Communiqué du 16 mars 2021 : réouvrir les salles de cinéma !
Berlinale 2021: un festival « virtuel » réussi !
La 71e édition de la Berlinale s’annonçait sous de mauvais auspices. Prévue en « présentiel », elle a dû se transformer à l’improviste entre l’automne et le mois de mars en une nouvelle configuration inédite : un festival pour les professionnels et journalistes à échelle réduite, en 5 jours, du 1er au 5 mars, et une reprise annoncée pour le mois de juin pour le public de la ville, sans doute dans des salles en plein air, du fait de la pandémie.
On doit donc féliciter les deux co-directeurs de la manifestation, le directeur artistique, Carlo Chatrian, et la directrice exécutive, Mariette Rissenbeek, qui ont réussi leur pari, pour leur deuxième année à la tête de la manifestation. Certes réduite à une centaine de films au lieu des deux à trois cents habituels, la Berlinale 2021 a pourtant fait preuve d’une belle vitalité. Les journalistes et professionnels accrédités ont pu chaque jour faire – dans leur salon, certes – leur choix entre les principales sections habituelles, la compétition, les sections « Berlinale Spécial » et « Rencontres », le Panorama, le Forum International du Jeune Cinéma, les séries, et les courts-métrages, sans oublier la section dédiée au cinéma allemand. Seul manquait à l’appel pour les journalistes, en tous cas, la rétrospective. En effet, chaque jour, le festival offrait aux professionnels accrédités deux à trois films de chacune de ces sections au minimum, ce qui donnait déjà fort à faire. Certes, il manqua ce qui fait souvent le sel des Festivals, les discussions d’après-film entre festivaliers, mais en somme, la frustration ne vint que de ce côté.
La sélection, en revanche, resserrée par la force des choses, donc, sembla au contraire, peut-être de ce fait, bien plus forte qu’à l’ordinaire, avec chaque jour un certain nombre de films marquants, pour une raison ou pour une autre.
La compétition officielle bénéficia d’un jury international très spécial, formé de six cinéastes, dont quatre purent visionner les films sur place, dans une vraie salle de cinéma. Dans l’esprit souvent politique de la Berlinale, ce jury engendra un palmarès bien dans l’air du temps ! En particulier, pour la récompense principale, l’Ours d’Or, il décida en effet de couronner le film du roumain Radu Jude, Bad luck banging or loony porn, une œuvre qui n’est pas sans laisser un tant soit peu perplexe. Commençant brutalement comme un film classé « X », images fort graphiques à l’appui, le film narre dans le contexte actuel du Covid-19, acteurs masqués y compris, comment une professeure se voit accusée par un jury populaire parce que les images de ses ébats ont filtré sur Internet. On peut penser que le jury a voulu récompenser la façon dont Radu Jude a su se servir de l’actualité et de la réalité quotidienne de la pandémie, mais il n’est pas sûr que son propos au second degré soit toujours perçu comme tel.
Pas de contestation, en revanche, pour le dauphin, l’Ours d’Argent Grand Prix du Jury décerné au très beau film du japonais Ryusuke Hamaguchi, Wheel of Fortune and Fantasy. Le réalisateur de Senses y juxtapose avec doigté trois scènes mettant magnifiquement en valeur les actrices féminines qui en sont les vectrices. Le hasard règne en maître dans des duos ou trios d’acteur qui réussissent à frôler le théâtre filmé sans jamais y verser. Cela fait parfois penser aux contes qu’aimait si souvent raconter Eric Rohmer, aussi bien quant à la trame scénaristique amenée d’une touche légère, comme un prétexte, et quant au talent des actrices si bien mises en valeur, face à quelques rares personnages masculins peu valorisés à dessein, comme souvent dans le cinéma de Hamaguchi.
A propos d’actrices, le jury fit le choix de donner le prix de la meilleure interprétation à l’allemande Maren Egert, excellente dans Ich bin dein Mensch. Elle y tient le rôle d’une jeune femme qui teste pour une société un compagnon androïde au cerveau doté d’un algorithme déroutant de capacité à deviner tous ses états d’âmes. Le film, d’une bonne facture, est réalisé par Maria Schrader qui fait un passage derrière la caméra convainquant, s’ajoutant à son joli parcours antérieur d’actrice.
Mis à part ce prix, le reste du palmarès montra l’adéquation entre les choix du jury et l’ancrage traditionnel politique de la Berlinale. C’est ainsi que la mise en scène de grande qualité, mais en somme sans surprise, de Natural Light, le premier film du hongrois Denes Nagy, fut récompensée d’un Ours d’argent de la meilleure réalisation que l’on aurait bien vu plutôt attribué à Xavier Beauvois pour son Albatros. Mais le sujet de Natural Light a visiblement beaucoup fait pour ce prix. C’est en effet sans doute le premier film de repentance, en quelque sorte, et de dénonciation, de l’alliance terrible de la Hongrie du régent Horthy à Hitler durant la Seconde Guerre Mondiale. Les images lunaires et certes bien maîtrisées du film, en concordance avec son propos, renvoient à la conduite ignoble de certaines des troupes hongroises qui participèrent avec les troupes allemandes à la guerre contre la Russie. Très politique également fut le Prix du Jury décerné à ce qui est presque une docu-fiction, Herr Bachmann und seine Klasse, de l’allemande Maria Speth, film-fleuve de plus de 3h30 qui forme une sorte d’alliage réussi entre le cinéma de Nicolas Philibert et celui de Raymond Depardon. On y suit les efforts passionnants d’un instituteur décidé à emprunter toutes les voies possibles pour motiver les enfants venus de la diversité des banlieues d’aujourd’hui, allemandes comme françaises, en somme, un film d’une actualité forte. Le reste du palmarès fut composé d’un prix du meilleur second rôle pour Lilla Kizlinger dans Forest – I See You Everywhere du hongrois Bence Fliegauf, un prix du meilleur scénario pour le Sud-Coréen Hong Sangsoo pour Introduction et d’un prix de la meilleure contribution artistique pour le monteur Ybran Asuad de A cop movie, le film mexicain de Alonso Ruizpalacios.
Quant aux deux longs métrages français sélectionnés en compétition, malgré leurs qualités, ils revinrent donc bredouilles. D’un côté, l’Albatros de Xavier Beauvois, dérouta peut-être par son changement de pied à mi-parcours, lorsque sa très belle mise en situation presque documentaire du quotidien d’un gendarme de province, à la manière de son Petit Lieutenant, se transforme en une expiation semi-onirique d’un homicide accidentel. Enfin, la rencontre à travers le temps d’une petite fille et de sa mère du Petite Maman de Céline Sciamma, joli conte plein de charme, était très certainement loin de correspondre aux choix très politiques de ce jury !
Pas seulement la compétition
Cette compétition restreinte et de bonne qualité générale fut, au moins autant que chaque année, complétée par nombre de films méritant le détour dans les autres sections du festival, avec souvent cet ancrage dans la réalité qui en fut décidément la marque cette année.
Dans la section « Berlinale Special », Language Lessons, de l’américaine Nathalie Morales, qui y tient d’ailleurs l’un des deux rôles principaux, fait appel avec humour à une parodie de la communication « distancielle » en Zoom qui est devenue notre lot quotidien. L’idée est astucieuse, bien menée, même si le procédé est un peu fastidieux à la longue – comme les sessions en Zoom, en somme!
Le « catastrophisme » ambiant en ce moment était aussi représenté par des films de qualité dans cette section, notamment avec Tides de Tim Fehlbaum. Notre Terre massacrée par les humains n’y est plus dans un futur proche qu’une planète presque inhabitable, envahie par la montée des eaux des océans, et fuie dans l’espace par quelques riches exilés qui tentent d’y revenir après deux générations, un thème en somme déjà classique, dont même les séries télévisées se sont déjà emparées (Les 100). La section Panorama ne fut pas non plus en reste de catastrophisme avec notamment le Night Raiders du canadien Denis Goulet où les enfants deviennent « bien d’État » dans une Amérique du Nord devenue dictatoriale, un peu comme le Gilead de la Servante Ecarlate.
Quant à la repentance, c’est aussi le thème de Azor, d’Andréas Fontana, dans la section « Rencontres », qui dénonce avec intelligence la connivence sordide de la banque suisse et des bourreaux de la dictature militaire argentine des années 1970-80, et bien sûr du Mauritanien, où Jodie Foster vient appuyer de son talent la mise en cause par Kevin McDonald de la torture à Gantanamo, un autre film de la section « Berlinale Special ».
Un marché du film très fourni
Alors que les journalistes avaient donc accès à ce bel ensemble de films, les acheteurs et vendeurs professionnels du cinéma mondial pouvaient parallèlement accéder durant ces cinq journées à des centaines de projections dans le cadre du Marché du Film. Le catalogue des films disponibles à la vente était aussi impressionnant qu’à l’ordinaire, avec pas moins de 28 pages écran d’une trentaine de films chacune. Cela montra ainsi que, comme à l’ordinaire, le Marché du Film berlinois a été le premier grand rendez-vous mondial des professionnels du cinéma de l’année 2021. Les projections du Marché étaient complétées par un mix de podcasts, de webinaires en direct et autres ateliers en Zoom ou enregistrés qui permettaient de rappeler a minima que les marchés du film sont aussi des espaces de rencontre – ici par la force des choses réduits à une version « à distance ».
Il reste à souhaiter à la Berlinale que la pandémie s’apaise suffisamment pour que sa version « publique » où les films seront repris pour le public berlinois puisse se dérouler dans de bonnes conditions, afin de le faire profiter de cette sélection de bon aloi qui ne dépare pas de celle des millésimes ordinaires, loin de là !
Philippe J. Maarek
Communiqué du 22 février 2021
L’Union des Journalistes de Cinéma s’associe aux protestations concernant les menaces de fermeture des options artistiques au lycée, l’un des viviers de la profession cinématographique, mais aussi de l’éveil à la culture des jeunes générations.
Soutien de l’UJC aux salles de cinéma
Communiqué de presse de l’Union des Journalistes de Cinéma du 17 décembre 2020
L’Union de Journalistes de Cinéma soutient le recours mené par la FNCF au nom de l’ensemble des professionnels du cinéma pour contester le maintien de la fermeture des salles de cinéma durant les fêtes de fin d’année. Ce maintien a en outre été décidé brutalement alors que la réouverture annoncée pour le 15 décembre avait occasionné de nombreuses dépenses de promotion et de préparation de la réouverture, exposées inutilement alors que la profession est déjà en grande difficulté cette année.
Briser les murs au Festival du film « Listapad » de Minsk
L’annulation de dernière minute par les autorités de Biélorussie du 27e Festival international du film Listapad de Minsk, même dans sa version virtuelle, en avançant qu’il s’agissait d’une mesure anti COVID, a porté un coup sévère à l’indépendance de la Culture dans le contexte des manifestations populaires et de la bataille pour la liberté dans les rues. Mais tous les jurys prévus pour le Festival ont exprimé leur détermination à continuer leur travail en ligne, même si les résultats ne seraient officiellement annoncés au public local que lors du 28e Festival l’année prochaine.
Les Prix ne pouvaient que traiter cette fois, comme d’ailleurs la plupart des films du festival interdit, de la lutte politique, sociale et culturelle des hommes et des peuples. Le jury en ligne de la FIPRESCI a décidé de décerner son prix «New Voices» au film indien Just like that (Juste comme ça), pour sa contribution importante à la lutte pour les droits des femmes. Le film est magnifiquement réalisé, tourné et interprété, nous faisant comprendre les obligations oppressives, les attentes sociales ,que l’Inde inflige aux femmes âgées après que leurs «devoirs» ont été «accomplis».
Après 52 ans de mariage, la jeune veuve Mme Sharma (Mohini Sharma) a décidé de commencer à vivre pour elle-même et de ne pas, comme on s’y attend, agir en « bonne veuve » et emménager avec son fils Virendra (Harish Khanna), reporter de la radio locale, et sa femme Sonia (Sadhna Singh). Elle commence à sortir pour s’acheter des glaces, recevoir des soins de beauté, apprendre l’art de la fabrication de poupées avec l’aide d’un tailleur local et, le plus «choquant», contrôler son propre argent: elle ouvre son premier compte bancaire. Malgré la pression de Virendra de «déplacer» sa chambre en bas pour que la famille à court de ressources financières puisse louer l’étage supérieur, elle résiste obstinément. Pour aggraver les choses, elle se lie d’amitié avec une jeune femme qui travaille dans le salon qu’elle commence à fréquenter, Sugandhi (Trimala Adhikari), et un homme musulman, Ali (Mohammed Iqbal), qui lui apprend à coudre. Rapidement, Mme Sharma devient la source des potins de la ville d’Allahabad mais persiste à refuser de sacrifier son indépendance.
Le réalisateur Kislay transmet efficacement son message, en touches légères. Il illustre parfaitement la position de Mme Sharma avec une combinaison d’images aliénantes qui la mettent hors de la foule et introduisent le monde dans sa nouvelle vie. La structure du film repose sur la compréhension de la façon dont Mme Sharma passe d’un état ou elle se sent complètement libérée à celui où elle se sent s à nouveau piégée, mais elle laisse l’espoir à une vieille femme de briser les murs de la tradition injuste.
Par ailleurs, en réponse directe à la soudaine interdiction de l’Etat de tenir le Festival, le Jury a décidé de décerner exceptionnellement un Prix Spécial au court métrage documentaire biélorusse Walls (Murs), présenté en projection spéciale, pour sa forte expression et description des manifestations contre le pouvoir biélorusse, en expression de solidarité avec les organisateurs du Listapad Festival et à la lutte des créateurs de la culture biélorusse pour le respect des droits de l’homme et de la liberté d’expression. À travers l’utilisation d’outils du quotidien tels que les smartphones, le réalisateur Andrey Kutsila y élabore un portrait émouvant de Biélorusses à la recherche de leurs proches, détenus dans les prisons de Minsk après les manifestations d’août 2020, dans une œuvre à la fois d’intérêt humain et cinématographique.
Kutsila ne raconte pas les histoires des victimes de torture elles-mêmes, mais celle de leurs proches, protestant sous les murs de la prison de la rue Akretsina, dans un état émotionnel d’incertitude, de confusion et d’espoir. La caméra capte les visages individuels e et « écoute » leurs conversations. Kutsila met intelligemment en valeur l’hymne « Briser les murs de la prison » entonné par les manifestants dans les rues, dont les paroles sont la traduction biélorusse de l’hymne du mouvement de solidarité polonaise de 1978, Mury, écrit par le poète et auteur-compositeur-interprète Jacek Kaczmarski. Lui-même avait basé son air sur » ’Estaca catalan de 1968, de Lluis Llach, une chanson de résistance contre le régime de Franco en Espagne. Plus récemment, l’hymne a également été chanté et joué en Tunisie lors du printemps arabe.
Gidéon Kouts
Le 45e Festival de Toronto transformé par le coronavirus
Pour leur seconde année à la tête du Festival de Toronto, Cameron Bailey, le co-directeur et directeur artistique du festival et Joana Vicente, sa co-directrice et directrice exécutive, ont dû faire face à des difficultés considérables du fait de la pandémie due au Covid-19. Il a tout de même eu lieu aux dates prévues, du 10 au 19 septembre, sous un format considérablement adapté, et avec un slogan révélateur de l’humour et de la résilience du Festival: « Le popcorn pour diner, ça continue (au Festival)«
Contrairement aux festivals européens de la rentrée, Toronto a en effet cette fois pâti de sa position en Amérique du Nord. En Europe, où la circulation dans la zone Schengen de l’Union Européenne était relativement facile pour des professionnels européens désirant s’y rendre, Venise, Deauville ou San Sébastian ont pu se dérouler presque normalement. Certes ces manifestations ont été forcées de réduire le nombre de spectateurs et de les soumettre à des mesures de sécurité drastiques afin d’éviter la propagation du virus. Mais, en somme, il n’y manquait justement, que les professionnels nord-Américains, de toutes les façons plus friands de Toronto que de l’Europe en cette période. Or Toronto, situé au Canada, était dans la pire des positions, puisque depuis le début de la pandémie ou presque, le gouvernement de ce pays a quasiment fermé les frontières aux voyageurs, y compris ceux des États-Unis. La grande transhumance habituelle vers le festival des professionnels européens, asiatiques, et surtout de ceux d’Hollywood et de New-York, les deux pôles de l’industrie des États-Unis, qui fait de ce festival un lieu de rencontre mondial si important pour la profession, était donc rendue impossible.
Le tandem Bailey-Vicente a donc décidé de maintenir le festival, tout en le transformant temporairement : au départ une cinquantaine de longs métrages seulement, au lieu des 250 à 300 habituels (un peu plus au final). Un choix plus tourné vers les films d’auteur qu’à l’ordinaire, par la force des choses, du fait de la raréfaction des films du grand voisin du Sud. Du fait des consignes de sécurité, seules quelques salles du Bell Lightbox, le quartier général du festival, accueillaient le public, sous réservation, et les rares invités et professionnels présents, principalement canadiens. Surtout, afin de continuer à faire du Festival un événement dirigé vers le public torontois, quatre « drive-in » en périphérie de la ville accueillaient les habitants de la ville, qui pouvaient aussi prendre des abonnements pour la plate-forme numérique du Festival sur Internet.
Comme le Marché cannois le fit à la fin juin, les professionnels, vendeurs et acheteurs, eurent, eux, la possibilité d’accéder aux films sur Internet. Près de 4000 se sont enregistrés, et le flux d’affaires ne fut pas négligeable. Ils purent bénéficier de la plate-forme bien rodée de Cinando, « Match and Meet ». Les acheteurs de Netflix, en particulier, bien présents en ligne, achetèrent trois films de la sélection. La presse fut également interdite d’accès dans les salles, et ne put accéder aux films que sur Internet.
Puisque public il y avait tout de même, parmi une sélection délibérément marquée par une participation de 43% de réalisatrices et de 46% de représentants de la diversité, le 43e prix du public fut décerné par les spectateurs à Nomadland, le film de Chloé Zhao incarné par Frances McDormand, qui venait d’ailleurs de recevoir le Lion d’Or du Festival de Venise. Une fois de plus, Toronto pourrait bien avoir été là la rampe de lancement d’un film pour les Oscars ! Nomadland était suivi dans les votes par One Night in Miami, premier film de Regina King, et par Beans, de Tracy Deer. Un prix du public fut également décerné spécifiquement pour la section documentaire à Inconvenient Indian, de Michelle Latimer, également récipiendaire du prix Amplify Canada Goose du meilleur film canadien. Enfin un prix du public de la section « Midnight Madness » revint à Shadow in the Cloud, de Roseanne Liang. Le Prix Fipresci de la Critique Internationale, enfin, fut décerné par un jury « à distance » à Beginning, le premier long métrage de la Georgienne Dea Kulumbegashvili dont un court-métrage avait été sélectionné au Festival de Cannes en 2014.
Il ne reste qu’à espérer que le Festival de Toronto 2021 puisse se dérouler normalement. On le lui souhaite !
Philippe J. Maarek
L’arche du cinéma a débarqué à Deauville
Après le déluge, l’arche de Noé a débarqué ses voyageurs représentatifs des espèces animales et humaines sauvés des eaux, au sommet du Mont Ararat. Après le terrible vide qu’a créé le Covid-19 dans le Septième Art, le 46ème Festival du cinéma américain a servi d’ « arche » permettant de conserver de fins spécimens du cinéma américain contemporain. Mais le festival de Deauville fut aussi cette fois hexagonal, avec la projection de dix films « labélisés » Festival de Cannes, la principale victime de la pandémie parmi les grands festivals du cinéma. Et les plages de Deauville ont joué cette année le rôle du Mont Ararat !
Les drapeaux américains ont flotté, comme d’habitude, partout sur la station balnéaire, mais cette fois, il n’y avait pas de représentants en personne de cette Amérique cinématographique pour les admirer. Néanmoins, les films ont bien été là pour prouver les mots justes de l’invité principal du premier weekend du festival, le Délégué général du Festival de Cannes Thierry Frémaux, selon lesquelles il n’y pas de vrai cinéma sans salles et sans public. La grande et très fonctionnelle salle du Centre international de Deauville, majestueusement enterrée au bord de la mer en a donné la preuve. Elle était bien remplie – c’est-à-dire un peu plus qu’à la moitié, selon la réglementation sanitaire en cours, par des cinéphiles bien masqués et néanmoins bienveillants vis-à-vis des bons films – et même des moins bons – qui y ont été présentés. Même le diner d’ouverture a été maintenu- mais divisé en trois.
Le délégué général Bruno Barde a tenu sa promesse et réussi son pari et a même pu laisser généreusement la scène à ses collègues de Cannes, Pierre Lescure et Thierry Frémaux lors de l’ouverture. Celui-ci ne s’est pas privé de l’occasion de présenter de manière très détaillée les films qui auraient pu défiler cette année sur la Croisette tout en étant bien obligé de parader sur les non moins mythiques planches de Deauville. Cet œcuménisme, certes bienvenu, du millésime 2020 du Festival de Deauville a même parfois dérouté, lorsqu’on s’est demandé s’il ne fallait pas échanger le drapeau américain avec celui de la Corée puisque fut projetés, d’abord en ouverture du festival le très gentil, et parfois piquant, film sur l’immigration, Minari de Lee Isac Chung, ainsi qu’à un autre moment Peninsula, le film de zombies à sauce de pandémie du nouveau maitre oriental du genre Sang Ho Yeon. Mais l’apparition d’une vraie star hollywoodienne, Michaël Douglas, même en vidéo, dans le cadre d’un hommage à son père Kirk, décédé cette année, a un peu rassuré les amateurs de « l’American connection » habituelle de Deauville.
Le public a semblé beaucoup apprécier la très sympathique et très distinguée victime homosexuelle de l’injustice sociale,L’Oncle Frank d’Allan Ball. En revanche, Eleanor Coppola, a prouvé dans son film à sketches Love is Love is Love qu’un nom ne suffit pour faire du bon cinéma, réussissant même à susciter quelques rires déplacés derrière les masques du public, pourtant d’habitude si lénient, du Festival de Deauville. Deux femmes cinéastes ont marqué le festival. Kitty Green avec sa cruelle et précise mise en scène de The Assistant, et Kelly Reichardt avec First cow, un western socio-écolo un peu laborieux mais plein de belles images et de bonnes intentions. Maints films de la sélection ont sombré, probablement à juste titre, dans une vision apocalyptique de l’Amérique, mais finalement, tous se sont réconciliés autour de l’inquiétant chef d’œuvre de Sean Durkin The Nest , sur les dangers de la vie de famille.
Gideon Kouts
Les prix du 46ème Festival de Deauville :
Grand prix, prix de la critique, prix de la révélation, The Nest, de Sean Durkin.
Prix du jury : Ex-aequo, First Cow de Kelly Reichardt et Lorelei de Sabrina Doyle
Prix de la mise en scène : The Assistant, de Kitty Green
Prix du public : Uncle Frank, de Alan Ball
VENEZIA 77, AU TEMPS DU CORONA
Gagnant haut la main son pari, la 77e Mostra de Venise, a une fois de plus fait la démonstration de son audace et son indépendance. « Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser le cinéma mourir » s’exclamait Alberto Barbera, le directeur du plus ancien Festival de Cinéma du monde dans un interview. « Nous avons besoin de l’écran comme expérience unique et irremplaçable. Notre combat est de ramener les gens au cinéma ». En pleine pandémie du Covid-19, dans un pays qui venait de subir un désastre en pertes humaines, alors que tous les autres festivals s’étaient résignés, comme Cannes, à tout simplement annuler leur manifestation ou à sauver leurs sélections en mettant leur programmes seulement en ligne et transformant ainsi leur festival en un évènement 100% virtuel, le pari d’Alberto Barbera d’attirer des professionnels et du public dans ces conditions et dans un tel contexte sur le Lido paraissait un projet assez fou.
Malgré des incertitudes qui planaient jusqu’à la dernière minute sur la faisabilité de la manifestation, malgré des annulations par frilosité et peur du covid des uns, ou à cause de problèmes de voyage pour d’autres, le miracle du premier « vrai » festival après le confinement a bien eu lieu – pour le bonheur de tous ceux qui y ont participé. Certes, ce ne fût pas une année comme les autres, et non pas seulement à cause de l’absence des grands films et de stars américains, interdit de voyage comme tant d’autres nationalités d’ailleurs. Une organisation méticuleuse et remarquablement efficace afin de garantir le plus de sécurité sanitaire possible mit tout l’espace du festival sous une sorte de havre hautement surveillé où quasiment chaque pas du festivalier était enregistré et suivi. Accueilli par des policiers lourdement armés aux différents points d’accès du festival et après un contrôle minutieux des sacs et un passage obligé par une caméra thermique indiquant sa température, le festivalier n’avait quasiment plus de possibilité de respirer librement l’air frais. En effet, la surveillance du port du masque permanent (enlevé sauf pour boire ou manger) aussi bien dehors et qu’à l’intérieur était redoutable. Et l’œil vigilant des gardiens de notre santé, équipés de pointeurs infrarouges dans les salles, scrutait en permanence le public pour rappeler à l’ordre quiconque essayait discrètement de baisser son masque dans le noir. Même à chaque passage dans la salle de presse, l’arrivé et le départ de chacun était scrupuleusement notée ainsi que son emplacement dans la salle.
Puisque les places dans les salles étaient reduites de moitié, le festival a multiplié les séances dans d’autres cinémas et avec des projections en plein air aussi bien sur le Lido qu’à Venise et même à Mestre. Un système de réservation obligatoire de tickets par Internet, y compris pour les projections de presse, accessible 72h avant la projection, empêchait toute décision spontané comme changer à la dernière minute de film ou changer de place même dans une salle peu remplie. Malgré quelques difficultés au début, ce système permit efficacement de distribuer et de canaliser l’afflux des spectateurs en respectant la distanciation sanitaire indispensable. Cela dit, le nombre des accréditations ayant été réduit d’un tiers, on se sentait parfois bien seul dans les grandes salles…
Puis, il y a eu ce fameux mur en carton dont les photos firent le tour de tous les journaux: sur presque 50 m de long et avec une hauteur de 2m50, il s’élevait devant la façade du Palazzo du Cinema afin de cacher le tapis rouge et ainsi d’empêcher la foule des fans – souvent plutôt jeunes et un brin hystérique – de s’agglutiner comme d’habitude devant le Palais en attendant le défilé des célébrités dans l’espoir d’un selfie ou un autographe. Un mur un tant soit peu surréaliste car mis à part les quelques stars réunies lors de l’ouverture du festival il n’y avait pas tant de monde que cela sur ce tapis rouge…
Et les films alors ? Ils ne manquaient pas, et on les regardait avec plaisir en retrouvant les salles de cinéma, et certains même très bons. Une sélection plus réduite, certes, mais suffisamment riche pour bien remplir son programme de visionnement journalier.
Comme toujours, la sélection présentait un certain penchant pour des thèmes politiques brûlants mais sans pour autant verser dans le politiquement correct dans ces films qui nous parlent de la résistance à l’oppression et la répression de l’état, du terrorisme de gauche dans le passé (Padrenostro de Claudio Noce) ) et de la lutte actuelle contre l’essor de l’extrême droite (l’excellent film allemand de Julia von Heinz , Und morgen die ganze Welt (And Tomorrow the Entire World) , des crises migratoires et des guerres par procuration (Notturno, de Pierfranco Rosi, l’impressionnant essai documentaire tourné entre l’Irak, le Kurdistan et la Syrie, ou Guerra et Pace, une réflexion visuelle complexe de Martina Parenti et Massimo D’Anolfi sur les rapports entre cinéma et guerre) ou bien des luttes pour l’égalité des noirs aux USA, comme dans ce film éminemment intelligent de Regina King, One Night in Miami, présenté hors compétition Elle y imagine une rencontre fictive en 1964 entre Malcolm X, Muhammad Ali (alors Cassius Clay), le sportif et acteur Jim Brown et la star de la soul Sam Cooke, pour les faire débattre – et s’affronter – toute une nuit dans le huis-clos d’une chambre d’hôtel sur les différentes stratégies de lutte pour l’égalité… qui n’ont pas perdu leur actualité aujourd’hui, hélas.
L’un des moments forts de la compétition fut Dear Comrades !, du vétéran du cinéma russe Andrej Konchalovsky, un film époustouflant en noir et blanc qui sort de l’oubli le massacre de Novotcherkassk, en 1962, lorsque les ouvriers de cette ville se mirent en grève pour manifester contre la hausse des prix et la baisse de leurs salaires. Un grève des travailleurs dans un pays communiste étant évidemment inconcevable, Moscou dépêche ses troupes dans cette région du Don, et les tireurs d’élite du KGB se chargent de tirer en cachette sur la foule. Un drame, dont toute trace est aussitôt effacée sur ordre du pouvoir, vu à travers le regard d’une femme endurcie, membre dévouée du parti, dont la fille est impliquée dans les manifestations, et pour qui l’évènement va ébranler à jamais ses certitudes.
Posant lui aussi un regard sur l’histoire de son pays, Wife of a Spy, le premier film « historique » du japonais Kiyoshi Kurosawa, nous plonge dans le début des années quarante à Kobe, à la veille de la Deuxieme guerre mondiale, lorsqu’une jeune femme découvre que son mari s’apprête à dévoiler à l’ennemi américain des expérimentations secrètes de l’armée japonaise en Mandchourie. Jouant en permanence sur l’ambiguïté, ce thriller subtil et intriguant, suit un couple tiraillé constamment entre amour, doute et méfiance, dans un Japon en proie à un nationalisme exacerbé pendant les années de guerre.
Point de subtilité en revanche dans Nuevo Orden (New Order) du mexicain Michel Franco, qui nous jette en plein figure (c’est le mot pour le dire) sa vision dystopique d’un Mexique en plein implosion, en détaillant avec une violence inouïe en détails et gros plans une révolte ultra-sanglante des pauvres contre les riches, qui sera écrasée avec la même violence sanglante et doublée d’une bonne dose de perversité par un État dictatorial. Franco, qui veut envoyer avec son film un signal d’alarme contre l’explosion des inégalités sociales dans le monde et dit avoir été inspiré pèle-mêle par les actions des Gilets Jaunes en France, d’Occupy Wall Street et de Black Life Matters aux USA et les mouvements contestataires à Hongkong, au Chili et au Liban, pour lui les symptômes d’une rupture mondials de l’ordre social. Un message plutôt brouillé… Très apprécié cependant de la presse internationale, Franco reçut le Grand Prix du Jury.
Puis, arriva le tout dernier jour Nomadland de la cinéaste américaine Chloe Zhao, film « coup de cœur » qui remporta un Lion d’Or amplement mérité. Ce docudrame surprenant et insolite sur l’Amérique d’aujourd’hui est porté magnifiquement par Frances McDormand , l’antithèse de la star hollywoodienne, dans son meilleur rôle jusqu’à présent, qui crève l’écran, comme déjà il y a trois ans d’ailleurs à Venise dans Three Billboards Outside Ebbing, Missouri le film de Martin McDonagh. Elle incarne une femme qui, après la fermeture définitive de son entreprise au Nevada, perd non seulement son emploi mais aussi sa maison. Elle rejoint alors dans son vieux camping-car cette nouvelle tribu d’Amérique qui sillonne en van et mobile-home les routes de l’Ouest, à la recherche d’un boulot saisonnier, d’une communauté éphémère et d’un nouveau sens de la vie. Solitaires mais solidaires, pour la plupart à l’âge de la retraite, mais sans assez de ressources pour pouvoir s’arrêter de travailler, ils ont troqué leur vie bien rangée d’antan de classe moyenne ou ouvrière contre une liberté qui renvoie tantôt aux images exaltantes du mythe américain tantôt à celles plus sinistre des migrations de la Grande Dépression. Inspiré par l’enquête de Jessica Bruder, « Nomadland: Surviving America in the Twenty-First Century » et par le chantre du nomadisme radical et anticapitaliste, Bob Wells, qui lui aussi apparaît dans le film, Zhao a intégré dans son récit autour de son personnage de fiction des non-professionnels, de « vrais » nomades qui incarnent leur propre vie et apportent généreusement leur expérience. C’est un très beau film, bouleversant et émouvant sans pour autant trop romantiser la sombre réalité politique et sociale américaine qui a jeté ces nomades des temps modernes sur les routes.
Malgré cette réussite de Venise, au final, on peut se demander quel est l’avenir des festivals au temps du coronavirus ? N’avons-nous que le choix de rester cloîtré chacun chez soi, devant notre écran individuel, pour participer un de ces « nouveaux » festivals virtuels, ou de subir cette surveillance élaborée jusqu’au moindre détail, comme au Lido ? Est-ce cela le prix à payer désormais pour vivre un festival ? Et tout cela ne contribue-t-il pas insidieusement à nous habituer petit à petit à la surveillance et au contrôle generalisé ? Mais en même temps, il y a des moments où toute cela est oublié, comme au réveil, face à la lagune, lorsque se dessine au loin la silhouette de Venise -une ville, qui a survécu à tant de désastres à travers les siècles et en subira sans doute encore bien d’autres dans le futur, une ville menacée en permanence, l’image même de la résilience, tout comme la Biennale, qui a connu des hauts et des bas mais qui est toujours debout. Alors on se sent tout simplement comblé par le bonheur diffus d’être là une fois de plus, au sein du plus beau festival du monde.
Barbara Lorey de Lacharrière
Les prix de la Mostra de Venise 2020-09-28
Lion d’Or du meilleur film : Nomadland de Chloé Zhao (Etats-Unis)
Grand Prix du jury : Nuevo Orden de Michel Franco (Mexique)
Lion d’Argent du meilleur réalisateur : le Japonais Kiyoshi Kurosawa pour Les amants sacrifiés
Prix du meilleur scénario : l’Indien Chaitanya Tamhane, scénariste et réalisateur de The disciple
Prix spécial du jury : Chers camarades d’Andreï Kontchalovski (Russie)
Prix de la meilleure actrice : la Britannique Vanessa Kirby pour son rôle dans Pieces of a woman de Kornel Mundruczo
Prix du meilleur acteur : l’Italien Pierfrancesco Favino pour son rôle dans Padrenostro de Claudio Noce (Italie)
Prix « Marcello Mastroianni » du meilleur jeune interprète : l’Iranien Rouhollah Zamani, un enfant des rues de Téhéran protagoniste pour son premier rôle dans Khorshid de Majid Majidi
Un cinéma qui s’interroge : Molodist 2020
Pour sa 50e année, le festival Molodist de Kiev a eu lieu du 22 au 30 août 2020. Décider de maintenir le festival, qui a normalement lieu de fin mai à août, était déjà un pari risqué. Comment organiser un tel événement en pleine période de pandémie mondiale ? Prenant une direction qui pourrait prévaloir pour l’avenir des festivals de cinéma, les organisateurs ont décidé d’un compromis : un festival hybride à la fois en- et hors-ligne. Ce sont donc les invités eux-mêmes qui décidaient ou pas de venir assister aux projections. Ainsi, plusieurs films ont été présentés avec une introduction vidéo de la part des réalisateurs. Les spectateurs ont ainsi vu les plages Brésiliennes de la fenêtre de l’un et les rues désertes de Melbourne – ville d’Australie toujours en confinement – par la fenêtre d’un autre.
A ce propos, on remarquait beaucoup Кіно не без питань, le nouveau slogan du le festival, qui se traduit littéralement par « cinéma non sans questions » et en anglais par la phrase chic « film for thought ». Avec des cahiers et des stylos, on offrait des masques noirs aux invités où ce slogan était imprimé – alertant des préoccupations pour le monde du cinéma dans une ville qui devient de plus en plus consciente des risques de COVID-19.
Le jury FIPRESCI, composé de trois membres venant d’Ukraine, d’Italie et de France, a choisi parmi les films de la compétition internationale du festival. Son prix a été décerné au film Deux, une coproduction belge, française et luxembourgeoise, réalisé par l’italien Filippo Menegetti. Il s’agit d’un film d’amour sur la vie d’un couple lesbien dans sa soixantaine, qui cache depuis très longtemps leur relation homosexuelle. Le personnage de la mère n’arrive pas à faire son coming-out auprès de ses propres enfants. Il s’agit d’une double révélation parce que sa sexualité et sa liaison ont été rigoureusement cachées. Les choses atteignent un stade critique lorsque son amante part en vrille dans la rue devant une connaissance mutuelle, la traitant de « vielle gouine ». Quand le scandale éclate au grand jour, la prise de conscience brutale qui s’ensuit va provoquer une profonde remise en cause des choix de toute une vie.
Le coming-out est également la thématique du film de Malou Reymann, A Perfect Family (En helt almindelig familie). S’appuyant sur sa propre vie avec un père transsexuel, la cinéaste montre l’histoire d’une famille en plein bouleversement. Malgré un début honnête, ce film ne s’approche guère de la beauté subtile de Deux.
La spécialité du festival Molodist est de ne projeter que des premiers ou seconds films. En particulier, cette année, les douze films en compétition internationale étaient des premiers films. Pour un amateur de cinéma, découvrir tant de nouveaux réalisateurs en l’espace d’une semaine est une proposition très attirante. On a le sentiment d’explorer des nouveaux territoires, de nouvelles façons de voir et de découvrir des schémas de pensée. Parmi les douze films présentés, sept d’entre eux étaient réalisés par des femmes, au sein desquels Myriam Verreault et Melina León se démarquent pour la qualité et le style de leur œuvre.
Le jury international a partagé son prix entre deux films. Tout d’abord Kuessipan, par la jeune réalisatrice Myriam Verreault, s’intéresse aux personnes de la communauté innus (plutôt qu’inuit), ce peuple autochtone du Nord-Est du Québec. Basé sur le roman éponyme de Naomi Fontaine, le film fait vivre la passion et la rage qui habite les personnages du film. D’autre part, Sin señas particulares,relate l’histoire de braqueurs qui errent sur la frontière entre la Mexique et les Etats-Unis, ainsi que leurs nombreuses victimes.
En plus de la compétition internationale, le festival propose une compétition nationale, deux sélections de courts-métrages et une sélection des films LGBT+ (qui existe depuis 21 ans maintenant). Avec son programme intelligent et novateur, ce festival peut se targuer de montrer des nouveaux films de qualité fait pour et par des jeunes qui n’ont pas peur de tenter de nouvelles approches au cinéma.
Colette de Castro
Grand Prix de la compétition officielle : Identifying Features, Fernanda Valadez, Mexique, Espagne, 2020, 97′ ex-aequo avec Kuessipan, Myriam Verreault, Canada, 2019, 117′
Prix du public : Two of Us, Filippo Meneghetti, France, Luxembourg, Belgique, 2019, 95′
Cerf d’or pour sa contribution au cinéma mondial : Robert Hossein
Grand Prix de la competition nationale : Hideout, Oksana Voitenko, Ukraine, 2020, 27′
Prix «Sunny Bunny» LGBT+ : Dry Wind, Daniel Nolasco, Brésil, 2020, 110’
Prix FIPRESCI de la Critique Internationale :Two of Us, Filippo Meneghetti, France, Luxembourg, Belgique, 2019, 95′
Prix du Jury œcuménique : Song Without a Name, Melina León, Pérou, Espagne, USA, 2019, 97′
HKIFF 2020: Menaces globales dans le jeune cinéma à Hong-Kong
Dans son article très intéressant écrit il y a vingt ans dans le numéro 7 de la revue Asian Cinema sous le titre « Identité locale et globale: où est le cinéma de Hong Kong » , Stephen Teo constate que « Le monde d’aujourd’hui est essentiellement un monde bifocal. Les cinéastes du monde entier s’intéressent à leur propre cinéma national, puis à Hollywood ... », et il tente de considérer le cinéma de Hong Kong comme un cinéma national, d’une part, et comme un cinéma transnational, d’autre part. « Des questions seront sans aucun doute posées», note-t-il, «quant à savoir si le cinéma de Hong Kong possède ou non une identité mondiale, tout comme il y aura des discussions sur son identité nationale ». Vingt ans plus tard, on peut élargir la question à l’ensemble du cinéma chinois et asiatique – mais aussi traiter séparément le «jeune cinéma» émergent pour lequel Hollywood n’est plus le bon modèle, à moins qu’il ne soit détourné…
Le festival de Hong-Kong, qui devait se dérouler en mars, a finalement eu lieu de façon virtuelle en août. Parmi les huit excellents films présentés au HKIFF 2020 dans le cadre de la section « Jeune cinéma», trois d’entre eux provenaient de pays non asiatiques, chacun utilisant ses propres outils cinématographiques. Ils illustrent bien cette transnationalité et cette mondialisation – notamment dans les thèmes et symboles.
Prenons le thème des «menaces et dangers» mondiaux tels qu’ils sont perçus, de manière plutôt critique et subversive, par cette jeune génération de cinéastes.
-D’abord, «l’autre», l’étranger, mais aussi les «vieux», des «vieilles» générations, ne représentent plus «la sagesse» et l’ordre, mais souvent la notion du mal lui-même; même respectables, ils méritent la mort.
-Le sexe est une source de danger et de trahison en lien souvent avec la mort.
-La famille traditionnelle est souvent pervertie, ou à la recherche de nouvelles structures, et n’assure plus amour et protection.
-Le corps humain devient une prison socialement construite.
-La mort est souvent violente sans égard pour les morts. Ils feraient mieux de disparaître, et de préférence être ensuite incinérés.
-Maladies et épidémies, souvent.
-Les animaux, réels ou surnaturels, sont une menace pour les humains, mais eux seuls méritent la pitié…
– Enfin l’Autorité – le pouvoir politique ou les riches, sont les ennemis impitoyables de la jeunesse.
Quelques lignes résumant les scénarios de quelques-uns de ces films montrent bien la dominance de ces préoccupations:
• Dans Soyez vivant comme vous du taïwanais Lai Meng Jle, Six est un homme handicapé, qui passe ses journées à vendre des billets de loterie et des collations dans les rues. Il est présenté à Noodle, une jeune femme solitaire travaillant dans une papeterie délabrée, par le propriétaire (âgé) qui la viole régulièrement. Leur romance graveleuse propose une exploration des désirs sexuels des handicapés, sans défense contre la cruauté du monde « réel», mais seulement après le meurtre du violeur…
• The Cloud in her Room, de la chinoise Zheng Lu Xinjuan, voit Muzi rentrer chez elle dans la ville de Hangzhou pour célébrer le Nouvel An chinois avec sa famille. Ses parents sont divorcés, son père musicien s’est remarié et est le père d’une jeune fille, tandis que sa mère semble osciller entre copains dans une brume d’alcool et de fumée de cigarette. Elle est dans une relation insatisfaisante avec un photographe décontractéL Et puis il y a une amie de l’âge de Muzi, qui surgit de temps en temps – elle n’est peut-être rien de plus qu’un produit de l’imagination de Muzi. Ou, peut-être qu’elle est en fait un autre amant …
• Dans Wisdom Tooth du réalisateur chinois Liang Ming, Gu Xi fait face à un avenir incertain. Son travail de femme de chambre dans un hôtel est menacé en raison de son statut de citoyenne sans papiers et sa relation avec son frère Gu Liang – sa seule famille – est perturbée par l’arrivée de sa nouvelle petite amie. Pendant ce temps, un déversement de pétrole souille les eaux côtières de la Mer Jaune voisine et la corruption s’infiltre dans la communauté du petit village de pêcheurs
• Le scénario de Stoma film de Kit Hung (Hong-Kong) sur la défunte icône culturelle Julian Lee est basé sur le combat de Lee contre le cancer. Le film suit le voyage émotionnellement éprouvant enduré par le jeune photographe gay Alex, après avoir reçu un diagnostic de cancer péritonéal. Abandonné par son frère et son amant européen, Alex est contraint de faire face à sa mortalité et à la perte de son identité sexuelle.
• Héros de Kala Azar de Janis Rafa (Pays-Bas-Grèce), Penelope et Dimitris sont des crémateurs professionnels pour animaux de compagnie. Ils parcourent la périphérie tentaculaire d’une ville industrielle grecque, récupèrent les animaux disparus de leurs propriétaires, les brûlent et rendent leurs cendres. Mais le pèlerinage du couple crépite aussi d’une certaine compassion, d’une empathie qui brouille leur distance par rapport aux carcasses et complique leur rôle de croque-mort. «Vous pouvez inclure certaines des choses préférées de votre animal», dit Pénélope à une femme en deuil avant de plier un mouchoir sur son poisson rouge mort…
• Enfin, du réalisateur du Lesotho Lemohang Jeremiah Mosese venait Ce n’est pas un enterrement, c’est une résurrection. Dans les montagnes du Lesotho, une veuve de 80 ans nommée Mantoa apprend la disparition de son fils qui avait travaillé dans les mines sud-africaines. Aspirant à sa propre mort après la perte de celui qui était le dernier membre de la famille, elle se résout à défendre l’héritage spirituel de la communauté quand elle apprend que les autorités provinciales ont l’intention d’évacuer le village, d’inonder toute la zone et de construire un barrage
The Cloud in Her Room du chinois ZHENG Lu Xinyuan et This Is Not a Burial, It’s a Resurrection, de Lemohang Jeremiah MOSESE, du Lesotho, ont partagé le prix Firebird du meilleur film de la compétition du Jeune cinéma du 44e Festival International Hong Kong International Film Festival’s, Jeremiah Mosese recevant également le Prix Fipresci de la Critique Internationale
Gideon Kouts