de nombreuses opérations de valorisation et d’éducation à l’image.

Grâce à l’acquisition, auprès des producteurs, des droits de films sélectionnés pour leur qualité de leur forme et de leur sujet, grâce également à la réalisation de supports spécifiquement destinés aux bibliothèques, il assure une vie à des films qui, souvent inédits, disparaissent sans cela après quelques diffusions dans les festivals et quelques rares passages à la télévision. Ce sont aujourd’hui plus de 1500 films qui peuvent ainsi être intégrés aux collections des médiathèques, diffusés et projetés au public.

Ce système ne cesse, trente ans après sa création, de convaincre par son intelligence.

La disparition du Catalogue national constituerait une régression regrettable pour les collections des bibliothèques et la qualité de leur activité. Sur ce catalogue s’appuient nombre d’opérations importantes – projections dans le cadre du Mois du film documentaire et tout au long de l’année, ateliers scolaires, etc.

Ce serait également un signal particulièrement paradoxal à un moment où il paraît important au contraire d’offrir au public des moyens d’accès aux oeuvres simples, de qualité, légaux, respectueux du droit des auteurs et des producteurs. – moyens qui sont depuis toujours au coeur des missions et des compétences des bibliothèques publiques.

Nous appelons donc Madame la Ministre de la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti, à prendre les mesures nécessaires à la sauvegarde du Catalogue national des films documentaires grâce auquel les médiathèques donnent à voir à tous, largement et facilement, des œuvres rares et précieuses.

Au jury « Fipresci » de la Critique Internationale de Cannes 2012

Un certain Regard

Un festival de Cannes maussade arrosé par la pluie. La veille de l’ouverture, je longe le bord de mer et la croisette : yachts, hôtels et vitrines de luxe. Trop chers pour moi ! Le lendemain, le festival fonctionne comme une usine : rythme infernal de projections qui s’enchaînent et des affaires qui s’y traitent.

Membre du jury Un certain regard pour la Fédération internationale de la Presse de Cinéma, j’ai pu voir vu tous les films de cette sélection ainsi que ceux de Cannes Classic et de la Compétition officielle dont Cosmopolis de Cronenberg, métaphore sur le capitalisme en crise, et le superbe Holy Motors de Léos Carax, film de haute densité poétique et pour lequel mon cœur a battu très fort, espérant qu’il remporte un prix : espoir trompé par un palmarès décevant et peu audacieux.

Diversité, sans toujours la qualité.

Un certain Regard provoque l’espoir de découvrir des films du monde entier, de styles et de genres différents, audacieux par leur regard, mais certains films cette année n’auraient pas dû y figurer. Ainsi, le film indien de la sélection, Miss Lovely d’Ashim Ahluwalia, autant rabatteur et complaisant que les films commerciaux qu’il prétend dénoncer, Blanco Elefante de Pablo Trapero et Antiviral de Brando Cronenberg. Le premier, misérabiliste, ne se distingue guère d’un mauvais téléfilm et Antiviral, prétendant dénoncer la « société du spectacle », n’est qu’un mauvais film de vampire, prétentieux, laborieux et qui s’éternise. D’ailleurs, la longueur des films était le défaut majeur de la sélection.

Dans Djeca d’Aida Begic, du passé de Rahima et de son jeune frère Nedim, le public doit deviner ce qui est advenu pour ces enfants de Sarajevo. Ici, le récit invite à suivre le présent de (Rahima), une jeune femme musulmane qui travaille dans la cuisine d’un restaurant et qui tente de protéger son jeune frère de la maffia, car Nedim est impliqué dans des trafics. L’actrice Marija Pikic joue le rôle d’une manière efficace et subtile. Le film montre le courage de Rahima affrontant des politiciens corrompus ou des criminels et décrit une société violente dont le quotidien renvoie au souvenir de la guerre à Sarajevo. Le film offre une bande sonore riche, un style visuel très nerveux et sa caméra, portée à l’épaule, accompagne les mouvements du personnage dans un rythme donnant de l’intensité.

Étudiant, le nouveau film du kazakh Omirbayev, s’inspire de Crime et Châtiment de Dostoïevski. Son tempo, ses images, sa direction d’acteur dans un jeu économe, sobre et “minimaliste” se placent sous l’influence de Bresson. Par de nombreux détails, Student construit une relation assez riche entre l’état du monde, l’évolution du personnage principal et le développement de son action. Sa structure globale et sa vision sont très cohérentes.

Laurence Anyways de Xavier Dolan est un film inégal, mais où il faut saluer le beau travail des deux acteurs principaux. Melvil Poupaud y est très subtil et s’impose dans une composition risquée de personnage d’homme voulant vivre dans l’identité d’une femme et Suzanne Clément, comédienne au jeu très puissant, impressionne. On sent, dans ce film, le désir sincère de faire du cinéma et Xavier Dolan, dans cette soif, expérimente différents styles. Certains moments forts prennent vie, mais l’écriture baroque de Laurence Anyways n’évite pas le maniérisme dans un film beaucoup trop long et sa musique redondante agace vite.

Dans Después de Lucia de Michel Franco, le personnage de Lucia est persécutée avec cruauté par ses « camarades » de classe pour avoir couché avec l’un d’entre eux. Le film prouve la vitalité du cinéma mexicain par un sujet fort, un jeu très juste de ses jeunes comédiens, mais le scénario manque de liens et sa fin est artificielle.

Gimme the loot d’Adam Leon possède de l’esprit, de la grâce et une bonne dose de vivacité. Cette comédie, genre rare dans la sélection de cette année, nous donne enfin à respirer et le plaisir de parcourir le Bronx avec son couple heureux de jeunes graffeurs toniques. Gimme the loot est un premier long métrage et il faut lui souhaiter du succès.

Dans le film collectif, 7 jours à La Havane, tourné par un réalisateur différent pour chaque jour, nous avons vu l’autre excellente comédie de la sélection, Diary of a beginner d’Elia Souleiman. Ce film succulent et burlesque, où il s’agit pourtant de la Palestine et de Cuba, provoque le rire. Avec le Rituel de Gaspard Noé, ce sont les deux meilleurs films de 7 jours à La Havane.

Notre jury a récompensé Beasts of the southern wild de Benh Zeitlin également lauréat de la Caméra d’or. Ce film émouvant montre l’aventure d’une petite fille, Huhspuppy, âgée de six ans dans son initiation à la vie. Hushpuppy, jouée par l’excellente Wallis Quvenzhané, vit parmi les plus pauvres, les exclus du bayou en Louisiane. Sa conscience des réalités et de ses responsabilités naîtra de la traversée de nombreuses épreuves. Récit d’initiation, ce premier long métrage surprend par la cohérence de sa vision, la qualité de sa mise en scène et sa profondeur. Mêlant le réalisme à la poésie, ce film réalisé par Benh Zeitlin est assez remarquable.

Laura Laufer

Les prix de l’UJC 2012

L’UJC a décidé pour la septième fois d’attribuer des prix annuels destinés à mettre en valeur les métiers du journalisme cinématographique.

• le Prix de l’UJC 2012, pour l’ensemble de son œuvre, à Philippe Collin, critique à Elle pendant 27 ans (ph. ci-contre)

• le Prix de l’UJC de la jeune critique 2012 à Marilyn Letertre

• le Prix de l’UJC de la meilleure biographie ou du meilleur entretien 2012 concernant une personnalité du cinéma, à Jordan Mintzer, pour son livre « James Gray » (éd. Synecdoche).

• La Plume d’Or 2011 du meilleur journaliste de cinéma de la Presse étrangère en France, enfin, a été décernée pour la septième fois conjointement par l’UJC et l’Association de la Presse Etrangère à Marcel Croës, pour sa couverture pluri décennale du cinéma français dans la presse française et belge.

Cari Saluti, Andrée!

Nous venons d’apprendre la disparition d’Andrée Tournès, l’âme de « Jeune cinéma » de si longue date, et qui avait rejoint l’UJC dès sa fondation, en 2001. Henri Welsh nous a fait parvenir ce texte de Montréal, où il travaille pour le cinéma depuis qu’il y a émigré.

« Que cherchons-nous au juste ? Et me revient ce matin de 55 où Jean Delmas, qui lançait un ciné-club dans notre bahut, me tendit un catalogue des films disponibles; c’était rue de l’Élysée et un vertige m’a saisie : tant de films, des centaines, des nunuches, des chefs-d’œuvres et des titres inconnus; trente ans de cinéphilie sauvage n’avait pas calmé ma boulimie, mais tout d’un coup, ce qui s’offrait c’était un choix presqu’infini. Le pouvoir de choisir ‘‘mon cinéma’’. Après seulement est venue l’envie de montrer à d’autres, puis en amont, d’élargir avec mes copains l’horizon établi par des commerçants; à l’époque où la FFCC (Fédération française des Ciné-clubs, ndlr) offrait à Paris La terre tremble de Visconti, nous, petite association, nous mettions sur orbite le 16 mm des Sept Samouraï, Deux hectares de terre, Ivan le Terrible

Trente ans plus tard, l’ivresse de donner à d’autres de beaux films à voir est toujours là, l’urgence plus forte encore de secouer la monotonie fatiguée des programmes officiels; d’offrir quelques spectateurs à des œuvres oubliées parce qu’elles sont anciennes en ces temps privés de mémoire, parce qu’elle sont lointaines et que les films aussi sont interdits de séjour, parce que-je-ne-sais-quelle malédiction les a enfermées sitôt créés et nous ne sommes pas prêts d’oublier l’émotion d’un Raoul Duval, d’un Othnin Girard, d’un Jouffe trouvant pour une fois, pour une seule fois, un public ».

Ces lignes écrites par Andrée dans la revue Jeune Cinéma (No 175 de Juillet 1986, p 47) sont l’expression la plus authentique de ce qui a animé Andrée depuis cette année lointaine de 1955 qui est aussi celle de ma naissance. Ce texte faisait le bilan des « Mardis Jean-Vigo » qui se tenaient au Republic Cinéma, lieu de projection des films du catalogue de la Fédération Jean-Vigo dont Andrée était une dirigeante et à laquelle, quelques mois plus tard, le Centre Georges Pompidou rendait hommage (Le cinéma, une aventure – 30 ans d’exploration – 8 octobre au 8 décembre 1986).

C’est en effet dans ces moments de passion pour le cinéma partagé avec un public qu’Andrée exprimait le mieux l’intensité de son engagement non seulement pour un art qu’elle aimait tant mais aussi pour une façon de s’engager librement et totalement dans une forme d’éducation populaire dont elle était une ardente militante.

Andrée Tournès était aussi cette enseignante, cette pédagogue exceptionnelle qui savait comment insuffler l’étincelle du savoir à ses élèves du lycée Edgar Quinet qui fut le dernier établissement qu’elle a fréquenté avant de prendre sa retraite de professeur agrégée. Une retraite fort occupée puisqu’à partir de ce moment-là, elle consacra presque tout son temps à la Fédération et à sa revue Jeune Cinéma.

Jean Delmas m’avait demandé de collaborer à Jeune Cinéma puis à la Fédération où je rencontrais Andrée rue Lamarck tout à côté du Sacré-Cœur. Son enthousiasme, sa connaissance exceptionnelle – sa « boulimie » comme elle l’écrivait – du cinéma étaient extraordinaires. Je me souviens de nos discussions sur l’expressionisme allemand qu’elle côtoyait depuis son enfance, sur le néo-réalisme italien dont elle disait que c’était une école politique, sur les comédies anglaises dont elle appréciait tellement l’humour. Si érudite sans le faux-semblant ni la pédanterie ou la vanité car pour elle l’essentiel était de pouvoir transmettre de façon simple et juste cette connaissance joyeuse du film comme fête de l’esprit. Jamais je n’ai pris Andrée en défaut de clarté, pour elle le cinéma ne devait pas être une discipline universitaire. Le langage cinématographique qu’elle décodait parfaitement sans utiliser de concepts spécieux, elle le traduisait avec bonheur en jonglant avec des contextes socio-historiques parfois difficiles mais qu’elle définissait avec une lumineuse simplicité. Ensemble nous avons organisé et animé des stages de formation d’animateur à l’INRS de Marly-le-Roi ou au CREPS de Boulouris au cours desquels les œuvres les plus rares étaient programmées pour le bonheur des participants. Les discussions qui suivaient les projections avaient une fougue et une précision étonnantes et toujours Andrée avait une attitude respectueuse et savait écouter ses interlocuteurs. De ses interventions germaient d’autres paroles et de ces échanges un peu de rapprochement vers une connaissance vraie du cinéma.

Comme journaliste, Andrée avait acquis une notoriété enviable, non parce qu’elle occupait les tribunes les plus prestigieuses, mais parce que son jugement, ses coups de cœur donnaient la mesure à beaucoup de collègues. Son inlassable fréquentation des festivals les plus pointus comme Locarno, Berlin, Poretta… en avait fait une des meilleures pionnières pour la découverte de films précieux et nous étions tous convaincus que lorsqu’elle proposait de prendre en distribution un film vu dans ces occasions, c’était certainement un joyau à faire circuler parmi les cine-clubs et les salles de cinéma. Car la Fédération des Ciné-clubs a tôt fait de fonder CICLOP-Films, une petite société de distribution commerciale dont le but était l’acquisition des droits d’exploitation des titres que les grandes compagnies dédaignaient particulièrement dans le secteur des films pour enfants. C’est ainsi que des films comme Hugo et Joséphine, Les enfants du numéro 67, Tante Tao par exemple ont trouvé leur public sans oublier L’écran magique ou Ajantrik. Autre engagement d’Andrée dans le combat, car les moyens étaient ridiculement modestes, pour la diffusion de films de grande valeur. C’est avec elle que se mit en place un mouvement qui aboutit à la rédaction d’un Manifeste pour un cinéma auquel les enfants ont droit qui affirmait que le jeune public avait la capacité de voir et de comprendre des films dits « difficiles » alors qu’ils offraient une vision du monde qui ne prenait pas les enfants pour des adultes en réduction.

De tous les moments passés avec André il me revient celui où à la suite de la projection d’Allonsanfan, Andrée a entamé a capella la musique du film et nous a tous entraîné dans la marche des « chemises rouges » menées par Marcello Mastroianni ! Une transposition des instants que le film des Taviani venaient de nous livrer. Comme par enchantement, Andrée avait rendue réelle la fiction projetée sur l’écran. Que ce soit un film italien n’est pas une coïncidence car Andrée avait trouvé près de Tavarnelle en Toscane, un « fénil » aménagé où elle prenait le temps de se ressourcer. C’était son havre de paix… Cari saluti Andrée.

Henry Welsh

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