Golden Horse 2024
Some rains must fall de Qiu Yang, Prix FIPRESCI du Golden Horse Film Festival
La 61e édition des Golden Horse Film Festival and Awards de Taipei (qui s’est tenue du 7 au 24 novembre) est l’un des plus grands festivals d’Asie et tient un rôle important, principalement pour le cinéma asiatique de langue chinoise. Les huit premiers longs métrages sélectionnés pour le prix FIPRESCI ont proposé une certaine vision panoramique du jeune cinéma d’expression chinoise.
Some rains must fall de Qiu Yang, qui a été présenté en première mondiale dans la section « Encounters » de la 74e Berlinale 2024, a obtenu le prix FIPRESCI. Ce film possède une mise en scène puissante doublée d’une forte envie de renouveler l’image de la femme asiatique, trop souvent victimisée et misérabiliste dans les films orientaux vus dans les grands festivals internationaux. Il se consacre entièrement à un personnage féminin, qui, dans ce film ne reste pas passif. La femme n’y est pas un accessoire de l’homme et fait face aux violences, visibles comme invisibles, de la société.
Qiu Yang est un jeune cinéaste déjà prometteur au vu de ses courts métrages: il a obtenu la Palme d’or pour Une nuit douce en 2017 et le Grand prix de la Semaine de la Critique de Cannes pour Elle court en 2019. D’emblée, il focalise son regard sur la femme dans la société moderne chinoise. Il préfère toujours filmer sa ville natale et travaille avec des acteurs amateurs. Le temps passé dans cette ville lui permet aujourd’hui de faire fructifier son expérience. La continuité de son obsession est cristallisée dans ce premier long métrage. Some rains must fall met en scène une femme qui essaie de changer sa vie et de maintenir ce cap malgré plusieurs obstacles inattendus. Le rôle principal, Cai, une femme au foyer ayant atteint la quarantaine, est en pleine procédure de divorce. Elle blesse une femme âgée par inadvertance au cours d’un match de basket de sa fille. Cet événement apparemment anodin est le catalyseur qui fait basculer sa vie de manière incontrôlable, les événements passés refaisant surface alors qu’elle se dirige vers un avenir incertain.
Sans affèteries, le cinéaste n’explique pas directement ses motivations, ses émotions ou sa psychologie par la narration, surtout pas par des images symboliques trop accessibles. Nous allons découvrir cette femme devant une caméra gardant ses distances et sa fixité. La caméra est comme un spectateur qui la regarde et l’observe en la capturant de profil ou de dos. Plan par plan, la mise en scène découpe diverses choses secrètes, une dimension cachée de sa vie. A la fin, l’image de cette femme n’est toujours pas complètement formée et ses mystères ne sont pas révélés, mais on se rend compte de l’intensité de cette vie menée entre la réalité et l’onirisme. Plusieurs scènes, où on la retrouve au milieu d’un grand vide noir, s’insèrent soudainement entre les scènes du réel. Ces séquences fantasmagoriques, ainsi que le minimalisme de la narration, donnent du relief à la mise en scène.
Ce portrait de Cai, qui demeure inébranlable dans son obstination à vouloir changer sa vie, dessiné par le cinéaste, est sans doute inspiré par sa propre mère. Ce premier long métrage de Qiu Yang est né du désir et de la nécessité de la filmer. Il est tellement exceptionnel aujourd’hui que tant de qualités puissent être réunies dans un premier long métrage. La plupart des films de jeunes cinéastes paraissent fabriqués, loin de leurs désirs personnels, et dictés par les exigences de l’industrie du cinéma. Tout se ressemble, tout est trop souvent formaté. Yang a miraculeusement réussi à préserver sa propre idée du cinéma, intrinsèquement liée à l’intimité de sa vie. Qiu Yang va sans doute compter dans les années à venir. Some rains must fall est un film de « mise en scène » qui prouve son talent et nous ouvre les yeux sur un nouveau cinéma asiatique que l’on n’avait pas vu depuis bien longtemps.
Nanako TSUKIDATE