Berlin 2022
La Berlinale 2022 au prime du COVID-19
Alors que la précédente édition de la Berlinale avait eu lieu à distance, les deux co-directeurs de la manifestation, le directeur artistique, Carlo Chatrian, et la directrice exécutive, Mariette Rissenbeek, avaient tenu à ce que sa 72e édition ait lieu en « présentiel ». Mais la pandémie a considérablement réduit leur liberté de manoeuvre, les autorités leur ayant imposé des mesures sanitaires de plus en plus fortes au fil des jours.
La Berlinale a donc été profondément modifiée, d’abord et avant tout par l’annulation du Marché du Film en « présentiel ». Il fut uniquement organisé en ligne, comme en 2021, alors que le festival à proprement parler se déroulait dans les salles de cinéma. En revanche, dans celles-ci, la jauge fut réduite à un fauteuil sur deux occupé, et avec des places numérotées à réserver sur Internet. Les autorités imposèrent en outre des conditions draconiennes pour les journalistes qui s’étaient déplacés: un test antigène quotidien leur était demandé pour accéder aux projections de presse, mêmes s’ils avaient eu trois injections de vaccin! Enfin, la durée de la manifestation fut réduite pour les visiteurs: les quatre derniers jours furent réservés à des reprises pour le public berlinois, afin de lui donner un peu plus de facilité d’accès aux films.
Dans ces circonstances, la sélection fut paradoxalement plus limitée que celle de 2021, où la Berlinale avait entièrement lieu à distance. Ne pouvant pas se déplacer à cause des conditions de voyage extrêmement difficiles, les producteurs de nombreux pays non européens décidèrent apparemment de concentrer leurs efforts sur le Marché du Film. Ils délaissèrent les sélections officielles, donnant ainsi à la Berlinale 2022 l’air d’un festival… européen, à quelques exceptions près.
De ce fait, le cinéma français, probablement celui qui a le mieux traversé les deux années de pandémie du fait de l’important soutien étatique aux tournages de ce pays, domina très largement la Berlinale 2022 – impression renforcé par le choix de la Berlinale de rendre un hommage spécial à Isabelle Huppert. Cela donna du fil à retordre au Jury du Festival présidé par Night Shyamaln pour composer un palmarès diversifié! Ainsi, alors qu’on attendait plutôt Claire Denis pour l’Ours d’Or, la récompense suprême, pour Avec amour et acharnement, porté par Juliette Binoche et Vincent Lindon, le film fut finalement le récipiendaire de l’Ours d’Argent de la meilleure réalisation, certes bien mérité. C’est une autre réalisatrice, l’Espagnole Carla Simòn, qui emporta l’Ours d’Or du meilleur film pour Alcarràs.
Le palmarès de la Berlinale 2022 fut d’ailleurs presque exclusivement féminin, à peu d’exceptions près, puisque les récompenses destinées aux acteurs/trices ne sont plus genrées à Berlin depuis 2021. L’actrice germano-turque Meltem Kaptan emporta ainsi, certes à juste tirtre, le prix d’interprétation pour sa magnifique prestation dans Rabiye Kurnaz gegen George W. Bush du réalisateur allemand Andreas Dresen. Elle y incarne avec brio une mère de famille dont la vie prend une tournure inattendue quand elle découvre que son fils est incarcéré à Guantanamo. L’entregent de Melten Kaptan qui sait émouvoir sans jamais verser dans un tragique outré, bien aidé par la direction bienveillante d’Andréas Dresen, permet de rendre compte de cette histoire authentique sans jamais verser dans la complaisance. Le film valut d’ailleurs également le prix du meilleur scénario à Laila Stieler. Le prix du meilleur second rôle revint également à une actrice, l’indonésienne Laura Basuki, pour sa prestation dans Nana (Before, Now and Then) de Kamila Andini. Parmi les autres récompenses, on notera le Grand Prix décerné à The Novelist’s Film, du Coréen du Sud Hong Sangsoo, et le prix de la meilleure contribution artistique décerné à Everything will be OK de Rithy Panh et Sarit Mang. Ces derniers ont conçu un essai cinématographique qui mêle animation et images d’archives en dénonçant, en somme, le rôle néfaste et autodestructeur de l’être humain.
Cette volonté manifeste de diversifier le palmarès fait sans doute regretter que d’autres films français ou majoritairement français présentés en compétition aient été de ce fait écartés du palmarès. On y regrettera en particulier l’absence du Peter von Kant de François Ozon. Cet hommage au fond tout aussi grinçant que Les Larmes amères de Petra von Kant de Fassbinder dont il s’inspire ouvrit la compétition avec bonheur, dans le contexte berlinois qui lui convenait tout à fait. Il est emmené par un Denis Menochet impérial dans le rôle principal, et mérite incontestablement le détour.
Le prix de la FIPRESCI de la critique internationale revint à Leonora Addio de Paolo Taviani, à Bettina, de Lutz Pehnert, pour la section Panorama, à Supernatural de Joge Jácome pour le Forum et à Coma de Bertrand Bonelloi pour la section « Rencontres ».
En effet, tout en étant donc d’un format réduit, la Berlinale 2022 avait tenu à maintenir l’ensemble de ses sections traditionnelles, comme aussi la section Berlinale Special où le nouveau film de Dario Argento, Occhali Neri, attira l’attention. Les festivaliers bénéficièrent même, comme à l’accoutumée, d’une jolie rétrospective consacrée à trois des meilleures actrices des « Screwball comedies » américaines des années 1930, Rosalind Russell, Mae West et Carole Lombard. On pouvait ainsi à l’occasion s’échapper de notre siècle si pesant en ce moment en se rendant aux projections publiques du cinéma du musée d’histoire, le Zeughaus Kino, qui les accueillait!
Philippe J. Maarek
No Man of her own: Photo British Film Institute, courtesy of Universal Studios Licensing, LLC