Berlin 2019
Berlin 2019: la fin d’une époque
La 69° édition du Festival de Berlin aura marqué la fin d’une époque à un double titre, conjoncturel, mais aussi structurel. Conjoncturel, tout d’abord, puisqu’il s’agissait de la dernière manifestation sous la direction de Dieter Kosslick, qui était à sa tête depuis le début du siècle. Mais le changement de 2020 sera également structurel, puisque, pour la première fois, comme à Toronto, le Directeur artistique ne sera que le co-Directeur de la Berlinale, accompagné d’une co-Directrice administrative, mettant ainsi fin à la (relative) toute-puissance dont bénéficiaient les anciens directeurs uniques de la manifestation. Il est vrai que le remplacement de chaque poste de direction par un duo ou un trio montre bien que l’expansion de la manifestation oblige à répartir le travail. Le renouvellement des responsables de la Berlinale aura donc été total en trois ans :
- • 2018, retraite du directeur de longue date de la section Panorama, Wieland Speck, au travail d’ailleurs récompensé cette année par une « Berlinale Caméra », remplacé par un trio formé de Paz Lazaro, Michael Stütz, et Andreas Struck
- • 2019, après le départ de la tête du Forum International du Jeune Cinéma de Christophe Terhechte, parti à la direction artistique du Festival de Marrakech, direction provisoire par un trio formé de Milena Gregor, Birgit Kohler et Stefanie Schulte Strathaus
- • 2020, arrivée à la co-Direction artistique de la Berlinale de Carlo Chatrian, ancien directeur du Festival de Locarno et de Mariette Riessenbeek, professionnelle bien connue du cinéma allemand.
Tout cela donnait donc à la 69° édition de la Berlinale une impression générale d’être celle de la fin d’une époque. Dieter Kosslick, avec son sens des relations publiques et son dynamisme, a permis une expansion considérable du festival, et sa professionnalisation, avec l’essor du Marché du Film, mais aussi l’opération Talent Campus. Cette dernière Berlinale sous son égide a aussi montré son efficace volonté de rééquilibrer la place des femmes. Signant avec emphase pendant le festival la « Charte pour la parité » que plusieurs autres festivals internationaux ont déjà adoptée, Dieter Kosslick a terminé son mandat en mettant un point d’honneur cette année à composer un jury comme une sélection officielle où les femmes n’avaient jamais eu autant d’importance – et dédiant même, de façon certes un peu décousue, une partie de la rétrospective aux réalisatrices.
Un palmarès équilibré sous la houlette de Juliette Binoche
Présidente du jury, Juliette Binoche a su obtenir de lui un palmarès équilibré qui ne prête pas à contestation. L’ours d’or est revenu à Synonymes, coproduction franco-germano-israélienne dirigée par l’israélien Nadav Lapid, une introspection tragicomique sur l’identité et la difficulté de se distancier de son passé et de ses racines. Le jury a ainsi, une fois n’est pas coutume, rejoint le prix Fipresci de la Critique internationale de la compétition qui a été décerné au même film. Le challenger a été François Ozon pour son Grâce à Dieu, qui a obtenu l’ours d’argent, Grand Prix Spécial du Jury, une récompense reconnaissant l’intelligence avec laquelle le réalisateur a su changer son fusil d’épaule et donner un nouveau tournant à sa carrière, loin de ses thématiques habituelles, en s’emparant avec finesse du sujet d’actualité constitué par la pédophilie dans l’Église. Les ours d’argent des meilleurs acteurs sont, assez exceptionnellement, revenus à deux acteurs d’un même film, Young Mei et Wand Jingchunn, qui mènent de bout en bout Adieu mon filsdu chinois Wang Wiaoshuai,. L’ours d’argent de la meilleure réalisation a été décerné à l’allemande Angela Schalelec pour son Ich war zuhause, aboer, et celui du meilleur scénario au trio formé par Maurizio Braucci, Claudio Giovannesi et Roberto Saviano pour La Paranza dei bambini, de l’italien Claudio Giovanesi. L’Ours d’argent de la meilleure direction artistique a été attribué à Rasmus Videbaek pour Out stealing horses, de Hans Petter Moland.Enfin le Prix Alfred Bauer est revenu à l’allemande Nora Fingschedt, pour son System Crasher.Pas vraiment d’omission dans ce palmarès équilibré, donc, pour une sélection qui l’était sans doute un peu moins. En effet, Hollywood, et même le cinéma indépendant américain, y étaient représentés par une seule fiction, Vice, d’Adam McKay, déjà largement vu et sorti en salles aux États-Unis. L’effet de proximité du festival de Sundance a ici clairement joué pour tarir un tant soit peu cette source. C’est sans aucun doute pour cela que la nouvelle équipe a annoncé retarder légèrement la prochaine Berlinale, qui aura lieu du 20 février au 1ermars, pour mettre un peu de temps entre les deux manifestations. On signalera par ailleurs le retrait de la compétition de dernière minute du dernier film de Zhang Yimou, One second,pour des « raisons techniques » qui semblent s’apparenter à de la censure, le film traitant de la « Révolution Culturelle ».
Dans les autres sections
La Berlinale, ce n’est pas seulement la compétition, mais aussi en particulier deux sections d’importance, donc, Panorama et le Forum, donnant ainsi du fil à retordre aux festivaliers voulant parvenir à voir toutes les nouveautés les plus intéressantes. Le prix Fipresci de la section Panorama vint à juste titre souligner les qualités de Dafne, second long métrage de l’italien Federico Bondi, qui donne un joli rôle à l’actrice Carolina Raspanti, en jeune femme qui parvient à soutenir son père désorienté par la mort subite de sa mère. Pour le Forum, c’est Die Kinder der Toten, film allemand de Kelly Copper et Pavol Liska qui reçut le prix Fiprresci de la Critique Internationale de cette section, soulignant la hardiesse de l’adaptation de « Des enfants des morts », le roman bien connu d’Elfriede Jelinek où les morts reviennent pour tourmenter les vivants dans une petite pension des Alpes. Si l’on ajoute au Forum et à Panorama les sections « Génération » destinées aux films pour les jeunes, la rétrospective, l’originale section « cinéma culinaire », etc., on comprend mieux comment plus de 300.000 Berlinois ont été attirés dans les salles de la Berlinale à travers toute la ville, puisque le festival ne se résume pas aux salles de la Potsdamerplatz depuis plusieurs années, mais se multiplie dans nombre de cinémas un peu partout dans Berlin.
Un marché du film de plus en plus étendu
Le « Marché du Film Européen » qui avait été fondé par Beki Probst est maintenant bel et bien un marché mondial. Il est maintenant dirigé par Matthijs Wouter Knol, qui avait donné cette année une place d’honneur au cinéma norvégien. Du coup, pour la première fois, non content de répartir ses stands sur trois lieux tout autour de la Potsdamerplatz, le Marché avait créé ex-nihilo un grand espace provisoire sous une grande tente dédié à la Norvège, juste en face du Martin Gropius Bau, le musée qui héberge le quartier général du marché. Les professionnels français y étaient particulièrement visibles, non seulement par l’étendue du stand « parapluie » d’Unifrance, de plus en plus imposant d’année en année, mais aussi par la présence quasiment à tous les coins du bâtiment de l’une ou l’autre de nos grandes compagnies, qui prennent un stand à part.
Si l’on ajoute la réussite persistante de l’opération Talent Campus, qui accueille des jeunes professionnels du monde entier et a connu des développements ou des imitations un peu partout dans le monde, Carlo Chatrian et Mariette Riessebeek ont donc du pain sur la planche pour donner à la 70° édition de la Berlinale, l’an prochain, un éclat qui permettra de prolonger le travail de « l’ère Kosslick »!
Philippe J. Maarek