Venise 2022
Martin McDonagh, Alice Diop et Luca Guadagnino ont été les grands gagnants de cette année, tandis que les films Netflix tant vantés sont repartis les mains vides. Après s’être rendu au 79e Festival du film de Venise armé de quatre films en compétition, Netflix est reparti les mains vides. Comme si se voir refuser la compétition cannoise ne suffisait pas, le diffuseur a dû regarder le jury faire des choix hors champs – et politiquement engagés – à Venise.
Dans certains cas, le jury, dirigé par Julianne Moore et comprenant Audrey Diwan, la gagnante du Lion d’or de l’année dernière pour Happening, avait d’ailleurs tout juste ! Ainsi, le documentaire de Laura Poitras All the Beauty and the Bloodshed est excellent et méritait le Lion d’or. Martin McDonagh a écrit un superbe scénario pour The Banshees of Inisherin et méritait son prix, le gagnant du prix du meilleur acteur, Colin Farrell, est impressionnant comme toujours dans le film, même si deux prix pour les films semblaient excessifs. Enfin Cate Blanchett est brillante dans son interprétation d’une cheffe d’orchestre, même si le TAR de Todd Field est trop long. Avant la divulgation du palmarès, de nombreux critiques considéraient No Bears de Jafar Panahi comme le gagnant potentiel, et le jury a probablement eu raison en décernant au cinéaste iranien emprisonné son Prix Spécial. Lors de la conférence de presse de ce film, l’actrice du film Mina Kavani a noté à quel point c’était « un beau geste » d’avoir laissé une place vide sur l’estrade au nom de Panahi. « Il a une passion pour le cinéma et pense déjà à son prochain film », a-t-elle déclaré.
Luca Guadagnino a fait flotter haut le drapeau italien en remportant le prix du meilleur réalisateur pour son intrigante histoire d’amour cannibale, Bones and All. Il s’agit essentiellement d’un regard sur la jeunesse aliénée de l’Amérique, Taylor Russell remportant également le prix de la révélation pour ce film, où elle a joué aux côtés de Timothee Chalamet (peut-être que deux prix pour le même film étaient un peu trop là aussi…). « En regardant Cate (Blanchett), j’ai l’impression qu’elle va me donner des conseils à travers ses yeux », a déclaré Russell lors de la conférence de presse des gagnants.
De même, deux prix allèrent à la Française Alice Diop, le prix du Grand Jury et le prix du meilleur premier film, pour son Saint Omer. Il est basé sur l’histoire vraie de Fabienne Kanou, une étudiante diplômée au QI de génie, qui a inexplicablement jeté dans la mer sa fille âgée d’un mois à peine. Lors de son procès en 2016, Kanou a attribué ses actions à des forces malveillantes. Pourtant, peut-être que deux prix étaient un peu trop là aussi ?…
Parmi les films non récompensés, beaucoup figureront sans doute dans d’autres palmarès. Ainsi Hugh Jackman transmet habilement les difficultés d’être parent d’un acteur de Melbourne, Zen McGrath, dans The Son, la suite donnée par Florian Zeller à The Father. Dans The Whale de Darren Aronofsky, Brendan Fraser, dans son premier rôle principal en près d’une décennie, excelle en tant que professeur d’anglais en ligne de 270 kilos confiné à la maison qui tente de renouer avec sa fille de 17 ans, interprétée par une excellente Sadie Sink (vue dans Stranger Things) . Dans Monica, d’Andrea Pallaoro, l’actrice trans Trace Lysette (Transparent) explore de nouvelles voies. Enfin, Ricardo Darin se démarque dans le très apprécié Argentine, 1985, qui pourrait se voir nominé aux Oscars comme meilleur film international.
Mais revenons au début. Noah Baumbach est un cinéaste talentueux, mais avec le film Netflix d’ouverture du festival, White Noise, qu’il a adapté du roman culte à succès de Don DeLillo en 1985 – et qui avait été jugé infilmable – il a probablement mordu plus qu’il ne pouvait mâcher. Arborant une chevelure dégarnie et une panse, Adam Driver y joue un universitaire d’âge moyen dans une petite ville américaine dans les années 1980. Lors de la conférence de presse du film, j’ai demandé à la star et ancien marine, qui a joué des personnages musclés dans des films hollywoodiens, si cela l’avait effrayé quand il s’est vu à l’écran. « Je suis très satisfait de la direction que prennent les choses », a déclaré Driver impassible, provoquant un rire dans la foule. « C’était une fenêtre sur l’avenir et je suis prêt. En ce qui concerne le look et la chute des cheveux, nous l’avons ajouté. J’ai pris du poids et nous avions un estomac de secours, que finalement nous n’avons pas utilisé! Et il y avait aussi la perruque, qui était inconfortable. » Quand j’ai demandé à Greta Gerwig, qui joue le rôle de sa femme (avec une grosse perruque frisée) si elle envisageait de faire de Driver sa poupée Ken, Driver a riposté avec effronterie : « Bien sûr ! » ce qui a été contré par un retentissant « Non! » de Gerwig. Cette dernière avait partagé la vedette avec Driver dans le fabuleux film de 2012 de Baumbach, Frances Ha. Gerwig et Baumbach forment depuis un couple et travaillent ensemble.
Les deuxième et troisième films de la compétition produits par Netflix, Athena de Romain Gavras et Bardo d’Alejandro Inarritu, n’ont pas suscité beaucoup d’enthousiasme (beaucoup pensent qu’Inarritu essayait d’imiter le succès de son compatriote mexicain Alfonso Cuaron avec Roma). Il a donc été demandé à Blonde d’Andrew Dominik de tenir le fort Netflix dans la compétition. Magnifiquement tourné, le film, basé sur le roman de Joyce Carol Oates de 2000, mêle réalité et fiction pour réinventer la vie privée et publique de Marilyn Monroe. C’était un régal à voir sur grand écran. Il est vraiment dommage qu’il ne soit vu que sur le petit écran en France et dans la plupart des pays. Ana de Armas est exceptionnelle en tant que version partiellement fictive de Marilyn Monroe. Même si elle n’a probablement aucun espoir de gagner l’Oscar contre l’imposante Cate Blanchett, la performance de l’actrice cubaine devrait figurer dans la prochaine vague de récompenses. Casey Affleck, l’un des amis proches de Dominik depuis qu’ils ont réalisé L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (comme Blonde, une production de Brad Pitt, qui a également partagé la vedette) était au festival pour promouvoir le film hors-compétition Dreamin ‘ Wild. « J’ai vu Blonde et c’est incroyable », a déclaré Affleck avant la première du film. « C’est un film incroyable et magnifique. »
Dans Dreamin’ Wild de Bill Pohlad, qui avait réalisé Love & Mercy le film sur les Beach Boys, Affleck joue le rôle du musicien Donnie Emerson, qui se produisait en duo aux côtés de son frère Joe (Walton Goggins). L’histoire discrète d’un musicien talentueux dont le père (Beau Bridges) a vendu une grande partie de sa ferme pour soutenir la carrière musicale finalement ratée de son fils, convient parfaitement à l’acteur oscarisé de Manchester by the Sea. Affleck, qui avait envoyé son premier film à Venise en 2010, I’m Still Here, avec Joaquin Phoenix, reconnaît qu’avoir du succès dans le cinéma est un combat. « Lorsque nous avons amené Jesse James dans ce festival, l’accueil a été chaleureux, mais le reste du monde a pensé que c’était un désastre total. Un échec coûteux. Pendant longtemps, je me suis dit que ma plus grande réussite était d’être associé au film de Brad Pitt qui a le plus mauvais box-office. »
En ce qui concerne les Oscars à venir et le futur succès public, le film de Venise à suivre est probablement The Banshees of Inisherin, où pour la première fois Martin McDonagh est retourné dans le pays de naissance de ses parents, l’Irlande, pour faire un film. À Venise, il a dit qu’il ne voulait pas tant faire une suite à In Bruges – où Farrell et Brendan Gleeson ont également joué – mais travailler à nouveau avec les acteurs. « Je voulais réunir ces gars-là et il semble incroyable que cela ait pris 14 ans ». McDonagh avait déjà décroché l’or avec Three Billboards Outside Ebbing, Missouri, qui a eu sa première à Venise avant d’être nominé pour sept Oscars et de valoir celui de la meilleure actrice à Frances McDormand et celui du second rôle masculin pour Sam Rockwell.
Helen Barlow
Article Publié pour la première fois en Anglais sur Filmink.com.au