Toronto 2020
Le 45e Festival de Toronto transformé par le coronavirus
Pour leur seconde année à la tête du Festival de Toronto, Cameron Bailey, le co-directeur et directeur artistique du festival et Joana Vicente, sa co-directrice et directrice exécutive, ont dû faire face à des difficultés considérables du fait de la pandémie due au Covid-19. Il a tout de même eu lieu aux dates prévues, du 10 au 19 septembre, sous un format considérablement adapté, et avec un slogan révélateur de l’humour et de la résilience du Festival: « Le popcorn pour diner, ça continue (au Festival)«
Contrairement aux festivals européens de la rentrée, Toronto a en effet cette fois pâti de sa position en Amérique du Nord. En Europe, où la circulation dans la zone Schengen de l’Union Européenne était relativement facile pour des professionnels européens désirant s’y rendre, Venise, Deauville ou San Sébastian ont pu se dérouler presque normalement. Certes ces manifestations ont été forcées de réduire le nombre de spectateurs et de les soumettre à des mesures de sécurité drastiques afin d’éviter la propagation du virus. Mais, en somme, il n’y manquait justement, que les professionnels nord-Américains, de toutes les façons plus friands de Toronto que de l’Europe en cette période. Or Toronto, situé au Canada, était dans la pire des positions, puisque depuis le début de la pandémie ou presque, le gouvernement de ce pays a quasiment fermé les frontières aux voyageurs, y compris ceux des États-Unis. La grande transhumance habituelle vers le festival des professionnels européens, asiatiques, et surtout de ceux d’Hollywood et de New-York, les deux pôles de l’industrie des États-Unis, qui fait de ce festival un lieu de rencontre mondial si important pour la profession, était donc rendue impossible.
Le tandem Bailey-Vicente a donc décidé de maintenir le festival, tout en le transformant temporairement : au départ une cinquantaine de longs métrages seulement, au lieu des 250 à 300 habituels (un peu plus au final). Un choix plus tourné vers les films d’auteur qu’à l’ordinaire, par la force des choses, du fait de la raréfaction des films du grand voisin du Sud. Du fait des consignes de sécurité, seules quelques salles du Bell Lightbox, le quartier général du festival, accueillaient le public, sous réservation, et les rares invités et professionnels présents, principalement canadiens. Surtout, afin de continuer à faire du Festival un événement dirigé vers le public torontois, quatre « drive-in » en périphérie de la ville accueillaient les habitants de la ville, qui pouvaient aussi prendre des abonnements pour la plate-forme numérique du Festival sur Internet.
Comme le Marché cannois le fit à la fin juin, les professionnels, vendeurs et acheteurs, eurent, eux, la possibilité d’accéder aux films sur Internet. Près de 4000 se sont enregistrés, et le flux d’affaires ne fut pas négligeable. Ils purent bénéficier de la plate-forme bien rodée de Cinando, « Match and Meet ». Les acheteurs de Netflix, en particulier, bien présents en ligne, achetèrent trois films de la sélection. La presse fut également interdite d’accès dans les salles, et ne put accéder aux films que sur Internet.
Puisque public il y avait tout de même, parmi une sélection délibérément marquée par une participation de 43% de réalisatrices et de 46% de représentants de la diversité, le 43e prix du public fut décerné par les spectateurs à Nomadland, le film de Chloé Zhao incarné par Frances McDormand, qui venait d’ailleurs de recevoir le Lion d’Or du Festival de Venise. Une fois de plus, Toronto pourrait bien avoir été là la rampe de lancement d’un film pour les Oscars ! Nomadland était suivi dans les votes par One Night in Miami, premier film de Regina King, et par Beans, de Tracy Deer. Un prix du public fut également décerné spécifiquement pour la section documentaire à Inconvenient Indian, de Michelle Latimer, également récipiendaire du prix Amplify Canada Goose du meilleur film canadien. Enfin un prix du public de la section « Midnight Madness » revint à Shadow in the Cloud, de Roseanne Liang. Le Prix Fipresci de la Critique Internationale, enfin, fut décerné par un jury « à distance » à Beginning, le premier long métrage de la Georgienne Dea Kulumbegashvili dont un court-métrage avait été sélectionné au Festival de Cannes en 2014.
Il ne reste qu’à espérer que le Festival de Toronto 2021 puisse se dérouler normalement. On le lui souhaite !
Philippe J. Maarek