Pétition pour la diversité du cinéma sur France Télévisions
Berlinale 2020 : le début d’une nouvelle ère
Les habitués de la Berlinale s’attendaient à des surprises pour cette 70° édition du Festival. Outre ce chiffre « rond », souvent annonceur de festivités particulières, 2020 marquait la première année à la direction de la manifestation d’un tandem formé, pour la direction artistique, de Carlo Chatrian, venant du Festival de Locarno, et pour la direction exécutive, de Mariette Rissenbeek, l’ancienne directrice de « German Films », l’équivalent d’Unifrance Outre-Rhin, ce tandem remplaçant ainsi la direction unique traditionnelle du Festival depuis sa fondation. Mais la volonté de la nouvelle équipe dirigeante d’effectuer une transition en douceur fut manifeste, ce qui fait que la 70° édition ne fut l’objet d’aucune commémoration particulière – d’autant que les activités initiales sous le régime nazi de son fondateur, Alfred Bauer, ont récemment été mises en question.
C’est donc uniquement dans les choix de Carlo Chatrian pour la programmation de la compétition officielle que l’on a pu découvrir sa « touche ». Il était assisté pour cela par pas moins de quatre de ses anciens partenaires du Festival de Locarno qui l’ont suivi à Berlin, Mark Peranson, directeur de la programmation, comme il l’était à Locarno, et Lorenzo Esposito, Sergio Fant et Aurélie Godet, qui formaient pas moins de la moitié du comité de sélection de la compétition officielle et de la nouvelle section « Rencontres ». Alors que la tradition berlinoise, héritée de la position particulière de la ville de Berlin, entre l’Est et l’Ouest durant la Guerre Froide, était une orientation très politique, quitte à sélectionner des films d’un niveau parfois un peu inégal, Carlo Chatrian a visiblement décidé de faire abstraction de cette direction pour ancrer sa sélection dans les préoccupations du moment.
Jamais la compétition officielle de la Berlinale ne sembla en particulier autant axée sur la recherche de la parité homme-femme, avec notamment plusieurs films visiblement sélectionnés pour l’originalité de leur regard féminin sur des genres typiquement masculins.
Procédait manifestement de cette orientation First cow, tout d’abord, une œuvre qui fait passer le western, genre masculin s’il en est, dans une toute autre dimension, grâce à la vision de la réalisatrice américaine Kelly Reichardt (River of Grass). Loin des courses échevelées et des fusillades routinières entre Indiens et cow-boys, le film relate à petites touches précises délivrées à un rythme presque alangui en comparaison des westerns traditionnels le sort de deux hommes réunis par le hasard aux débuts de la conquête de l’Oregon. Ils essaient de faire fortune en… vendant des gâteaux à base de lait volé au propriétaire de la première vache importée dans la région. Même le traitement des moments de violence qui suit la découverte de leur méfait est délibérément occulté par la réalisatrice, là où les réalisateurs des westerns « classiques » s’en seraient donné à cœur joie, le tout filmé avec un beau regard cinématographique sur les paysages naturels de l’Oregon.
Dans un tout autre registre, comme pour montrer, cette fois, que le potentiel des réalisatrices féminines vaut bien celui des hommes, Carlo Chatrian avait pris la décision de programmer en compétition officielle The Intruder, de l’argentine Natalia Meta, qui propose un film à suspense qu’Alfred Hitchcock aurait sans doute pu intégrer avec peu de modifications dans sa célèbre suite de téléfilms « Alfred Hitchcock présente ».
Ce regard féminin sur le cinéma décidé par Carlo Chatrian se manifesta même dans plusieurs films de réalisateurs masculins, comme tout particulièrement Undine, de Christian Petzold, véritable ode au talent de l’actrice qui tient le rôle principal – et le film – de bout en bout, Paula Beer, vue notamment dans Frantz, de François Ozon, et qui pourrait bien devenir la nouvelle star du cinéma allemand. Elle parvient à rendre quasiment crédible le vieux mythe de l’Ondine des contes germaniques transposé à nos jours par l’œil bienveillant de Christian Petzold.
Un palmarès diversifié
Le jury de la compétition officielle présidé par Jeremy Irons délivra un palmarès diversifié mettant en somme d’accord les uns et les autres. L’Ours d’Or du meilleur film, très politique, fut décerné à There is no evil (Sheytan vojud nadarad)que le réalisateur iranien Mohammad Rasoulof a réussi à tourner et à présenter au Festival malgré l’interdiction de sortie du territoire et les difficultés d’exercer son métier dans son pays. Le film fut également récompensé par plusieurs des jurys « parallèles », puisqu’il obtint le Prix du Jury Œcuménique et le Prix de la Guilde du Film Allemand. L’orientation vers le cinéma féminin de la sélection fut doublement saluée par l’Ours d’Agent du Grand Prix, décerné à Never Rarely Sometimes Always, d’Eliza Hittman et par celui du Prix d’Interprétation Féminine bien mérité de Paula Beer pour Undine, justement, d’ailleurs également récipiendaire du Prix Fipresci de la Critique Internationale pour la compétition. Curieusement, l’Ours d’argent de la meilleure réalisation fut décerné au Coréen Hong Sangsoo pour The woman who Ran (Domanghin Yeoga), alors que l’on attendait plutôt Giorgio Diritti pour sa mise en scène aboutie de la vie du peintre Antonio Ligabue, Je voulais me cacher (Volevo nascondermi), que le jury choisit plutôt de saluer en donnant à son acteur, Elio Germano, l’Ours d’Argent du meilleur rôle masculin. On notera enfin que l’Ours d’Argent spécial du 70° Anniversaire fut décerné à Effacer l’historique, de Benoît Delépine et Gustave Kervern, une allégorie moderne sur les réseaux sociaux et leur influence parfois aussi forte qu’imprévisible sur le quotidien des individus aujourd’hui.
La Berlinale, ce n’est pas seulement la compétition, mais aussi en particulier deux sections d’importance, Panorama et le Forum, sans compter une toute nouvelle section crée cette année par la nouvelle équipe qui dirige le festival « Encounters » (Rencontres). C’est dire si les cinéphiles qui forment le nombreux public de la Berlinale ont de quoi faire, qui se sont pressés dans les nombreuses salles réparties dans la capitale qui reprenaient les films de l’une ou l’autre section du festival.
Dans la nouvelle section « Rencontres », ce fut La Métamorphose des oiseaux, le premier film de la portugaise Catarina Vasconcelos qui obtint le Prix Fipresci de la Critique Internationale. Cette section innovante donna même une place de choix aux imposantes 477 minutes de The works and Days (of Tayoko Shiojiri in the Shiotani Basin) réalisé par l’américain C.W. Winter et le suédois Anders Edström. Dans la section « Panorama », sorte d’équivalent local de la section « Un certain regard » à Cannes, ce fut Mogul Mowgli, du Pakistanais Bassam Tariq, qui obtint le Prix Fipresci de cette section, et dans la section « Forum », à la direction renouvelée pour ce qui était son 50° anniversaire, ce fut The Twentieth Century, du canadien Matthew Rankin, qui reçut le Prix Fipresci. On notera la grande diversité habituelle de cette section, dédiée à tous types de formes de cinéma, où l’on remarqua en particulier l’onirique In deep sleep de la jeune réalisatrice soviétique Maria Ignatenko qui fait preuve d’un travail sur l’image et le son d’une remarquable maîtrise.
Les cinéphiles les plus tenaces de la Berlinale pouvaient aussi, entre autres, profiter de la section « Berlinale Special », qui fut marquée par la visite de Hillary Clinton elle-même à l’occasion de la projection de Hillary, le documentaire que lui a consacré Nanette Burstein. On pouvait aussi bénéficier d’un regard sur le cinéma allemand de l’année offert par la section « Perspective du Cinéma Allemand », et d’une belle rétrospective dont l’essentiel était la partie dédiée à King Vidor.
Son point fort fut incontestablement la superbe copie de La Grande Parade restaurée (et présentée) par Kevin Brownlow. Ses images noires et blanches colorées selon les moments en bleu, rose ou jaune étaient somptueusement mises en valeur par un accompagnement au piano sur scène (ici par Maud Nelissen), comme pour plusieurs autres des films muets du réalisateurs qui étaient présentés.
Un marché du film très fourni
Les premiers miasmes de l’épidémie due au coronavirus n’ont pratiquement pas eu d’influence visible sur le « Marché du Film Européen » berlinois, fondé par Beki Probst. En réalité devenu un marché mondial, il est maintenant dirigé par Matthijs Wouter Knol, et fut pratiquement aussi dense qu’à l’ordinaire, malgré, déjà, l’absence de la plupart des participants chinois habituels pour cause de virus et l’importance croissante de la SVOD qui le prive d’un certain nombre de films, déjà préachetés ou réservés par les Netflix et autres. Les professionnels français y étaient nombreux et actifs, nombre d’entre eux étant regroupés dans le stand « parapluie » d’Unifrance.
Carlo Chatrian et Mariette Riessebeek se sont par ailleurs bien gardés de modifier l’efficace opération « Talent Campus », qui accueille des jeunes professionnels du monde entier et qui est maintenant imitée par plusieurs festivals dans le monde, ce qui a concouru à parfaire, en somme, cette 70° édition de la Berlinale, en 2020 plus que jamais le premier grand rendez-vous du cinéma mondial de l’année.
Philippe J. Maarek
Philippe J. Maarek nouveau président de l’Union des Journalistes de Cinéma
Philippe J. Maarek, Vice-Président et co-fondateur de l’Union des Journalistes de Cinéma a été élu à sa Présidence par son Conseil de direction à l’unanimité. Il succède à Jean Roy qui en devient le deuxième Président d’Honneur, avec Laurent Delmas.
Egalement Directeur des Affaires Juridiques de la Fédération Internationale de la Presse Cinématographique (FIPRESCI) et Secrétaire Général de la Fédération Nationale des Critiques de la Presse Française, Philippe J. Maarek a travaillé pendant plus de 30 ans comme journaliste spécialisé dans le cinéma pour la revue professionnelle « Le Technicien du Film et de la vidéo ». Il a aussi été, entre autres, le Rédacteur en Chef pour la France de « European Reviews », le supplément critique de « Moving Pictures International », et tient ou a tenu des chroniques dans divers magazines français. Il a fait partie du comité de rédaction de la revue « Cinématographe », aujourd’hui disparue, et a collaboré à diverses autres revues de cinéma françaises bien connues (« La Revue du Cinéma », « Le Mensuel du Cinéma »), et à diverses autres publications françaises et étrangères (« Variety », « Film Comment », etc).
Il a été membre de la Commission dite « d’avances sur recettes » auprès du Centre National de la Cinématographie en 2000, dans le second collège (soutien aux réalisateurs ayant déjà réalisé au moins un long métrage). Il a également organisé ou participé à de nombreux colloques en France ou a l’étranger, notamment sur les Cinémas d’Afrique Noire, Les cinémas Fascistes Italiens, la Censure Cinématographique, la Critique aujourd’hui, etc.. Il a écrit, parmi d’autres, trois livres sur le cinéma et la politique: « De mai 68 aux films X » (Dujarric,1979), « La Censure cinématographique » (LITEC,1982), et « Média et malentendus, cinéma et communication politique » (Edilig,1986). Ce dernier livre lui a valu une mention spéciale de la part du Jury du Prix Littéraire du Syndicat Français de la Critique de Cinéma.Il a fait partie ou présidé de nombreux jurys de Festivals internationaux: « Caméra d’Or » à Cannes », « Prix du Meilleur Film Canadien » au Festival International de Toronto, « Prix des Montréalais » au Festival des Films du Monde de Montréal, Prix Norman Mc Laren à Montréal, Prix de la New-York Film Academy de la section Panorama du Festival International du Film de Berlin, sans oublier de nombreux Jurys de la Critique Internationale à Cannes, Rio de Janeiro, Montréal, Toronto, Stockholm, Puerto-Rico, etc. Il a été secrétaire du Jury Fipresci de la Critique Internationale de Cannes pendant dix ans.
Il est l’auteur d’un film de montage documentaire de 1h10 sur « La censure au cinéma », qui comporte plus de 70 extraits de films et divers interviews, dont il a lui-même supervisé la production et la réalisation (diffusion sur « Canal Plus » en 1989).
Docteur d’Etat en Science Politique, il est aussi Professeur en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université Paris Est Créteil. Il est Chevalier de la Légion d’Honneur.
Le 30° Festival de Stockholm
Le Festival international du film de Stockholm a célébré son 30e anniversaire cette année. Helen Barlow s’est entretenue avec sa directrice artistique, Git Scheynius, alors qu’elle faisait partie du jury FIPRESCI de la section Open Zone de l’événement:
GS: » Nous voulions créer une nouvelle plate-forme pour un film de qualité à Stockholm, nous avons donc lancé le festival du film en 1990″, se souvient Scheynius. « La première édition n’a duré que quatre jours et s’est transformée en un événement cinématographique toute l’année.«
Elle l’a créée avec son mari, journaliste à la télévision et autrefois distributeur et acheteur de films, Ignas Scheynius, et Kim Klein, directrice artistique pendant trois ans avant qu’elle ne prenne le relais. Bien que son mari ne fasse pas officiellement partie du festival, son initiative, puis sa connaissance des films et ses contacts avec l’industrie lui ont apporté un soutien précieux:
GS: » Ignas a pris l’initiative et nous a demandé à Kim et à moi, de le rejoindre. Nous avions trois activités différentes. J’étais productrice, et Kim avait un ciné-club à Stockholm que Ignas et moi-même visitions souvent. Nous avons donc appelé nos amis, environ cinquante personnes, et nous avons lancé le festival sans argent. Nous avions loué un appartement d’une pièce. Nous avions un ordinateur et un fax, et comme nous étions très nombreux dans ce petit appartement, vous deviez réserver votre tour pour l’ordinateur et si vous étiez en retard, vous pouviez attendre jusqu’à 1h du matin pour pouvoir y travailler ! La présentation était de haute qualité et très professionnelle, alors les gens pensaient que nous étions parrainés par SF Studios ou par l’organisme de financement suédois, mais ce n’était pas le cas. Nous avions juste tous travaillé très durement. «
Alors, comment avez-vous finalement obtenu un financement?
GS: « Il nous a fallu 12 ans avant que le festival puisse être entièrement financé. Ce fut un long combat, mais nous avons toujours eu un très bon soutien de la ville de Stockholm et du public. Ils voulaient vraiment ça. Mon objectif a donc toujours été de nous construire en tant qu’organisation culturelle, non seulement l’événement principal en tant que festival international du film, mais également en tant qu’événement pouvant communiquer avec les enfants. Il était également important d’organiser des projections en extérieur. Après dix ans, nous avons lancé un festival du film pour enfants et des projections en plein air. Environ 25.000 personnes assistent au ‘Stockholm Film Festival Junior’. En outre, en août, nous organisons trois grands événements en plein air et un festival du film sur mobile. «
Comment avez-vous réussi à gérer le Festival, tout en élevant trois enfants ?
GS: « Ce fut un combat, bien sûr, mais vous devez créer un groupe autour de vous qui vous soutienne, y compris des grand-mères et des amis. Organiser un festival de cinéma n’est pas quelque chose que l’on fait seul. Vous avez besoin de beaucoup de gens. Notre organisation est composée de 14 personnes qui travaillent toute l’année. En août, nous montons à 58 personnes qui travaillent à court terme. Puis, un mois avant le festival, nous en sommes à 400 personnes, et il y a aussi des volontaires bénévoles. ”
Pourriez-vous nous donner quelques lignes directrices de votre sélection?
GS: « Un tiers du programme SIFF est dédié aux cinéastes débutants. Nous mettons également l’accent sur les films de réalisatrices. Cette année, 40% des films sont réalisés par des réalisatrices. Beaucoup des réalisateurs sélectionnés assistent au Festival. «
Pourtant, alors que la compétition SIFF compte 17 films dont 6 films dirigés par des femmes, la section « The Open Zone » ne compte qu’un film réalisé par une réalisatrice sur 20 ?
GS: « Cette section est destinée aux cinéastes plus établis. Bien sûr, avec les courts métrages et les documentaires, la représentation féminine est plus élevée. Hélas, plus un film coûte cher, et moins on voit de femmes. C’est un problème dans le monde entier et également dans l’industrie cinématographique. Quand j’ai commencé, j’étais très seule en tant que femme directrice de festival et je pensais que cela pourrait être résolu dans les années qui allaient suivre. Mais ce ne fut pas le cas. Après quelques années, nous avons décidé de rechercher davantage de projets dirigés par des femmes. Cette année, nous avons été très heureux de remettre le ‘Stockholm Visionary Award’ à Céline Sciamma, directrice extraordinairement talentueuse. Nous sommes également heureux que Rosanna Arquette reçoive le ‘Stockholm Achievement Award’ pour sa belle carrière auprès d’auteurs comme Scorsese, Tarantino et Besson, mais aussi parce qu’elle est une icône en matière de harcèlement sexuel. Elle a également participé à un séminaire que nous avons organisé avec le mouvement suédois #MeToo. »
L’autre festival de cinéma suédois de premier plan a lieu à Göteborg. Quels sont vos rapports avec lui?
GS: « Je pense que chaque ville devrait avoir son propre festival. C’est bon pour la vie culturelle et pour la réputation de la ville. La Suède est un pays très vaste et si vous organisez un festival suédois dans le sud du pays, à Göteborg, cela n’implique pas tellement le monde de l’industrie et le public de Stockholm. Nous organisons donc deux grands festivals de cinéma en Suède. L’un est à Göteborg et l’autre à Stockholm. Il n’y a pas de différence entre nous.«
Entretien réalisé par Helen Barlow
Les prix de la compétition officielle:
Meilleur film: Song Without a Name de Melina León
Meilleur réalisateur: Mark Jenkin pour Bait
Meilleur premier film: You Deserve a Lover de Hafsia Herzi
Meilleur scénario: Synonyms de Nadav Lapid et Haim Lapid
Meilleure actrice: Nina Hoss pour The Audition
Meilleur acteur: Bartosz Bielenia pour Corpus Christi
Meilleure Cinématographie: Inti Briones pour Song Without a Name
Les prix de la section « documentaires »:
Meilleur documentaire: One Child Nation de Nanfu Wang et Jialing Zhang
Stockholm Impact Award: Kantemir Balagov pour Beanpole
Stockholm Rising Star Award: Celie Sparre
Courts-métrages
Meilleur court-métrage: Kingdom Come de Sean Robert Dunn
Prix FIPRESCI de la Critique Internationale
Grâce à Dieu de François Ozon
Disparition de Jean Douchet
Avec la disparition de Jean Douchet, c’est un ami et un mentor qui s’en va. Cinéphile débutant – balbutiant – et étudiant à l’université de Nanterre, j’y dirigeais le ciné-club, alors l’un des plus importants de France, avec six séances par semaine, plus de mille adhérents. Le mercredi, les cours de Jean Douchet au département de cinéma y avaient lieu, par un échange de services mutuels : nous avions ainsi un orateur « de luxe » et le département bénéficiait gracieusement des films que nous projetions. C’est ainsi que pendant plusieurs années le cinéphile amateur que j’étais, petit à petit, apprit à découvrir les arcanes cachés du cinéma sous les paroles de Jean. Le sens caché des plans de John Ford, les dessous des tournages et des images d’Hitchcock, la beauté de Mizoguchi, la magnifique ascèse du Gertrud de Dreyer, Ozu, Pabst, Lang, les propos de Jean Douchet, expliquaient, montraient, dessillaient. Jamais son enthousiasme ne diminuait à transmettre sa passion. Tout naturellement, quelques années plus tard, je demandai à Jean de faire partie du jury de mon Doctorat d’État. Là sa bienveillance et sa compréhension du cinéma couronnèrent mes études en un bel après-midi – Marc Ferro et lui se relayant pour me gronder de ce qu’ils auraient voulu lire, me féliciter de ce qu’ils avaient lu, m’encourager à continuer à réfléchir sur le cinéma et la politique, puisque c’était le sujet de mon travail. Après, venir le chercher de temps en temps boulevard Morland pour déjeuner. Avoir le plaisir de glisser son nom pour le prix de l’UJC en 2008. Le voir composer des silhouettes et même de véritables rôles au cinéma. Voir la délectation visible de sa participation à la Sale histoire de Jean Eustache ou son parrainage affectueux d’un rôle et de sa caution de Xavier Beauvois pour son Nord si talentueux et si prometteur. Et son éloquence pour aider tant d’autres. Le cinéma français lui doit tant ! Adieu Jean.
Philippe J. Maarek
Jean Douchet, né en 1929 à Arras, est décédé le 22 novembre dernier. Après avoir collaboré à la Gazette du cinéma d’Éric Rohmer, il fut l’une des plumes les plus suivies des « Cahiers du Cinéma » entre 1957 et 1963. En y analysant les films des jeunes cinéastes qui émergeaient, Truffaut, Godard, Rohmer, Rivette, il devint l’un des principaux acteurs de la Nouvelle Vague par sa seule plume. Après son départ des Cahiers, il devint le grand « passeur » de la cinéphilie en France jusqu’à nos jours. Il enseigna aux universités de Nanterre, Vincennes et Jussieu, puis à l’IDHEC, devenue ensuite Femis. Il tint d’innombrables séances de ciné-clubs ou conférences sur le cinéma un peu partout, de la Cinémathèque Française de Paris à celle de Nice, et bien d’autres lieux. Inspirant de nombreux jeunes cinéastes en devenir, puis contribuant à les faire connaître lorsqu’ils passaient à l’acte, il figura comme acteur dans plusieurs dizaines de films des uns ou des autres. Il réalisa aussi plusieurs essais et documentaires. Il avait reçu en 2008 le prix de l’Union des Journalistes de Cinéma pour l’ensemble de son œuvre.
L’an 1 du TIFF de Toronto pour le duo Bailey-Vicente sous le signe de la parité et de la diversité
Les yeux de la profession cinématographique étaient tournés vers la 44eédition du Festival International du Film de Toronto – désormais connu en Amérique du Nord sous son acronyme, TIFF. Elle marquait en effet l’an 1 de la nouvelle direction du Festival, après plus de deux décades sous la direction de Piers Handling, qui en a fait l’un des plus importants rendez-vous du cinéma mondial.
La transition avait en fait été préparée de longue date, puisque Cameron Bailey, le nouveau co-directeur et directeur artistique du festival avait été intronisé dans cette seconde fonction dès 2012. Certes nouvelle du côté du manche, mais fréquente habituée du festival comme invitée, était sa co-directrice et directrice exécutive, Joana Vicente, venue de la production indépendante new-yorkaise. La transition avait donc tout pour se faire en douceur, et, en vérité, un observateur non averti n’aurait sans doute pas vu trop de différences entre le millésime précédent de la manifestation et celui de 2019, ce qui est sans aucun doute un compliment. En effet, ce n’est pas une petite affaire que de piloter sans heurts une opération aussi colossale sur trois registres au moins : la sélection de plus de 300 film internationaux ; l’organisation de projections publiques attirant des dizaines de milliers de Torontois; l’accueil des professionnels internationaux du cinéma pour ce qui est tacitement devenu l’un des principaux marchés du film de l’année.
C’est aussi apparemment sans heurts que le tandem Bailey-Vicente a renouvelé une bonne partie de l’équipe permanente du festival, du côté de la programmation, comme de l’accompagnement des films. L’équipe de programmation était en particulier pour la première fois dotée d’une directrice au côté de Cameron Bailey, Diana Sanchez, ancienne directrice artistique du festival de Panama, entre autres. « Elle constitue l’apport le plus important du Festival de Toronto cette année de mon point de vue » nous a confié Cameron Bailey. Le reste de l’équipe a également vu de nombreuses transformations en 2019, de la promotion de Jennifer Frees comme Vice-Présidente des partenariats à la nomination d’une directrice intérimaire de la Communication, Alejandra Sosa, qui avait pourtant l’air de connaître la manœuvre comme une vétérane.
Pour les festivaliers, la continuité entre 2018 et 2019 fut surtout visible par l’importante place faite à la diversité, et surtout au cinéma féminin et à la parité, qu’il s’agisse aussi bien de l’équipe de programmation que des films sélectionnés. Toronto sembla ainsi remiser aux oubliettes de l’histoire le Festival de Venise 2019 qui se vantait crânement de ses choix « non genrés ». Une constante, sans aucun doute, chez Cameron Bailey, qui oriente depuis quelques années la sélection dans ce sens – son passé personnel d’enfant britannique immigrant au Canada mais d’une famille originaire de la Barbade jouant sans aucun doute ici. Un très beau choix de films réalisés par des femmes, et non des moindres, montra en effet qu’il suffit de se pencher suffisamment pour trouver de nombreux films de qualité faits par des femmes en 2019 ! Le bouche-à-oreille dans ce sens fut sans aucun doute mené par l’excellent Proximad’Alice Vinocour, dans la section « Platform ».
La réalisatrice parvient à renouveler le genre du cinéma de la conquête de l’espace en montrant avec une mise en scène toute en nuances comment une jeune femme, astronaute s’entraînant à une mission d’une année, tente de concilier son absence à venir et déjà forte avec sa situation de mère séparée d’une petite fille. Le rôle est tenu avec un brio tout de retenue par une Eva Green remarquable qui fait ici un beau retour au premier plan. Elle est sans doute bien partie pour les Oscars ! Fort remarqué également, cette fois dans la section « Galas », fut A beautiful Day in the Neighborhood, réalisé par Marielle Heller, qui donne ici une partition en or à Tom Hanks, dans l’un de ses plus beaux rôles. Il personnifie à merveille Mr Rogers, le présentateur durant plusieurs décennies d’une émission de télévision pour les enfants à l’empathie extraordinaire. Ajoutons encore, rien que pour la section « Galas », le populaire – et un peu tapageur – Hustlers, dû à Lorene Scafaria, dont Jennifer Lopez est la vedette en strip-teaseuse au grand cœur, et d’autres encore, puisque la parité hommes-femmes était quasiment atteinte dans toutes les sections du festival. La preuve fut largement faite à Toronto que l’on peut aujourd’hui alimenter un festival de cinéma avec des films de femmes en nombre…
Jojo Rabbit« Prix Grolsch » du public
On sait que le Festival de Toronto est non compétitif, ce qui est l’un de ses principaux atouts, notamment pour les productions hollywoodiennes qui ne le dédaignent pas, d’autant que ses projections publiques en font quasiment des tests pour les distributeurs. Quelques prix y sont toutefois décernés, à commencer par le « Prix Grolsch » du public, qui revint cette année à Jojo Rabbit, une comédie grinçante de Taika Waititi. Elle suit les pas d’un petit garçon embrigadé dans les jeunesses hitlériennes durant la Seconde Guerre Mondiale. Il croit voir Hitler le guider dans des visions incarnées par le réalisateur lui-même, qui le ridiculise de plus en plus au fur et à mesure de l’avancement du film. Le « Prix Canada Goose » du meilleur film canadien revint à Antigone, de la québécoise Sophie Deraspe, une transposition contemporaine à Montréal du drame de Sophocle. Parmi les autres prix décernés à Toronto, on citera bien sûr les deux Prix Fipresci de la Critique Internationale, l’un pour la section « Discovery », qui échut à Murmur, de la canadienne Heather Young, et l’autre pour la section « Présentations Spéciales », qui échut à How to build a Girl, de la britannique Coky Giedroyc – à nouveau deux films réalisés par des femmes! Le prix du jury de la section « Platform », enfin, se tourna vers Martin Eden, une coproduction Italo-française de Pietro Marcello tournée en Super 16 mm.
Naturellement, le festival de Toronto, avec ses trois centaines de films, ne se résume pas aux quelques titres que nous avons cités. Le public se pressa ainsi en particulier aux projections des films directement venus de Venise, à commencer par Ad Astra, de James Gray. Ce film relance de manière spectaculaire la carrière de Brad Pitt, tout de mesure en astronaute introverti à la recherche de son père perdu dans les cieux. On vit aussi à Toronto le « Lion d’Or » de Venise, Joker, de Todd Philips, qui renouvèle le genre du film de « superhéros » et remet brillamment en orbite Joaquim Phoenix. En revanche, le grand absent fut le Lion d’Argent de Venise, J’accuse de Roman Polanski, le réalisateur étant banni d’Amérique du Nord pour les raisons que l’on sait.
Éclectique, divers, le Festival de Toronto accueille aussi des films expérimentaux dans sa section « Wavelengths », des films d’horreur ou « marginaux » dans sa section « Cinéma de Minuit », des documentaires, et même une section de séries télévisés pour sa cinquième édition, renouvelée sous l’égide du programmeur Geoff Macnaughton… Bref, de quoi satisfaire le public de Toronto, dont on admire chaque année la patience inébranlable à faire des queues de plusieurs heures pour voir des films d’auteurs inconnus des salles de cinéma de la ville en temps ordinaire! L’ouverture du TIFF au public local se traduisit d’ailleurs aussi par la piétonisation de la rue qui borde le « Bell Lightbox », durant le premier week-end. Concerts gratuits, distribution de cadeaux en tous genres et « food-trucks » bariolés, ajoutèrent au côté bon enfant du festival.
Les professionnels au rendez-vous du premier week-end
Les professionnels du cinéma du monde entier furent à nouveau en 2019 au rendez-vous de Toronto, qui devient semble-t-il de plus en plus le marché du film terminé, par opposition à Cannes où l’on achète les films sur projets. Comme à l’accoutumée, ils se bousculèrent lors du premier week-end. Ils trouvaient dans l’hôtel Hyatt, leur quartier général, une bibliothèque de visionnement du festival, et les stands de plusieurs organismes de promotion du cinéma.
Unifrance, l’organisme de défense du cinéma français, était bien sûr là, avec un grand stand extrêmement actif, tout comme « European Film Productions », l’organisme intereuropéen de promotion du cinéma, qui compta au sein de la programmation du festival la bagatelle de 54 longs métrages où intervenaient producteurs ou acteurs découverts par ses opérations « Producers on the move » ou « European Shooting Stars ». Le Dga d’Unifrance, Gilles Renouard, et la directrice d’EFP, Sonia Heinen, profitèrent d’ailleurs de leur présence simultanée au festival pour signer un accord lançant une entreprise commune de promotion du cinéma, « Le marché de Miami du cinéma français et européen », au côté de Jaie Laplante, le directeur du Festival de Miami (Photo).
Le problème Netflix aussi à Toronto
La controverse internationale qui concerne les films produits ou achetés par Netflix s’introduisit à Toronto de façon inattendue. Le Festival, comme Venise, par exemple, accepte tous les films que ses programmateurs jugent dignes d’être sélectionnés. Il a ainsi programmé Roma dès l’an dernier. Mais cette année, il fut gêné dans son organisation par la décision de la société Cinéplex de refuser d’accueillir les films liés à Netflix ou toute autre compagnie de streaming vidéo direct dans la multisalle qui héberge l’essentiel des projections réservées à la presse et aux professionnels, le « Scotiabank ». Les salles de cinéma nord-américaines réclament en effet en général une fenêtre d’exclusivité de 90 jours avant le passage au streaming forfaitaire. Le festival dut donc reprogrammer une bonne douzaine de films et les loger in extrémis dans ses propres salles, celles du « Bell Lightbox ». Un contretemps transparent pour les festivaliers, certes.
Sans aucun doute, avec le bonus constitué par leur ligne directrice paritaire et diverse de qualité, Cameron Bailey et Joanna Vicente ont bien maintenu en 2019 le Festival International de Toronto 2019 comme l’un des quatre plus grands rendez-vous du cinéma mondial, avec Berlin, Cannes et Venise.
Philippe J. Maarek
Pour la libération de Mohammed Rasoulof
Communiqué de presse de l’Union des Journalistes de Cinéma du 28 juillet 2019
Le cinéaste iranien Mohammad Rasoulof, vainqueur du Prix Un Certain Regard Cannes 2017 pour son film « Un homme intègre », a été condamné à 1 an de prison ferme, suivi de 2 ans d’interdiction de sortie du territoire et d’interdiction de se livrer à la moindre activité sociale et politique. Cette condamnation suit une autre condamnation à un an de prison qu’il avait subie en 2011, et à une interdiction de voyager hors d’Iran et de travailler qui lui avait été signifiée en 2017.
L’Union des Journalistes de cinéma qui avait déjà protesté antérieurement contre les privations de liberté et de travailler de Mohammed Rasoulof appelle à signer la pétition mise en ligne par son distributeur français, ARP Sélection, demandant que sa liberté lui soit rendue sans plus tarder afin qu’il puisse continuer à créer. On peut la signer à l’adresse: https://www.change.org/p/pour-la-libération-de-mohammad-rasoulof
Once upon a time in Hollywood… et à Cannes 2019: Quentin Tarantino combat le gang Manson et les médias et est heureux avec sa femme…
A la veille de la cérémonie du Palmarès du Festival de Cannes, le traditionnel dîner des « présentateurs des prix » s’est tenu sous la tente de l’Agora près du Palais des Festivals. Aux tables approvisionnées par le chef Bruno Ogier, étaient assis, entre autres, Catherine Deneuve et sa fille Chiara Mastroianni, Sylvester Stallone, Michael Moore, Alejandro Inarritu et ses collègues du Jury, le Délégué général Thierry Frémaux, le Président Pierre Lescure, et Quentin Tarantino et son épouse Daniella Pick. A la fin du dernier met, les musiciens Mariachis mexicains sont entrés dans la salle – en l’honneur du président du jury – et ont fait sursauter les convives avec des chansons rythmées bien connues. Tarantino, qui adore les fêtes, chantait à tue-tête et Daniella l’a rejoint. Je lui ai demandé si, en tant qu’ex célibataire endurci, il était satisfait de s’être marié (avec une chanteuse d’origine israélienne). « Je suis très heureux et fier de ma femme israélienne« , s’est exclamé Tarantino avec enthousiasme, retournant au chant et à la danse mexicaine. Danielle a poursuivi en disant que leur mariage jusqu’à présent était heureux, que Quentin était un mari sensible et aimant, et que ce mariage allait durer longtemps.
Plus tôt, lors de la conférence de presse de son film Once upon a time in Hollywood, on a demandé à Tarantino si et comment il avait changé depuis sa venue au festival il y a vingt-cinq ans, quand il avait raflé la Palme d’or avec Pulp fiction. Sa réponse a fusé immédiatement : « Je me suis marié il y a six mois, je n’avais jamais fait ça avant, et maintenant je sais pourquoi… j’ai juste attendu la bonne fille. » Daniella a vraiment prouvé à Cannes que Quentin ne pouvait pas se passer d’elle, elle s’est occupée de tous les petits détails des événements dans lesquels son mari était impliqué, s’est assurée qu’il avait l’air aussi correct que possible et tous les deux ont souvent fait preuve devant tous de leur affection mutuelle. Bref, à l’âge de cinquante-six ans, l’enfant terrible d’Hollywood a finalement volontairement succombé à sa « dresseuse » et semblait très content tout en ne dédaignant pas de continuer à courir à toute allure pour son plaisir afin de s’affronter aux médias.
Le lendemain, Tarantino était le seul des participants du dîner n’ayant reçu aucun prix mais il a choisi quand même de rester à Cannes et de monter les marches du Palais des Festivals, profitant jusqu’à la dernière minute de la fête. La participation de Tarantino n’était pas considérée comme acquise, dix ans après queInglourious basterdsait participé à la compétition sans être primé. Certes, il y a vingt-cinq ans, Cannes a donné un formidable coup de pouce à sa carrière en remettant la Palme d’Or à Pulp fiction, mais depuis, il est reparti bredouille (sauf pour le prix le prix du meilleur acteur décerné à Christoph Waltz pour Inglourious basterd. Tarantino a blâmé les médias, en particulier les médias américains, et a été considéré par eux comme l’un des principaux responsables de la décision du festival prise l’année dernière d’annuler les avant-premières pour les journalistes qui suivent le festival. Une décision sur laquelle on est d’ailleurs en parti revenu cette année, notamment grâce à l’intervention de l’Union des Journalistes de Cinéma. Le Délégué général du festival Thierry Frémaux expliquait à l’époque cette décision par sa volonté « de ne plus voir les équipes monter avec des mauvaises mines sur le tapis rouge« . Tarantino lui-même a dit à VanityFair: « Ce festival m’a laissé un goût amer. J’étais très excité par la première projection du film pour la presse à 8h30 du matin, mais voir tous ces gens courir vite de la projection pour être les premiers à publier les critiques déjà préparées… c’était un peu déprimant, ça a brisé la magie, je ne me souviens pas d’une telle fièvre, autrefois les gens prenaient plus du temps pour digérer les films, il y avait de la bonne volonté … Aujourd’hui, je ne suis pas prêt à m’entretenir en tête-à-tête avec un journaliste américain. Cela me coûte trop cher… «
Les entrevues formelles ont donc été uniquement menées en groupes ou en conférence de presse, dans une atmosphère de suspicion et de pression de la part de la production. Tarantino a su attiser la colère de nombreux journalistes lorsqu’il leur a demandé dans un communiqué spécial avant la projection, d’éviter le « spoiler » et de ne pas révéler le tournant de l’intrigue « afin de ne pas nuire au plaisir des futurs spectateurs ». Et ce, pour un film officiellement en compétition à Cannes…
Les « responsables » de la production qui l’entouraient semblaient également se soucier du « politiquement correct » et imposaient aux journalistes d’éviter les sujets délicats, comme les agissements du producteur Harvey Weinstein, que Tarantino décrivit pourtant un jour comme « un père qu’il n’avait jamais eu…« . Ou de poser trop de questions sur le sor d’un des personnages deOnce upon a time in Hollywood, le réalisateur Roman Polanski. Cependant, il était un peu difficile d’ignorer Polanski, (qui est incarné dans le film par un acteur polonais), puisque que l’horrible meurtre de sa femme, l’actrice Sharon Tate à l’âge de vingt-six ans, alors qu’elle était enceinte de huit mois, par la bande de hippies fous de Charles Manson est un paradigme central du film, même si les choses à l’écran « se passent » finalement, comme dans les Basterds, dans le monde fictif de Tarantino. Et que le rêve de vie du héros du film, un acteur « perdant » interprété par Leonardo Di Caprio, est d’être invité chez ses voisins, Polanski et Sharon Tate…
« Je n’ai pas jugé cela nécessaire« , a-t-il répondu quand on lui a demandé s’il avait consulté Polanski au sujet du scénario, en disant juste : « Je suis fan de Rosemary’s Baby. », mais en ajoutant : « Je n’ai pas dit qu’il était alors le plus grand réalisateur de son temps, seulement le plus célèbre. Et le couple qu’il formait avec Sharon Tate symbolisait alors la quintessence d’Hollywood.«
« Je rejette cette hypothèse« , a-t-il répondu vivement à une journaliste trouvant qu’il n’avait pas donné assez de texte à Margot Robbie (qui joue Sharon Tate). Il a alors laissé Robbie expliquer que ce n’était pas la longueur du texte qu’elle avait à dire dans Once upon a time in Hollywoodqui comptait dans l’hommage vraiment émouvant qu’elle y a rendu à l’actrice assassinée.
Quant à Emmanuelle Seigner, l’épouse actuelle de longue date de Roman Polanski, ellea réagi avec colère à la projection du film, non pas à cause de son contenu, mais à cause de ce qu’elle a dénommé « l’hypocrisie » du comportement hollywoodien qui a chassé Polanski de l’Académie des Oscars tout en profitant de son histoire : « Comment peut-on se servir de la vie tragique de quelqu’un tout en le piétinant ? (…) donc de faire du business avec cela, alors que de l’autre côté, ils en ont fait un paria«
D’énormes ressources ont été investies dans la reconstruction de la période des années 1060 pour Once upon a time in Hollywood. Tarantino connaît par cœur tous les personnages et films de la fin des années 60 (et nous a donné, par exemple, un portrait amusant de Bruce Lee ou plus respectueux de Steve McQueen…). « C’est probablement la dernière production qui peut reproduire ce qu’était Hollywood, nous n’avons pas fait d’effets numériques, nous avons construit des décors, il est difficile de trouver quelqu’un prêt à dépenser autant d’argent pour une reconstitution, la ville change si vite. Comme si vous couriez sur un pont en feu, et sentiez les flammes vous poursuivre derrière vous« , a déclaré Tarantino à CanalPlus. « A propos de Manson, nous avons essayé de faire des recherches pour savoir comment il avait réussi à rallier ces jeunes hommes et femmes autour de lui – sans trop de succès« …
Dans les rôles principaux, Tarantino a choisi deux acteurs qui ont déjà travaillé avec lui, Leonardo Di Caprio, ici acteur de westerns sur le déclin, et Brad Pitt, son alter ego et cascadeur. « Tous deux sont des acteurs exceptionnels, et deux des plus grandes stars de notre époque, j’ai déjà travaillé avec eux deux, et ils ont bien réagi à mes demandes, » dit-il. » J’aime les acteurs qui travaillent vraiment sur le personnage, y investissent et se demandent qui est l’homme, même s’ils n’ont pas de réponses immédiates, ils continuent à enquêter, l’histoire est moins importante pour eux, ils me laissent y penser…et en bons acteurs ils connaissent aussi leur rôle par cœur… « .
Quand on a demandé à Tarantino si, comme dans Once upon a time in Hollywood, il pouvait changer, avec une baguette magique, le cours de l’histoire, il a répondu: « Je changerais beaucoup de choses si j’avais la capacité de changer le cours de l’histoire dans la vie réelle… D’abord, je claquerais des doigts et tous ces appareils photo numériques disparaîtraient, et tous les films seraient projetés en 16, 35 ou 70 mm… Et les téléphones portables n’auraient pas du tout été inventés... »
Après les projections à Cannes, Tarantino a annoncé qu’il remontera le film pour sa sortie en salles à la mi-août. La version « cannoise » de deux heures et trente-neuf minutes lui semble trop courte : « Le film n’est pas fini… Je voulais présenter la version la plus serrée à Cannes… pour moi, le dernier montage est la version finale du script… J’avais un bon film dans la tête… Je l’ai eu pendant des années et j’ai l’impression d’avoir eu le film que je voulais. Comme tous mes films, et c’était l’un des plus durs à faire« .
Tarantino a dit un jour qu’il ne ferait que dix longs métrages. C’est le neuvième. Des rumeurs insistantes prétendent qu’il dirigera le prochain StarTrek, mais il le nie: « Je n’ai aucune idée de ce que sera le prochain film…. Je travaille sur un film pendant des années, puis parfois je me repose un an, et souvent pendant cette année une idée apparaît…«
Quant à l’idée pour ce dernier dixième film : « C’est drôle que je n’en ai aucune idée cette fois, mais je ne suis pas pressé, j’ai dit que je me retirerais avec dix films – ou quand j’aurai soixante ans, au premier des deux termes échus, alors peut-être que j’en aurai soixante sans faire un film…«
Gidéon Kouts
PALMARES DU FESTIVAL
Palme d’or
Gisaengchung (Parasite) réalisé par BONG Joon-Ho
Grand prix
Atlantiqueréalisé par Mati DIOP
Prix de la mise en scène
Le jeune Ahmedréalisé par Jean-Pierre & Luc DARDENNE
Prix du jury ex-æquo
Les misérablesréalisé par Ladj LY &
Bacurauréalisé par Kleber Mendonça Filho & Juliano Dornelles
Prix d’interprétation masculine
Antonio Banderas dans Dolor y gloria réalisé par Pedro ALMODÓVAR
Prix d’interprétation féminine
Emily Beecham dans Little Joeréalisé par Jessica Hausner
Prix du scénario
Céline Sciamma pour Portrait de la jeune fille en feu
Mention spéciale
À Elia Suleiman pour It must be heaven
(qui a également obtenu le prix FIPRESCI de la Critique Internationale pour la compétition)
Courts métrages
Palme d’or
The distance between us and the sky réalisé par Vasilis Kekatos
Mention spéciale du jury
Monstruo diosréalisé par Agustina San Martín
Les prix de l’UJC 2019
Lors d’une cérémonie de remise de prix organisée en partenariat avec l’Association de la Presse Etrangère à la Mairie du 4° arrondissement de Paris, l’Union des Journalistes de Cinéma a remis ses quinzième prix annuels, destinés à mettre en valeur les métiers du journalisme cinématographique. Quatre prix ont été décernés en 2019 par le jury formé par le Conseil de l’UJC:
• le Prix de l’UJC 2019,pour l’ensemble de sa carrière, à Marie-Noëlle Tranchant (« Le Figaro »)
• le Prix de l’UJC 2019 de la jeune critiqueà Jean-Baptiste Heimburger (« Amorces.net »)
• le Prix de l’UJC de la meilleure biographie ou du meilleur entretien 2018 à Yann Tobin (NT Binh) pour “la série d’entretiens sur les comédies musicales” dans « Positif » d’octobre 201
• La Plume d’Or 2018 du journalisme de cinéma de la Presse étrangère en France, enfin, a été décernée pour la treizième fois conjointement par l’UJC et l’Association de la Presse Etrangère à Helen Barlow, journaliste australienne qui couvre le cinéma français depuis 30 ans
Enfin, l’Association de la Presse Etrangère remit son « Prix de la Mémoire du Cinéma » au compositeur Vladimir Cosma après la projection d’un clip effectuant un efficace florilège d’échantillons de ses musiques les plus célèbres.
Conditions de travail des journalistes à Cannes
Communiqué de presse de l’Union des Journalistes de Cinéma du 21 février 2019
Suite aux expériences positives notamment menées par les festivals de Venise et de Berlin, l’Union des Journalistes de Cinéma demande au Festival de Cannes de revenir à un calendrier de projection des séances de presse permettant aux journalistes et critiques de cinéma de voir les films en temps utile. Il s’agit de laisser ainsi le temps aux journalistes, notamment de la presse écrite, de faire leur travail – et particulièrement aux journalistes étrangers.
L’Union des Journalistes de Cinéma propose qu’en contrepartie de ce rétablissement du calendrier habituel des projections de presse, les journalistes signent à réception de leur accréditation un engagement d’embargo absolu de publication avant la fin de la projection de gala, comme à Berlin et à Venise, afin de ne pas risquer une remise en question de leur accréditation.
NB: communiqué repris dans la presse professionnelle étrangère, voir notamment https://www.screendaily.com/news/french-critics-call-on-cannes-to-reinstate-former-press-screening-schedule/5137168.article