Amman 2023
Les documentaires arabes de l’AIFF : Une praxis de résistance au Festival d’Amman.
Du 15 au 22 Août, a eu lieu le festival International du film à Amman (Awal film «premier film ») sous le slogan « Histoires et commencements ». Pour sa quatrième édition, le festival intègre pour la première fois le prix de la Fédération internationale de la presse cinématographique (Fipresci) dédié à la section « films documentaires arabes ». Huit films documentaires venus du Liban, Palestine, Egypte, Tunisie, Soudan, Irak et Maroc étaient sélectionné dans cette catégorie. Il a été attribué au film palestinien Lyd de Rami Younes et Sarah Friendland.
Une thématique commune s’est laissée voir dans la catégorie « documentaires arabes», celle de la jeunesse arabe. Une jeunesse insoumise qui aspire à un lendemain meilleur. Anxious in Beirut de Zakaria Jaber (Liban), Baghdad on fire de Karrar Al-Azzawi (Irak), Broken Mirrors de Othmane Saadouni (Maroc) et Lyd (Palestine) traitent tous d’un sujet à la fois unique et universel, celui du rapport relatif et ambigu des jeunes à leur pays. Chacun de ces films est une démonstration à la fois touchante et troublante d’une jeunesse incomprise et révoltée qui pose la question suivante : Que font de nous les politiciens?
Si au Maroc le discours filmique demeure dans le non-dit tel que le sujet de l’homosexualité ou celui de la quête identitaire d’un groupe de danseurs, à Beirut la colère des jeunes manifestants contre le gouvernement corrompu atteint son apogée.
Broken Mirrors, un documentaire qui opte pour une mise en scène et des témoignages sans faire basculer l’un dans l’autre, une des faiblesses du film, ne prend pas le risque d’aller jusqu’au bout. En effet, les personnages du film, de jeunes danseurs qui défient le regard de la société marocaine, très conservatrice, qui voit de mauvais œil cette discipline artistique, ne sont pas complétement esquissés.
Anxious in Beirut, qui se présente comme une sorte de work in progress, est un documentaire qui se distingue par la grande envie du réalisateur de tout dévoiler et de tout dire, tout en mettant en scène ses personnages. Un film effervescent qui bouillonne par son discours ainsi que par les témoignages des jeunes libanais.
Baghdad on fire, dont le récit expose une fibre narrative similaire à celle de Anxious in Beirut, présente une jeunesse irakienne qui se soulève face au gouvernement, réclamant le droit de vie dans son pays et de ne pas avoir à prendre la lourde décision de partir ailleurs. Anxious in Beirut et Baghdad on fire, films basés sur du cinéma vérité à la Jean Rouch, portent leur intérêt aux personnages, à leurs témoignages, à la trame du réel souvent improvisée. Qu’ils soient libanais ou irakiens, les personnages réclament une patrie, un pays dans lequel ils peuvent vivre, travailler et rêver. Le propos est de réclamer dignité et justice.
Quant à Lyd, c’est un documentaire qui revient sur l’exode palestinien et le massacre de 1948 et des conséquences géopolitiques notoires. La population palestinienne héritée de cette guerre, des jeunes et des enfants, témoignent d’une terre palestinienne, devenue israélienne, comme étant un souvenir vague, un imaginaire hérité des parents et des grands parents.
Cette section « Documentaires arabes » du Festival d’Amman laisse voir une praxis de résistance. Toutes ces visions « immédiates » filmées sur le vif qui tentent de nous rapprocher de la réalité portent un discours commun, celui d’une crise politico- identitaire ressentie par la jeunesse de plusieurs pays arabes. Les images, troublantes, entre discours directs et métaphores cyniques, amènent les réalisateurs arabes à repenser un ordre social et politique préétabli, en filmant le flux d’un autre réel, le leur. Ces films nous livrent le récit d’une époque où les jeunes suffoquent de l’injustice sociale, de la défaillance politique et d’un déracinement identitaire. Comment envisager ces pays dans le futur ? Comment surmonter une souffrance infligée par les politiciens dont toute une génération en subit les conséquences ? Ces documentaires qui semblent être un dernier cri de détresse, ce questionnement, engagent tant les protagonistes que les spectateurs de ces films sur le destin de la jeunesse dans les pays arabes.
Néanmoins, c’est aussi une lueur d’espoir, l’espoir que demain sera meilleur, que demain leur voix fera écho chez les politiciens qui jusqu’à aujourd’hui, ne semblent pas vouloir les entendre.
Henda Haouala