Karlovy-Vary 2022
« Un festival merveilleux dans une ville charmante », « Certains diraient que ce festival ne peut être égalé par aucun autre »… Ces citations éveillent la curiosité de ceux qui assistent pour la première fois au Festival international du film de Karlovy Vary en République tchèque. Le festival se déroule dans une période touristique (du 1er au 9 juillet 2022) où les longues files d’attente à l’aéroport sont l’occasion d’étudier et découvrir la programmation d’un festival d’une remarquable richesse et une ville dont le cadre est aussi charmant que son patrimoine culturel est riche.
À l’arrivée, l’installation se passe au mieux grâce à une organisation exemplaire. Le film d’ouverture passe dans deux salles. Une grande pour les VIP et une plus petite. C’est un drame italien, dirigé par Paolo Genovese. Superheroes (Supereroi, 2021), une histoire avec une touche de tristesse sur un couple et ses tentatives de préserver cette flamme amoureuse qui souvent s’éteint ou se refroidit.
Après l’ouverture, à laquelle assistent la plupart des invités, le festival est entièrement accessible au public, et tous les films de la Compétition Cristal Globe sont projetés quotidiennement dans une grande salle de deux étages pouvant accueillir 1131 personnes. Il est évident que Karlovy Vary n’est pas l’un des festivals qui souffrent d’un manque de public! Dans chacune de ses 12 salles qui cumulent près de 3200 places disponibles tous les jours, il y a toujours du public qui espère une absence de dernière minute, pour se précipiter cinq minutes avant que le film ne commence afin d’occuper la place ainsi libérée. La vue d’un si grand public est un réel plaisir, d’autant plus que très peu quittent la salle avant la fin du film. Néanmoins, certains des films participant aux deux principales compétitions, Crystal Globe et Proxima ont réussi à épuiser ce public patient, qui exprime habituellement son admiration avec enthousiasme et des applaudissements chaleureux.
Chacun de ces deux compétitions comprenait douze films, dont cinq de pays d’Europe de l’Est comme la République tchèque, la Pologne, la Bulgarie et la Croatie, tandis que les autres venaient d’Iran, du Brésil, de l’Argentine, du Canada, de l’Espagne, de l’Allemagne, de la Grèce et de l’Autriche. Le cinéma tchèque était fortement représenté avec deux films dans chaque compétition. Proxima a été présenté cette année comme une alternative à une précédente compétition consacrée aux films de l’Europe de l’Est. Les organisateurs ont considéré que leur rôle pour faire connaître ce cinéma à travers le Festival de Karlovy Vary est achevé puisque de nombreux festivals et nouveaux moyens de communication diffuse désormais des films de cette zone géographique. Par conséquent, ils ont souhaité ouvrir la compétition à d’autres pays. Cependant, les frontières entre les deux principales compétitions sont floues, bien que Proxima, soit censé être plutôt consacré à un cinéma qui n’hésite pas à expérimenter un langage cinématographique innovant en termes de forme et de contenu.
Quant à Crystal Globe, ses films s’adressent davantage à un large public. Cependant, les différences ne sont pas encore tout à fait tangibles, car il y a des films qui ont participé à cette compétition qui auraient peut-être eu leur place à Proxima. Par exemple, Les Ordinaires (Druhoradi) de l’Allemande Sophie Linnenbaum, qui se concentre sur les acteurs condamnés à jouer des rôles de figuration. Le style de ce film est loin d’être ordinaire, mais malheureusement, tout y est pesant : la direction, l’atmosphère et les personnages. Le film grec Silence 6-9 (Isihia 6-9) de Christos Passalis, aurait pu aussi concourir à Proxima, avec son étrange monde onirique. Dans cette histoire, Ares et Anna se retrouvent un soir dans une ville à moitié déserte entourée d’antennes et de bandes magnétiques. Dans cette fascinante atmosphère visuelle, presque hypnotique, deux âmes solitaires développent progressivement les sentiments d’une histoire d’amour mélancolique.
Les Prix
Certains des prix de la compétition ont été une surprise, comme le Grand Prix obtenu par le film canado-iranien Summer with Hope (Tabestan Ba Omid) de Sadaf Foroughi. Le film a été produit par le Canada, mais tourné en Iran. Il traite des interdictions dans le pays, suggérant une relation homosexuelle entre un jeune homme et un entraîneur de natation, laquelle provoque la colère autour d’eux et sera la cause d’un crime dans une ville côtière touristique. Ce sujet a attiré l’attention sur un film, qui n’était certainement pas des plus mûrs, des plus profonds ni des plus intéressante. Parmi ces derniers, il faut citer le film tchèque-polonais The Borders of Love (Hranice Iasky) du réalisateur polonais Tomasz Winskyi qui a remporté un prix Fipresci de la critique internationale. L’histoire parle d’expériences sexuelles extraconjugales avec la connaissance et le consentement du partenaire habituel, dans une tentative de sonder la force du couple. Cette expérience de liberté sexuelle aboutit à cette conclusion inattendue qu’il y a des limites à ne pas franchir, car ceux qui le font en souffriront profondément.
L’espagnol You Have to Come and See It (Teneis que venir a verla) de Jonas Trueba, qui a remporté le Prix spécial du jury, est un film composé de miniatures cinématographiques émouvantes qui ne nécessitent pas de longues heures (64 minutes en tout) pour transmettre de profonds sentiments existentiels imprégnés d’une mélancolie envoûtante et d’un humour léger. Le film géorgien A Room of My Own (Chemi otakhi) de Loseb Bliadze a pour héroïne une jeune femme, Tina, qui a perdu son chemin dans la vie, mais qui, lorsqu’elle loue une chambre à la vibrante Meiji, commence progressivement à se découvrir, et à découvrir la vie, l’amour et le sexe dans la ville contemporaine de Tbilissi. Les actrices qui tiennent les deux premiers rôles de ce film, Taki Mumladze et Mariam Khundadze ont mérité leur prix d’interprétation.
Le prix de la réalisation a été remporté par un film dont le thème contraste avec d’autres oeuvres principalement axées sur la liberté individuelle et la sexualité. Dans ce film tchèque, The Word (Slovo), Beata Parkanova revient sur le passé, l’oppression du parti unique et la pression exercée sur un notaire connu pour sa droiture, dans une petite ville. Ce sera une épreuve difficile pour sa famille après qu’il ait préféré résister pour l’amour de ses principes. Ce drame intime illustre sur la puissance du mot « non » face à l’oppression. L’acteur Martin Finger y a gagné un prix d’acteur mérité.
Le prix spécial du jury Proxima est revenu au film hispano-argentin, La Pieta (La piedad) réalisé par Eduardo Casanova. Alors qu’Art Talent Show (Zkouska umení) dirigé par Adela Komrzy et Tomas Bojar a remporté le grand prix Proxima ainsi que le prix Fipresci de la critique internationale. Ce film aborde ces questions : Comment évaluer le talent artistique ? Quel rôle pour l’art dans le monde d’aujourd’hui ? Ce documentaire d’observation est aussi le portrait d’une institution, l’Académie des Beaux-Arts de Prague dont les réalisateurs ont filmé les concours.
Nada Azhari Gillon