Les documentaires arabes de l’AIFF : Une praxis de résistance au Festival d’Amman.
Du 15 au 22 Août, a eu lieu le festival International du film à Amman (Awal film «premier film ») sous le slogan « Histoires et commencements ». Pour sa quatrième édition, le festival intègre pour la première fois le prix de la Fédération internationale de la presse cinématographique (Fipresci) dédié à la section « films documentaires arabes ». Huit films documentaires venus du Liban, Palestine, Egypte, Tunisie, Soudan, Irak et Maroc étaient sélectionné dans cette catégorie. Il a été attribué au film palestinien Lyd de Rami Younes et Sarah Friendland.
Une thématique commune s’est laissée voir dans la catégorie « documentaires arabes», celle de la jeunesse arabe. Une jeunesse insoumise qui aspire à un lendemain meilleur. Anxious in Beirut de Zakaria Jaber (Liban), Baghdad on fire de Karrar Al-Azzawi (Irak), Broken Mirrors de Othmane Saadouni (Maroc) et Lyd (Palestine) traitent tous d’un sujet à la fois unique et universel, celui du rapport relatif et ambigu des jeunes à leur pays. Chacun de ces films est une démonstration à la fois touchante et troublante d’une jeunesse incomprise et révoltée qui pose la question suivante : Que font de nous les politiciens?
Si au Maroc le discours filmique demeure dans le non-dit tel que le sujet de l’homosexualité ou celui de la quête identitaire d’un groupe de danseurs, à Beirut la colère des jeunes manifestants contre le gouvernement corrompu atteint son apogée.
Broken Mirrors, un documentaire qui opte pour une mise en scène et des témoignages sans faire basculer l’un dans l’autre, une des faiblesses du film, ne prend pas le risque d’aller jusqu’au bout. En effet, les personnages du film, de jeunes danseurs qui défient le regard de la société marocaine, très conservatrice, qui voit de mauvais œil cette discipline artistique, ne sont pas complétement esquissés.
Anxious in Beirut, qui se présente comme une sorte de work in progress, est un documentaire qui se distingue par la grande envie du réalisateur de tout dévoiler et de tout dire, tout en mettant en scène ses personnages. Un film effervescent qui bouillonne par son discours ainsi que par les témoignages des jeunes libanais.
Baghdad on fire, dont le récit expose une fibre narrative similaire à celle de Anxious in Beirut, présente une jeunesse irakienne qui se soulève face au gouvernement, réclamant le droit de vie dans son pays et de ne pas avoir à prendre la lourde décision de partir ailleurs. Anxious in Beirut et Baghdad on fire, films basés sur du cinéma vérité à la Jean Rouch, portent leur intérêt aux personnages, à leurs témoignages, à la trame du réel souvent improvisée. Qu’ils soient libanais ou irakiens, les personnages réclament une patrie, un pays dans lequel ils peuvent vivre, travailler et rêver. Le propos est de réclamer dignité et justice.
Quant à Lyd, c’est un documentaire qui revient sur l’exode palestinien et le massacre de 1948 et des conséquences géopolitiques notoires. La population palestinienne héritée de cette guerre, des jeunes et des enfants, témoignent d’une terre palestinienne, devenue israélienne, comme étant un souvenir vague, un imaginaire hérité des parents et des grands parents.
Cette section « Documentaires arabes » du Festival d’Amman laisse voir une praxis de résistance. Toutes ces visions « immédiates » filmées sur le vif qui tentent de nous rapprocher de la réalité portent un discours commun, celui d’une crise politico- identitaire ressentie par la jeunesse de plusieurs pays arabes. Les images, troublantes, entre discours directs et métaphores cyniques, amènent les réalisateurs arabes à repenser un ordre social et politique préétabli, en filmant le flux d’un autre réel, le leur. Ces films nous livrent le récit d’une époque où les jeunes suffoquent de l’injustice sociale, de la défaillance politique et d’un déracinement identitaire. Comment envisager ces pays dans le futur ? Comment surmonter une souffrance infligée par les politiciens dont toute une génération en subit les conséquences ? Ces documentaires qui semblent être un dernier cri de détresse, ce questionnement, engagent tant les protagonistes que les spectateurs de ces films sur le destin de la jeunesse dans les pays arabes.
Néanmoins, c’est aussi une lueur d’espoir, l’espoir que demain sera meilleur, que demain leur voix fera écho chez les politiciens qui jusqu’à aujourd’hui, ne semblent pas vouloir les entendre.
Henda Haouala
Le 76e Festival du Film de Locarno
Le Festival du film de Locarno, qui se déroule sur 10 jours du 2 au 12 août, est considéré comme l’un des dix meilleurs au monde. Avec 11 sections, trois concours et 20 prix, certains choix de la 76e édition ont été quelque peu déconcertants.
Le jury était présidé par l’acteur français Lambert Wilson et composé de l’actrice franco-iranienne Zahra Amir Ibrahimi (Prix d’interprétation féminine pour Les Nuits de Mashhad de Ali Abbasi à Cannes en 2022), de l’Américaine Leslie Kleinber, directrice du cinéma au Lincoln Center, de la réalisatrice britannique Charlotte Wells et d’Amatias Knoll, président de l’Académie européenne du cinéma (Pays-Bas).
Les jurés ont décidé d’attribuer le Léopard d’or à la production irano-allemande Mantagheye Bohrani (Critical Zone) du réalisateur iranien Ali Ahmadzadeh, considérant le film comme « un hymne à la liberté et à la résistance en Iran« .
Ce film écrit et réalisé par Ali Ahmadzadeh (né en 1986) raconte l’histoire d’une nuit dans un Téhéran semi-déserté. Il a été tourné sans autorisation du régime iranien, avec des acteurs non-professionnels. Critical Zone montre des personnages et des situations que l’on ne voit habituellement pas dans les films iraniens diffusés dans les festivals internationaux. Il a été filmé en secret et donne un aperçu des enfers de la ville d’une manière trouble et étrange. Téhéran semble être un foyer de trafiquants de drogue, de toxicomanes, de pervers et de fous qui trouvent leur seul refuge dans cette vie abjecte.
Le contexte a obligé le réalisateur à diviser le tournage en dix courts métrages, à partir desquels le film a été réalisé. L’équipe était réduite à l’acteur principal, au réalisateur, au caméraman et au preneur de son.
Une petite caméra manuelle a été utilisée pour filmer secrètement certaines scènes à l’aéroport, où le réalisateur s’est glissé dans les files d’attente à pour éviter d’attirer l’attention. Il a parfois eu recours à de faux permis et, à d’autres moments, à des pots- de- vin à la police. « J’ai profité de toutes ces circonstances pour le motiver, lui et l’équipe, à dire ce qu’il voulait dire en tant que réalisateur », a déclaré Sina Ataeian Dena, le producteur irano-allemand du film lors du discours d’acceptation du prix à Locarno, représentant qu’Ahmadzade qui ne pouvait pas quitter l’Iran.
Le producteur, dans son discours, a exhorté le monde à soutenir le peuple iranien. Il a également accordé une interview sur le film et les conditions imposées au tournage pour le bulletin d’information du festival, concluant en disant qu’il avait appris comment fonctionne le régime en Iran : « Plus une personne est sous les projecteurs, plus elle est en sécurité ».
Ce prix a pourtant déçu de nombreuses attentes, notamment parmi les critiques, qui se sont tournés en grand nombre vers le film N’attendez pas grand-chose de la fin du monde du réalisateur roumain Radu Jude. Il a tout de même remporté le Prix spécial du jury. Jude a prononcé un discours politique, non dénué d’humour, mais appelant à la non neutralité de la position à l’égard de la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine, en faisant notamment référence à la Suisse.
Le long métrage de Jude, d’une durée de 163 minutes, parle du travail, de l’exploitation, de la mort et de la nouvelle économie du travail. Surmenée et sous-payée, Angela parcourt Bucarest en voiture pour le casting d’une vidéo sur la sécurité au travail, commandée par une entreprise multinationale (germano-autrichienne). Le film montre comment ces entreprises tentent de rejeter la responsabilité des accidents uniquement sur les travailleurs.
Le prix de la meilleure réalisation ( également prix de la Fipresci) a été décerné Maryna Vroda pour le film ukrainien Steppes, une oeuvre d’une profondeur humaine certaine. La réalisatrice a terminé le tournage avant le début de la guerre en Ukraine. Steppes est l’histoire d’Anatoliy, un homme qui rentre chez lui pour prendre soin de sa mère mourante. La rencontre avec son frère et une femme qu’il aime l’amène à réfléchir à ses choix. Le film évoque le thème de la disparition, du départ et de la séparation de quelque chose de précieux ainsi que le silence des générations passées sur leur histoire dans une société post-soviétique.
Le documentaire français Nuit obscure-Au revoir ici, n’importe où » (183 min.) de Sylvain George, a reçu une mention spéciale du jury. Le réalisateur a suivi pendant des années, dans une enclave espagnole au Maroc, la marche de jeunes mineurs originaires du Maroc qui tentaient d’atteindre le « paradis » européen par tous les moyens. En mettant en scène avec une caméra sensible et un regard esthétique, malgré la situation, des enfants vivant dans la rue, il a montré comment résiste à ces situations la personnalité de ses héros.
Nada Azhari Gillon
Soutien au cinéma iranien et à la liberté d’expression
Communiqué de Presse de l’Union des Journalistes de Cinéma du 16 août 2023
L’Union des Journalistes de Cinéma constate avec tristesse qu’un nouveau cinéaste iranien vient de se voir condamné… pour avoir présenté son film au Festival de Cannes sans autorisation officielle.
Le réalisateur iranien Saeed Roustaee a en effet été condamné à six mois de prison avec sursis pour avoir envoyé son film Leïla et ses frères au Festival de Cannes où il a figuré en compétition en 2022 et y a obtenu le prestigieux Prix Fipresci de la Critique Internationale. En outre, le jugement lui interdit toute activité dans le cinéma pendant cinq ans, sous peine de voir son sursis révoqué. Le film avait déjà été interdit de projection en Iran.
L’Union des Journalistes de Cinéma s’élève contre cette nouvelle atteinte à la liberté d’expression de cinéastes iraniens reconnus dans le monde entier et récompensés dans les plus grands festivals de cinéma.
La guerre et l’exclusion sociale au 63e Festival du film de Cracovie
Cette année, le Festival international du film de Cracovie a célébré son 63e anniversaire. Organisé par la Fondation du film de Cracovie, le festival porte un double objectif : promouvoir le cinéma polonais et présenter des documentaires et des courts-métrages internationaux. La compétition internationale de films documentaires (15 longs métrages) a été marquée par des thèmes et politiques spécifiques à la Pologne et à l’Europe de l’Est, ainsi que par des questions sociales qui dépassent la région, abordées plutôt par les co-productions internationales. Les tensions géopolitiques accrues qui ont suivi l’invasion de l’Ukraine étaient visibles tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des salles du festival. Des collectes de fonds indépendantes en soutien à l’armée ukrainienne et aux associations de réfugiés ont été organisées quotidiennement dans le centre-ville. Étant donné la proximité de Pologne avec le conflit, il n’est pas surprenant que plusieurs films du festival aient évoqué directement ou indirectement la situation militaire dans les pays d’Europe de l’Est.
Ainsi, Signs of War, co-réalisé par Juri Rechinsky et le photographe de guerre Pierre Crom, a présenté le récit personnel du photographe qui a suivi de près les événements qui ont fait suite à l’annexion de la Crimée en 2014. La population de l’est de l’Ukraine a connu des tensions et des conflits quotidiens au cours des dernières années précédent l’invasion de 2022, même si ceux-ci étaient en partie invisibles pour la communauté internationale. Cependant, la réaction des habitants à la présence russe est plus complexe. Le film présente à la fois des images de propagande orchestrée par l’armée russe et d’authentiques rassemblements anti-ukrainiens. Un plan particulièrement intéressant présente un groupe de civils pro-russes non armés qui tentent d’arrêter l’avancée d’un char ukrainien avec leurs propres corps. Plus qu’un simple récit de l’invasion russe, le film témoigne sa complexité et de ses multiples facettes.
Motherland d’Alexander Mihalkovich et Hanna Badziaka aborde la question de la violence exercée contre les jeunes conscrits au Belarus, l’un des treize pays d’Europe qui n’ont pas abandonné la conscription. Le film recueille des témoignages de conscrits qui ont subi de nombreuses tortures pendant leur service, laissant entendre que certains des conscrits sont morts sous la torture au sein de l’armée et que leur mort a été faussement présentée comme un suicide. Alternant entre des images de foules en joie lors de célébrations militaires officielles et des témoignages de jeunes conscrits et de leurs mères qui racontent une histoire très différente, le film dresse le portrait incertain d’une société qui, avec les manifestations de 2020, vient de faire ses premiers pas vers un changement possible. Le film suggère qu’au cœur de ce problème se trouve une corruption politique héritée de l’ère soviétique. Cependant, le service militaire obligatoire a des effets négatifs importants sur la santé physique et mentale dans la plupart des pays qui pratiquent la conscription, tandis que le suicide chez les conscrits est un sujet de la recherche internationale depuis les années 1990. En ce sens, l’accent mis par le film sur le passé soviétique ne permet pas d’expliquer les racines du problème, qui résident dans la logique même du système de conscription, ainsi que dans la mentalité masculine et la fierté nationaliste qui alimentent les conditions déplorables de nombreuses armées nationales.
La compétition de films documentaires a toutefois été principalement marquée par des films traitant de questions sociales sous-représentées, tels que Who I Am Not de Tunde Skovran (prix Silver Horn), Is There Anybody Out There ? d’Ella Glendining (prix Fipresci). Les deux films partagent une structure similaire. Ils suivent des personnages qui, après avoir découvert qu’ils sont nés avec des corps différents, se lancent dans une quête pour trouver d’autres personnes qui partagent une expérience similaire, dans l’espoir de trouver leur place dans une société façonnée principalement pour les besoins de ceux qui sont considérés comme « normaux ». Is There Anybody Out There ? raconte l’histoire d’Ella, née avec un handicap physique rare qui a affecté ses jambes, et soulève des questions sur le « validisme » (terme utilisé pour décrire la discrimination à l’encontre des personnes vivant un handicap). Who I Am Not suit la vie de deux personnes intersexes en Afrique du Sud (un terme qui décrit des personnes qui présentent des caractéristiques biologiques à la fois masculines et féminines) et examine la manière dont leur genre non binaire affecte leur vie quotidienne.
Les deux films soulignent l’importance de comprendre et d’accepter son propre corps et sa propre identité, en particulier lorsqu’on est confronté à diverses formes d’exclusion sociale. Cependant, ils soulèvent également une autre question. De nombreux documentaires contemporains se concentrent sur des enjeux importants liés aux politiques identitaires, tels que le genre et la sexualité queer ou la quatrième vague féministe, en ignorant souvent la dimension de la classe sociale. Cette question est loin d’être nouvelle. Dans la théorie politique (et la critique de films), la classe sociale a longtemps été une catégorie analytique importante, mais au cours des dernières décennies, elle est devenue secondaire, voire absente. Cela devient particulièrement évident dans Who I Am Not. Le film suit Sharon-Rose et Dimakatso dans leur quête d’accepter leurs corps uniques, dotés à la fois de chromosomes masculins et féminins. Pour souligner la fluidité des genres, la réalisatrice inclut une scène où Sharon-Rose plonge dans l’eau pour que Dimakatso émerge à sa place, une image poétique qui souligne visuellement la fluidité de leurs corps et la similitude de leur expérience. Le film n’évoque cependant jamais leur différence de statut social. Sharon-Rose a gagné des concours de beauté féminins, travaille pour une grande entreprise pharmaceutique et vit dans les espaces confortables d’un appartement de la classe moyenne. Dimakatso, en revanche, est un activiste qui, rejeté par la plupart des employeurs en raison de son apparence, est au chômage et doit faire face à des problèmes financiers et à l’exclusion sociale. Il est clair que même si les deux personnages sont unis par leur expérience de l’intersexualité, les difficultés auxquelles ils doivent faire face dans la vie quotidienne sont fondamentalement différentes. En ne prenant pas en compte ces différences, le film laisse les spectateurs sans poser des questions cruciales pour comprendre l’exclusion sociale d’une « minorité ». Ces différences sont-elles dues au statut social que les deux personnages ont hérité de leur famille ? L’apparence est-elle un facteur déterminant dans leur degré d’inclusion sociale, puisque l’apparence de Dimakatso ne correspond à aucun genre, alors que celle de Sharon-Rose ressemble beaucoup à celle d’une femme biologique ? En quoi l’expérience de l’intersexualité de Dimakatso, attaché aux croyances traditionnelles de sa communauté, diffère-t-elle de celle de Sharon-Rose, qui semble mener une vie plus « occidentalisée » ? Ne pas aborder clairement les différences entre les expériences respectives des deux personnages, manifestement liées à leurs moyens financiers et à leur statut social, crée une fausse unité qui ne permet pas aux spectateurs de comprendre le problème dans toutes ses dimensions.
Enfin, le film le plus formellement inventif de la compétition vient d’Iran. Il s’agit de Silent House (Khaneye Khamoosh) de Farnaz Jurabchian et Mohammad Reza Jurabchian. Les réalisateurs (sœur et frère) ont décidé de filmer leur propre maison afin de retracer l’histoire de leur famille, en associant des plans contemporains avec des vidéos et des photographies provenant de leurs archives familiales. À travers l’histoire de leur famille, c’est toute l’histoire politique du pays qui se déroule, revisitant la révolution islamique et illustrant indirectement les conditions et les valeurs qui façonnent la société iranienne contemporaine. Leur film atteste à quel point les films qui se concentrent sur un seul objet et un seul lieu peuvent avoir de nombreuses couches et être visuellement impressionnants. Il confirme aussi que, comme les documentaires mentionnés plus haut, une plongée dans l’intime est souvent capable de révéler indirectement des aspects significatifs de questions sociales plus vastes qui le dépassent.
Antonis Lagarias
Cannes 2023 : l’éternelle quête de surprises
Depuis 31 ans que j’arpente la Croisette chaque année, tombé sous le charme de ce festival fiévreux en 1993, mon objectif, en passant d’une salle à l’autre, comme en allant dans d’autres festivals, s’est peu à peu précisé. Découvrir un talent ou une perception du monde originale, chercher à être surpris, en ne limitant pas aux films d’auteurs reconnus (même si le visionnage de ceux-ci est bien entendu une motivation), tout en espérant comprendre certains personnages croisés, voire ressentir une émotion particulière, voilà ce qui me meut. Avec parfois l’espoir que cette émotion soit capable de vous terrasser, comme ce fut le cas me concernant face à La Leçon de Piano, Soleil Trompeur ou Land and Freedom, au milieu des années 90.
Le Festival de Cannes, par son intensité, la richesse de sa programmation, les personnes qu’on y rencontre, l’ambiance électrique qui y règne durant 12 jours, a toujours eu une place spécifique dans mon cœur. Point d’orgue d’une année cinéma, depuis qu’au passage dans la rue d’Antibes, où devant le cinéma Star accueillant alors des projections du marché du film une attachée de presse nous agrippa pour remplir la salle d’un film tunisien sous-titré en anglais (si vous pensez à La Cité de la Peur, vous voyez juste), il s’agit d’un rendez-vous immanquable. Au fil des ans, j’ai eu la chance d’écrire pour différents supports, passant progressivement de non badgé, à cinéphile puis professionnel, avant d’entrer officiellement dans la presse. Et si cette année 2023 a été particulière, par l’intégration du jury Fipresci, grâce au soutien de l’UJC, la quête de surprises n’en aura été que plus forte.
Changements de genre
Au fil des projections d’une 76e édition, force est de constater que quelques auteurs habitués semblaient installés dans une certaine routine (Nanni Moretti avec Vers un Avenir Radieux, comédie politique artificielle et poussive, Ken Loach avec son The Old Oak qui veut traiter trop de sujets d’actualité, Jessica Hausner avec Club Zero, film resté à l’état de concept provocateur…). Les projecteurs, comme nos yeux, se sont alors naturellement reportés sur ceux qui ont opéré un étonnant changement de genre, que ce soit par rapport à leurs films antérieurs, ou pour l’un d’entre eux, au sein du même long métrage.
L’Espagnol Pablo Berger a ouvert le bal avec Robot Dreams. Capable de passer de la comédie débridée (Torremolinos 73), au conte poétique muet en noir et blanc (Blancanieves), ou à une histoire d’emprise flirtant avec le fantastique (Abracadabra), le voici qui se lance dans le film d’animation. Adaptation du roman graphique Rêves de robot de Sara Varon (2007), il en reprend les codes esthétiques pour délivrer un conte sensible, dont l’émotion affleure à presque chaque instant. Sorte de Jour sans fin pour un robot coincé sur une plage et séparé de son propriétaire, il s’agit là d’une belle ode à l’amitié et la complicité, comme rempart à la solitude.
Palme d’or pour Paris, Texas en 1984, Wim Wenders a bouleversé nombre de festivaliers avec Perfect Days, film contemplatif dont l’action se déroule au Japon. Portrait d’un homme chargé du nettoyage des toilettes publiques de Tokyo, qui a fort justement valu à Koji Yakusho le prix d’interprétation masculine, il peut aussi être vu comme une fable contemporaine sur les petits riens qui égayent une routine, dans une ville où le contact avec les autres est loin d’être aisé. Son film apparaît ainsi comme résolument à part dans sa filmographie.
Deux auteurs asiatiques ont également opéré une mutation singulière. Il y a d’abord le Japonais Takeshi Kitano, dont le nouveau film de sabre, intitulé Kubi, toujours aussi complexe quant aux enjeux belliqueux et aux manigances, n’hésite pas à montrer les amours homosexuels des samouraïs, tout en inclinant vers la comédie, à force de membres tranchés et de dérision autour de son propre personnage. Mais il y a aussi le Coréen Kim Jee-Woon, touche à tout ayant réalisé aussi bien des films d’horreur (Deux Sœurs), des polars implacables (A Bittersweet Life, J’ai rencontré le Diable) et un western (Le Bon, la Brute et le Cinglé), qui donne cette fois-ci dans la franche comédie avec Dans la Toile. Son film scrute avec humour et force rebondissements les coulisses d’un tournage, s’intéressant autant aux obsessions d’un réalisateur mégalo qui veut tourner à nouveau la fin de son nouveau film, qu’au cauchemar que représentent les égos des acteurs et actrices qu’il emploie. C’est à la fois savoureux et inventif.
Enfin, du côté d’Un certain regard, Rodrigo Moreno est parvenu, en un seul film de trois heures, Los Delincuentes, à opérer un changement de cap total dans sa deuxième partie. Commençant à la manière d’un film de braquage d’apparences datée, le long métrage se meut en film contemplatif, opérant un soudain arrêt dans la tension autour de deux employés de banque, complices malgré eux. S’intéressant soudainement à leurs aspirations intimes, le montage permet alors, tout en avançant dans l’intrigue, de réinterroger certains moments, tout en usant de délicieux jeux de miroirs, auxquels les noms des différents personnages apportent des aspects ludiques autant que signifiants. On suivra attentivement ses prochaines réalisations.
De vraies surprises
Parmi les films enthousiasmants de ce Festival de Cannes 2023, il y eut bien entendu The Zone of Interest, le nouveau Jonathan Glazer, auteur à part d’étrangetés comme Birth avec Nicole Kidman ou Under the Skin avec Scarlett Johansson. Si le jury Fipresci a choisi de primer ce film pour la compétition (le jury officiel présidé par Ruben Östlund lui a également attribué son Grand prix), c’est que l’œuvre, suivant le quotidien de la famille du commandant du camp de concentration d’Auschwitz, parvient à faire froid dans le dos. Par le contraste entre l’animation dans leur pavillon au jardin fleuri et l’horreur à peine perceptible qui se déroule de l’autre côté du mur, par l’utilisation d’un langage contemporain et une répétition qui tirent un trait d’union avec notre époque, et par un impressionnant travail sur le son résonnant comme une alerte, The Zone of Interest se pose en film glaçant mais aujourd’hui indispensable sur le devoir de mémoire.
En compétition également, Les Herbes Sèches de Nuri Bilge Ceylan, possède quant à lui une particularité par rapport aux autres films fleuves (ici 3h17) et particulièrement bavards du metteur en scène turc. Doté de dialogues d’une finesse absolue, c’est autour d’une scène clé de cette histoire de solitudes et de triangle amoureux, que se situe un étonnant principe de mise en scène représentant la soudaine interrogation de conscience du personnage central, un professeur au début sympathique, dont la perception par le spectateur évolue au fil du film. Un long métrage qui aura valu à Merve Dizdar un prix d’interprétation féminine fort mérité. Venu du Sénégal, Banel et Adama de Ramata-Toulaye Sy a aussi séduit, par son allure de conte féministe aux couleurs chaudes et à la superbe photographie. Aussi naïf que cruel, le film surprend par sa manière d’interroger la tradition, les croyances irrationnelles et la place de la femme dans une micro-société.
C’est à la Quinzaine des cinéastes que le film marocain Déserts, de Faouzi Bensaïdi, a été joliment accueilli. Abordant la pauvreté de régions reculées à leur beauté particulièrement cinématographique, cette comédie suit les déboires de deux employés chargés de recouvrer des créances, et offre un surprenant passage onirique dans sa dernière partie. Autre film découvert au Théâtre Palais Stéphanie, Conann de Bertrand Mandico, trip visuellement bluffant qui revient sur la vie de Conann la barbare, grâce à plusieurs actrices qui l’incarnent à différents âges. Le film nous ouvre les portes de différents mondes, plus ou moins imaginaires et référencés, dans une ambiance ‘glitter’ qui en met plein les yeux.
Enfin à Cannes Première et à Un certain regard, ce sont deux films latinos qui auront été de vraies découvertes. Le premier, Perdidos en la Noche d’Amat Escalante, habitué des récits liés à la violence dans son pays, le Mexique, après un début tourné autour des enlèvements perpétrés par la police, se mue en portrait singulier d’une famille dysfonctionnelle de riches, dans ses interactions périlleuses avec le fils d’une disparue. Le second, Les Colons de Felipe Gálvez Haberle, qui suit un ancien militaire, un mercenaire et un métis, aborde l’extermination des peuplades autochtones de Terre de feu, avec une frontalité rarement vue. Primé par le jury Fipresci décerné pour la section Un certain regard, il s’agit, d’une œuvre âpre, crépusculaire, entre le brûlot politique et la fresque historique, dont les jaillissements de violence marquent durablement, autant que la beauté sauvage des paysages.
Le Festival de Cannes 2023, durant lequel peu de films sont finalement ressortis comme des œuvres pouvant marquer l’année cinéma, ni créant une réelle unanimité, aura finalement bien joué son rôle de découvreur. Les surprises passées, à nous journalistes, de maintenant soutenir ces films, au cours de leurs passages dans d’autres festivals, et dans leur chemin vers les salles, pour des séances débats ou des expériences plus individuelles. Et direction le prochain festival… à la recherche de nouvelles marquantes surprises.
Olivier Bachelard
Les prix 2023 de l’Union des Journalistes de Cinéma
Après son Assemblée générale annuelle, qui s’est tenue le 21 avril au matin, l’UJC a procédé à la remise de ses 18e prix annuels. Ils sont destinés à mettre en valeur les métiers du journalisme et de la critique cinématographique. Quatre prix ont été décernés:
• le Prix de l’UJC 2023, pour l’ensemble de sa carrière, à Sophie Avon (Sud-Ouest, Le Masque et la plume)
• le Prix de l’UJC 2023 de la jeune critique à Judith Berlanda-Beauvallet (Ecran Large, Demoiselles d’horreur)
• le Prix de l’UJC 2023 du meilleur entretien à Laurent Delmas (On aura tout vu – France Inter) pour son livre-entretiens, Bertrand Tavernier: Le cinéma et rien d’autre publié chez Gallimard
• La Plume d’Or 2023 du journalisme de cinéma de la Presse étrangère en France, enfin, a été décernée pour la 17e fois conjointement par l’UJC et l’Association de la Presse Etrangère à la critique de cinéma et écrivaine Saideh Pakrowan.
Puis l’Asssociation de la presse étrangère a décerné son « Prix de la mémoire du cinéma » à la réalisatrice, productrice et actrice Véra Belmont, dont le Rouge Baiser est resté dans toute les mémoires, et à qui on doit encore en 2022 le long métrage d’animation Les secrets de mon père. L’APE a également associé à ce prix son producteur Marc Jousset, sa co-scénariste, Valérie Zenatti, et Michel Kichka, le dessinateur de Deuxième génération, dont s’est inspiré le film.
L’APE a également rendu hommage à la réalisatrice iranienne Sepideh Farsi et récompensé le critique iranien Ali Naderzad.
Reconnaissance méritée du cinéma colombien aux 35e Rencontres Cinélatino de Toulouse
Le succès du cinéma colombien dans les festivals de films en 2022 a sans aucun doute attiré l’attention du monde sur ce cinéma stimulant et innovant. Si nous devions définir l’année 2022, nous la résumerions comme l’année où le cinéma colombien s’est réveillé au niveau international et a montré au monde ce dont il était capable.
Avec de multiples récompenses à Berlin, Cannes, San Sebastian… La grande année du cinéma colombien méritait bien ce Focus sur le cinéma colombien contemporain, dans le cadre des Rencontres de Toulouse – Cinélatino. Le festival a accueilli un grand nombre de cinéastes tels que Laura Mora, Andrés Ramírez Pulido, Theo Montoya, Diana Bustamante, Juan Sebastián Mesa…
De nombreux films du pays ont été projetés avec un fil conducteur apparent : le manque d’appartenance, qui est celui d’un pays qui se réveille d’une guerre interne, d’un cauchemar après la signature de la paix en 2016. L’effusion de sang qui a éclaboussé le pays pendant des années laisse place à une réconciliation nationale plus difficile dans la réalité que sur le papier. Comme toujours, le cinéma est une représentation de la société à un moment donné, les réalisateurs colombiens présents au Focus le savent bien, et ils veulent montrer cette inadaptation, cette difficulté à trouver sa place.
Le joyau de la couronne, en termes de pertinence internationale, était Les rois du monde (Los Reyes del Mundo, 2022) de la jeune réalisatrice Laura Mora, qui a remporté la dernière Coquille d’or au Festival de San Sebastian. Le film raconte la vie de cinq garçons qui vivent dans la rue, jusqu’à ce que l’un d’entre eux, Ra (Carlos Andrés Castañeda), reçoive une lettre lui indiquant qu’il a droit à un terrain, la route pour récupérer ce terrain étant le prétexte utilisé par la réalisatrice pour créer un “road movie” à la colombienne. Les moments de dynamisme du film (danse dans un camion en marche, vélo sur les routes…) contrastent avec des images lentes et contemplatives (le cheval blanc, un vélo qui vole au ralenti…). Nous observons un scénario qui veut nous faire balancer entre un monde réel et un monde onirique, entre le vertige et le calme, entre le besoin et le confort.
Comme la vie même racontée dans le film, le scénario est inattendu : on est sans savoir ce qui se passera dans les séquences suivantes, sans rien de certain, sans croire ce que l’on voit, comme ce rêve où les influences du réalisme magique de Gabriel García Marquez se reflètent dans le merveilleux plan-séquence de la maison inhabitable conçu par Laura Mora.
Toujours dans le domaine des jeunes marginaux, nous avons L´Eden (La Jauría, 2022), d’Andrés Ramírez Pulido, qui a remporté le Grand Prix de la Semaine de la critique 2022 à Cannes. Dans le plus pur style de Michel Franco pour son économie de mouvements de caméra et sa violence calculée et inattendue. Le réalisateur colombien nous présente un centre de détention expérimental. Comme dans Les Rois du monde, un groupe de jeunes sans avenir apparent trouve dans la violence son mode de vie, son mode de relation. Avec une esthétique des plans digne d’un chirurgien, Pulido parvient à transmettre la familiarité du centre de détention, de sorte que nous nous sentons comme un enfant de plus. La brutalité de certaines images, associée à une performance de groupe mémorable, nous fait ressentir la tension à chaque seconde du film. Le scénario pose l’éternel paradoxe de savoir si combattre la violence par plus de violence est la solution ou si, au contraire, de nouvelles techniques de rééducation sont nécessaires pour changer la façon d’être intrinsèque d’une partie de la société qui ne comprend pas le monde sans violence. Les derniers plans sont une déclaration paradoxale des intentions du réalisateur quant à l’avenir de son pays.
Alis (2022) de Clare Weiskopf, qui a remporté l’année dernière le prix ‘Génération 14plus’ à Berlin, propose également un groupe de jeunes aux vies déstructurées. Dans ce cas, un groupe de jeunes filles colombiennes vulnérables partagent leur quotidien avec la caméra, en parlant d' »Alis ». Une manière de guérir par les mots, en se sentant écouté par le réalisateur, en utilisant comme soupape d’échappement l’invention d’un personnage comme « Alis », qui est chacune des filles qui parlent, dans sa version la plus réussie. La charge sentimentale profonde dans les paroles de chacune de ces filles nous fait prendre conscience des traumatismes qu’elles ont dû subir dans leur passé. Cette perception du naturel devant la caméra, la grande innocence que dégagent certaines protagonistes, font que quel que soit le pays d’où l’on regarde ce film, le message atteint les sentiments du spectateur comme une torpille. La valeur ajoutée de ce film est le fait qu’il s’agisse d’un documentaire, ce qui ouvre la voie à ce type de film sur la scène internationale, dans la lignée de Patricio Guzmán et de Maite Alberdi au Chili.
L’indescriptible Anhell69 (2022) de Theo Montoya, lauréat de la Semaine de la critique de Venise, présente ses personnages trans, se débattant dans un monde imaginaire, où il est interdit de faire l’amour avec des fantômes. Ce film onirique est composé de bribes d’entretiens avec des personnes déjà mortes, des amis du cinéaste qui, pour une raison ou une autre, ont intégré le monde des morts, créant ainsi une œuvre réelle, brute, où les fantômes parlent aux fantômes, plaçant le spectateur dans des limbes temporelles et spatiales, survolant Medellín, accompagnant des fantômes aux yeux rouges, assistant à des interviews ou se faisant conduire par Victor Gaviria dans un corbillard. Ici, l’inattendu devient réalité, les morts se réveillent, et le cinéma perd son étiquette pour devenir trans, comme aime à le dire le réalisateur lui-même.
Parmi les autres œuvres vues à Cinélatino Toulouse, et suivant les chemins d’un cinéma où la définition des genres n’est pas claire, nous avons Un Varón (2022) de Fabian Hernandez, qui a été compagnon de festival avec Andrés Ramírez Pulido à Cannes, bien qu’à cette occasion dans la Quinzaine des Réalisateurs. Le personnage de Carlos (extraordinaire Dilan Felipe Ramírez Espitia) souffre de l’obligation de prouver à tout moment qu’il est un homme. La violence et un esprit inébranlable sont les outils pour montrer à la société qui l’on est, une société qui marginalise les faibles ou tous ceux qui s’écartent des lignes préconçues. Les cris de Carlos, qui regrette sa mère, ne lui permettent pas d’atteindre le statut que la société exige de lui. Il a le sentiment de ne pas être à sa place, de ne pas trouver sa place, et se demande pourquoi il faut constamment prouver qui l’on est. Cela montre, une fois de plus, l’importance pour le cinéma colombien de dépeindre les jeunes de leur pays, qui cherchent à s’intégrer dans la société.
Le Focus de CinéLatino Toulouse sur le cinéma colombien contemporain s’est poursuivi avec de nombreuses autres œuvres du pays andin, comme Nuestra pelicula (2022), La Roya (2021), Virus Tropical (2017), Les jours de la baleine(Los días de la Ballena, 2019)…. Un Focus qui montre le moment social d’un pays, tout en rendant justice à la trajectoire récente du cinéma colombien. Une carte de visite pour se faire une idée du type de cinéma colombien que l’on pourra retrouver à l’avenir dans les prochains festivals du monde entier. Un avenir du cinéma colombien qui trouve lentement sa place dans le monde, à l’image de la jeunesse qui apparaît dans ces films, et qui sera, à n’en pas douter, brillant.
David SANCHEZ
La Berlinale 2023 revient à la « normale » !
Après deux éditions plus ou moins tronquées de la Berlinale, l’une à distance, en 2021, l’autre très limitée, en 2022, son directeur artistique, Carlo Chatrian, et sa directrice exécutive, Mariette Rissenbeek, ont pu présenter en 2023 un festival qui marquait un retour à la « normale ». Pas de test antigène quotidien, masques facultatifs, réceptions professionnelles autorisées, le plaisir des festivaliers de pouvoir ainsi se retrouver dans les conditions habituelles a sans aucun doute donné une touche plus sympathique qu’à l’ordinaire à cette 73e édition de la Berlinale. La seule contrainte héritée du COVID, si l’on peut dire, était l’obligation faite à tous les festivaliers, journalistes inclus, de réserver sa place par Internet, même pour les séances réservées aux professionnels. Mais grâce à cela, en somme, les bousculades d’antan ont disparu et c’est en somme un progrès – dès lors évidemment que l’on obtienne facilement des places, ce qui fut quasiment toujours le cas ; bravo, donc.
Un palmarès « de consécration »
Le jury de la compétition officielle présidé par Kristen Stewart composa un palmarès dont l’idée principale sembla être de consacrer des auteurs reconnus mais pas encore arrivés sur les plus hautes marches des podiums. Ainsi, le jury décida de la remise du prix le plus prestigieux, l’Ours d’Or, au documentaire de Nicolas Philibert Sur l’Adamant, consacré à la péniche qui accueille des personnes souffrant de troubles psychiques, amarrés à un quai du 12° arrondissement parisien. Cela pourrait paraître comme une demi-surprise, les documentaires étant assez rarement autant à la fête, mais en même temps, la consécration de Nicolas Philibert au plus haut niveau semble comme une chose due.
De même, le couronnement du dauphin, l’Ours d’Argent, Grand Prix du Jury, le réalisateur allemand Christian Petzold, pour Roter Himmel semble une nouvelle marche logique pour ce réalisateur qui avait auparavant obtenu en 2012 l’Ours d’Argent de la meilleure réalisation pour Barbara. Conçu comme le second film d’une trilogie, après Undine, il y a trois ans, Roter Himmel est une parabole moderne sur l’écriture et l’amour. Un écrivain arrivant dans une maison isolée avec un ami, déjà en mal d’inspiration, se trouve aussi soudainement en mal d’amour pour la jeune femme inconnue avec qui ils vont partager la maison. Comme à l’accoutumée, Christian Petzold sait construire son film en crescendo, faisant succéder à une période faussement paisible de mise en place des personnages une série de retournements et de quiproquos. Il passe même finalement au tragique avec une légèreté paradoxale qui le transforme en manifeste d’amour. Petzold a choisi Paula Beer pour le rôle de la jeune femme, et lui donne à nouveau un très beau rôle qu’elle a investi avec encore plus de naturel et de bonheur que dans Undine. Il s’avère donc à nouveau comme un superbe directeur d’acteurs et encore plus d’actrices – qui ne se souvient des nombreux beaux rôles qu’il a donnés à Nina Hoss ?
Le prix de la meilleure réalisation, enfin, fut aussi une consécration, celle de Philippe Garrel, pour son Grand Charriot, œuvre à l’atmosphère intimiste centrée sur une famille de marionnettistes dont le théâtre ambulant est le cœur de la vie. Par petites touches, il parvient à ne jamais lasser le spectateur malgré une trame scénaristique simple, presque faible, et c’est ici tout le talent du réalisateur pour ce faire que le jury a salué.
Quant aux autres prix, ils récompensèrent pour le prix du Jury Mal Viver, de l’espagnol João Canijo, et, pour les prix d’interprétations, non genrés à Berlin, la toute jeune Sofia Otero, pour 20.000 espèces d’abeilles de Estibaliz Urresola Solaguren et pour le meilleur second rôle, Thea Ehre pour Bis ans Ende der Nacht de Christoph Hochhäusler. Le prix du meilleur scénario revint à Angela Schanelec pour son Music.
On regrettera sans doute enfin que le jury se contenta de donner un prix relativement mineur, celui de la Meilleure Contribution Artistique, à la Directrice de la Photographie Hélène Louvart, pour Disco Boy. Certes, son travail le méritait, mais c’est un peu négliger la qualité et l’originalité de la réalisation de Giacomo Abbruzzese, qui s’impose d’emblée comme un nom à retenir. Son brillant premier long métrage suit le parcours heurté d’un Biélorussien fuyant son pays dans l’idée d’obtenir un passeport français après cinq années dans la Légion Étrangère française. Abbruzzese compose un film onirique fort original, jouant sur les contrastes, entre les personnages eux-mêmes, et entre l’ordre de la Légion et le désordre apparent mais flamboyant du monde extérieur. Giacomo Abbruzzes est magnifiquement aidé par cet acteur de talent qu’est Franz Rogowski dans le rôle principal, déjà remarqué dans Passages, présenté à Berlin dans la section « Panorama » après sa sélection au festival de Sundance un mois auparavant.
Des découvertes à glaner dans les autres sections
Comme tous les « grands » festivals, la Berlinale ne se limite en effet pas à une compétition officielle, et comprend plusieurs autres sections, dont, justement, les traditionnelles sections « Panorama » et « Forum International du Jeune Cinéma ». On notera le soin mis par Carlo Chatrian à composer avec minutie la sélection des deux sections plus spécifiques et récentes du festival, la section « Rencontres » et la section « Berlinale special ».
Les deux films ouvrant ces deux sections furent particulièrement bien choisis. Ouvrait la section « Rencontres » une œuvre qui n’aurait d’ailleurs pas dépareillé Sundance, un film « indépendant » du réalisateur américain Dustin Guy Defa, The Adults Il y montre avec originalité le malaise fréquent des rapports familiaux à travers la difficulté de communiquer d’un frère et de deux sœurs. Ceux-ci se retrouvent dans la maison familiale après plusieurs années de séparation et de silence, et sont réduits à « parler » dans le baragouin de leur enfance pour parvenir à se comprendre vraiment. La performance des trois acteurs qui les incarnent, Michael Cera, Hannah Gross et Sophia Lillis, est remarquable.
De même, on saluera le beau choix pour l’ouverture de la section « Berlinale special », que fut Laggiù qualcuno mi ama, l’excellent documentaire que Mario Martone a réalisé en hommage à Massimo Troisi. Intercalant judicieusement extraits de films de Troisi et clips de réalisateurs célèbres, Chaplin et bien d’autres, Martone rend un bel hommage à Massimo Troisi en montrant que ce réalisateur-acteur de films à grand public était aussi un véritable auteur dont le talent était en somme injustement méconnu, sous-estimé parce qu’il faisait des films populaires.
Dans la même section, il faut aussi saluer la magnifique performance d’Helen Mirren dans Golda, le film de l’israélien Guy Nattiv où elle incarne avec une véracité stupéfiante Golda Meir, la Première Ministre d’Israël durant la Guerre de Kippour.
Un regret et une surprise
Si le Marché du Film accueillait à nouveau les professionnels en 2023, on regrettera vivement que les journalistes en aient quasiment été exclus, puisque l’accès au Marché du Film ne leur était autorisé… qu’après 17 heures, autant dire lorsque tous les participants n’y sont plus. Pourtant, il est normal pour les journalistes de s’informer sur les cinématographies des pays qui y sont représentées, de prendre parfois ainsi des contacts plus facilement avec des équipes de films, bref, de faire leur travail.
Quant à la surprise, ce fut de constater que les films de la rétrospective de 2023 étaient des œuvres, certes intéressantes, mains majoritairement des années 1970 à 1990, à trois exceptions près des années 1950. On avait jusqu’alors l’habitude d’aller à la rétrospective de temps en temps pour le plaisir de retrouver des films muets centenaires ou de l’entre-deux guerre. Certes, la génération « Millénium » considère déjà les films des années 1980 comme des incunables, ou presque, mais il faut espérer que la richesse du cinéma antérieur allemand et international soit à nouveau à l’honneur de la rétrospective de la prochaine Berlinale. Cela n’enlève rien à la satisfaction qu’ont éprouvée les festivaliers de voir que la Berlinale 2023 avait retrouvé toutes ses couleurs !
Philippe J. Maarek
Le grand retour de Sundance !
Après s’être déroulé virtuellement du fait de la pandémie COVID-19, le Festival de Sundance a redéployé en janvier 2023 ses ailes avec brio en reprenant toute son ampleur habituelle dans la dernière semaine de janvier. Plus belle fenêtre sur le cinéma indépendant américain depuis sa reprise par le ‘Sundance Insitute’ créée par Robert Redford, et maintenant présidé avec efficacité par Joana Vicente, le festival comporte aussi des sections internationales et pourrait aussi à cet égard être vu comme une synthèse réussie entre La Semaine de la Critique et la Quinzaine des Réalisateurs cannoises.
La programmation du festival, dirigée par Kim Yutani, est très clairement dominée par quatre sections compétitives qui forment littéralement le cœur du Festival. Elles donnent d’emblée le « la » en quelque sorte, puisque les deux sections attendues des fictions américaines et internationales, se voient doublées par deux sections dédiées aux documentaires, américains et internationaux. Ainsi, Sundance se positionne clairement en carrefour du cinéma indépendant américain et international, certes, mais aussi du cinéma documentaire. Ce genre souvent oublié sort ainsi chaque année du ghetto des festivals spécialisés grâce à Sundance – et avec grand bonheur cette année encore, nous y reviendrons. Enfin, Sundance comporte aussi une section non compétitive de « premières » américaines et internationales plus grand public, une petite section « Spotlitght », présentant quelques films internationaux choisis, et, outre le court-métrage, il y a même une petite section « cinéma de minuit » regroupant des films de genre.
Le cinéma féminin en force
Alors que les nominations aux Oscars américains et aux Césars français se ridiculisent cette année par la rareté des présences féminines, le millésime 2023 de Sundance a montré à quel point ces manifestations semblent ancrées dans un conservatisme injustifié, tant les films réalisés par des femmes – et avec talent – y ont été nombreux.
On retiendra ainsi la chronique douce-amère des rapports humains aujourd’hui menée avec talent par Rachel Lambert dans Sometimes I think about dying. Elle y met en scène l’isolement routinier quotidien, au travail comme en amour, d’une d’une jeune comptable solitaire dans une petite ville de l’Oregon. Elle est incarnée par Daisy Ridley avec une retenue maitrisée que l’on n’attendait pas forcément, aux antipodes de ses rôles dans les trois épisodes de La Guerre des Etoiles où elle interprète le personnage de Rey.
La réalisatrice Susanna Fogel chronique également dans Cat Person, une relation complètement ratée entre une jeune femme et un homme fort maladroit pourtant un peu plus âgé. La méfiance qui règne souvent aujourd’hui entre les sexes conduit la jeune femme à envisager de plus en plus le pire, face à la maladresse croissante de l’homme qu’elle essaye alors de « ghoster ». Cela tourne vite au vinaigre, en une situation de plus en plus fermée – pour ne pas parler d’un dénouement presque incongru et en même temps crédible malgré tout. Emilia Jones et Nicholas Braun (le Gregory de la série Succession) incarnent remarquablement le mal-être de leurs personnages.
Pour continuer à évoquer des réalisatrices en vue à Sundance, on pourrait aussi citer la façon presque documentaire dont Erica Tremblay met en évidence dans Fancy dance le sort des indiens autochtones des Etats-Unis. Ils sont perdants d’avance ou presque, dans les Etats-Unis d’aujourd’hui comme d’hier, et leur situation devant l’administration, la police, n’a rien à envier à celle des afro-américains. Le film montre bien que les femmes, ici Cherokee, sont encore plus maltraitées que les hommes par les services sociaux comme par leur environnement qui les considère d’emblée de façon négative – un sujet devenu d’actualité, que la série télévisée Yellowstone a d’ailleurs aussi récemment mis en évidence à plusieurs reprises, à juste titre.
On pourra mettre dans le même registre le sort fait à la jeune femme d’Animalia, le film franco-marocain qui valut à Sofia Alaoui le prix spécial du jury de la section « fictions internationales » pour sa « vision créative ». Son film de science-fiction est pourtant bien actuel, en somme. Isolée involontairement du reste de sa famille par une suite d’événements étranges semblant montrer une arrivée d’extra-terrestres, ou une catastrophe climatique, en un non-dit subtil, Itto, une jeune femme enceinte entreprend un périple dangereux pour retrouver les siens. Embarquée dans un véritable road-trip à la recherche de sa famille, elle se trouve alors souvent en butte à la misogynie latente des habitants des villages qu’elle traverse. Le film est aussi une parodie sociale, puisqu’elle est aussi confrontée à son origine plébéienne après avoir épousé l’héritier de riches possédants et aux villageois qui la méprisent pour ce qu’elle est devenue. Oumaïma Barid, dans le rôle principal, fait une composition intéressante.
Le pendant masculin de cette difficulté des rapports humains aujourd’hui vient de Shortcomings, premier film de Randall Park. Il y met en scène avec humour un jeune homme américano-asiatique qui n’arrive pas à sortir de ses préjugés et de son incurie à se projeter dans une relation saine avec sa compagne de plusieurs années. Les malentendus y prennent quasiment un accent quasiment Rohmerien, faisant de ce film une œuvre qui n’aurait pas déparé dans la « Semaine de la Critique » cannoise, justement.
Il faut aussi souligner que plusieurs de ces réalisatrice si justement mises en évidence par Sundance ont été soutenues par des stars féminines, hollywoodiennes ou de séries télévisées majeures : on a vu dans l’un ou l’autre de leurs films Emilia Clarke, la Danaerys de Game of Throne, Daisy Ridley de La Guerre des Etoiles, Jennifer Connely, juste après Top Gun Maverick, Julia-Louis Dreyfus que l’on ne présente plus, ou Dakota Johnson, qui assure la voix off de Shere Hite dans le documentaire qui est dédié à la chercheuse, The Disappearance of Shere Hite.
Le cinéma documentaire à la fête
Deux des quatre sections les plus importantes sont donc dédiées par Sundance au cinéma documentaire, selon qu’il est américain ou international. Et il faut bien dire que la qualité de l’ensemble des documentaires sélectionnés donnait l’envie d’en voir plus !
Le documentaire le plus frappant, certes sans doute du fait de l’actualité, était sans doute 20 Days in Mariupol, du reporter cinéaste ukrainien Mstyslav Chernov. Il y fait lui-même en voix off la chronique des vingt premiers jours du siège de la ville de Marioupol alors que sa petite équipe de reportage pour l’Associated Press était la seule restée dans la ville après le départ des autres journalistes internationaux juste avant son encerclement par les troupes russes. Le film montre, jour après jour, de façon prenante, les horreurs du siège : civils effrayés et meurtris, maternité bombardée, cadavres déposés à la va-vite dans un charnier provisoire… Chaque fois que l’équipe parvenait à envoyer des images à l’extérieur, le film intercale de courts clips montrant la reprise frappante des vidéos de l’équipe par les émissions d’actualité du monde entier, puisque c’était la seule source d’information venant de la ville assiégée. Une véritable leçon montrant la nécessité du journalisme de guerre… Le film montre ironiquement sur la fin la réalité déniée par un officiel russe, qui écarte ses images comme des fake-news alors que le spectateur vient d’en voir la vérité. 20 Days in Mariupol a obtenu le prix du public de la section « documentaires internationaux ».
D’un tout autre rythme, on remarqua beaucoup Smoke Sauna Sisterhood, tendre et subtile évocation par Anna Hints d’un groupe de femmes estoniennes se livrant au rite du sauna. La caméra jamais voyeuse de la réalisatrice caresse de plans sobres demi-obscurs les corps de ces femmes de tous âges alors qu’elles conversent avec une liberté joyeuse de leur vie, leurs amours, ou même parfois de la vie du temps où l’Estonie faisait partie de l’URSS. Smoke Sauna Sisterhood valut à Anna Hints le prix de la meilleure réalisation dans la catégorie « documentaires internationaux ».
Dans un registre plus ouvertement combatif, on remarqua The Disappearance of Shere Hite, le documentaire, certes de facture plus classique, dédié à Shere Hite, l’auteure du célèbre « Rapport Shere Hite ». Il faisait en quelque sorte suite aux travaux de Masters et Johnson, mais en se référant cette fois exclusivement à la sexualité féminine. La réalisatrice Nicole Newnham montre bien comment la force de l’ouvrage fit son efficacité, en faisant même un best-seller, mais comment par une sorte de revanche misogyne, le travail suivant de Shere Hite fut démoli par les médias. Il conduisit à sa véritable mort sociale et à son exil en Grande-Bretagne – on n’ose penser à ce qu’elle aurait subi aujourd’hui, à l’heure des agressions si violentes dans les réseaux sociaux.
Un autre documentaire, également de facture assez classique, mais présentant des images inconnues et fascinantes, Beyond Utopia, a obtenu le prix du public de la section « documentaires américains». La réalisatrice Madeleine Gavin y rencontre plusieurs femmes ou familles nord-coréennes qui ont réussi à fuir leur pays en entremêlant entretiens et passages didactiques avec des clips inédits et passionnants tournés à la sauvette, par des mini caméras ou des téléphones, montrant la vie réelle en Corée du Nord. Sortis du pays, parfois au péril de la vie de ceux qui les transportaient, ces clips en montrent la dure réalité totalitaire.
Des « premières » de qualité et d’envergure !
Il convient enfin de s’arrêter sur quelques films qui ont marqué la sélection de Sundance dans la section non compétitive « Premières ».
A tout seigneur, tout honneur, on évoquera d’abord le vainqueur du prix Alfred P. Sloan des films de fiction, The Pod Generation, de la franco-américaine Sophie Barthes, qui emmène en tête de générique Emilia Clarke, la révélation de Game of Throne, dans un rôle à contre-emploi bien tenu. Ce film remet la science-fiction au premier plan, un peu comme l’avait fait Ex Machina il y a quelques années, en une réalité proche inventée fort crédible. Il montre intelligemment et sans emphase comment dans un futur pas si éloigné, les femmes pourraient être épargnées des difficultés de la grossesse et de l’accouchement par l’invention d’une société « HighTech », le cocon d’incubation. Après un ensemencement artificiel, on fournirait aux heureuses élues des cocons de plastique qui rempliraient les fonctions des utérus, et dans lesquels l’embryon pourrait arriver tranquillement à maturité sans coup férir. On pourrait apporter le cocon chez soi de temps en temps, puis le ramener à la société pour qu’il poursuive son incubation. Bien sûr, la procédure ne va pas sans une volonté de contrôle social, notamment de préconditionnement et de sélection de l’enfant à venir. Petit à petit, nous le découvrons en compagnie des personnages principaux, qui, initialement réticents, puis enthousiastes, finissent par comprendre la réalité de ce contrôle social et de l’eugénisme qui le sous-tend. La réalisation sobre de Sophie Barthes, le sujet bien mené, et la participation d’Emilia Clarke augurent sans doute d’une jolie carrière pour The Pod Generation.
Autre « Première », You hurt my feelings est une délicieuse tragi-comédie menée par Nicole Holofcener. Un couple d’intellectuels incarné par Julia-Louis Dreyfus et Tobias Menzies (le mari contemporain de la série Outlander, entre autres), elle écrivaine sur le retour, lui psychanalyste fatigué, discute et se dispute sur le dit et le non-dit de la qualité du nouveau manuscrit de la romancière, et implicitement, de leur relation. Leur joli duo d’acteurs, les dialogues vifs, l’ironie sous-jacente, le tout n’est pas sans faire penser à l’atmosphère des films de Woody Allen.
Il ne faut pas enfin oublier une dernière « Première », le Passages d’Ira Sachs, le réalisateur qui s’est fait connaître par Forty Shades of Blue. Il y met en scène un véritable trio infernal constitué par trois grands acteurs qu’il sait mener à leur maximum y compris dans les scènes les plus crues. Il s’agit de Frank Rogowski, le fameux acteur allemand au bec-de-lièvre de Transit et bien d’autres, de Ben Wishaw, le nouveau ‘Q’ des James Bond, mais aussi l’un des rois de la scène londonienne, et enfin d’Adèle Exarchopoulos, qu’il est maintenant inutile de présenter, et dont la présence et le naturel forment à chaque fois presque comme une nouvelle révélation. Les deux hommes, entrés dans une relation maritale de longue date, lui réalisateur célèbre (Rogowski), voient leur couple voler en éclat le jour où ce dernier entre par hasard dans une relation physique d’une force qui le surprend lui-même avec une jeune femme – ce qu’il révèle à son partenaire et provoque leur rupture. Un couple hétérosexuel inattendu se met alors en place, d’autant plus que la jeune femme s’avère vite enceinte, et une vie apparemment banale semble alors se dessiner pour eux, alors que le partenaire rejeté se trouve quant à lui un nouveau partenaire. Mais ce Passages aux accents Fassbindériens prend bien évidemment un tout autre virage qui lui donne sa force au-delà de ce qui pourrait sembler comme une nième version d’un triangle amoureux moderne.
Finissons enfin sur un film qui n’était pas une « première » mais aurait sans doute pu l’être, The accidental getaway driver, qui valut à juste titre Sing J. Lee le prix de la meilleure réalisation de fiction américaine. Inspiré d’une histoire authentique, ce film relate les péripéties souvent ubuesques mais aussi dangereuses qui surviennent à un vieil homme asiatique américain, chauffeur Uber ou similaire, qui prend sans le savoir en course un trio d’hommes qui viennent de s’évader de prison. Les retournements foisonnent dans The accidental getaway driver, que le réalisateur sait aussi laisser emporter par la grande humanité donnée au personnage principal, qui finit par emporter la conviction d’un des évadés, dernière pirouette qui donne une touche finale émouvante au film.
Philippe J. Maarek
Principaux autres films primés à Sundance :
• Prix de la fiction américaine, A Thousand and One, de A.V. Rockwell
• Prix du documentaire américain, Going to Mars: The Nikki Giovanni Project, de Joe Brewster et Michèle Stephenson
• Prix de la fiction internationale, Scrapper, de Charlotte Regan
• Prix du Documentaire international, The Eternal Memory, de Maite Alberdi
(Photos Courtesy of Sundance Institute)
Soutien au cinéma iranien et à la liberté d’expression
Communiqué de Presse de l’Union des Journalistes de Cinéma du 20 décembre 2022
L’Union des Journalistes de Cinéma constate avec tristesse qu’alors que les cinéastes iraniens Mohammad Rasoulof, Mostafa Aleahmad et Jafar Panahi sont toujours incarcérés, c’est maintenant l’actrice Taraneh Alidoosti, vue cette année au Festival de Cannes dans le film en compétition Leila et ses frères, qui vient d’être arrêtée pour avoir comme seul tort d’avoir voulu s’exprimer librement.
L’Union des Journalistes de Cinéma demande la libération immédiate de ces personnalités du cinéma iranien reconnues dans le monde entier, récompensées dans les plus grands festivals de cinéma, dont le seul tort est leur liberté d’expression.