Thessalonique 2022
Élise Jalladeau : une Française au 63e Festival de Thessalonique !
Élise Jalladeau est la directrice générale du Festival du film de Thessalonique. C’est une organisation qui englobe non seulement le festival qui vient d’avoir lieu, mais un festival du film documentaire en mars et elle supervise les événements et la programmation de quatre cinémas tout au long de l’année. J’étais curieuse de savoir comment une Française en est arrivée à occuper le poste le plus important du festival du film le plus important de Grèce, alors nous nous sommes assises pour discuter dans son bureau.
Fille de Philippe Jalladeau, célèbre pour ses 30 ans à la direction du Festival de Nantes en compagnie de son frère Alain, Élise travaillait comme productrice de films depuis 15 ans lorsqu’elle s’est retrouvée dans une impasse.
« Les premiers films que j’ai produits étaient très art et essai et sont allés à Cannes » , se souvient-elle. « Le premier film de 1998 Tueur à gages (Killer) de Darezhan Omirbaev a fait 90 000 entrées en France, et même si le dernier, Huacho de 2009 d’Alejandro Fernandez Almendras, était tout aussi bon, il n’avait totalisé que 30 000 entrées, ce qui était quand même bien à cette époque, mais peu. J’étais déprimée et je me demandais ce que je devais faire, car je voulais vraiment m’adresser au public. Nous avons ce système en France qui fait que si vous venez de l’audiovisuel, vous pouvez devenir une sorte de diplomate, l’attaché audiovisuel d’une ambassade, grâce à une filière du ministère des Affaires étrangères. Alors, j’ai postulé, et j’ai été envoyée en Grèce sans même l’avoir choisi, c’est là qu’on m’a affecté ! Je suis allée vivre à Athènes. Je n’étais jamais allé en Grèce auparavant, sauf quand j’avais huit ans avec mes parents à Corfou. J’y suis allée, j’ai appris la langue et j’ai adoré. »
Élise Jalladeau est devenue membre du conseil d’administration du Centre du cinéma grec. « Je connaissais les problèmes et les défis de l’intérieur. » Après cinq ans, son contrat d’attachée audiovisuelle a pris fin et elle est revenue en France. « Quand je suis revenue, mes amis de l’industrie grecque m’ont appelé et m’ont dit que le poste au Festival du film de Thessalonique était disponible. Alors, j’ai postulé avec un plan de développement du festival et ils m’ont pris. D’ailleurs, l’appel était en grec. »
Elle est embauchée pour trois ans et s’adjoint les services d’Orestis Andreadakis à la direction artistique du festival. « Je voulais travailler avec quelqu’un sur qui compter et qui pourrait apporter une nouvelle vision. Orestis n’est pas seulement programmateur, il est commissaire d’exposition il peut faire dialoguer les films avec des œuvres d’art contemporaines ou des romans ou des essais. Il était très proche de John Berger et il a gardé de cette amitié cette approche pluridisciplinaire des arts en général et du cinéma en particulier. C’est aussi un journaliste, un très bon journaliste, et nous avons remodelé l’équipe. La priorité à l’époque était d’essayer de stabiliser les finances car le festival a beaucoup souffert pendant la crise financière et la crise politique. »
Ils ont travaillé ensemble au développement de l’Agora, le marché du festival et ont lancé en juin de cette année un ‘festival boutique’, The Evia Film Project, qui se concentre sur le cinéma vert et l’écologie.
« Tout se passe très bien », admet-elle. « La seule chose, c’est que les marchés sont soumis à une très forte pression maintenant à cause de la pandémie. Nous devons également être inclusifs et accessibles et il est nécessaire de servir l’industrie des séries qui ne fait que commencer. Alors, en tant que festival de cinéma, comment équilibrer cela ? Nous ne sommes pas les seuls à relever les défis. Ainsi, nous avons tendu la main à d’autres marchés comme Cannes, Venise, Berlin, Karlovy Vary, Rotterdam, Saint-Sébastien, Trieste et plusieurs autres et nous avons lancé un groupe de réflexion. Trois think tanks en fait. Le premier se déroulera à Berlin pendant le Festival de Berlin. Le deuxième aura lieu ici en mars pendant le festival du documentaire et le troisième sera en ligne. Nous avons embauché un spécialiste pour tout organiser. Le fait que nous soyons soutenus par nos collègues prouve que nous sommes confrontés aux mêmes enjeux et maintenant ensemble nous pouvons réfléchir à notre avenir commun car nous sommes complémentaires. »
Pendant la pandémie, Elise Jalladeau dit que les marchés des festivals sont devenus plus intégrés parce qu’ils se parlent davantage, via Zoom. « Ce n’est pas que nous voyageons moins mais en plus nous réseautons sur Zoom. C’est une valeur ajoutée. Le blocage géographique des visionnement, tous les sujets sont abordés, pas seulement en Europe, mais avec des pays comme la Nouvelle-Zélande ou le Canada (Hot Docs). »
Élise Jalladeau en est maintenant à son troisième contrat de trois ans avec Thessalonique et ce sera probablement son dernier. « J’ai encore deux ans de mandat. Après cela, si mon travail est terminé, je donnerais volontiers la parole à une nouvelle génération. Le festival ne m’appartient pas après tout. La génération précédente des directeurs de festival en a été la pionnière. Ils ont créé les festivals de cinéma et ils se sont sentis comme s’ils leur appartenaient. Il arrive un moment où il faut laisser quelqu’un d’autre prendre le volant. On a demandé à mon père de quitter la direction de son festival à Nantes et je pense que cela a eu un impact profond sur moi. Il a créé Nantes en 1979 et on lui a demandé de partir au bout de 30 ans. »
Élise Jalladeau est née à Nantes en 1969. Elle dit que son père et sa mère, qui a travaillé avec son père, ont exercé une énorme influence sur elle. « Quand j’étais enfant, j’allais au cinéma presque tous les jours. A cette époque, ils travaillaient pour l’antenne de la Cinémathèque française de Nantes, puis ils ont lancé le Festival des Trois Continents avec le frère de Philippe, Alain, mon oncle. Je regardais des films, juste en tant que spectatrice et à l’âge de 18 ans, j’ai décidé de ne pas travailler du tout dans le cinéma. J’ai étudié les sciences politiques. Quand j’ai dû chercher un stage, j’ai demandé à mes parents s’ils avaient des amis qui pouvaient m’accueillir. Du coup, je suis allé au Centre National du Cinéma (CNC) pour faire un premier stage, et l’année d’après j’ai travaillé pour Unifrance à Tokyo, ce qui a été un extraordinaire. Donc, j’ai vraiment essayé d’échapper à l’idée de travailler dans le cinéma mais je n’y suis pas parvenu. C’était facile pour moi; c’était ma culture. Même si je m’intéressais aux sciences politiques et à la sociologie, ma culture était le cinéma. J’avais un réseau, donc j’ai été vraiment gâtée. J’admire vraiment les gens qui peuvent réussir au cinéma sans avoir de famille pour les soutenir. Le cinéma regorge de fils et de filles et j’ai réalisé que j’étais l’une d’entre eux, même si mes parents ne sont pas très connus du grand public. ».
Élise Jalladeau évoque aussi les conséquences de ce choix à long terme. « Au départ je n’étais pas très ambitieuse car j’avais le sentiment que je n’étais pas très légitime à cause de mes parents ou même parce que je suis une femme et que les femmes de ma génération remettaient en question leur légitimité. Cela a affecté mon ambition. Mais je sais travailler, je sais diriger une équipe, une grande équipe. Je sais produire un film. Je pense que si je venais du monde extérieur et que je n’avais personne pour me soutenir, j’aurais eu plus faim, j’aurais été plus ambitieuse. »
Au-delà de sa modestie, Élise Jalladeau s’en sort néanmoins très bien et projette une personnalité décontractée et sans affects bienvenue dans l’univers des festivals.
Helen Barlow
Les principaux prix du 63e Festival de Thessalonique
Compétition Internationale
‘Alexandre d’Or Theo Angelopoulos’, I Have Electric Dreams, de Valentina Maurel, Belgique/France/Costa Rica
‘Alexandre d’Argent’ – Prix special du Jury, A Piece of Sky, de Michael Koch (Suisse/Allemagne)
‘Alexandre de Bronze – meilleure réalisation, ainsi que Prix FIPRESCI pour la Compétion Internationale, Plan 75, de Chie Hayakawa (Japon/France/Philippines/Qatar)
Competition ‘Meet your neighbours’
‘Alexandre d’Or’, Klondike, de Maryna Er Gorbach (Ukraine/Turquie)
Compétition ‘Film Forward’
‘Alexandre d’Or’, Retreat, de Leon Schwitter (Suisse)
Cinéma Grec
Prix FIPRESCI de la Critique Internationale du meilleur film grec, Behind the Haystacks , de Asimina Proedrou